Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

10 avril 2024


Des pluies éparses, voilà ce que prévoit la météo pour Toulon ce mardi. L’une au moins est déjà tombée lorsque je sors à sept heures. De la terrasse du Maryland, je vois de gros nuages noirs qui stagnent au-dessus des ferrys pour la Corse. Toulon sous la pluie est une nouveauté pour moi et une cause de déprime pour les commerçants du marché : « Temps de merde alors ! ».
C’est le dernier jour de validité de ma carte sept jours en illimité sur le Réseau Mistral. Je décide de l’utiliser pour traverser la rade jusqu’à Saint-Mandrier. Quand j’arrive à la Gare Maritime le bateau bus pour La Seyne la quitte. Un retardataire le voyant partir sans lui s’emporte : « Sale fils de pute ! » « Sale fils de pute ! » (ne pas lui demander s’il parle de lui).
Dix minutes d’attente, vingt minutes de traversée, me voici à Saint-Mandrier. Il pleut un peu. Le Mistral est fermé le mardi. Je le remplace par le Café de la Place qui a vue sur la place où se garent les voitures. Mon café à un euro soixante-dix bu, je sors mon volume un de Correspondance d’August Strindberg. A ma droite, deux jeunes femmes parlent à voix basse pensant que je n’entends pas. Il s’agit des zones intimes de leurs filles qu’elles leur apprennent à ne laisser toucher par personne, même pas par leurs grands-mères pendant la douche. Un peu plus tard, un fils explique d’une voix forte à son père combien ça va coûter de le mettre en maison de retraite quand il voudra y aller et comment il pourrait faire pour financer ça, vendre sa maison par exemple. Je suis toujours étonné de la facilité avec laquelle les client(e)s des bars évoquent des questions d’ordre privé en public.
Rentré à Toulon, je déjeune à l’intérieur de chez Côté Cochon de cochon grillé à la broche avec son écrasé de pommes de terre (treize euros quatre-vingt-dix). Une spécialité que je retrouve avec plaisir. Le patron est d’une amabilité commerciale. « Allez, on passe au sucré ? » me dit-il quand j’en ai terminé. Je lui dis que non et paie l’addition.
La pluie a cessé mais le temps reste gris. Aussi prends-je le café (deux euros) à La Réale dont la terrasse avec vue sur le port est bien abritée. Près de moi sont deux bourgeoises d’un âge certain. L’une porte une toque. L’autre a lu hier la préface d’un recueil de poèmes de Verlaine. « Une heure cinq, dit la première après avoir consulté sa montre, toi aussi ? » La seconde confirme. Elles ont bien la même heure et elles s’ennuient. Que c’est triste Venise chante en sourdine Aznavour pour plomber un peu plus l’ambiance. Le ferry La Méridionale crache une fumée noire. Mes deux voisines se lèvent. « On va jusqu’au bout du port ? » suggère la porteuse de toque. « Non, je préfère rentrer », lui répond l’autre. Words don’t come easy to me, ajoute tout bas la sono.
Il est deux heures quand le soleil fait son apparition. Aussitôt le monde semble revivre. La serveuse se précipite pour essuyer les tables mouillées.
                                                                               *
Plus de sucre avec mon café, plus de vin avec mon repas. Ça ne m’empêchera pas de continuer à me dégrader.
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Michel de Montaigne : Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages que je sais bien ce que je fuis mais non pas ce que je cherche.
 

9 avril 2024


Un marché riquiqui composé de deux vendeurs de fruits et légumes et du fleuriste, occupe le bas du cours Lafayette ce lundi. Le ciel est un peu gris tandis que je petit-déjeune mais je sens que le bleu va venir. Au programme du jour une balade jusqu’à un endroit toulonnais réputé que je n’ai pas vu lors de mon précédent séjour : l’anse Méjean.
Pour ce faire, je prends le bus Trois jusqu’à son terminus Le Mourillon. Au-delà du Centre Nautique le sentier littoral permettant d’y aller n’est plus. La mer l’a grignoté. Il faut désormais passer par la route de la Corniche. Pour monter, ça monte.
Je marche longtemps, arrive à une petite route qui descend sur la droite où j’aperçois un autochtone à qui je demande si oui. « Oui, vous descendez et vous allez y arriver. » Pour descendre, ça descend.
En bas, un panneau m’indique que j’ai encore un kilomètre à parcourir. Je trouve sur la droite une porte en pierre suivie d’un escalier de pierre. Il monte rudement jusqu’à la Chapelle Notre-Dame-du-Cap-Falcon. Près d’elle, la statue de la Vierge qui regarde la mer est une rapatriée d’Algérie derrière qui sont accrochés à une grille des bouquets de fleurs et des messages à des péris en mer. Je suis au Cap Brun et de là-haut j’aperçois l’anse Méjean.
Redescendu, je n’ai plus longtemps à marcher pour y arriver par un escalier. Cette anse Méjean abrite quelques maisons blanches aux volets bleus, anciennement cabanons de pêcheurs. C’est un endroit qui se prête à la photo. Un café restaurant nommé L’Escale en occupe le centre. Un jeune couple ou duo commence à installer une vaste terrasse. Ce n’est pas encore ouvert mais exception est faite pour moi. Mon café verre d’eau est le bienvenu. Je les bois en observant des ouvriers en orange qui font un état des lieux de la falaise éboulée juste après la dernière construction. Deux pêcheurs sont à l’autre extrémité de ce petit bout de paradis. Ce lundi en début de matinée, je suis le seul venu d’ailleurs à en jouir.
« Deux euros cinquante », me répond le jeune homme quand je lui demande combien. « Ah oui ! », ne lui dis-je pas.
Pour rentrer, je trouve un sentier qui longe la mer en offrant de jolis points de vue en contrebas sur des rochers et de petites criques. « Nudisme interdit », prévient une pancarte où est ajouté un sibyllin « S’adresser à l’Office de Tourisme ». Après être passé sur un cheminement en bois puis sur un rebord en béton soumis aux vagues (sans que je me mouille les pieds), je me heurte à une barrière fermée. On ne va pas plus loin, le sentier n’existe plus. Un sévère escalier de pierre me permet de remonter sur la petite route.
Arrivé sur celle de la Corniche, je découvre que le bus Vingt-Trois passe par là. J’attends le prochain, dans dix minutes. Deux troupeaux de marcheurs à bâtons et à gilet jaune se succèdent sur le trottoir d’en face. La tranquillité ne va pas durer à l’anse Méjean. Je descends du bus en bas du cours Lafayette et je me perche à La Gitane avec Strindberg.
Comme déjeuner c’est un poulet basquaise à quatorze euros au Mondial Café, avec sa coupelle de piment doux, le café au France sous un soleil un peu venté. « Au bout d’un moment, l’ouverture d’esprit, ça ne suffit pas. », entends-je dire derrière moi.
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Evidemment, en y réfléchissant, le prix du café et du reste à L’Escale peut se justifier par la difficulté d’accès. Tout ce qui est livré doit être descendu à pied. A moins qu’un bateau s’en charge ? J’aurais dû demander.
 

8 avril 2024


Ce sept avril, un vide grenier est organisé par le Comité d'Intérêt Local de Toulon Centre Historique. Il se tient place d'Armes. Mon petit déjeuner Paradis Maryland pris, j’ai le temps d’y aller avant le premier bateau dominical pour La Seyne qui ne part qu’à neuf heures cinq.
Cette vaste place n’est occupée que par une petite armée de déballeurs. Hormis deux Moebius, je ne vois aucun livre d’intérêt. N’éprouvant pas le besoin ou l’envie de les acheter, je repars bredouille et vais prendre un deuxième café à La Gitane.
Après vingt minutes de traversée, je descends au premier arrêt de La Seyne-sur-Mer, Espace Marine, et marche vers un autre vide grenier, hebdomadaire celui-ci, qui se tient sur une place terreuse. Quand j’y suis passé il y a deux ans s’y trouvait un vendeur de bons livres. Il n’est plus là.
Je ne m’attarde pas et vais faire un tour dans le centre où se trouve notamment un Café des Arts mais rien à voir avec celui d’Annecy puis je m’assois sur un banc près de l’embarcadère principal face au pont-levant toujours levé pour attendre le bateau bus de dix heures trente-cinq et rentrer à Toulon en longeant les bateaux militaires.
A l’arrivée, je m’installe au premier rang de terrasse du Grand Café de la Rade où, me semble-t-il, n’opère plus la serveuse au physique un peu étrange que j’aimais bien. Il est onze heures, j’ouvre mon livre, le soleil s’efforce de poindre mais échoue.
Le Mondial Café ne fait pas à manger le dimanche comme je le croyais. Aussi je retourne chez Béchir et y déjeune d’une daube aux pennes à quatorze euros quatre-vingt-dix.
En allant boire le café à La Gitane, j’assiste à la sortie de messe des traditionalistes de l’église Saint-François-de-Paule jouxtée par le marché (deux mondes se coudoient). De fringants jeunes curés en soutane blanche draguent des paroissiennes en jupe longue. Des enfants habillés comme des images courent partout. Des pères en costume chic parlent entre eux. Je me risque à photographier ce beau monde. Mon image me déçoit.
Du haut de mon perchoir, je considère un trio de vingtenaires d’allure modeste. Tous trois grattent frénétiquement les grilles de jeux à perdre achetées par l’un d’eux qui ne cesse de faire l’aller et retour entre leur table de terrasse et le comptoir de la Française Des Jeux. Quand ils quittent les lieux, c’est avec ce commentaire du meneur : « Ils nous ont bien niqués les salauds, cent quarante balles de dépensées, zéro gagnant. »
                                                                          *
Pas de cars Zou ! pour moi cette fois. Ils ne mènent qu’à des endroits que je n’ai pas envie de revoir : Bandol, Cavalaire, Carqueiranne, Le Lavandou, Saint-Tropez.
 

7 avril 2024


Ce six avril est le premier samedi du mois et c’est donc vide greniers au Mourillon, le seul quartier de Toulon valant le détour. Il est aussi celui des plages de la ville.
Je prends le bus Trois devant le mythique Stade Mayol. J’en descends boulevard Bazeilles dès que j’aperçois le déballage. Il y a là une moitié de professionnels et une moitié de particuliers. Chez les professionnels, quelques bouquinistes mais ces fainéants ne sont pas encore complètement installés. Chez les particuliers, rien de particulier. Je profite de cet arrêt infructueux pour monter voir l’église Saint-Flavien puis reprends un bus Trois jusqu’à son terminus Le Mourillon, près de la Base Nautique.
C’est ensuite une agréable balade le long des plages d’anse en anse, à bâbord la presqu’île de Giens, à tribord la presqu’île de Saint-Mandrier. Avant le Fort Saint-Louis,  je retrouve le bar tabac La Réserve et sa terrasse surélevée avec vue sur le large. Mon café bu (un euro soixante-dix), je lis quelques lettres d’August Strindberg. Je poursuis ensuite la marche côtière jusqu’au Port Saint-Louis puis attends le bus Trois du retour à l’arrêt Mitre.
Arrivé au centre de Toulon, je m’installe au premier rang de la terrasse du Grand Café de la Rade pour un café à deux euros face à l’entrée et sortie du Port. A ma gauche s’assoient une fille et ses parents. « L’autre fois, leur dit-elle, on s’est toutes pris des nouvelles, les filles du lycée. Elles ont toutes des gosses ou bien elles sont enceintes. » Cela dit du ton de la fille qui n’a trouvé personne. Cette future pharmacienne va bientôt partir en expédition de survie sur un radeau avec trente autres volontaires. Je n’en saurai pas plus car comme ils sont déjà là depuis un quart d’heure sans que l’on se soit occupé d’eux, vexés ils s’en vont. Derrière moi, un jeune homme cite Frank Lloyd Wright : « La construction est l’art de transformer les matériaux en espace. »
C’est le jour où retourner à l’Unic Bar, chez Béchir, place Hubac, pour manger en terrasse le couscous à quinze euros quatre-vingt-dix fabriqué par son épouse dans une cuisine peu confortable. Il est toujours aussi copieux, et bon comme là-bas, disent ceux qui en viennent et ne font pas le ramadan. A ma droite, des buveurs de pastis se racontent des histoires de pêche d’antan. Ils sont contents : cet après-midi, il y a deux matchs de rugby à la télé et demain, c’est le Paris Roubaix.
Le café, il fait trop chaud pour que je le prenne ailleurs qu’à l’ombre. Je trouve une place au France, vue sur le Port et les fesses du Génie de la Navigation. Là encore, je lis quelques lettres de Strindberg après avoir bu mon noir breuvage (un euro quatre-vingts). Un couple et leurs deux filles sont à peine installés que leur bondit dessus un trentenaire du genre affranchi : « Je vends ces marque-pages artistiques. C’est moi qui les fais. C’est deux euros, mais si vous n’avez pas de thunes, je vous en offre un. Non ? Vous ne réalisez pas ce que c’est qu’un don ? Moi, à chaque fois que l’on m’a offert quelque chose, je l’ai pris, et c’est rare de nos jours les cadeaux. Bon, si vous ne comprenez pas mon geste, je vous laisse. »
Il retourne s’asseoir devant l’ancienne Mairie.
-Purée, il fallait que ça tombe sur nous, commente la mère de famille.
Le plus étrange, c’est que le seul avec qui il ne tente pas le coup, c’est moi qui ai un livre ouvert sur la table. Dommage, j’aurais aimé lui dire que je ne prendrai pas son marque-pages gratuit parce que j’ai de la thune et que je ne l’achèterai pas parce que j’en ai déjà un.
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Au premier étage d’un petit immeuble du Mourillon un panneau « A louer » accompagné d’une banderole « Nos appartements sont plus beaux que nos collaborateurs ».
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Dans le Port de Toulon, un affreux bateau de croisière. Non seulement il pollue et défigure l’endroit mais on entend les annonces faites à bord.
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Pas trouvé trace de la citation de Frank Lloyd Wright en interrogeant Gougueule de retour dans mon studio Air Bibi.
 

6 avril 2024


Sur le cours Lafayette, vers sept heures, c’est l’habituel ballet des Fenwick orange apportant les fruits et les légumes du jour aux stands du marché. Se distingue celui du fleuriste, tirant quatre wagons chargés de fleurs jusqu’à devant l’église Saint-François-de-Paule.
Le Maryland est à la bourre ce vendredi. On y termine l’installation de l’immense terrasse. J’y commande la formule café allongé croissant à deux euros cinquante. Que ne l’ai-je fait plus tôt. Avec le pain au chocolat du Paradis cela fait un petit déjeuner à trois euros cinquante. J’ai pas loin de moi une vieille ronchonneuse qui au téléphone mélange vie personnelle et actualité télévisée : « Il est dans un coma engagé » « J’ai mon Bon Dieu avec moi et il va tous les punir. »
A la Gare Maritime je prends le bateau bus de huit heures pour Saint-Mandrier. Le ciel est voilé. Ça va s’améliorer, dit-on à bord. Vingt-deux minutes plus tard, j’y suis.
Il me plaît de refaire le tour du vaste port de plaisance qui occupe toute l’anse du Creux Saint-Georges. Je commence par la gauche, marchant sur le quai des restaurants jusqu’à la plage du Canon. De canon point mais un imposant navire militaire qui rouille. Impossible d’aller plus loin. Je fais demi-tour, passe devant la belle Mairie puis près de quelques bateaux de pêche. J’arrive à la pointe des Blagueurs, pas du tout pointue, mais on y répare les pointus. J’atteins la Capitainerie, la minuscule plage du Touring puis la guère plus grande plage de la Vieille. C’est enfin le petit Fort de la courte pointe de la Vieille. Impossible d’aller plus loin.
A neuf heures quinze, je suis de retour au centre du bourg et entre au Mistral. « Changement de propriétaire », est-il affiché. Un jeune couple a repris l’affaire.  La clientèle est composée d’autochtones qui s’appellent par leur prénom. « Mon grille-pain est en panne, je vais en acheter un à Leclerc. Ton frère, je lui ai demandé. Il me mène. » Mon café bu (un euro soixante), je lis Strindberg sous un ciel qui reste couvert.
Avant de rentrer à Toulon par le vaporetto de dix heures trente, je vais compléter ma documentation à l’Office du Tourisme situé en face du Mistral. « Avec plaisir », me dit à chaque document que je lui demande, sa sympathique responsable.
La Brasserie Le Zinc située près de l’Opéra (le plus grand de province, mille huit cents places) a des tables au soleil qui commence à poindre à midi. Son plat du jour est un aïoli à la morue fraîche (quatorze euros cinquante). C’est une nouvelle équipe, plus de formule, mais en entrée je prends l’œuf de Mamé anchois persillade à seulement trois euros cinquante. Un débutant approximatif et une élégante serveuse à l’accent italien sont à la manœuvre. La clientèle est essentiellement composée de collègues qui parlent de leurs collaborateurs. Quand je règle les dix-huit euros, le patron ne me demande pas si ça m’a plu. Je lui aurais dit oui.
A la terrasse de La Gitane, le soleil est bien là et même un peu trop. Il me conduit à raccourcir mon café lecture d’après-midi et à entrer à la Librairie du Port, la solderie sise en face de la Gare Maritime où heureusement il n’y a rien pour moi (au rayon Littérature, ce sont surtout des invendus de chez Belfond).
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A Saint-Mandrier, aux deux extrémités du port, la fatidique pancarte « Terrain militaire, défense d’entrer ».
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A Saint-Mandrier, un quai Jean-Jaurès, un quai Aristide-Briand, un quai Jules-Guesde un quai Séverine. Ça dit quelque chose.
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A Toulon, « Journée Séniors » le dix-neuf avril. Parmi les attractions proposées une initiation au massage cardiaque.
 

5 avril 2024


Sept heures, c’est le moment où la laveuse et la balayeuse se font entendre sur la place de la Cathédrale, une nuisance sonore dont se plaignent certains résidents de mon studio Air Bibi dans leur commentaire. Il y a longtemps que je suis debout, c’est l’heure où je rejoins le cours Lafayette pour un petit-déjeuner Paradis Maryland.
Sitôt fait, je rejoins ce jeudi la Gare Routière afin de prendre le bus Soixante-Dix terminus Bonnegrâce, l’une des plages de Six-Fours. En marchant le long d’icelle, je rejoins Sanary, non desservie par les bus Mistral, ayant préféré convoler avec Bandol plutôt qu’avec Toulon, inutile de faire un dessin.
Je traverse le marché et arrive au port.  Hélas, les quais sont en gros travaux. Cela oblige à des détours désagréables. Le pire est le bruit. C’est un concert de meuleuses. « Cette ville est un enfer. » J’en revois néanmoins les jolis bateaux traditionnels, l’église, la jetée, les maisons colorées des rues intérieures mais impossible de prendre un café sur le port.
Je rentre sans tarder avec un bus Soixante-Dix dans lequel tout à coup un jeune homme se précipite vers le composteur. « Ah, les contrôleurs ! », s’écrie la population locale. Ils ne chopent qu’un fraudeur puis plaisantent avec une femme qui transporte un arbre sur un chariot, les branches de celui-ci protégées par un sac poubelle.
Arrivé à Toulon, je descends à Liberté. Je vais au marché du cours Lafayette. J’y achète un kilo de clémentines bio pour un euro aux deux dames qui me rappellent ma mère puis je descends jusqu’à La Gitane. Il est onze heures et mon perchoir est libre. Le temps est beau et chaud, parfait pour ouvrir la Correspondance d’August Strindberg.
Le Mondial Café, troquet de quartier, est à cinquante mètres de mon logis temporaire. J’y retrouve avec plaisir son patron rubicond, sa serveuse joviale et sa clientèle pittoresque. La terrasse est au soleil. La carte propose des tripes pommes vapeur à seize euros. Je me laisse tenter. La cloche  de la cuisine sonne quand c’est prêt puis midi sonne à la Cathédrale. La serveuse me propose une coupelle de piment fait maison, pas trop fort. Il est délicieux. Tout comme les tripes, fort copieuses. Dommage pour cet endroit authentique que je sois le seul à y manger ce jour.
Le patron et cuisinier est réellement content quand je lui fais compliment en réglant l’addition. Tandis que je mangeais, une jeune peintre à chevalet terminait sa rue des Boucheries. Le résultat est conforme au modèle : pas la plus belle rue de la Ville Basse mais dans son jus (comme disent certains).
Je descends par cette rue jusqu’à la Gare Maritime et prends le premier bateau pour Les Sablettes. Là-bas, il souffle un léger vent venu du large qui ne m’empêche pas de lire à la terrasse du Prôvence Plage où le café vaut un euro soixante-dix.
Le bateau bus du retour passe par Tamaris. Il est accueilli à Toulon par des contrôleurs. Trois branlotins cherchent à devenir transparents. Ils sont déjà repérés. Quand on est jeune et en règle, on ne descend pas en dernier.
                                                                      *
Je peux me croire dans une uchronie lorsque la voix du bus (la même qu’à Rouen) annonce : « Prochain arrêt : Pétain ». Il s’agit en fait de Pétin, le nom de je ne sais quoi (inconnu chez Gougueule).
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Je ne me souvenais pas que c’était si bon les tripes. Je ne me souviens d’ailleurs pas de la fois précédente où j’en ai mangé. Ça remonte à loin.
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J’aimerais savoir par quel biais idéologique, à chaque fois que je dicte « la mer » à mon smartphone, il écrit « la mère ». Cet appareil est clairement en faveur du redressement démographique et contre le farniente.
 

4 avril 2024


Après une première nuit plutôt bonne dans mon Air Bibi toulonnais un peu vieillot dont l’entrée est rue des Boucheries mais dont la fenêtre au premier étage donne sur le Comptoir Irlandais place de la Cathédrale, je sors à sept heures sous un ciel moutonneux et retrouve le cours Lafayette où s’installe le marché de Provence.
A la boulangerie pâtisserie Paradis, le pain au chocolat est toujours à un euro. Je le mange avec un allongé à la terrasse du Maryland en bas du marché (un euro soixante-dix).
Mon désir premier est de prendre le bateau et je choisis celui qui va aux Sablettes. Plus de Dixmude à tribord en sortant du port, il est devenu hôpital au large de Gaza. A bâbord, un ferry pour la Corse s'apprête à partir.
Arrivé aux Sablettes après une traversée de rade légèrement secouée, je franchis l’isthme par le Parc Fernand-Braudel et prends à gauche au bord d’une mer agitée jusqu’au mignonnet Port de Saint-Elme. Là commence un sentier du littoral dont le point de départ est bien caché. Après une double montée d’escalier, ce sentier longe des terrains militaires abandonnés où achèvent de se désintégrer des bâtiments en forme de réservoir très photogéniques. Le chemin continue sous les arbres en bordure de falaise jusqu’à atteindre un petit marché. Un peu plus loin, tout au bord de la mer, est le bar tabac Le Mas Sainte-Asile que j’avais trouvé fermé la fois précédente.
Aujourd’hui, il est ouvert, service au comptoir, un euro soixante le café. C’est à sa terrasse ensoleillée que je commence la lecture du premier volume de la Correspondance d’August Strindberg dans une douce odeur de mer que certains locaux n’apprécient pas. L’une, avant d’acheter ses cigarettes, vient se planter à côté de moi, parlant bruyamment au téléphone avec une que j’entends aussi fort grâce au haut-parleur. Je me tourne vers elle :
-Elle ne peut pas se taire celle-là ?
-Ouah l’autre, il me dit « Elle peut pas se taire celle-là. » raconte-t-elle à son interlocutrice.
-Vous vous croyez où là ? Dans votre salon ?
C’est efficace, elle disparaît. Je peux reprendre ma lecture. Je devrais plus souvent exprimer le fond de ma pensée.
Après avoir fait le chemin dans l’autre sens jusqu’aux Sablettes, je choisis Prôvence Plage pour déjeuner, un restaurant que j’ai déjà fréquenté. Sa terrasse domine la plage et les rouleaux de la mer. Je peux obtenir une table tout au bord. La formule plat verre de vin dessert café existe toujours. Elle est à dix-huit euros quatre-vingt-dix. Je choisis le pavé de bœuf et la crème brûlée. J’ai à ma droite un quatuor composé de deux couples de trentenaires dont chaque membre n’est pas dans son smartphone. Elles et eux discutent amicalement et me souhaitent un bon appétit quand arrive mon plat. Pas de quoi cependant manger de façon détendue car rôdent pigeons et goélands. Je sais, pour l’avoir vu à Saint-Quay-Portrieux, qu’un de ces derniers pourrait m’enlever mon pavé et l’avaler d’un coup. Quant aux pigeons, c’est le pain qui les intéresse, raison pour laquelle il est ici servi dans un sac en papier.
Je rentre à Toulon avec le vaporetto de treize heures et m’installe à La Gitane pour un café lecture perché, le ciel redevenu bleu et le vent moindre. Levant parfois les yeux de mon livre, je regarde et écoute qui passe sur le quai. Cela me conduit à me dire qu’il faut être réaliste, si j’énonçais plus souvent le fond de ma pensée, « Il n’a pas fini de brailler votre enfant ? » ou bien « Il est vraiment stupide votre chien pour gueuler comme ça. » ou bien « Qu’est-ce vous faites avec un homme aussi bête ? », ça finirait mal pour moi.
                                                                     *
J'ai croisé aux Sablettes 
une chienne nommée Scarlett.
                                                                     *
Chose bizarre entendue là-bas, une femme : « J’aimerais bien aller à Rouen, moi. »
 

3 avril 2024


Plusieurs trains normands ont du retard ce mardi matin. Le sept heures vingt-trois pour Paris est heureusement à l’heure. A chaque fois  que je dois prendre un second train, j’angoisse. La Senecefe devrait me verser quelque argent pour préjudice d’anxiété.
Arrivé à Paris avec seulement cinq minutes de retard, je me crois tiré d’affaire. Las, le métro Quatorze est en panne et ne va pas plus loin que Madeleine. Je me rattrape avec le Huit et le Un et arrive Gare de Lyon seulement trente minutes avant l’heure de départ de mon Tégévé, le dix heures neuf pour Nice.
Je suis à l’étage de la voiture Sept et c’est un bien car en-dessous s’épanouit un groupe de scolaires. Quand même devant moi sont assis quatre branlotins, des petits bourges, des sportifs à raquette de tennis, des têtes à claques. « Il est où le cadeau pour les darons de Max », demande l’un d’eux. Pour me dédommager, j’ai une jolie jeune femme comme voisine.
D’abord, ce sont des champs, du vert (céréales), du marron (labours), du jaune (colza) et puis des éoliennes qui tournent et ne tournent pas. « Bonjour je suis votre conducteur, nous roulons actuellement à trois cents kilomètres heure. » Ensuite, ce sont des prairies inondées, des collines, des troupeaux, des fermes. « Bonjour, je suis votre barista, je vous invite à découvrir notre nouvelle carte élaborée par Thierry Marx. » Pour ma part, je déjeune de sandouiches en triangle de chez U Express. Au loin, les Alpes d’un côté et le Massif Central de l’autre. Après, des vignes, des rivières boueuses et le ciel bleu, la Sainte-Victoire, la garrigue, un tunnel, la mer, la Bonne Mère, la Friche la Belle de Mai, Marseille Saint-Charles. Toulon n’est plus très loin, que l’on atteint en longeant la mer.
Sorti de la Gare, je trouve tout de suite l’aimable commerçante qui remplace avantageusement une boîte à clés pour mes logeurs. Je suis ensuite capable d’arriver à mon studio Air Bibi sans me référer au plan de la ville. Il est proche du précédent et donc proche de la Cathédrale.
Mes bagages posés, je descends sur le port. Je passe d’abord à la Gare Maritime pour acheter un ticket bateau et bus sept jours en illimité pour neuf euros quatre-vingt-dix. Mon premier café verre d’eau est pour La Gitane où mon perchoir préféré est libre face aux Bateliers de la Rade (un euro quatre-vingts). Il fait beau, presque chaud, mais ça souffle un peu. Toulon me séduit à nouveau.
Je fais ensuite quelques photos de bateaux de pêche quand il arrive droit sur moi :
-Bonjour, tu vas en Corse, me dit-il.
-Non, j’arrive de Normandie.
-Je suis le frère de Momo.
-Je le savais. On s’est déjà vus il y a deux ans.
-À Rouen ?
-Non, au café là-bas.
Je m’y attendais, mais pas si vite.
                                                                      *
« Tu pars le jour de l’anniversaire de tes frères », m’a dit ma sœur au téléphone hier. Je ne me souvenais plus de leur date de naissance mais je n’oublie pas la date de décès de l’un des deux.
                                                                      *
Métro Huit où nous sommes serrés comme des sardines : une grande et jolie fille qui lit debout Zazie dans le métro.
                                                                      *
Il suffisait que j’en émette le souhait. Un Bibliovore va ouvrir prochainement à Rouen, apprends-je de Paris Normandie avant mon départ. Et près de chez moi en plus, rue de la République.
 

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