Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 novembre 2020


Me voici dans le troisième tome de la Correspondance entre Ferdinando Galiani (abbé) et Louise d’Epinay (marquise), elle à Paris et lui, ancien secrétaire à l’ambassade du Roi de Naples à Paris, renvoyé dans sa ville d’origine où il regrette Paris et ses amis : Grimm « la chaise de paille », Diderot « le Philosophe » et Voltaire « le Patriarche ».
Trois extraits de lettres de lui à elle :
Je dois vous dire qu’un sentiment d’humanité m’a engagé à faire donner 12 louis par mois à une femme pour qu’elle puisse élever un enfant qu’un père dénaturé abandonna après l’avoir maladroitement engendré. Naples, le huit septembre mil sept cent soixante-dix, l’enfant est le sien, qui ne survivra pas et dont la mère mourra au début de l’année suivante
Il n’y a pas que les prêtres qui aient imaginé qu’il suffisait d’avouer ses fautes sans qui importât beaucoup de se corriger et qui ont par conséquence changé de nom à un sacrement qui s’appelait jadis de la pénitence, et qu’on appelle à cette heure de la confession. Naples, le trois novembre mil sept cent soixante-dix
La persuasion de la liberté constitue l’essence de l’homme. On pourrait même définir l’homme, un animal qui se croit libre, et ce serait une définition complète. (…) Second point : être persuadé d’être libre est-il la même chose qu’être libre en effet ? Je réponds : ce n’est pas la même chose, mais cela produit les mêmes effets en morale. L’homme est donc libre, puisqu’il est intimement persuadé de l’être, et que cela vaut tout autant que la liberté. Voilà donc le mécanisme de l’univers expliqué clair comme de l’eau de roche. S’il y avait un seul être libre dans l’univers, il n’y aurait plus de Dieu, il n’y aurait plus de liaisons entre les êtres. L’univers se détraquerait ; et si l’homme n’était pas intimement, essentiellement convaincu toujours d’être libre, le moral humain n’irait pas comme il va. La conviction de la liberté suffit pour établir une conscience, un remords, une justice, des récompenses et des peines. Elle suffit à tout, et voilà le monde expliqué en deux mots. Naples, le vingt-trois novembre mil sept cent soixante et onze
Et l’un d’une d’elle à lui :
Dîtes-moi, pourquoi ce sont les gens qui ont le plus d’esprit, le plus de ressource en eux-mêmes qui sont les plus mélancoliques, les plus dégoûtés de la vie. Paris, le huit octobre mil sept cent soixante et onze
 

18 novembre 2020


Etudiant mon dernier relevé de compte bancaire, qu’à ma demande le Crédit Agricole m’envoie chaque mois sous forme de papier imprimé, je découvre qu’un de mes repas pris au restaurant lors de mon escapade bretonne m’a été débité deux fois. Celui de Chez Ma Pomme à Dinard, ce restaurant où la serveuse m’avait pris pour un anarchiste après que j’ai eu refusé de remplir la feuille de rappel liée au Covid pour la raison que j’étais le seul à manger en terrasse. Au moment du paiement, le sans contact pratiqué avec elle avait échoué. C’est du moins ce qu’elle m’avait dit. J’avais donc recommencé en tapant mon code. En fait, le premier paiement était valide, d’où cette somme débitée deux fois. Plus intéressé par cette jeune personne que par la transaction, je n’ai pas fait attention aux tickets qu’elle m’a donnés et les ai jetés.
Ce mardi vers onze heures, je me rends à l’agence du Crédit Agricole de la rue de la Jeanne, tape mon nom dans l’option « Sans Rendez-Vous » de l’automate qui m’accueille et vais m’asseoir sur l’un des sièges autorisés. Immédiatement un jeune homme appelle mon nom, avec qui je vais échanger à travers le plexiglas.
« Votre manque de vigilance n’est pas en cause, me dit-il, c’est très rare que cette situation se présente ». « Le patron du restaurant aurait dû s’apercevoir du doublon au moment de la validation de tous les paiements et en annuler un », ajoute-t-il.  Il n’arrive pas à trouver la procédure à suivre sur son ordinateur et téléphone à son voisin de bureau pour demander des explications, puis l’appelle sans téléphone pour qu’il vienne l’aider.
« Je n’ai pas la main pour vous rembourser immédiatement, le dossier est transmis à la Caisse Régionale et je vous téléphonerai quand ce sera fait », conclut-il.
A ce moment son voisin de bureau revient et appuie sur un bouton caché. « Reprenez votre calme. Vous êtes filmé. Nous pouvons demander l’intervention immédiate de la Police », déclare une vigoureuse voix masculine. Un rendez-vous dans les étages doit être en train de mal tourner, pourtant on n’entend rien du rez-de-chaussée.
Je ne m’attarde pas dans ce Crédit Agricole susceptible de se transformer en Crédit à Bricoles.
                                                      *
Plus qu’à attendre de voir si je suis bien recrédité de ces vingt et un euros quatre-vingt-dix ou si c’est pour ma pomme.
 

17 novembre 2020


Où donc est passé le sympathique vigile qui filtrait les entrées à la porte de la Poste Principale, rue de la Jeanne, au temps où on y entrait sans masque bien que ce soit déjà obligatoire pour pénétrer dans une boutique ? Plus personne à mon retour de Bretagne.
Jusqu’à la semaine dernière, on entrait donc comme dans un moulin, masqué bien sûr. Ce lundi matin, je constate qu’on fait file sur le trottoir devant le vilain bâtiment et qu’un nouveau vigile garde la porte, mais de l’intérieur au chaud.
Contrairement à son prédécesseur, il ne gère pas l’attente en fonction de ce qu’on vient faire mais selon le nombre de quidams à l’intérieur. Il me faut donc attendre pour aller à un automate que les clients à problème de la Banque Postale en aient terminé avec leurs réclamations. Cela au milieu de pékins, dont des zonards à chiens, à masque descendu sur la bouche ou sous le menton. Il faut vraiment que j’aie à acheter des vignettes destinées à l’expédition de livres vendus pour supporter ça.
Attendre partout sur le trottoir, c’est ce qui nous guette au vu des conditions envisagées pour la réouverture des boutiques. De quoi donner envie d’acheter via Internet. Si on a encore envie d’acheter, ce qui n’est pas mon cas.
                                                                  *
Après le vaccin à quatre-vingt-dix pour cent de réussite, voici le vaccin à quatre-vingt-quatorze pour cent et demi. A qui le tour ?
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L’espèce de joie mauvaise avec laquelle les commentateurs signalent le renforcement des restrictions en Suède, rassemblements limités à huit personnes, etc. Comme ils seraient heureux si ce pays était obligé de pratiquer comme les autres, confinement, etc.
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«Quoi que nous fassions, près de neuf mille patients seront en réanimation à la mi-novembre», déclarait Emmanuel Macron le vingt-neuf octobre dernier. Le quinze novembre, ils étaient quatre mille huit cent quatre-vingts. Ces médecins qui nous gouvernent sont de bien incertains conseilleurs.
 

16 novembre 2020


Un dimanche de pluie et de vent, le genre de jour que, confiné ou non, on passe à la maison, je l’occupe à choisir quelques extraits de mes notes de relecture du volume deux de la Correspondance de Paul Léautaud :
Je n’ai pas le sens de la famille, je me réjouis d’avoir mené ma vie sans en traîner une derrière moi et sans en avoir créé une autre. Fontenay-aux-Roses le dix-huit janvier mil neuf cent trente-six à un inconnu
N’ayez pas de maître. On doit trouver son maître en soi-même. N’employez pas le mot servir, tant à la mode aujourd’hui, et qui est bas, et ravale les écrivains qui s’en font un programme au rang de gens de maison. Paris le dix-huit mars mil neuf cent trente-sept à Lucien Combelle qui tournera mal
La maison de Bourg-la-Reine était en effet un lieu de prosélytisme à n’y pas remettre les pieds et je connais un trait de grossièreté fameuse de la part de Bloy à l’égard d’un ami de longue date, qui l’avait souvent obligé, mis à peu près à la porte, parce qu’il venait de se marier civilement, la maison ne pouvant recevoir une « putain ». Je me suis souvent demandé s’il n’y avait pas une part d’un certain théâtre dans cet étalage religieux, comme une affectation devenue une seconde nature dans ces propos visant à l’énormité, injures ou apologies. Madame Bloy était donc là-dedans presque unique et je l’ai mis dans un mot : « La femme de cet écrivain est si laide qu’on comprend qu’il ait écrit Le Désespéré. » Le lundi trois mai mil neuf cent mil neuf cent quarante-trois à René-Louis Doyon
La religion dans ses préceptes, est pour beaucoup un enseignement d’hygiène (…) et de domination, et de tranquillité sociale, en assurant à ceux que le sort n’a pas favorisés, qui peinent dur dans la pauvreté, qu’ils auront le bonheur ailleurs. De même l’enseignement de la charité : donnez, cela vous sera rendu au centuple. Les gens qui ont bâti cela savaient bien que la majorité des humains ne fait rien sans intérêt et elle leur montrait tous les profits futurs de la charité ici-bas. Pendant ce temps, avec tous ces excellents préceptes, les riches ont la paix. Le lundi trois janvier mil neuf cent quarante-quatre à une inconnue
Je ne suis pas un ami du cinéma. Ah ! bigre non. Je le tiens pour un instrument d’abrutissement public faisant bon pendant à la T.S.F. Le samedi vingt-six février mil neuf cent quarante-quatre à François Vinneuil (de Je suis partout)
Le grand jardin pittoresque, presque terrain vague, rue Lhomond, dans lequel habitait autrefois le dessinateur anarchiste Grandjouan, que j’y ai visité remplacé par une hideuse école communale de garçons. J’ai dû me sauver devant le vacarme de la récréation. Le mardi dix avril mil neuf cent quarante-quatre à André Billy
J’ai vu des citations des nouveaux poèmes de Larguier. Etre dégringolé à ce point ! Pas de très haut il est vrai. Le mardi trente et un mai mil neuf cent quarante-quatre à René Maran
Je me suis mis à relire ces jours-ci quelques pages d’un ouvrage que je connais depuis longtemps sur les guerres de Vendée. Les jeunes paysannes se jetant à achever les soldats républicains laissés blessés sur le sol, et leur ouvrant le ventre avec leur faucille. Toute l’histoire le démontre : quand elles s’y mettent, les femmes sont pires que les hommes. Le vendredi vingt-six juillet mil neuf cent quarante-six à Richard Anacréon
Il y a 30 centimètres de neige à Fontenay, ni viande, ni pommes de terre, ni charcuterie, ni bois, ni charbon. La Libération n’est pas un vain mot. Nous sommes en effet libérés de beaucoup de choses. Le vendredi trente et un janvier mil neuf cent quarante-sept à Mathias Tahon
… permettez-moi de vous donner cet avis : n’offrez jamais de vous charger des corvées des autres. Vous pourriez tomber un jour sur un particulier qui dise oui, et trois jours après vous vous en mordriez les doigts. Le lundi vingt-trois juin mil neuf cent quarante-sept à Roger Karl
Vous êtes charmant d’avoir pensé à moi pour votre enquête. Excusez-moi de n’avoir aucune réponse à y faire. Je suis peu actif. Je n’ai aucun projet, je ne prépare rien. Je passe mon temps à regarder tout le travail que j’ai à faire, et que je ne fais pas. Le vendredi vingt-cinq juillet mil neuf cent quarante-sept à Jacques Chabannes
Vous devez le savoir aussi bien que moi : les journaux, les mémoires, les correspondances, sont les seuls écrits qui survivent, par ce qu’ils peignent des hommes et des époques. A côté d’eux, l’Histoire, avec un grand H, camelote romancée ou partisane. Le dimanche soir dix août mil neuf cent quarante-sept à Maurice Garçon
Faites attention, ce n’est pas au coin de la rue d’Assas et de la rue de Seine que nous nous sommes rencontrés, mais au coin de la rue d’Assas et de la rue de Vaugirard. La rue d’Assas et la rue de Seine auraient bien de la peine à faire angle. Le mercredi vingt et un janvier mil neuf cent quarante-huit à Gaëtan Sanvoisin
Ne vous emballez pas pour les Entretiens à la radio. On n’y est pas libre. On y est censuré. On m’a fait recommencer des passages trouvés trop vifs, comme les amours de mon père, homme à tant de succès de femmes, à une si belle capacité dans le plaisir. Le lundi dix-huit décembre mil neuf cent cinquante à M. Bry
Le mot authenticité, devenu à la mode, ne veut rien dire, dans l’emploi qu’on en fait. Un manche à balai est authentique : c’est un manche à balai. Un tableau est authentique, c’est-à-dire bien du peintre dont il porte la signature. Sinon, c’est un faux.
Un homme n’est pas authentique. Il est franc, d’esprit libre, de caractère droit – ou le contraire, c'est-à-dire un cabot, ou un courtisan, etc., etc. Le mardi onze septembre mil neuf cent cinquante et un à Angèle Emery-Blanzat
                                                              *
Parmi les correspondantes de Léautaud, alors âgé de soixante-quatorze ans, une certaine Albertine Rivet de qui il espère plus qu’elle ne lui donne :
Moi, une femme de qui je n’ai rien, avec qui je ne fais rien, est sans agrément. Le samedi trente et un août mil neuf cent quarante-six
Vous m’avez demandé un jour de vous donner 10 000 francs pour me « laisser faire tout ce que je voudrais ». Vous devez vous rappeler ma réponse : que vous ne les valez pas, insensible aux caresses comme vous l’êtes, femme qu’on peut caresser pendant des heures sans résultat de sa part, que c’est le résultat qui est l’agrément de celui qui caresse. Le samedi onze octobre mil neuf cent quarante-sept
 

15 novembre 2020


Muni de deux autorisations, l’une me permettant une heure de promenade, l’autre l’achat de produits de première nécessité, en l’occurrence des pommes, prêt à dégainer la plus convenable en cas de contrôle policier, je remonte la rue Beauvoisine ce samedi matin. 
A sa moitié, je vois venir vers moi, suivi d’un branlotin chevelu que j’imagine être son fils, un bouquiniste du Clos Saint-Marc portant à bout de bras de lourds sacs peut-être emplis de livres et sous le menton son masque.
Je fais un détour par la chaussée afin de mettre plus d’un mètre entre lui et moi.
-Vous avez peur des virus ? me demande-t-il.
-Eh oui, lui réponds-je.
-Parce que vos croyez que le masque, ça protége ?
Je connais ce genre d’individu. Le marché du Clos Saint-Marc en est plein, côté vendeurs comme côté acheteurs, mentalité Gilets Jaunes, complotistes et compagnie, rebelles à la petite semaine.
Mon sac à dos alourdi de deux kilos, je continue la balade, passant par le square Verdrel et frôlant un contrôle près du Palais de Justice. Le concert hebdomadaire de carillon est en train quand je regagne mon logis.
                                                                  *
C’est est fini pour le Panorama Ixe Ixe Aile, planté telle une verrue sur le quai rive droite, une idée lumineuse de Laurent Fabius qui n’aura servi qu’à enrichir son concepteur Yadegar Asisi. Nicolas Mayer Rossignol, héritier du Fabuliste, a décidé de le détruire.
                                                                  *
Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, interrogé par France Trois Normandie à propos d’un éventuel vote par correspondance pour les élections régionales et départementales à venir : « On l'a arrêté parce que c'était un moyen de tripatouillages et de fraude électorale. On voit comment ça se passe aux Etats-Unis ». Ce sot ne se rend pas compte de ce qu’il dit.
 

14 novembre 2020


Encore passé une bonne partie de la journée à tapoter des notes de lecture et de relecture. Dans celles relatives à la Correspondance de Paul Léautaud, relue en Bretagne cet automne, j’extrais la missive d’icelui envoyée le lundi treize octobre mil neuf cent quarante-neuf au jeune Georges Poulot (futur Perros), après que celui-ci a commis l’imprudence de s’épancher auprès de son aîné :
Mon cher Poulot.
Vous m’écrivez une lettre bien déplaisante, dans son style, dans son vocabulaire, dans les attitudes qu’elle évoque, les airs penchés et gémissements.
« Je me croîs fini. » Vous parlez comme les romanciers de l’école réaliste ou naturaliste, fabricants de littérature, inventeurs de sujets sur lesquels ils bûchaient comme des manœuvres pour en tirer le meilleur parti possible, et qui, parbleu ! arrivés à un certain âge, leur faculté d’invention se faisait rétive à la découverte de nouveaux chefs-d’œuvre à fabriquer.
C’est pitoyable. Je n’aime pas les gémissements, les gens qui exagèrent leur malheur, (ou leur bonheur). Je comprends qu’on se retire, mais s’aplatir, perdant tout ressort ? A votre âge ? Vous avez vraiment des airs de poète romantique. (…)
Et par-dessus le marché, qu’êtes-vous : comédien, ou écrivain ? Les deux ? Cela engendre les Truffier, les Féraudy, les Mounet-Sully, d’autres que j’oublie.
A vous.
Comment le jeune Poulot prit la chose, j’aimerais le savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’il abandonna assez vite ses activités de comédien.
                                                                     *
En bonus, l’avis de Léautaud sur Les Essais de Montaigne, ma lecture d’été dans le Massif Central :
Mais, que diable, vous aussi, après d’autres, me jetez-vous Montaigne dans les jambes. Vous ne trouverez son nom dans rien de ce que j’ai écrit. Je n’ai jamais pu le lire. Dans ma jeunesse, ayant acheté les Essais, après avoir lu dix pages, j’ai bazardé l’ouvrage. J’ai horreur des citateurs. Le vendredi vingt-sept mai mil neuf cent quarante-neuf à Henri Clouard
 

13 novembre 2020


Jean Castex, Premier Ministre, il ne lui manque qu’une blouse grise pour ressembler tout à fait à mes instituteurs de l’école Anatole France, rue Pampoule à Louviers, dans les années cinquante. Plusieurs avaient recours au tirage d’oreille et aux coups de règle sur les doigts.
Pas plus de droits en cette année deux mille vingt que lorsque j’avais l’âge de fréquenter cette triste école de garçons où je me sentais néanmoins mieux que dans l’étouffante atmosphère de la maison familiale au centre d’un terrain de deux hectares entouré de quatre murs. Aujourd’hui, la laisse fait un kilomètre et l’engueulade est toujours garantie si je ne rentre pas à l’heure.
                                                                       *
La marchande de pelotes de laine de la rue du Petit Salut tient son magasin ouvert. Je suppose que le tricotage est assimilé au bricolage. Quand j’étais enfant route de Pacy, il y avait au bout de la rue un couple de fleuristes suffisamment connu de mes grands-parents pour que l’on aille voir la femme malade à l’hôpital. Son mari, assis sur une chaise, tricotait. Cela m’avait fort étonné et jamais je n’ai revu ça.
                                                                       *
Les dirigeants de l’entreprise américaine du vaccin à quatre-vingt-dix pour cent de réussite qui vendent leurs actions pour engranger le bénéfice de la hausse consécutive à l’annonce de leur découverte, n’attendant donc pas la confirmation de la valeur de ce vaccin et une nouvelle hausse de la Bourse, cela donne à entendre qu’ils ne sont sûrs de rien.
 

12 novembre 2020


Le onze onze à onze heures, au moment où je sors faire ma promenade dérogatoire quotidienne, les cloches de la Cathédrale sonnent à la volée. J’ai une pensée pour Grand-Père Jules en ce moment précis du jour de commémoration, un jour férié qui passe inaperçu à certain(e)s. Ma boulangère, lorsque hier je lui ai demandé si ce serait ouvert demain, m’a regardé comme si ma question n’avait pas de sens.
Rentré, je poursuis le tapotage de mes notes de relecture, en Bretagne cet automne, de la Correspondance de Paul Léautaud. Le vendredi vingt-quatre novembre mil neuf cent trente-neuf, Léautaud écrit à son ancienne amante Anne Cayssac, dite Le Fléau. Il fait le point sur sa situation matérielle à l’approche de sa soixante-neuvième année (un âge qui est le mien pour encore quelques mois), ce qui l’amène à un délicieux souvenir :
Moi, un homme riche ! Un homme qui depuis six ans est obligé de se passer de bonne, qui fait ses repas lui-même, qui déjeune de légumes achetés tout cuits qui le dégoûtent, qui dîne de pain et de fromage et d’un fruit, qui lave lui-même son linge de corps, qui sort et rentre lui-même sa poubelle, qui tient lui-même à peu près propre un pavillon d’un rez-de-chaussée et d’un premier, qui fait lui-même, le matin avant de partir, ses lampes pour le soir, qui en a été réduit récemment à prendre sur le métro un abonnement à la semaine, comme un vulgaire employé… (…)
Et cet homme est un écrivain, qui va entrer prochainement dans sa soixante-neuvième année, un chiffre qui nous a été souvent bien agréable, à vous et à moi, vous devez vous le rappeler.
                                                                 *
Le onze onze est le jour anniversaire de la naissance de ce Journal. Quatorze ans que ça dure.
 

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