Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant ce que dit Pierre Mac Orlan de son passage à Rouen

15 septembre 2017


En mil neuf cent un, Pierre Mac Orlan (qui s’appelait encore Pierre Dumarchey) est correcteur d’imprimerie à Rouen (ville où il avait déjà passé un an à l’Ecole Normale d’Instituteurs en mil huit cent quatre-vingt-dix-huit/quatre-vingt dix-neuf), employé du journal Le Petit Rouennais. Devenu écrivain, il évoque cette époque dans un texte intitulé Rouen écrit en mil neuf cent vingt-neuf et publié par Gallimard dans le volume Villes en mil neuf cent soixante-six. Je l’ai lu dans sa réédition de deux mille quatre au sein du recueil Romans maritimes d’Omnibus, mon exemplaire provenant de la bouquinerie rouennaise Le Rêve de l’Escalier. Extraits :
Vers la fin de 1901, j’entrai dans la rue des Charrettes à Rouen, comme une ombre dans une rue composée en studio. C’était au crépuscule du soir. La rue sentait le tonneau de cidre éventé et, selon le caprice du vent, l’odeur âcre d’une fumée de cargo anglais amarré devant le quai de Paris à l’entrée de la rue de la Vicomté. Une petite pluie fine s’adaptait merveilleusement aux images de mon avenir. Elle ruisselait sur le pavé inégal et gras qui, déjà, tant bien que mal, reflétait les pauvres lumières des bars et des grands cafés qui faisaient l’angle de la rue Grand-Pont, devant le Théâtre des Arts. (…/…)
Pour vivre, j’étais tantôt correcteur d’imprimerie, tantôt, et plus simplement, teneur de copie, selon les besoin du trafic. Ce métier me rapportait quatre francs par jour. (…/…)
Lorsque j’arrivai à Rouen, je m’étais contenté jusqu’à cette date de coucher dans les gares, et, à l’occasion, dans les meules, ce qui n’est pas plus désagréable que de coucher dans un abri creusé sous un parapet de tranchée ou dans une grange sans toit. En pénétrant dans la rue des Charrettes, j’étais gonflé d’optimiste parce que, grâce à mes cent vingt francs par mois, j’espérais conquérir la ville entre minuit et trois heures du matin (…/…)
La barmaid de l’Albion parlait sept ou huit langues comme les parlent les matelots. C’est-à-dire qu’en sept ou huit langues elle savait dire l’essentiel de sa profession. (…/…)
A vivre solitaire dans ma chambre de l’Albion, au milieu d’Anglais et de Norvégiens qui ne parlaient pas français, je devins ombre et me laissai aller au découragement. Par ma fenêtre, le matin, en me levant vers dix heures, je pouvais contempler l’agitation familière de la rue des Charrettes. C’était l’heure débilitante où de tous les bars jaillissaient des seaux d’eau qui inondaient le trottoir. On n’entendait que des voix anglaises de filles. Des putains en négligé apparaissaient aux fenêtres et des enfants s’en allaient aux commissions par bandes, de tristes fillettes qui connaissaient déjà l’homme et en vivaient, avec l’aide de leurs parents, aussi mal qu’il est possible de l’imaginer. (…/…)
La rue des Charrettes sentait le crime marin, l’ouvrier marin, le patron marin, la putain de marine et les éléments, cependant honnêtes, de tout un lot d’assez tristes associations d’idées. (…/…)
Nous autres, à Rouen, nous étions comme des poussins dans un purgatoire qui sentait Villon, quand celui-ci marinait dans la tiède promiscuité des tavernes et des filles. (…/…)
Nous vivions comme si Rouen, son pont transbordeur, ses cargos, ses industriels et ses demoiselles de haute bourgeoisie n’eussent point existé.
La rue des Charrettes ne pouvait même pas constituer le cadre d’un quartier général. Nous n’avions pas de café littéraire. On se rencontrait partout, aussi bien à Dieppedalle qu’à Saint-Adrien, rue de la République, place du Vieux-Marché, dans l’estaminet chic à la Parisienne où Nelly d’H…, petite femme blonde et spirituelle, représentait avec délicatesse l’aristocratie du plaisir (…/…)
Quand Rouen s’éveillait au petit jour, on entendait d’abord le trompette de garde à la caserne des chasseurs, à Saint-Sever. Et tous les sifflets d’usine ne tardaient pas à percer les brumes qui s’effilochaient sur la Seine. Je ne connais rien de plus triste qu’une journée qui commence au signal sévère d’une usine. (…/…)
Les derniers jours que j’ai vécus à Rouen furent d’une tristesse sans emploi. J’habitais une chambre sordide au-dessus du Criterion, à l’angle de la rue des Charrettes et de la Vicomté. Je ne sais si la maison existe toujours. Tout autour de moi, la ville se rétrécissait implacablement comme si une vis géante eût resserré les divers éléments hostiles qui se groupaient en faisceau pour m’expulser.
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La rue des Charrettes une rue composée en studio, cette expression me reste incomprise. Feu Félix Phellion aurait peut-être pu m’éclairer.
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Quai des brumes ne figure pas dans les Romans maritimes de Pierre Mac Orlan. Pour la raison que l’action se déroule à Montmartre. Le quai des brumes était la formule qu’employait Max Jacob pour désigner les lieux qu’il hantait en compagnie de Mac Orlan et d’autres, les brumes étant les vapeurs de l’alcool. Jean Renoir l’a rendu maritime en situant son adaptation au Havre.