Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 septembre 2014


Par quelle malédiction les vide greniers de Bihorel et Rouen La Madeleine, tous deux à quatre cents exposant(e)s, se tiennent-ils à la même date cette année ?
Je commence par Bihorel, ville dont je connais bien la route qui y mène, songeant à celle qui y vivait lorsque je l’ai connue. Je parcours par deux fois les rues où les bourgeois(e)s d’ici et des pauvres aussi répandent leur inutile.
-Combien ce costume ? demande un homme à l’un de ces vendeurs.
-Un euro.
-Un euro, un costume ?
-C’est celui de mon premier mariage, je ne veux plus le voir.
Côté livres, c’est décevant, il semble qu’ici on lise surtout des ouvrages sur le chemin qui mène à Compostelle. Je redescends à Rouen, vais à pied jusqu’au lointain quartier de La Madeleine où se trouve la Préfecture.
Devant la porte d’honneur de celle-ci, aux grilles grandes ouvertes, plastronne un élu écologiste rouennais. D’autres hommes arrivent vêtus d’un costume qui est peut-être celui de leur mariage lointain, en lesquels je reconnais des élus ruraux. Tous ont l’air fiérot de qui a le droit de voter aux Sénatoriales.
Le bon peuple est à côté dans les allées encombrées du vide grenier. Que de moutard(e)s en poussette, que de couples dont le mari reste planté pendant que sa femme fouille dans les vêtements. Difficile de voir ce qui m’intéresse, mais je trouve quand même Le jardin ouvrier d’Ivar Ch’Vavar & camarades (Flammarion), anthologie poétique tirée des numéros de la revue du même nom (mil neuf cent quatre-vingt-quinze – deux mille trois), en page de garde : « Offert par Pierre ». Un peu plus loin, je fouille dans un carton de livres à cinquante centimes (m’a dit la femme). J’en retiens cinq que le mari veut me faire payer un euro pièce. Je proteste et devant son entêtement laisse retomber.
-Bravo, madame, vous avez trouvé le bon mari.
Fatigué et énervé, je rentre à la maison. Après déjeuner, j’y retourne avec le bus Teor, utilisant la carte gratuite dix voyages obtenue pour fêter la transformation de la ligne Sept en ligne Fast. Je descends à Pasteur Panorama. Le panorama, c’est celui, artificiel, que l’on pourra voir dans le cylindre Asisi (Il est dressé vers le ciel/Comme la tour Eiffel).
-C’est quoi c’truc là, entends-je régulièrement à propos de cet édifice.
Je profite du moins de monde, trouve quelques livres à mon goût et expérimente une nouvelle technique de marchandage pour l’un qu’on me propose à trois euros :
-Si je vous dis deux, vous allez me dire non.
-Je vais vous dire oui, me dit la dame avec un grand sourire.
Un homme et une femme, profitant de l’affluence, distribuent de petits papiers publicitaires. Il est radiesthésiste et coupeur de feu. « Non merci », leur dis-je.
Ayant croisé Adji, l’ancien bouquiniste de la rue Bouvreuil, j’achète un livre écrit par un conteur africain et le lui offre quand je le revois. Il n’avait plus ce livre et vient juste d’acheter une étude sur ce même conteur.
-Il y a des esprits qui veillent à tout ça, me dit-il.

29 septembre 2014


Le ciel bleu à Rouen ce samedi matin me conduit à Dieppe où il est gris. Qu’importe, il y fait doux. Je prends un café verre d’eau sur le port au bar de l’Escale fréquenté par les gens d’ici. Mes voisins parlent de la Résistance, du colonel Rol-Tanguy.
Pour déjeuner, je choisis la terrasse en angle du New Haven, six tables de deux, d’où l’on voit bien les bateaux sur l’eau et les maisons du bord de mer côté église. Deux des serveurs ont l’air d’avoir été fabriqués outre-Manche tant ils ont l’allure et la couleur de cheveux que l’on attribue souvent aux habitants d’en face. J’opte pour le menu à dix-neuf euros cinquante : foie de lotte, gratin de la mer, neufchâtel fermier, creumebeule aux fruits rouges, avec un cruchon de vin blanc en supplément. Aucun risque d’être côtoyé par des enfants, mais je ne peux éviter le chien qui arrive avec deux hommes à qui il en tient lieu, une sorte d’intestin appelé bouledogue français. Sans doute mon regard en dit-il long car l’un me demande :
-Il va pas vous embêter le chien ?
-C’est à lui qu’il faut poser la question, lui réponds-je.
Il le couche le plus loin possible de moi. Les autres tables sont occupées par des couples de retraité(e)s. A l’intérieur les salles sont vite pleines, ce qui réjouit les serveurs : « Ça rattrape un peu la saison » « Tant mieux » « C’est ce qui faut ». Le soleil pointe un peu ses rayons.
Je passe dans le quartier du Pollet et y prends le café à la terrasse du Mieux Ici Qu’en Face, lisant Dommages collatéraux (l’héritage de John Fante) de Dan Fante (13e Note Editions), livre acheté au Rêve de l’Escalier, tout en observant la vie du port à marée haute, entrées et sorties des voiliers, pont qui pivote pour laisser passer un remorqueur.
Un peu après seize heures, je quitte le Pollet et en chemin vers ma voiture croise l’ami Deluxe. Il fait partie du jury du Festival de Film Canadien et pense que je suis là pour un film. Je le détrompe.
Il fait bien plus beau à Rouen quand j’y reviens mais je sais que ce samedi je m’y serais morfondu.
                                                     *
New Haven, la seule ville anglaise que je connaisse, où j’ai passé une journée avec celle qui me tenait alors la main, après une traversée à tout petit prix en bateau depuis Dieppe à la fin août, une tentative désespérée de prolonger les vacances, d’ignorer la rentrée scolaire imminente.
Souvenir d’une ville déserte aux magasins fermés le dimanche, d’un peube uniquement fréquenté par des hommes, d’une plage lointaine atteinte après avoir marché dans une zone industrielle sur le déclin.

27 septembre 2014


De ces Histoires de monsieur Keuner (appelé aussi monsieur K. ou le penseur) écrites par Bertolt Brecht entre mil neuf cent vingt-six et cinquante-six et publiées en français aux Editions de l’Arche en mil neuf cent quatre-vingt, lues Chez Léon l’autre mercredi, je tire trois courtes qui ne me sont pas étrangères :
Monsieur K. attendit quelque chose une journée, puis une semaine, puis encore un mois. A la fin il dit : « J’aurais très bien pu attendre un mois, mais pas cette journée et pas cette semaine. »
« A quoi travaillez-vous ? » demanda-t-on à monsieur K. Monsieur K. répondit : « J’ai beaucoup de mal, je prépare ma prochaine erreur. »
Monsieur Keuner disait : « Moi aussi, un jour, j’ai pris une contenance aristocratique (vous savez : droit, raide et hautain, la tête rejetée en arrière). C’est que j’étais debout au milieu d’une eau qui montait. Quand elle m’arriva au menton, je pris cette contenance-là. »

26 septembre 2014


De retour sur la place des Emmurées ce jeudi matin pour le marché aux livres et à la brocante de la rive gauche, après le remplacement du parquigne en silo par une halle en forme de vague partiellement translucide, je retrouve les habituel(le)s marchand(e)s rejoint(e)s par celles et ceux qu’on ne voyait plus que rive droite au Clos Saint-Marc. Chacun(e) a davantage de place qu’il ne lui en faut. Comme il fait beau, la marchandise est bien éclairée, parmi laquelle ne se trouve aucun livre pour moi.
Tout n’est pas parfait cependant. L’un des bouquinistes se demande s’il n’aurait pas dû venir avec un parapluie. Des gouttes de condensation choient de la toiture et tombent sur ses livres, ce qui est fort dommageable à ceux qui n’ont pas une couverture pelliculée.
                                                          *
Mardi dernier, c’était le retour des marchands de fruits et légumes et d’objets divers, plus nombreux. Certains n’avaient pas place sous la halle. Quand il pleuvra, ils auront droit à la drache.
Pourquoi cette halle n’a-t-elle pas été prévue plus longue, c’est un mystère. Il est peut-être nécessaire que quelques marchands passent par une période de bizutage avant de trouver place à l’abri, quand un autre l’abandonnera.
                                                          *
La dure vie des commerçantes rouennaises.
Une boutiquière à une autre, rue Ganterie : « Maintenant, on ne peut plus avoir et la moto et la voiture, c’est l’une ou l’autre. »
Une restauratrice à une autre, rue du Père Adam : « Pour ma prochaine affaire, je ne prendrai pas d’employés, c’est trop de problèmes. Je ferai appel à des extras. »

25 septembre 2014


C’est dans le brouillard que me mène le train à Paris ce mercredi. Je m’y emploie à mon inoffensive marotte, trouver des livres que je ne cherchais pas, quelques-uns chez Gibert Joseph, la plupart chez Book-Off, deux au marché d’Aligre. L’un de ces deux est Histoires de monsieur Keuner de Bertold Brecht (L’Arche) dont j’ignorais jusqu’à l’existence.
A midi, c’est à la Main d’Or, restaurant corse de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, que je déjeune d’un menu du jour n’ayant rien de corse, seul client à avoir choisi l’extérieur. Il fait plutôt beau, un pic de pollution est annoncé  De mon trottoir, tout en dégustant salade de pois chiches au cumin, sauté de porc au curry, charlotte aux fruits rouges, j’observe l’agitation de la capitale, toutes ces personnes à pied, à vélo, à scouteur, risquant d’autant plus leur vie parmi les voitures, camions et bus, que le carrefour est à priorité à droite et le passage pour piétons non protégé par un feu tricolore. Le menu est à treize euros. Avec le vin, cela fait vingt.
En fin d’après-midi, je lis Brecht au café Chez Léon, rue de l'Isly. Il y règne un calme inhabituel, jusqu’à ce que de l’arrière-salle monte le cri du patron :
-Les salauds, ils lui ont coupé la tête.
Il parle du touriste français enlevé par les jihadistes en Algérie, dont on vient d’apprendre la mort.
                                                         *
Au bout du passage Choiseul, un camion de livraison Vit-courses.com. Le temps est fini où les écrivains plutôt que d’évoquer une bite parlaient d’un vit.
                                                         *
Une femme noire qui se plaint de son travail au téléphone, concluant : « On l’a bien cherché aussi, on n’avait qu’à rester dans nos pays avec nos Ebola. »
                                                         *
De Françoise Sagan, dont c’est ce mercredi le dixième anniversaire de la mort :
La mémoire est aussi menteuse que l’imagination, et bien plus dangereuse avec ses petits airs studieux.

24 septembre 2014


Encore une fois je suis trop tôt au Quai des Livres rouennais. Le jour n’est pas levé, les exposant(e)s pas encore installé(e)s et pour achever de me faire fulminer, il se met à pleuvoir. A l’abri près de France Bleu Haute-Normandie, qui ne diffuse heureusement pas son programme au dehors à cette heure, j’attends que le jour arrive et que la pluie cesse puis fais une première longueur du quai que se partagent des bouquinistes, des particuliers et des associations. C’est chez ces dernières que l’on fait les meilleures affaires. Lire à l’hôpital, notamment, propose trois poches pour un euro et les grands formats à un euro, des livres en très bon état, quasiment neufs, donc non lus, ce qui est paradoxal.
Au-delà du déballage se détache sur le ciel gris la carcasse métallique du cylindre à gogos signé Asisi. Trente et un mètres de haut, trente-deux mètres de diamètre, cet édifice en construction ruine d’ores et déjà la perspective qui de l’église de la Madeleine faisait plonger le regard sur les grues jaunes sises devant le Cent Six.
Le sac chargé, la pluie revenue, je rentre à la maison et quand le temps s’améliore y retourne. Outre les vendeuses et vendeurs de livres sont présent(e)s des écrivain(e)s d’ici avec sur une table leurs livres à vendre. L’un propose le « premier roman français sur la météo, dédicacé par l’auteur ».
Mon sac se remplit à nouveau. Parmi mes trouvailles : D’un Céline l’autre, épais recueil de témoignages sur l’écrivain sulfureux tirés de Journaux intimes, Mémoires, Correspondances, neuf euros quand même, mais neuf il en vaut trente.
-J’ai vu un film sur lui récemment et ça m’a tellement dégoûté que je n’ai pu le lire, me dit le vendeur.
Ma voiture posée en haut du quai me permet de revenir sans avoir les mains sciées.
                                                                      *
Dans le cylindre à panorama d’Asisi, voulu par l’Agglo et la Région, le touriste ébaudi verra dès décembre la Rome antique, puis en deux mille quinze, la forêt amazonienne, avant d’avoir droit en deux mille seize à Rouen gothique.
Pour cette dernière projection, un couple de jeunes Allemands a capté des images de la toiture contemporaine de chez moi il y a quelques mois. Lui, portant une longue perche au bout de laquelle se tenait un appareil photo. Elle, prenant les images avec une tablette grâce à la ouifi.
                                                                      *
Vendre soi-même ses livres sur la place publique, ce à quoi ne devrait jamais se résoudre un(e) écrivain(e).

23 septembre 2014


Sa venue est prévue depuis plusieurs semaines mais elle arrive à point. Après qu’elle s’est ravitaillée en tabac, nous prenons une boisson désaltérante à la terrasse de la brasserie Gil’Den près du Musée des Beaux-Arts et évoquons un sujet sérieux. Quand on en a terminé surgit de je ne sais où un hurluberlu étrangement vêtu porteur d’une fleur de tournesol. Je suis un clown, nous dit-il avec un fort accent, et j’ai besoin d’un café. Vous avez perdu votre nez rouge, lui fais-je remarquer. Il veut nous échanger sa fleur arrachée dans quelque jardin contre la somme nécessaire pour une tasse de noir breuvage. Je suis comme Marie-Antoinette, ajoute-t-il, un Autrichien. Je lui donne un euro cinquante et elle refuse le tournesol. Il commande son café, s’assoit à la table voisine déjà préparée pour le déjeuner, s’empare du couteau et joue avec lui d’une façon qui nous effraie un peu, le repose, va s’asseoir de l’autre côté et nous entretient des Témoins de Jéhovah puis des religions en général qu’il déteste. Avec les dix centimes restant, il lui achète une cigarette à rouler et emprunte son briquet. Quand il le lui rend, on lève le camp, pas certains que ce personnage ne soit pas dangereux, mais je lui sais gré d’être arrivé au moment où on avait besoin d’un peu de légèreté.
Après une pause au jardin, nous allons déjeuner rue Malpalu, Chez Riquette, à prix réduit grâce à Marché Privé. L’ambiance y est toujours folklorique, le service acrobatique, la nourriture bonne bien que. Comme vin, nous optons pour une bouteille de Bourgueil.
En fin d’après-midi, elle m’entretient des difficultés de son travail, de ses horaires extensifs, des énormes responsabilités qui sont les siennes. Je ne suis pas sûr de savoir aussi bien la réconforter qu’elle moi.

22 septembre 2014


Parce qu’on ne sait jamais, mais sans illusion, je traverse le centre ville de Rouen en direction de la rue Cauchoise ce samedi matin. Les commerçant(e)s d’icelle organisent leur petit vide grenier. Effectivement, je n’y trouve pas le moindre livre qui m’intéresse, ni quoi que ce soit d’autre à acheter. Côté visiteurs sont là des habituels. Deux se rencontrent.
Le premier : « J’ai un copain, y m’a appelé l’autre vendredi pour qu’on aille ensemble à une foire à tout samedi. Samedi, il est pas venu. Mercredi, je suis allé à son enterrement. »
L’autre : « Bah oui, ça va vite. »
Les exposants étant peu nombreux, ils sont facilement visités par deux représentants des organisateurs, l’un qui reste muet, l’une qui dirige et commente à destination du muet : « C’est bien de faire un tour comme ça tôt le matin parce que comme ça ils se sentent surveillés. » Un peu plus loin, elle met en garde une exposante contre certains acheteurs : « Surtout, si vous sentez que ça part en live vous nous appelez. » Si son commerce fait faillite, elle trouvera du travail dans une officine de sécurité.
-Bon, bah, plus qu’à aller se recoucher, déclare un tôt levé comme moi.
J’ai mieux à faire. A dix heures douze arrive à la gare celle qui vient de Paris pour passer la journée en ma compagnie et je vais de ce pas l’attendre à sa descente du train.
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Note pour les non Normands : foire à tout = vide grenier.

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