Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 septembre 2015


Ce lundi matin, vers neuf heures et quart, plutôt inquiet, je monte à pied jusqu’à la place du Boulingrin où se trouve le cabinet au sein duquel exerce mon médecin. Quatre semaines de traitement n’ont pas résolu mon problème de santé et, au vu des symptômes, j’en suis venu à craindre la présence de ganglions annonciateurs d’un cancer qui pourrait être foudroyant.
Je prends place dans la salle d’attente où je regarde passer les jouvencelles en chemin vers le lycée Jeanne d’Arc. A l’accueil, la secrétaire se multiplie entre ses deux téléphones et les malades qui arrivent, annonçant à l’un de ses interlocuteurs que celui qui est officiellement mon médecin traitant ne prend plus de nouveaux patients, ce que j’interprète comme un gage de qualité.
A l’heure exacte du rendez-vous, j'explique mes inquiétudes à ce docteur. « Je vois, me dit-il, je vais regarder ça ». Il ausculte attentivement mes enflures et me rassure : pas de ganglions. Quant au résultat de l’analyse de sang dépassant un peu la norme, il est d’accord avec moi pour juger qu’on peut attendre de savoir ce qu’il en sera dans un an.
Pour l’instant, comme je ne suis pas guéri, il me donne trois semaines supplémentaires d’antibiotique.
-Vous avez besoin d’autre chose ? me demande-t-il comme à chaque fois avant d’imprimer l’ordonnance. Je crois entendre la boulangère et son « Et avec ceci ? »
-Non merci.
Je lui dis que je repars rassuré, que je m’étais fait des films. Nous nous serrons la main.
A la pharmacie du Drugstore, on m’apprend que l’antibiotique prescrit est de ceux qui nécessitent d’éviter le soleil. « Il aurait pu me le dire », me dis-je, sachant que je ne pourrai jamais me plier à une telle discipline, pas envie de me priver des derniers beaux jours.
                                                               *
Effectivement, c’est au soleil, en terrasse au Son du Cor, mais lui tournant le dos, que je lis, ce mardi midi, Les joies du plein air d’Albert t’Serstevens (Arléa), recueil de textes sur ses voyages à travers l’Europe, en auto-roulotte avec la belle Marie-Jeanne et le chat Puma, que l’écrivain rédigea à Paris entre mil neuf cent quarante et quarante-deux, son auto-roulotte bloquée au garage et lui-même empêché de voyager par la Deuxième Guerre Mondiale.
                                                              *
Un homme, après tout, un homme en lutte avec lui-même, et sur qui pèse la mélancolie de la maturité.
Continuer seul la route du voyage…
Albert t’Serstevens, Les joies du plein air.
 

29 septembre 2015


Voiture indispensable pour passer d’une vide grenier à l’autre ce dimanche, je gare la mienne grâce à sa petite taille pas loin de l’entrée de celui de La Madeleine qui doit son nom a une église aussi laide que la parisienne. Devant cet édifice s’ouvrait la belle perspective s’achevant sur les deux grues jaunes du Cent Six, perspective saccagée par l’érection du Cylindre Asisi, dont la laideur se révèle peu à peu dans le jour levant. Ce vide grenier fait chaque année une gagnante : la fourrière. Elle est à l’œuvre, guidée par la Police.
Le déballage est vaste. Il court dans un réseau de rues que je parcours les unes après les autres, trouvant assez vite un livre pour me satisfaire : Fragments (poèmes, écrits intimes, lettres) de Marilyn Monroe (Le Seuil), que l’on me propose à deux euros, mais rien ensuite. Le circuit bouclé, je constate qu’il m’a fallu une heure et quart. Plutôt qu’un second tour, je choisis de retrouver ma voiture pour me rapprocher, à l’autre bout de Rouen, du quartier Jouvenet.
Je me gare sur le trottoir, route de Neufchâtel, afin de poursuivre à pied, demande à une habitante du quartier si je dois prendre à gauche. « Oui, me dit-elle, et à la moitié de la rue, vous trouvez un petit chemin qui y descend tout droit ». Ce petit chemin est un raidillon terreux qui mène à un rude escalier façon Montmartre. Celui-ci descendu je suis chez les riches, reconnaissant au passage parmi les vendeurs un bistrotier de la rue d’Amiens, bohême en semaine, bourgeois le ouiquennede. Cet environnement permet d’obtenir des prix bas, mais je n’y trouve pas de livre qui me soit indispensable. 
-Ça sent la frite, s’inquiète soudain une vendeuse.
C’est qu’un gargotier a installé sa cuisine itinérante sur la petite place, là où l’on hume habituellement l’odeur du gazon fraîchement tondu.
Après avoir vaillamment remonté les marches en pierre et le raidillon terreux, je reprends la route jusqu’à la proche banlieue nommée Bihorel, me garant à proximité du cimetière. Bihorel est semblable au dix-septième arrondissement de Paris, moitié de fauchés, moitié de rupins. Le vide grenier est situé alternativement chez les uns et chez les autres. Cette année, il est sur le Plateau des Provinces, autrement dit chez les pauvres. Je le rejoins par les allées piétonnières, entre les immeubles et l’école Coty. Il est fréquenté par trop de monde, mais par aucun riche. « Papa, qu’est-ce qu’on fait là ? », demande un moutard. Je me pose la même question. Quand un livre me tente, on en exige plus que je ne veux y mettre. Je fais quand même tout le circuit avant de redescendre à Rouen par le tunnel de la Grand-Mare.
Après déjeuner, je récupère mes forces en lisant De Léopold à Constance, Wolfgang Amadeus de Maurice Barthélemy (Babel Actes-Sud), en terrasse au soleil du Son du Cor, puis effectue ce que l’un que j’y croise appelle « un repassage » au vide grenier de La Madeleine où des voitures que la fourrière n’a pas eu l’envie ou le temps d’emporter sont utilisées comme présentoirs par certains vendeurs. Les affaires ne sont pas prospères, cependant déclare une vendeuse, « le soir quand on compte, on est content ».
Au retour, sous le Gros-Horloge, je frôle une poignée d’optimistes : « Méditons ensemble » « Une minute pour la paix ». Chacun fait ce qu’il veut de son dimanche.
                                                                     *
En fin d’après-midi, je suis à la gare de Rouen où, peu de temps avant l’heure de son train pour Paris, apparaît celle qui doit voir Tomi Ungerer au Musée des Arts Décoratifs le jour de ma fête. Elle espère lui faire signer ses Trois Brigands. Bien que je doute de sa réussite, je lui confie à cette même fin mon Géant de Zéralda.
                                                                    *
Le Cylindre Asisi, officiellement nommé Panorama Ixe Ixe Elle, change de programme ce ouiquennede. Après la Rome antique, l’Amazonie. Une attraction foraine chasse l’autre. La  Sénatrice Morin-Desailly, Centriste de Droite, conviée à l’inauguration a refusé de se rendre dans ce bâtiment « qui dénature le paysage rouennais » et « est un petit scandale lorsqu'on songe aux équipements culturels de base qui manquent à notre agglomération, aux difficultés dans lesquelles se débattent nos théâtres et nos scènes, nos conservatoires, nos bibliothèques, certains de nos musées pour boucler cette année leur budget ».
Ces propos auraient été tenus autrefois par tous les politicien(ne)s de la Gauche locale.
Aujourd’hui, l’un d’eux, Sanchez, Socialiste, Chef de la Métropole, se réjouit que ce Panorama fasse plus d’entrées que le Musée.
 

28 septembre 2015


Ce samedi, à dix heures, je suis à la gare de Rouen pour accueillir celle qui vient me voir tirant derrière elle un chariot empli des livres que je n’ai pu rapporter de Paris quand j’étais chez elle pendant son voyage de travail à Pékin. S’y ajoute mon sac à dos qu’elle n’a pu faire réparer. Nous posons tout ça à la maison, passons par le marché et buvons une boisson chaude au soleil à la terrasse du Clos Saint-Marc en parlant de nos vies respectives et du monde tel qu’il va mal.
A midi, nous prenons l’apéritif au jardin où je réussis à renverser mon verre de pommeau avant même d’en avoir bu une goutte puis déjeunons de sa bonne cuisine dans un grand et long tintamarre de cloches de la Cathédrale dont la flèche fend un ciel d’un bleu estival (l’Archevêque Descubes y célèbre sa dernière messe).
Quand le moment est venu pour elle d’aller chez ses parents, je prends le métro afin d'aller une seconde fois au désherbage de la bibliothèque de Sotteville-lès-Rouen. J’y côtoie des jeunes acheteurs et acheteuses qui hier travaillaient et n’ont pu profiter de l’aubaine du premier jour mais les responsables ont remplacé les livres déjà vendus par d’autres tout aussi intéressants et je suis étonné encore une fois que cette bibliothèque, comme d’autres, juge bon de vendre des livres de fonds, qui ne sont plus édités, et manqueront un jour à un(e) étudiant(e). Mes deux sacs s’emplissent. S’y trouvent notamment Du fond de l’abîme (Journal du ghetto de Varsovie) de Hillel Seidman (Terre Humaine Plon), La Foire à L’Homme (Ecrits et dits dans les camps du système nazi de 1933 à 1945) de Michel Reynaud (Tirésias, deux volumes dans un coffret illustré par Robert Combas), Mes soldats de papier (Journal 1933-1941) de Victor Klemperer (Le Seuil), Le Livre idolâtre de Bruno Schulz (Denoël) et Les Cahiers noirs (Journal 1905-1922) de Marcel Sembat (Viviane Hamy).
Au moment de payer, la bibliothécaire apercevant ce dernier livre, m’annonce qu’elle ne peut me le laisser :
-Il y a quelqu’un qui me l’a demandé.
Je proteste :
-Ce n’est pas correct.
Elle cède :
-Bon, eh bien, tant pis, on le rachètera.
Je paie, remets mes livres dans mes sacs et ai droit à un « au revoir » glacial.
                                                       *
Ces Cahiers noirs, comme tous les livres désherbés porte le cachet « Supprimé de l’inventaire ». Il ne pouvait pas être remis en circulation sur les rayonnages de la bibliothèque. Il est donc probable qu’une connaissance de cette bibliothécaire lui avait demandé de le mettre de côté à son intention.
                                                      *
Autre livre désherbé : Les mots croisés de Georges Perec (P.O.L.), comprenant trois cent quarante-neuf grilles, acheté vingt-huit euros par cette bibliothèque, alors qu’évidemment aucun(e) abonné(e) ne pouvait prendre son crayon pour les faire.
                                                      *
L’Archevêque Descubes part à la retraite (comme on dit). Il restera dans la mémoire des Rouennais(e)s grâce à sa chute dans la Seine lors de l’Armada deux mille huit. Son successeur Lebrun a cinquante-huit ans. Première fois que l'Archevêque est plus jeune que moi. Pas rassurant.
 

25 septembre 2015


Alerté il y a plusieurs semaines par un lecteur inconnu (qu’il en soit remercié), je prends le métro rouennais direction Technopôle ce vendredi midi pour me rendre à Sotteville où la bibliothèque municipale se débarrasse contre monnaie des livres qu’elle estime désormais inutiles pour son lectorat. Descendu à Hôtel de Ville, je repère la Poste comme m’a dit de faire hier au téléphone une aimable Stéphanie : « Nous sommes à côté ». Effectivement, je vois foule devant la porte d’un bâtiment voisin et, collés contre cette porte, plusieurs de mes concurrents habituels. J’entre avant eux car c’est une porte latérale qui s’ouvre pour nous permettre d’accéder au désherbage. Les moins rapides restent dehors à faire file d’attente. Délaissant les livres d’art vendus cinq ou dix euros, je m’intéresse aux documents vendus à deux et en tire de quoi remplir deux sacs dont Autoportrait d’Helmut Newton, Mémoires sans mémoire de Jacques-Henri Lartigue et des biographies de Pialat, Giacometti et Duchamp (deux : celle de Judith Housez et celle de Bernard Marcadé).
Alerté ce jour par l’ami Masson de la même opportunité depuis la veille à la bibliothèque François-Truffaut du Petit-Quevilly (qu’il en soit remercié mais qu’il mange son chapeau pour le retard), à peine mes sacs vidés à la maison, je reprends le métro direction Le Grand-Quevilly et descends au Petit. Là, nous ne sommes que quatre à attendre l’ouverture de quatorze heures. C’est heureux car l’annexe où sont proposés les livres (tous à deux euros) n’est pas grande. J’imagine la bousculade le premier jour du désherbage et suis content de l’avoir manqué (que l’ami Masson cesse de manger son chapeau). J’en repars sous un ciel noir avec un seul sac dans lequel se trouvent notamment une biographie de Perec, celle de Tina Modotti par Margaret Hooks Amour, Art et Révolution et le Journal de deuil de Barthes.
                                                              *
Revu à Sotteville le restaurant japonais Wasabi puis au Petit-Cul le chinois Au Bon Accueil où je fus avec celle qui vient me voir ce samedi (j’ai aussi rapporté un livre pour elle).
                                                              *
Mœurs de boulanger : la farine augmente, le pain augmente (c’était avant) ; la farine baisse, le pain augmente (c’est maintenant, de cinq centimes).
                                                              *
Il faut croire que nombreux sont les déçus de la nouvelle saison de France Culture, notamment de la matinale confiée à Guillaume Erner, pour que le médiateur en fasse l’objet de sa première chronique ce jeudi midi. Evoquant des plaintes d’auditeurs, il répond en signalant la grande qualité des invités de l’émission, alors que le problème ce sont les questions insipides que leur pose l’animateur. A l’un qui regrette France Culture d’il y a vingt ans, ce médiateur répond que les temps ont changé, la station a beaucoup plus d’auditeurs qu’alors, il faut en tenir compte. Bel exemple de ce qu’on appelle le nivellement par le bas.
 

24 septembre 2015


Téléphoner plusieurs fois à un autre pour lui dire où on est assis dans le train, lui expliquer comment faire pour se retrouver dans la même voiture, se retourner à chaque fois que la porte bat, pour rien, finir par renoncer et à l’arrivée à Paris, par un nouvel appel téléphonique, comprendre que celui qu’on a attendu en vain était dans le train de huit heures sept, c’est ce qui arrive à l’un qui comme moi arrive à Paris par le sept heures cinquante-neuf ce mercredi.
Il fait soleil dans la capitale. Je prends donc le bus Vingt pour me rapprocher du Book-Off de la Bastille. J’y entre cinq minutes après l’ouverture et suis accueilli cette fois encore par la voix de Léo Ferré. De Jolie Môme et Thank you Satan à Avec le temps et La Solitude, je fais mon marché et oublie les idées noires qui me trottent dans la tête.
Celles-ci reviennent tandis que je rejoins à pied le quartier Beaubourg afin de déjeuner chez New New. Trois semaines de pommade puis une semaine d’antibiotiques sans que disparaisse ce qui est peut-être le symptôme d’autre chose. Que va m’annoncer mon médecin quand je le reverrai la semaine prochaine, quels examens va-t-il m’imposer ? Ou bien ai-je tort de m’alarmer ?
Il y a du monde dès midi dans le restaurant chinois à volonté pour neuf euros quatre-vingts de l’impasse Beaubourg. Certains se jettent sur le buffet sans prendre le temps d’ôter leur manteau. Un groupe d’une dizaine de stagiaires, dans lequel chacun semble surpris de côtoyer les autres, découvre la nourriture asiatique. Tous mélangent dans une même assiette les nems, les viandes et les nouilles à la chinoise, les sushis et les makis. Ils ne sont pas les seuls à se préparer une telle mixture. Un couple répugnant que je vois ici toutes les fois où j’y mange fait de même (et je les soupçonne d'en mettre dans un sac en plastique pour leur repas du soir).
Derrière moi, deux femmes collègues discutent travail : le problème en France, l’obligation d’avoir des diplômes ; l’ennemi, le chef de service ; le faux ami,  le psychologue qui te dira « Apprenez à respirer » ou bien « Ecrivez » ; le moyen de se défendre, le congé de maladie ; l’ultime recours, aller aux prud’hommes.
J’ai encore bien des occasions pour penser à ce qui m’obsède pendant que je fais le tour des librairies de Châtelet : Boulinier, Gilda, Le Gai Rossignol (celle-ci entièrement rénovée où j’ouvre une carte de fidélité en matière d’antidote) puis je traverse la Seine à pied pour revoir le Quartier Latin et fureter dans les bacs de trottoir des deux Gibert.
Le bus Vingt-Neuf m’emmène près du Book-Off de l’Opéra. J’y rapporte le petit Taschen sur Lucian Freud acheté deux euros la semaine dernière, m’étant aperçu un peu tard qu’il était en anglais. J’en avais déjà enlevé les étiquettes et je n’ai pas le ticket de caisse, mais on veut bien me l’échanger quand même. « Parce que c’est vous », me dit celle auprès de qui je plaide ma cause.
Dans les rayonnages à deux euros de l’étage, je ne trouve pour le remplacer que Le Havre, Auguste Perret et la reconstruction aux Editions de l’Inventaire, puis je remplis mon panier, au rez-de-chaussée, de livres qui m’intéressent davantage, à un euro, dont Lettres d’une vie, la correspondance de Lucrèce Borgia dans l’édition établie par Guy Le Thiec pour Payot. Ce dernier l’avait envoyé « A Monsieur Jean-Pierre Elkabbach, en respectueux hommage ».
                                                                     *
Faut-il s’étonner si chez Book-Off à l’intercalaire Sarraute on trouve les livres de Claude, la fille ?
                                                                     *
Nul soliloqueur ce mercredi au comptoir de la Clé des Champs. L’analyse de l’eau potable par celui de la semaine dernière n’était pas de lui, m’a-t-on appris, mais d’un comique dont la vidéo tourne sur les réseaux sociaux.
J’y découvre la nouvelle serveuse, débutante, pleine de bonne volonté. A un moment, elle vient me voir pour me demander si ça va bien. Je ne sais pas ce qui se passerait si je lui répondais : « Non justement, je suis très inquiet pour ma santé ».
 

23 septembre 2015


Bonne découverte que celle d’Adresses fantômes de Michel Longuet, né en mil neuf cent quarante-cinq, qui fit des études d’architecture avant de devenir illustrateur et réalisateur de courts-métrages d’animation. Dans ce livre publié chez Grasset en deux mille treize, il montre une sélection de dessins tirés de ses carnets, ceux concernant les adresses parisiennes « ici vécut » de Méliès, Lautrec, Marquet, Gauguin, Atget, Calder, Beckett, Michaux et Follain.
J’aime ses dessins mais encore plus les textes d’accompagnement qui narrent les circonstances dans lesquelles ils ont été faits, tout en constituant une sorte d’autobiographie en tranches ou en creux.
Echantillon :
A peine ai-je esquissé mon premier trait du 10 rue Cail, où Gauguin emménagea avec son fils Clovis, qu’une jeune fille en compose le code. Je me précipite. Savoir qu’un peintre habita l’immeuble est pour elle une bonne nouvelle. Elle s’intéresse à la peinture et sa voisine est critique d’art. Montez, me propose-t-elle. Je me retrouve alors dans un appartement des étages supérieurs, tout blanc. C’est peut-être celui de Gauguin ? dit-elle. En fait non, c’était au second. Comme dans ces séries policières à la TV le samedi soir, j’aurais pu lui arracher ses vêtements et la violer sur place, me dis-je une fois dans la rue.
Et de constater à une autre occasion :
A quoi bon une pince-monseigneur si un carnet de croquis ouvre toutes les portes ?
Plus que par les jeunes filles, c’est par les humains de son sexe qu’est séduit Michel Longuet, comme il l’évoque de-ci de-là se souvenant de sa jeunesse :
Un soir qu’on déambulait avec quelques élèves des Beaux-Arts entre les tables, une vieille Américaine nous invita à la sienne. A ses côtés, un petit monsieur avec une perle piquée dans sa cravate restait silencieux. Oh ! mais appelez-le, me dit l’Américaine le lendemain, il aime bien les jeunes gens. C’est ainsi que débuta ma relation avec Adrien.
Manque la porte cochère de l’hôtel du prince de Condé que j’ouvrais 2 fois par jour il y a 40 ans pour monter chez Pepito.
Dans les deux cas, on n’en saura pas plus.
Ceci encore que j’ai noté :
Le film était projeté dans l’entrée, j’en ai profité pour dessiner les spectateurs. Un couple voulut voir mon dessin. Tenez, leur dis-je, vous êtes là avec la rose. Oh ! merci, dirent-ils. Peut-être, êtes-vous un peu célèbre ?
Et pour finir :
Je dessine ce portrait d’Eugène Atget à la Bpi en m’inspirant d’une photo de Berenice Abbott. J’aime son sourire. Etonné qu’une jeune photographe s’intéresse à lui. Quelques jours plus tard, il était mort.
                                                              *
Autre lecture, décevante celle-là, les mémoires d’Edna O’Brien publiés chez Sabine Wespieser sous le titre Fille de la campagne après avoir été traduits de l’anglais (Irlande) par Pierre-Emmanuel Dauzat. La vieille dame reste dans les généralités et y parle beaucoup trop de ses enfants.
Seul épisode que j’aie envie de sauver, son récit de tentative de première fois :
Je parlai de mes peurs et, les sentant, il me berça dans le creux de son bras, m’appela « Baby » et me dit que je n’avais pas avoir peur car « il pouvait entrer en moi comme dans du beurre ». Carrément choquant.
Montrant du doigt l’horloge murale, je dis qu’elles devaient rentrer à trois heures, ce qui nous laissait onze petites minutes de mamours. Me tenant vigoureusement, il dit qu’il était « un crac » et qu’il pouvait tout boucler en moins que ça. Le rêve d’amour, de ce lien mystique qui rapproche les âmes autant que les corps, était brisé, et je m’arrachai à son étreinte.
                                                            *
Et ceci, avant de ranger A travers le vaste monde d’Erika et Klaus Mann (Payot) dans ma bibliothèque :
Quand on a demandé à George Gershwin comment il avait eu l’idée d’écrire sa Rhapsodie, il a répondu : « J’avais vingt et un ans et je vivais à New York. Que pouvais-je faire d’autre ? »
 

22 septembre 2015


Après quatre heures de marche en bord de Seine, ce dimanche matin, j’enchaîne avec le vide grenier de la Croix de Pierre, pestant contre ses actuels organisateurs qui le mettent chaque année à la même date que le Quai des Livres alors qu’autrefois il avait lieu le samedi. Autant dire qu’à cette heure, c’est probablement foutu pour moi, d’autant qu’il s’y trouve trop de monde, gens du quartier qui se promènent, moutards, poussettes, chiens, chariots et même certains venus là avec leur vélo, comment apercevoir un livre dans ces conditions.
J’en fais néanmoins le tour, saluant qui je connais à la Conjuration des Fourneaux et à L’Insoumise où l’on utilise les immondes poubelles mises devant la librairie par la Mairie socialiste comme support pour une banderole célébrant l’Anarchisme et la Révolution. En chemin, j’achète une part de creumebeule aux poires au stand du restaurant gastronomique Le Saint-Hilaire puis au bout d’une heure de marche infructueuse je rentre déjeuner sans pouvoir davantage profiter de la bonne ambiance qui règne dans ce quartier car je veux passer l'après-midi au Quai, raison pour laquelle j’ai hier averti l’Opéra de Rouen qu’on pouvait y disposer de ma place pour la Grande Messe vénitienne pour la naissance de Louis XIV, office reconstitué avec des pièces de Rovetta, Cavalli et Monteverdi, donnée à seize heures dans l’église Saint-Vivien pour les Journées du Patrimoine.
Au long de la Seine, je remonte le quai en direction du pont Flaubert, remplissant une dernière fois mon sac de livres à bas prix, parmi lesquels les Carnets de la drôle de guerre de Jean-Paul Sartre (Gallimard), puis rentre, épuisé, les pieds cuits.
Rue Saint-Romain, la file d’attente pour entrer gratuitement à l’Historial Jeanne d’Arc atteint quasiment le carrefour avec la rue de la Croix de Fer. A un cinquième de cette file, un panneau annonce une demi-heure d’attente.
Attendre des heures pour visiter un monument ouvert uniquement lors des Journées de Patrimoine, je comprends, mais attendre deux heures et demie pour voir sans payer une attraction ouverte tous les jours sauf le lundi au prix de neuf euros cinquante, c’est donner peu de prix à son temps de liberté (trois euros quatre-vingts de l’heure).
                                                          *
C’en est fini du Morrison, bar du soir sis rue des Fossés-Louis-le-Huitième, où j’ai passé de bons moments bien accompagné, assis dans les mêmes fauteuils que chez moi. Après travaux, s’y installera un infantilisant bar à jeux.
                                                         *
Guillaume Erner, nouvel animateur des Matins de France Culture, son insupportable voix, son ton France Inter (d’où il vient) espèce d’enthousiasme exagéré qui sonne faux, ses billets d’humeur sentencieux, ses questions floues montrant qu’il ne domine pas le sujet qu’il aborde avec son invité(e).
Il va bien falloir que je m’habitue.
 

21 septembre 2015


Comme un vent de folie dans la ruelle ce samedi soir, d’abord des étudiant(e)s en blouse blanche qui en font leur terrain de jeu pour leur crétine cérémonie d’intégration, hurlements, jet d’œufs, farine, mousse à raser, puis le calme revenu c’est un couple de garçons qui s’installe sous ma fenêtre. L’un se déshabille et se transforme en femme, jupe, perruque blonde, rouge à lèvres que lui met l’autre habillé de blanc orientaliste. Ils entrent ainsi dans le jardin de la copropriété où les a précédés un viril cove-boille ressemblant assez à un bûcheron de Tom of Finland. On fête encore un anniversaire chez mes deux voisines à chiens, un petit mot sur la porte s’excuse par avance du bruit afférent.
Je dors donc en retrait dans la petite chambre et ouvre la porte avant la fin de la nuit sur une rue pleine de salissures alimentaires et hygiéniques. Il s’agit d’être parmi les premiers au Quai des Livres rouennais, ce déballage de dizaines de milliers d’ouvrages vendus par des particuliers, des professionnels, des associations (du Secours Pop au Rot Tari), organisé chaque année par la performative association Rouen Conquérant et, comme rien n’est plus lourd que les livres, je vais d’abord chercher ma petite voiture dans l’île Lacroix. Alors que j’en suis près, j’entends quelque part vers le quai haut de la rive gauche un bruit de freinage désespéré suivi d’un crashage. Cinq minutes plus tard, attendant le feu vert au bout de l’île et n’entendant aucune ambulance, je me demande si je n’ai pas rêvé.
Je me le demande une seconde fois, après m’être garé devant l’Opéra et être descendu sur le quai bas de la rive droite, lorsque j’aperçois parmi les déballeurs matutinaux notre Maire. Vendrait-il tous ses Fabius, tous ses Jospin et même ses Mitterrand ? Que non, il n’est là que pour aider sa femme à installer le stand des Amis de Flaubert et Maupassant.
Plus loin, je comprends qu’un claironné « Bonjour monsieur le professeur » m’est destiné. Une ancienne mère d’élève, adhérente d’une association de bienfaisance, se rappelle à mon bon souvenir.
Encore plus loin un autre porteur de cartons m’interpelle. C’est mon ancien camarade d’école, pas fâché finalement, et même d’humeur allègre. Il se moque de ma propension à annoncer tous les six mois que je suis submergé par les livres et qu’il faut que je m’en débarrasse
-Ça ne dure jamais plus d’une journée, se gausse-t-il
Il exagère un peu.
J’admets que je résiste peu à l’achat d’un livre à bas prix, encore moins quand on m’en propose un lot. Avant même le lever du jour, je deviens propriétaire pour douze euros de vingt-sept numéros de la revue L’Arc, ce qui motive une première décharge dans le coffre de la voiture. Ça ne s’arrange pas ensuite, quand s’offre à moi un lot de cinquante-cinq livres de poésie pour cinq euros qu’il faut deux sacs pour contenir, retour à la voiture. S’ajoutent les nombreux que j’achète à l’unité. L’un m’attire irrésistiblement, énorme, muni d’une étiquette « Aventurier de l’âme, ce livre est pour vous »,  vendu par un couple et ses deux enfants. Je demande le prix.
-Vous m’en donnez combien, me dit le vendeur qui discute avec un photographe de ma connaissance.
-Moins que ce que vous allez m’en demander, lui réponds-je.
Il me dit dix. Je lui propose huit. C’est ainsi que devient mien The Art of Eric Stanton édité par Eric Kroll pour Taschen.
Il est onze heures quand, le coffre plein, je reprends le volant et suis contraint d’entrer dans les rues piétonnières afin de me rapprocher au mieux de mon domicile pour le déchargement.
                                                                 *
Ceux et celles qui se fichent pas mal des livres du Quai : coureurs à pied, groupes en visite guidée de Journée du Patrimoine, touristes âgés faisant leur gymnastique sous les ordres d’une jeune femme sur le pont d’un bateau de croisière.
                                                                 *
Au milieu des déballeurs, sous le chapiteau du Salon des Auteurs Normands, une quinzaine d’autoédité(e)s attendent le lecteur avec espoir. Pour faire face aux éventuels malaises causés par une vente quasi nulle, une antenne de la Croix-Rouge a été installée à côté.
 

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