Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

20 avril 2016


Il fait soleil ce mardi matin lorsque le car Huit Cent Seize m’emmène à son terminus Hendaye Plage. A l’entrée dans cette ville nous ne sommes que trois passagers. Deux se lèvent avant la gare pour y descendre. La conductrice ne marque pas l’arrêt. L’un proteste vivement. Elle stoppe un peu plus loin.
-Comment voulez-vous que je sache si vous n’appuyez pas sur le bouton.
Il est évident qu’elle les avait vus et en a fait exprès. Les conducteurs et conductrices de ce car ne sont pas aimables avec la clientèle. Celle-ci est la pire. J’appuie sur le bouton rouge pour lui indiquer qu’elle doit s’arrêter au terminus.
Je quitte au plus vite Hendaye par la Marie-Louise qui traverse la Bidassoa pour un euro quatre-vingts. Nous sommes quatre passagers. Le capitaine du petit bateau est de bonne humeur pour commencer son service. Il nous débarque en Espagne à Hondarribia, ville que j’ai déjà visitée il y a douze ans et qui pourrait s’appeler « Mieux ici qu’en face ».
Fontarabie (comme on dit en français) me plaît à nouveau. J’en suis la promenade de bord de l’eau côté bateaux de pêche (il en reste peu) puis monte dans la vieille ville dominée par l'église Notre-Dame-de-l'Assomption et le château de Charles Quint, celui-ci étant devenu un hôtel de luxe. C’est l’heure de la recréation pour les écoliers espagnols. Si l’on aperçoit un moutard dans la rue, c’est qu’il est français. Cela me permet d’éviter de loin mes compatriotes. Ce n’est pas toujours possible et alors il me faut entendre des choses comme : « Maman, tes varices, c’est à cause de l’accouchement ? ».
Je redescends vers le quartier des pêcheurs. En retrait de la mer, il est composé de petites rues bordées de maisons typiquement colorées où sèchent le linge. L’une expose six culottes blanches. C’est aussi le quartier des restaurants plus ou moins authentiques. Celui que je choisis est la Taberna Jatetxea « Hondar » dont le menu du jour est à quatorze euros tout compris même la taxe.
Au comptoir se trouvent des hommes du lieu. Ils boivent un verre de vin en grignotant des pintxos. Aux grandes tables en bois sont installés d’autres hommes dont certains à béret. Ils se contentent de boire en menant une conversation animée. Deux couples déjeunent tout comme moi. D’autres hommes encore prennent un verre de vin aux quelques tables de la terrasse et sont servis par une petite fenêtre qui s’ouvre en bout de comptoir. Je suis le seul Français, c’est rassurant. Qu’on y parle français aussi. Je sais donc ce que je vais manger : des haricots blancs avec une saucisse, des anchois d’Hondarribia façon traditionnelle, une pâtisserie locale à la crème, le tout avec une bouteille de vin blanc.
Le ciel est couvert quand je ressors. Quand la Marie-Louise arrive à quatorze heures quinze, elle est bondée. Le capitaine a maintenant un adjoint qui aide les familles à descendre. Nous ne sommes que des Français à faire la traversée vers Hendaye, ce qui n’est pas étonnant.
Un Huit Cent Seize à chauffeur peu aimable me reconduit à Saint-Jean-de-Luz.
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La compagnie Transports-Soixante-Quatre bénéficie d’une délégation de service public pour la ligne Huit Cent Seize. Elle travaille pour le Conseil Départemental.
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En fin d’après-midi, je passe à la réception de l’hôtel Ibis Budget de Ciboure afin de régler la fin de mon séjour. L’employé m’annonce que l’on m’offre les petits déjeuners à venir.
C’est ce qu’on appelle dans ce milieu un geste commercial. Minimal.
 

19 avril 2016


C’est un Huit Cent Seize qui me conduit ce lundi matin à Biarritz (Miarritze), précisément à Biarritz La Négresse, quartier où se trouve la gare, à trois kilomètres du bord de mer. La compagnie Transports-Soixante-Quatre n’a plus le droit de desservir le centre de la ville depuis quatre ans. « C’est politique. », m’a déclaré la guichetière comme si c’était une explication suffisante.
Cet arrêt, La Négresse, n’est même pas devant la gare mais sous une bretelle d’autoroute. Je trouve à proximité le bus Huit qui, moyennant un euro et une longue patience, m’emmène jusqu’à l’Hôtel de Ville. Son aimable conductrice m’indique de quel côté trouver la plage, déjà vue il y a douze ans.
Il fait gris. Je parcours la promenade du bord de mer entre le phare et le rocher bétonné de la Vierge, passant par le Grand Hôtel, le Casino, le vieux petit port et ses gargotes à touristes, tout ce que l’on trouve dans ce genre de ville où se côtoient de riches indigènes et des pauvres exogènes. Deux filles habillées pour l’été se font chouter par des garçons photographes. Un municipal utilise une bruyante souffleuse à feuilles pour envoyer le sable hors de la promenade. Le cousin de Sisyphe sur son tractopelle jaune en remonte des tonnes. L’église orthodoxe est fermée : il y a douze ans, je ne pus davantage y entrer car c’était un dimanche et s’y tenait une cérémonie fort fervente.
Pour déjeuner je comptais sur Chez de Bonnechose, avenue de Verdun, la maison tenue par Monsieur le Comte Hubert de Bonnechose et par Madame la Comtesse, qui y faisaient menu à onze euros en deux mille quatre. Hélas, cette véritable noblesse a rendu son tablier. Leur restaurant est remplacé par une modernité républicaine à prix peu démocratique, qui plus est fermée le lundi.
Je me rabats sur le bar brasserie pizzeria Arroka dont la terrasse offre une vue sur la mer à côté du Casino où j’aurais pu gagner jusqu’à un million d’euros si j’y étais entré. Pour treize euros cinquante, j’ai droit à la pizza Pronto avec ses trois olives, à une terrine banane chocolat, à un quart de vin rouge et à un café. En suppléments gratuits, je peux regarder le Biarrot et la Biarrote descendre à la plage ou en remonter et écouter la conversation de deux filles futiles, mes voisines. Elles parlent de la vie sentimentale de la pipeule Nabila (« C’est vrai que la célébrité, ça doit être tellement chiant. ») puis des séries qu’elles regardent en ce moment. L’une adore celle qui raconte la vie d’un homme qui a un cancer.
Le soleil est maintenant rayonnant, je pourrais refaire avec un ciel bleu les photos que j’ai faites avec un ciel gris, mais je préfère quitter Biarritz, ville pentue. Je retrouve donc le Huit. Conduit cette fois par un jeune homme à catogan, il me ramène près de la bretelle d’autoroute où je n’ai que vingt minutes à attendre le prochain Huit Cent Seize.
Peu avant l’heure indiquée du passage de ce car, une petite voiture se gare sous la bretelle. En sort une jeune fille à bagages et élégant manteau marron qui installe un pare-soleil sous son pare-brise puis me rejoint sous l’abri. Assise sur le banc, elle fouille à la fois dans son sac et dans son téléphone.
-Vous êtes stressée, lui fais-je remarquer.
-Oui, me dit-elle avec un sourire.
Elle m’explique qu’elle rejoint son ami à Madrid et pour cela elle doit prendre ce car  jusqu’à la gare d’Hendaye, puis le Topo jusqu’à la gare d’Irun, enfin le train pour Madrid. Pourquoi ne pas s’être rapprochée davantage de la frontière avec la voiture ? Elle ne connaît pas assez Hendaye et préfère donc la laisser ici bien garée dans un endroit gratuit.
Nous devisons ainsi jusqu’à ce qu'arrive avec un peu de retard notre car. Il me dépose à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz. Nous nous disons au revoir à travers la vitre. Il y a un garçon à Madrid qui a bien de la chance.
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« Biarritz, lieu bien connu des lecteurs de Nabokov. En effet il a finement décrit cette station balnéaire où les Russes Blancs venaient séjourner avant 1917, et notamment la Grande Plage où, en 1909, il « se trouva, un jour, en train de creuser, côte à côte avec une petite fille française nommée Colette », son « premier amour ». Biarritz fut donc un lieu où l’écrivain a fait l’une de ses premières expériences sensorielles et émotionnelles intenses, et aussi une source de perceptions sensibles d’une grande richesse : rochers grimaçants, papillons colorés, son de la langue basque, brise qui sale les lèvres, pieds dans le « sable farineux », vagues turbulentes, odeur de pin de la cabine de bain, et goût de « la glace à la pistache d’un vert divin » en un tourbillon sensoriel qui sature la nouvelle « Premier Amour » (également le chapitre VII d’Autres Rivages). » (Extrait du texte de présentation de « Les sens font-ils sens ? » : les cinq sens dans l’œuvre de Nabokov, colloque international organisé par la Société Française Vladimir Nabokov à Biarritz du vingt-huit avril au premier mai deux mille seize.)
 

18 avril 2016


Le Basque bondissant de dix heures ne transporte ce dimanche qu’un jeune trio qui veut « faire la Rhune » et moi-même qui vise à déjeuner à la Venta Antton sise à la frontière entre la France et l’Espagne, ouverte seulement le ouiquennede hors saison. Pour ce faire, resté seul avec le chauffeur, je descends au terminus : Grottes de Sare.
Ignorant cette curiosité naturelle, je prends pédestrement, derrière le parquigne, la petite route qui grimpe raide dans la montagne et suis les panneaux marqués Benta Antonen.  J’y arrive vers onze heures, avise le patron et lui retiens une table pour midi. En attendant, je poursuis le chemin. Il conduit vers le centre de Zugarramurdi situé à trois kilomètres. Ce village espagnol possède aussi des grottes. Je m’arrête avant de les atteindre, m’assois sur un banc face aux sommets et lis un peu Mugnier.
Cinq minutes avant midi, je suis de retour devant la maison isolée sur le mur de laquelle pousse une glycine fleurie. De l’autre côté, sur une vaste terrasse, de solides et grandes tables en pierre attendent les clients. Sur la plus haute, une seule assiette, c’est ma place. Le soleil du matin a disparu, le vent est friquet, des nuages menacent de pluie, on me demande si je préfère être dedans mais ici l’intérêt, c’est de manger dehors face à la montagne, dominant la vallée, apercevant au loin le village de Sare. Ce que font aussi d’autres qui arrivent tous en voiture. Je bois une sangria en attendant que le service démarre.
-Vous connaissez la maison ? me demande la serveuse.
-Oui, je suis déjà venu il y a douze ans.
-Ça n’a pas changé, me dit-elle.
C’est vrai. En entrée c’est une assiette chorizo jambon asperges, puis ce sera une omelette. J’opte pour celle aux cèpes.
Un retraité aveyronnais demande au patron si on est en Espagne ou en France.
-En Espagne, lui dit-il, vous avez franchi la frontière en passant le ruisseau.
Il y a douze ans, un quidam avait posé la même question et un jeune serveur, c’était l’été, lui avait répondu :
-Vous êtes au Pays Basque.
-Oui ça je sais, mais on est en Espagne ou en France ?
-Monsieur, ici vous êtes au Pays Basque.
Ce quidam comprit qu’il n’avait pas intérêt à poser une troisième fois la question.
Aujourd’hui c’est différent et c’est vrai qu’on est en Espagne, cette venta (benta) est officiellement située dans la commune de Zugarramurdi.
Un couple de filles a droit à une petite table en bois. Celle qui est féminine prend les deux sangrias, les pose sur une grande table en pierre et les photographie avec en arrière-plan sa copine masculine expliquant au téléphone à je ne sais qui comment c’est bien d’être ici.
Quatre étudiant(e)s s’installent à la table voisine : une Espagnole, un Espagnol, une Française et une Anglaise. Cette dernière est bien compliquée au moment de choisir son menu, mais elle prend une sangria. Le thé, c’est pour la Française. Je commande un deuxième pichet de vin rouge Don Hugo. En dessert, c’est une bonne part de gâteau basque. Ici la nourriture n’a rien d’exceptionnel, c’est le lieu qui l’est. Au-dessus de nos têtes tournent parfois des vautours.
Quand elle m’apporte l’addition (vingt et un euros, soixante-dix centimes pour ce qui est du café), la serveuse m’annonce que la sangria m’est offerte par le patron.
-C’est gentil, vous le remercierez de ma part, je reviendrai dans douze ans.
Je trouve un joli chemin empierré pour rejoindre les grottes de Sare. Il me permet de photographier la venta Antton d’en contrebas. Arrivé au bout, je lis Mugnier en attendant mon Basque bondissant. Nul n’en descend. Je suis à nouveau seul avec le chauffeur jusqu’à la Rhune où monte un couple de retraités.
Rentré vers seize heures à l’hôtel, j’y trouve ma chambre non faite. Au moins semble-t-elle indemne de punaises de lit, mais qu’en est-il de mes bagages, notamment de ma valise. Ces sales bestioles pondent des œufs qui éclosent trois semaines plus tard. En avoir à la maison serait une plaie totale.
                                                              *
Autrefois, une venta était une maison de contrebandiers. Construite sur la frontière, la marchandise y entrait française par la cuisine et ressortait espagnole par la salle sans droits à payer, et réciproquement.
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Après Zugarramurdi, c’est Urdax (Urdazubi), beau village basque espagnol où j’ai déjeuné en solitaire au moins deux fois il y a douze ans au bar restaurant Indianoa-Baita tenu par un homme d’un certain âge. Installé le long d’un bief à une petite table, j’avais droit à une bouteille de vin posée dessus. Il me fallait m’allonger un bon moment sur un banc avant de pouvoir reprendre la voiture. « Le patron a envie de prendre sa retraite. Ne nous en voulez pas si, un jour, la porte est fermée. » écrivait le Routard en deux mille quatre.  
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-Est-ce que c’est vous le car pour la manif de Bilbao ?
Question posée par deux femmes au Basque bondissant ce matin. Ce dimanche se tenait là-bas une manifestation féministe internationale. J’en ai photographié l’affiche à Saint-Sébastien, rue Juan de Bilbao.
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Où que l’on soit le dimanche dans ce qu’on appelle la nature : un foutu conducteur de couade.
 

17 avril 2016


Ce samedi prévu pour être une journée de pause fait bien de l’être. En effet, je suis victime à l’Hôtel Ibis Budget de Ciboure de ce à quoi je ne pensais pas : des punaises de lit (ou puces de lit). Il paraît qu’on en trouve dans les meilleurs hôtels et les plus propres.

Au matin, je signale ce gros désagrément à l’un des responsables. Il semble étonné mais pas plus que ça. D’ailleurs, il y a une procédure à suivre dans pareil cas : changer le client de chambre et envoyer tous ses vêtements à la laverie.

Je perds la chambre Cinq Cent Sept avec vue sur le port, la plus grande et la mieux située, pour me retrouver dans la Deux Cent Une, petite, proche de l’ascenseur et donnant côté rue sur un immeuble de six étages de style néo basque. Mes vêtements, sauf ceux que je porte qui subiront le même sort ultérieurement, partent à la laverie, retour prévu dans la journée.

Je vais faire le tour de port, bois un café au Vauban puis déjeune à Saint-Jean (comme on dit) d’une salade au jambon de Serrano à la pizzeria Dolce Vita tenu par un couple discret, lui en cuisine, elle en salle (treize euros avec un quart de vin blanc et café). Ensuite il se met à pleuvoir et je rentre dans ma petite chambre en espérant des temps meilleurs.

Cela pourrait être pire : j’aurais pu me casser une clavicule. Et heureusement, je ne fais pas partager à quelqu’une cet épisode assez peu glamour.

*

Un quinquagénaire à un autre au Vauban :

-Je vais l’enlever. C’est dangereux. Parfois tu peux être amené à l’ouvrir, comme ça, avec n’importe qui et c’est dangereux.

Il ne parle pas d’un quelconque bricolage dont il serait l’auteur, mais d’une photo pornographique à l’accueil de son téléphone.

-Avec toi je m’en branle, je peux te la montrer, tiens regarde. Allez, je vais l’enlever tout de suite. C’est dommage. Elle a été bien gentille de bien vouloir être prise comme ça. »

*

Proverbe basque : « Au bout de trois jours, le poisson et l’hôte sentant mauvais, sont à jeter dehors. » (à propos notamment des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle passant par Saint-Jean-de-Luz)

*

Le Comité de Vigilance ayant été choqué de me voir écrire « l’autocar de la compagnie Transports-64 », je lui ai présenté mes plates excuses. Il s’agissait de « l’autocar de la compagnie Transports-Soixante-Quatre ». Correction a été faite.

Je l’avais fait parce que c’est une raison sociale, mais c’est une mauvaise raison, dont par le passé je n’ai pas tenu compte.


16 avril 2016


Ce vendredi, à l’abri d’une petite pluie, j’attends à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz qu’arrive le Huit Cent Seize, l’autocar de la compagnie Transports-Soixante-Quatre qui fait la liaison Bayonne Hendaye. A huit heures huit, j’achète à sa conductrice un billet jumelé avec le Topo qui fait la liaison Hendaye Saint-Sébastien (San Sebastián ou Donostia), cinq euros pour le tout, aller et retour, dix kilomètres en France, vingt kilomètres en Espagne.
Ce Topo part de la gare d’Hendaye toutes les demi-heures, à trois et à trente-trois. C’est, je le découvre, un véritable métro, moderne, d’un joli gris, où l’on peut mettre son vélo. Son nom signifie la taupe, mais heureusement il ne la fait pas tout le temps. Où donc dois-je descendre ? Je ne le sais pas. Plus il s’emplit de voyageurs, plus je me le demande. Je montre mon plan de la ville aux deux dames espagnoles qui sont mes voisines. Elles ne me comprennent pas. Heureusement, un autre voyageur vient à mon secours. C’est un Français expatrié (comme on dit).
-Là où je descendrai, vous descendrez, me dit-il
Il m’explique que je devrai aller par la rue Easo. Au bout sera la plage, à droite le port et la vieille ville. Tout cela n’est pas loin, c’est une petite ville.
Lorsque nous descendons, il me demande d’où je suis.
-Ah Rouen ! J’en ai de bons souvenirs. Quand j’habitais à Paris, j’y avais une fiancée. Je prenais le train chaque week-end pour aller la retrouver.
Je remercie ce compatriote, lui souhaite une bonne journée et fait comme il a dit. Je suis déjà venu ici, il y a plus de dix ans, en voiture, et me souviens du port où se tenait un rassemblement de nationalistes énervés, l’une des leurs venait de se suicider dans une prison française. Je reconnais aussi les rues de la vieille ville, assez semblables à celles de Bilbao, retrouve les églises et la place de la Constitution aux fenêtres numérotées jusqu’à cent quarante-sept. Une vieille femme est à la sienne où est accrochée une cage à oiseau. Celui-ci chante à tue-tête, un peu plus tard quand je repasse par là.
Les cafetiers et restaurateurs terminent d’installer leurs terrasses sur cette place hautement touristique. Ce n’est pas chez l’un d’eux que je déjeune mais dans la petite rue Juan de Bilbao où se concentrent les tenants de l’indépendance du Pays Basque, chez Suhazi. La salle de restaurant est à l’étage. Ses nombreuses fenêtres sont à carreaux de verres dépolis. Un homme y mange avec son journal. Deux femmes s’installent tout au fond pour se dire des secrets. J’ai déjà mangé ici autrefois sur le conseil du Routard. Cette fois je suis déçu : une crêpe à la sauce blanche, du porc pané à la sauce blanche, une mousse de citron, rien de bon. La cuisinière fait aussi le service. Je paie treize euros trente, vin et café inclus, laisse un euro soixante-dix pour le service.
Dans l’après-midi, lassé de cette ville qui m’avait pourtant fait de l’effet la première fois,  je retrouve le point de départ des métros et monte dans celui pour Hendaia.
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Donastia est, cette année deux mille seize, la Capitale Européenne de la Culture. Cela ne se voit pas.
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Dans le Huit Cent Seize, pour annoncer les arrêts, la voix féminine que l’on entend est la même que celle des transports en commun rouennais. C’est un phénomène paranormal.
 

15 avril 2016


Saint-Pée-sur-Nivelle (Sempere) est bien mal desservie par le Basque bondissant, une seule occasion d’y aller par jour en fin de matinée avec retour en tout début d’après-midi, inutile de songer à y déjeuner.

J’y vais néanmoins ce jeudi avec un chauffeur qui n’est pas sur sa ligne habituelle et va donc prudemment, un Basque mollissant. Après être passé au hameau d’Ibarrun par l’un des plus laids ronds-points de France (une sculpture représentant une immense chistera en est la décoration, que j’ai prise de loin pour un épi de maïs tordu), il me dépose au centre du village derrière le trinquet.

Je fais quelques photos des plus belles maisons du village et de son église fortifiée puis je retourne attendre le car. A deux heures moins le quart, je suis de retour à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz. Je n’ai encore déjeuné si tard. On m’accepte au restaurant proche nommé Txantxangorri, maison basque à grande salle dont les poutres sont peintes en blanc. Des gens du pays y finissent leur repas. Le menu est à treize euros : tarte tatin de carottes, brochette de bœuf avec frites, panna cotta à la poire. Cela ne vaut pas la cuisine espagnole d’hier mais c’est correct. Avec un quart de vin rouge, cela fait seize euros.

Le café, je vais le boire avec l’abbé Mugnier en terrasse au Café de la Marine, où se font sentir de brusques coups de vent. Il fait lourd. Le spectacle d’un orage depuis la fenêtre de ma chambre de l’Ibis Budget me siérait.

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Au bout du pont, côté Saint-Jean-de-Luz, entre voie routière et voie ferrée, avec autorisation de quarante-huit heures, s’agglutinent les campigne-cars les uns contre les autres, dont les propriétaires n’ont vue sur rien d’autre que l’écran de télévision.

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Où se cache donc le poisson ? Neuf jours que je fais à pied le tour du port de Ciboure/ Saint-Jean-de-Luz d’où sortent et reviennent les bateaux de pêche et je n’en ai pas vu un seul sur le quai. Tout doit se passer du côté des hangars de la Coopérative Maritime.

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On discute au Vauban des problèmes du rugby local. Ciboure manque de joueurs et en demande à Saint-Jean-de-Luz. « On va quand même pas obliger des joueurs de Saint-Jean à aller jouer à Ciboure ! »


14 avril 2016


Le terme un peu désuet d’excursion figure sur le car du Basque bondissant qui se présente à neuf heures trente, ce mercredi, à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz. C’en est une, consistant à passer la journée à Bilbao pour trente-sept euros, aller et retour, entrée au Musée Guggenheim incluse.
Nous ne sommes pas que des vieux dans le car. On y trouve aussi un jeune couple et des familles à grandes filles. J’ai en tête la Bilbao Song chantée par Yves Montand (paroles de Boris Vian) et aussi des regrets. Si le monde était mieux fait, c’est avec celle qui va bientôt encore une fois éclairer l’exposition consacrée au grand architecte américain (cette fois à Venise) que j’aurais dû visiter le Musée Guggenheim.
Le car prend la route de la corniche jusqu’à Hendaye, puis c’est Irun et l’Espagne, l’autoroute, à doubler des camions et à enfiler des tunnels. De part et d’autre sont des constructions diverses dont le point commun est l’inesthétique. Peut-être s’est-on inspiré de la nature, la montagne ici n’est pas belle.
A onze heures vingt, dix minutes avant l’arrivée  à Bilbao, nous faisons une pause. Notre chauffeur distribue les contremarques permettant d’obtenir une entrée au Guggenheim (comme il dit). « Je vais vous déposez dessous et je vous reprendrai au même endroit à dix-sept heures quinze, ceux qui seront en retard rentreront en taxi. »
Bilbao fait en apparence honneur à sa réputation de ville moche mais en y regardant mieux c’est contestable et soudain surgit le bâtiment de Frank Gehry. Je m’empresse de semer mes compagnes et compagnons d’excursion et suis rapidement muni d’un vrai billet. Nulle fouille de sac à l’entrée, celui-ci est scanné au vestiaire. Comme à la Fondation Vuitton, toute en transparence, il s’agit de se perdre dans les trois niveaux du bâtiment dont les quelques ouvertures vers la lumière ne sont pas apparentes de l’extérieur.
Au niveau Un est montrée l’installation monumentale et labyrinthique de Richard Serra La matière du temps dans laquelle s’amusent des scolaires du pays et les Shadows d’Andy Warhol que je suis content de retrouver après leur première vue au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Au niveau Deux, c’est la grande exposition Louise Bourgeois Structures de l’existence : les cellules. Au niveau Trois, ce sont quelques chefs-d’œuvre de la collection permanente, des classiques de l’art moderne, américains surtout.
Je fais une quantité de photos du bâtiment puis, au bout d’une heure et demie, ressors et, muni d’un plan détaillé, je longue la rivière pour atteindre la vieille ville. Mon Guide du Routard de deux mille quatre y signale un restaurant qui n’existe plus, mais dans la même rue, calle Jardines, un menu à treize euros tout compris me fait signe, celui du restaurant Zeruan. La salle est très chic, belle vaisselle et nappes en tissu blanc. J’y suis accueilli par une jeune serveuse qui ne parle pas français, me dit-elle, mais comme je ne comprends pas non plus l’anglais, elle ose s’y mettre et fort bien, me traduisant le menu. J’opte pour paella, entrecôte et coupe de glace au chocolat. Il est une heure et demie. Seuls des Anglais m’ont précédé. Les Espagnols arrivent vers quatorze heures, de tous les âges et de tous les milieux sociaux. Une dame vêtue de rouge pourrait faire reine d’Angleterre. J’ai pour moi seul une bouteille de vin dont je ne boirai pas plus de la moitié. C’est copieux et excellent (quelques grains de gros sel sur une entrecôte peuvent faire beaucoup), servi avec le sourire de celle qui quand je lui dis « merci » me répond « avec plaisir ». Après le café, elle m’apporte l’addition : treize euros. Je lui laisse deux euros pour le service en espérant que c’est conforme à l’usage.
Sorti de là, je flâne dans les vieilles rues piétonnières étroites et sombres, certaines à linge qui sèche et à drapeaux basques revendicatifs. J’y croise le sosie de Marguerite Duras vieille, aussi petite que la défunte, une baguette de pain sous le bras. Puis je longe à nouveau la rivière par l’autre rive afin de photographier le Musée dû au grand architecte américain avec un recul suffisant. En chemin, je trouve un pissoir qui aurait beaucoup plu à Henry Miller et j’en fais usage. Assis sur un banc, face au Guggenheim, j’en lis la brochure et apprends que le billet d’entrée donne droit d’y retourner toute la journée. Ce que je fais illico.
A dix-sept heures, je retrouve le car. Notre chauffeur discute d’art avec deux vieilles qui ont préféré le Musée des Beaux-Arts.
-Le problème, dit-il, c’est qu’ils ont fait un beau bâtiment mais ils ne savent pas quoi mettre dedans, Ils prennent un bout de bois et un bout de fer, ils les mettent ensemble et ils disent que c’est de l’art.
Le n’importe quoi que l’on entend un peu partout. Je ne m’en mêle pas. Ce que j’attends de ce chauffeur de car, c’est qu’il me ramène à Saint-Jean-de-Luz. Il le fait vite et bien, se déjouant d'un interminable embouteillage de camions à la frontière.
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A l’extérieur du Musée Guggenheim : une araignée géante de Louise Bourgeois, des tulipes de Jeff Koons et l’énorme chien végétalisé nommé Puppi du même, la mascotte de Bilbao, une horreur canine et florale.
                                                       *
Je n’aurais eu l’occasion d’emprunter ni le Bilbobus ni le Bilboat
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Vieille lune de Bilbao
Que l'amour était beau
Vieille lune de Bilbao
Fume ton cigare là-haut
Vieille lune de Bilbao
Jamais je te ferai défaut
 

13 avril 2016


Ce mardi, à neuf heures trente, je suis à nouveau dans le car de la compagnie Citram Pyrénées qui mène à Hendaye par la corniche. Le chauffeur me laisse à ma demande dans Urrugne (Urruña) à l’arrêt Putillenea face à un magasin Lideule grand et propre où je fais quelques emplettes.
Boudant le centre du bourg, trop loin, et muni d’un plan détaillé, je me mets en route pour rejoindre le sentier du littoral. Un gars du pays croisé dans un chemin incertain et sentant autant le tabac que l’alcool m’aide à ne pas me perdre.
-Vous allez au bout de c’te route, vous tapez le stop, là vous prenez à gauche et vous y serez, à la corniche.
Il s’avère que c’est plus loin que je ne croyais et que les renseignements sont exacts. Dominant les vagues qui s’écrasent sur la falaise, je longe cette corniche par le sentier qui longe lui-même la route qui mène d’Hendaye à Socoa, quartier lointain de Ciboure, connu pour son fort où Vauban a mis la main et qui abrite désormais un cleube de voile.
Quand j’y arrive, je prends un café à la terrasse de Chez Margot, l’un des restaurants du port de plaisance, tous proposant des menus touristiques à haut prix
Je préfère à midi déjeuner au Café de la Plage qui est séparé de celle-ci par la route mais possède une terrasse arborée et abritée du vent. Le menu du jour a pour nom « au boulot ». Il se compose d’un velouté de champignons, de rôti de porc à la provençale savamment présenté et d’une étroite part de tarte aux pommes. Malgré le nom de ce menu et les quelques travailleurs qui mangent là, nous ne sommes pas dans un restaurant ouvrier, le chef doit même avoir fait une école hôtelière. Le pichet de vin blanc est si peu cher que je me laisse aller au demi. Un café pour finir et ça fera dix-neuf euros cinquante.
Pour rentrer c’est à pied par le chemin qui longe la côte et rejoint le port de Ciboure.
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Chez Margot, évocation du dernier prêtre à soutane et à béret du lieu par un qui a eu à le connaître. Un vieux curé qui était méchant et qui est mort brûlé dans sa voiture. On n’a jamais su pourquoi ni comment. « C’est le diable qui l’a puni. »
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Devant le café Le Vauban (et ailleurs dans Saint-Jean-de-Luz), des parcmètres équipés d’un détecteur de métal offrent vingt minutes de stationnement gratuit. Quand une voiture se gare devant l’un d’eux, un compte à rebours vert démarre. Au bout des vingt minutes, le feu passe au rouge et l’agent verbalisateur peut sortir son carnet s’il est par là.
Astuce pour réinitialiser le compteur : quitter apparemment son emplacement puis d’un créneau s’y garer à nouveau.
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Comment résister à la tentation d’entrer chaque jour à la Grillerie du Port où la vente de livres d’occasion de mes amis du Rotary de Saint-Jean-de-Luz/Ciboure se poursuit jusqu’à samedi prochain, tous les livres étant à un euro?
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Peut-on laver des vêtements avec du gel douche, il semblerait que oui.
 

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