Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

13 mars 2017


Longtemps que j’ai mon billet pour la représentation de ce samedi dix-huit heures au Théâtre des Deux Rives de L’île des esclaves de Pierre Carlet Chamblain de Marivaux par la Compagnie Akté. Je remonte la rue Louis-Ricard suffisamment en avance pour être sûr de pouvoir m’asseoir à ma place préférée. Pas moins de trois vigiles sont de garde à l’entrée. Une fois franchi l’obstacle,  je n’ai plus qu’à attendre.
Un groupe d’aveugles, certains avec chien, d’autres sans, passe prioritairement afin de se faire équiper du matériel nécessaire à une audiodescription. Quand nous autres, voyant(e)s, les rejoignons, je n’ai aucun mal à m’asseoir où je voulais. Sur scène est un duo jouant de la musique planante devant les écrans de contrôle du théâtre. L’un de ces écrans montre l’entrée. Nous voyons ainsi entrer les ultimes spectatrices et spectateurs. Les vigiles ne sont plus en poste quand se présente un jeune homme à gros sac. A peine ai-je le temps de m’inquiéter que je comprends qu’il s’agit d’un des personnages de la pièce, Arlequin, bientôt poursuivi dans la salle par son maître Iphicrate. A la suite d’un naufrage, ces deux-là sont arrivés sur l’île des esclaves où ils vont devoir, à la demande de Trivelin, magistrat du lieu (ici joué par un comédien et une comédienne) et en guise de bonne leçon, échanger leur fonction, Il en est de même pour la servante Cléanthis et sa maîtresse Euphrosine. Après une tentative ratée des inversé(e)s du bas (esclaves devenus maître et maîtresse) pour séduire amoureusement les inversé(e)s de l’autre sexe du haut (une chanson de variété du vingtième siècle est appelée à la rescousse) et après excuses des dominant(e)s et pardon des dominé(e)s, chacun(e) retrouve son rôle social, ce qui convient bien à Arlequin et moins à Cléanthis.
Arlequin, c’est le talentueux Nadir Louabib, et Cléanthis, la talentueuse Manon Thorel, deux très bonnes découvertes. J’aime aussi la mise en scène d’Anne-Sophie Pauchet et son recours pertinent aux images des caméras de surveillance, ainsi que l’habillage musical écrit et interprété par le duo Maxime Liberge et Juliette Richards. Cette dernière manie fort bien la guitare électrique. Son interprétation finale du Just a Perfect Day de Lou Reed me donne envie de la voir dans l’une des formations où elle joue et chante, The Tinun’s, Golden Gloss and the Cannon, 13th Procession et The Family Three, des groupes du Havre peut-être parfois invités à Rouen.
                                                                  *
Deux commerçants du marché, dimanche matin, au café Le Clos Saint-Marc. L’un à l’autre :
-J’suis emmerdé pour aller voter. Je trouve personne pour la procuration. J’suis dans un tout p’tit village. J’y connais qu’un gars, que je fais travailler de temps en temps, mais c’est un gauchiste de première. J’vais pas lui dire pour qui je vote. Et puis, il le f’rait pas.
 

11 mars 2017


Une série de portraits un peu gribouillés signés Pardou me donne envie d’aller ce vendredi à dix-huit heures au vernissage de son exposition à la Galerie Soixante-Quinze, située à ce numéro de la rue Bouvreuil. Le lieu est petit. Il est déjà occupé par un groupe d’hommes et de femmes liés à l’endroit, ou bien à l’artiste, et par un très gros chien. La série de portraits n’est pas représentative de ce que peint l’exposé. Ça ne m’intéresse pas. M’apprêtant à ressortir, je suis interpellé par l’un des présents qui essaie de me retenir en me disant que le peintre est ici. Il me montre l’homme assis dans le fauteuil (j’ai cru un moment que c’était le chien couché à ses pieds). Oui merci, lui dis-je, au revoir.
Deux heures et demie plus tard, je pousse la porte du Trois Pièces, place du Général, où Tallisker et Lascaux doivent donner concert. Je ne viens que pour la première. La salle du bar est minuscule. Elle est largement occupée par le matériel musical. Une dizaine de scotchés sont au comptoir devant une pinte et un barman indifférent à ma présence. Aucune place pour moi ici, je n’ai même pas à dire au revoir, n’avant pas eu l’occasion de dire bonsoir.
Ce vendredi était un jour où j’avais envie de sortir (comme on dit).
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La thème de la discussion des quinquagénaires et sexagénaires présents dans la Galerie Soixante-Quinze : le sexisme dans la publicité. Toutes et tous sont d’accord, surtout les hommes, pour dénoncer les publicitaires qui utilisent des femmes plus ou moins déshabillées pour vendre de la marchandise. L’un d’eux donne l’exemple choquant d’une publicité d’autrefois pour des cuissardes de pêche dans lesquelles était une femme nue.
Je serais prêt à parier qu’à l’époque (comme il dit) cette image le faisait bander.
                                                             *
Un livre qu’il va falloir que je trouve : Endetté comme une mule d’Eric Losfeld, republié chez Tristram, dans lequel l’éditeur raconte ses souvenirs.
Son dépucelage comme échantillon :
Je n’arrivais pas à me con-joindre, et n’eus pas le temps d’entrer dans la cathédrale que les cloches se mirent à sonner. Le bis repetita fit que je pus prétendre n’être plus un puceau, mais se réalisa avec la même brièveté qu’une lettre de Jean Paulhan.
Elle avait vingt-six ans. Il en avait treize. Cette histoire se passerait aujourd’hui, elle irait en prison avec l’assentiment d’une grosse majorité de la population.
                                                            *
Surprise émouvante de trouver, en fouillant ce vendredi matin dans les cartons de livres d’un déballeur de la place Saint-Marc, Sarane Alexandrian ou Le grand défi de l’imaginaire de Christophe Dauphin (L’Age d’Homme). En couverture, une photo d’Alexandrian assis à son bureau, là où je l’ai vu de nombreuses fois, dans son appartement parisien de la rue Jean-Moréas.
D’autres livres retiennent mon attention : Siegfried Kracauer, itinéraire d’un intellectuel nomade d’Enzo Traverso (La Découverte), un exemplaire avec envoi de l’auteur, daté de deux mille six, à Sandrine Treiner qui n’était pas encore Directrice de France Culture : « en souvenir amical, vous aviez corrigé les premiers chapitres de ma thèse, si ma mémoire est bonne. » et Après tout (entretiens sur une vie intellectuelle) de René Schérer et Geoffroy de Lagasnerie (Cartouche), un exemplaire avec envoi de ce dernier à la même : « Pour Sandrine Treiner, très cordialement ». Comment sont-ils arrivés là ?
Dans le livre des Editions Cartouche une carte professionnelle, celle du Cabinet Pierrat, Avocats à la Cour. Cela parce qu’Emmanuel Pierrat (qui autrefois fut peu satisfait de ma relation de sa venue à Rouen) a créé cette maison d’édition en deux mille quatre, laquelle a été liquidée en deux mille douze.
-C’est deux euros le livre, me dit le vendeur, si vous me prenez tous les cartons, je vous fais un prix.
Je crois qu’il plaisante. Il n’en est rien. Malheureusement, les centaines d’autres livres ne peuvent m’intéresser.
                                                           *
« Témoin d’une époque aujourd’hui révolue, Schérer nous promène au fil de ses rencontres philosophiques, amoureuses et politiques. » (Communiqué de presse de l éditeur). René Schérer est aussi le frère d’Eric Rohmer.
 

10 mars 2017


Je me fais une fête de la venue à Rouen ce mercredi de Gilbert Shelton, l’un des deux piliers de la bédé alternative américaine des sixties et seventies, l’autre étant Robert Crumb. Je les lisais l’un et l’autre avec grand plaisir dans Actuel et les ai perdus de vue quand la revue de Jean-François Bizot a cessé de paraître, au point de ne pas savoir que Shelton vivait à Paris depuis des décennies. Sa venue au Cent Six pour le vernissage de l’exposition qui lui est consacrée n’est donc pas un exploit mais je ne marche pas moins d’un bon pas sous le parapluie jusqu’à la lointaine Scène de Musiques Zactuelles.
Shelton est déjà là, élégant barbu, chapeau et bretelles fines, portant bien ses soixante-seize ans. Sur fond de musique de sa jeunesse et de la mienne, il se met au travail, dessinant à la demande sur les livres achetés au stand de la librairie Au Grand Nulle Part, concentré et silencieux. Je ne suis pas tenté.
Je vais voir les planches disposées dans les couloirs qui donnent accès à la grande salle, la plupart en anglais, quelques-unes en français, retrouvant avec joie celles des Fabuleux Freak Brothers, où sont narrées les aventures du trio de drogués anti-travail composé de Franklin, Phineas et Fat Freddy, ainsi que Crazy Cat, où s’épanouit le chat déjanté de ce dernier, héros d’histoires annexes.
Sur l’une de ces planches, on voit le trio occupé à écrire des messages subversifs sur les murs d’une rue déserte. Fat Freddy se plaint : « Cette bombe ne marche pas ».  « C’est parce qu’elle est de la même couleur que le mur », lui répond Phineas. Passe une vieille qui s’en prend à eux. Ils lui expliquent qu’il s’agit d’éclairer les esprits. Vous croyez qu’il passe des gens par ici ? s’étonne-t-elle, ok passez-moi votre bombe : « Ma petite Kitty a eu des chatons, je les donne jusqu’à dimanche. Après je les noie dans les WC. S’adresser chez l'épicier pour plus de détails. »  Je suis ravi de constater que Shelton me fait encore rigoler.
Il dessine toujours avec la même application, pour des admirateurs qui le regardent comme s’il était Dieu le Père ou au moins le Messie, quand je vais au bar. Le kir y est gratuit ce soir. J’en prends un, puis un autre, considérant d’un œil le sportifs qui s’épuisent sous la pluie le long de la Seine et de l’autre les peu nombreux vernisseurs dont quelques-uns semblent être des neveux des Freaks Brothers. L’ambiance est coule et le vigile en civil. Un troisième kir serait périlleux.
A vingt heures, je trouve place au premier rang dans la petite salle où sur l’écran blanc s’inscrit « Gilbert Shelton sa vie son œuvre ». Celui-ci s’installe devant un public clairsemé sur un haut tabouret à côté du conférencier Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique à la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image. Derrière moi se retrouvent une femme venue sans son mari et un homme de sa connaissance. Les deux ont acheté un livre de l’invité.
-Il m’a fait un dessin, je lui ai offert une bière et je lui ai serré la main, dit-il. Ça me marque plus que tous les groupes de merde qui passent ici.
-Ça avait l’air chaud votre soirée de l’autre jour, ajoute-t-il.
-Je me souviens pas bien de la fin, lui dit-elle.
-Quand même les photos sur Facebook…
-On les a vite retirées.
-Heureusement ! Une fille de dix-sept ans n’a sûrement pas envie de voir la teub de son père dans un verre de bière.
Gilbert ne parle pas beaucoup, nous dit celle qui présente la conférence. Il montre qu’il n’en est rien, s’exprimant à chaque fois que le conférencier le sollicite, « comme un Texan ayant appris le français chez les Cajuns », nous dit-il. Il en né à Houston en quarante, a étudié à Austin où l’une de ses copines d’université était Janis Joplin, est parti pour quinze jours en Californie, y est resté quinze ans, a quitté les Etats-Unis quand Reagan est arrivé au pouvoir, est passé par Barcelone, s’est installé à Paris avec sa femme ici présente. Il y jouait du piano au sein d’un groupe une fois par semaine jusqu’à ce que le bar soit interdit de musique par le voisinage. Il publie avec Pic, Not Quite Dead, une série consacrée aux mésaventures d’un groupe de rock allant de galère en galère. « Pas encore mort », répète-t-il avec gourmandise.
A l’issue, le micro est offert aux questions et pour une fois j’en ai une, que je pose à Shelton après que Jean-Christophe Aplincourt, maître des lieux, a dit l’importance qu’a pour lui l’œuvre de l’invité, laquelle a bousculé la bande dessinée : « Est-ce que vous connaissiez Les Pieds Nickelés lorsque vous avez créé Les Freaks Brothers ou bien non ? » Je me doute de la réponse et il confirme. S’il connaît aujourd’hui Les Pieds Nickelés, il n’en savait rien alors. Jean-Pierre Mercier prend la parole pour expliquer que les trios sont fréquents dans la narration, dessinée ou autre, un chercheur a travaillé là-dessus, un nommé Propp. Ce n’est pas ce qui m’importe et je le lui dis : « Ils sont trois d’accord mais ce sont surtout, les uns et les autres, des anarchistes ». C’est aussi ce bavard qui répond à la place de Shelton quand un présent l’interroge sur la mise en couleur des planches, et se lance dans une explication technique soûlante. Une jeune femme pose la question des femmes peu présentes dans Les Fabuleux Freaks Brothers. Elle émet plusieurs hypothèses, dont celle que les femmes ne l’intéressaient peut-être pas beaucoup à cette époque. Cela fait rire l’invité, mais encore une fois le conférencier prend la parole. Il dément malgré l’évidence, trouve une image sur laquelle on voit quelques femmes pour prouver qu’il y en a, et se félicite que, contrairement à Crumb, Shelton n’ait jamais eu de problèmes avec les féministes. Cette réflexion montre bien que nous sommes en deux mille dix-sept.
Dans Les Fabuleux Freaks Brothers, les quelques filles sont souvent nues, occupées à baiser ou à bronzer dans le jardin ou bien encore courant poursuivies par les flics dans un champ de cannabis. Le chef des policiers est un abruti nommé Norbert the Nark. « C’est mon personnage préféré », nous dit Shelton, fort applaudi quand c’est fini.
Je rentre à pied par le bord de Seine désert. Il est vingt et une heures trente. Dans les péniches, les mariniers regardent la télé.
                                                              *
Si Shelton va bien, c’est qu’il n’a jamais mené la vie de ses personnages. En témoigne ce propos tiré de l’article que lui a consacré Gonzaï : « J’étais trop jeune pour être un beatnik et un peu plus âgé que les hippies quand tout cela a explosé. Je ne suis pas un dingue ; je suis plutôt un réac… ».
 

9 mars 2017


Pour ne pas manquer la venue de Gilbert Shelton au Cent Six, c’est ce mardi que je vais à Paris. Je constate à cette occasion que l’aveugle à la canne blanche impérative du mercredi prend aussi le train de sept heures cinquante-neuf la veille (et peut-être tous les autres jours de la semaine).
Si je trouve moins de monde que d’habitude chez Book Off à dix heures, c’est le contraire chez Emmaüs à onze heures. En dehors de ça, rien de changé. Je crains seulement que celles et ceux habitués à me voir le mercredi soient enclins à croire que leur semaine de travail est à moitié terminée alors qu’il n’en est rien.
Ce mardi m’évite aussi la pluie du lendemain. Je peux même prendre le soleil dans le square Maurice-Gardette avant d’aller déjeuner au Palais de Pékin. J’y lis, ou plutôt relis, les Cahiers de la Guerre et autres textes de Marguerite Duras (Pol/Imec), des écritures non destinées à la publication publiées de façon posthume. On y trouve la première relation de la rencontre de Marguerite Donnadieu, quatorze ans, avec celui qu’elle appellera plus tard le Chinois, ici nommé Léo. On le découvre tel qu’il était en réalité, très laid, le visage mangé par la petite vérole. C’est aussi un témoignage sur les terribles violences physiques et morales qu’a subies l’auteure de L’Amant de la part de sa mère et de son frère aîné.
Au Palais de Pékin, le buffet est toujours à neuf euros cinquante. S'y trouvent des habitués, dont des ouvriers du bâtiment couverts de poussière, ainsi que quelques clients de passage. Deux hommes qui s’y rejoignent s’installent à la table voisine.
-Elle n’est pas là Josette ? demande l’un à l’autre.
-Non, elle ne pouvait pas, mais elle vient à  la réunion après.
Je n’en saurai pas davantage.
A la fin du repas, une serveuse discrète m’apporte une serviette chaude.
L’après-midi, au Royal Bourse Opéra, je retrouve les fonds de tiroir de Marguerite Duras. Une note d’elle me met en joie :
On est mal sur une table ronde, les coudes ne reposent pas et on ne peut pas les appuyer pour se reposer d’écrire, et quand on écrit ils sont dans le vide, et si on ne s’en aperçoit pas tout de suite, on se dit : »Je ne sais pas ce que j’ai, je suis fatigué », et c’est à cause des coudes qui ne reposent pas sur la table.
                                                                             *
Que vois-je ? Des livraisons Deliveroo à mobylette et en scouteur ! Tu peux toujours t’aligner avec ta bicyclette.
                                                                             *
Parmi les publicités du métro, le dessin d’un jeune cochon terrorisé jouxté de cette revendication : « Coupons court à la castration à vif des porcelets ».
                                                                            *
A la gare Saint-Lazare, pour se faire connaître de qui il attend, un jeune homme porteur d’un écriteau « Omnivore ».
                                                                            *
« Aujourd'hui c'est aussi la journée de la femme en Inde ! » s’étonne ce mercredi matin la Sénatrice Morin-Desailly (Centriste de Droite) en voyage là-bas. Elle ne sait pas encore que le huit mars est la Journée Internationale des Droits des Femmes. Elle soutient Fillon. Ce n’est pas lui qui va l’éclairer.
 

8 mars 2017


La pluie a heureusement cessé ce samedi matin lorsque je vais à pied jusqu'au lointain chantier du Cent Huit, futur Hôtel de la Métropole de Rouen, situé rive gauche, juste avant le pont Flaubert. Le bâtiment en construction est exceptionnellement visitable ce ouiquennede pendant le Mois de l’Architecture.
Un homme attend les privilégiés, celles et ceux qui ont fait vite pour s’inscrire. Dans ses mains, une liste de noms sur papier et un stylo. Il me demande si j’ai le billet. Oui, lui dis-je sans le sortir de ma poche. Je lui donne mon nom et il le barre. Ainsi donc ce billet que m’a imprimé celle qui travaille à Paris et sans lequel je devais être refoulé, m’avait dit mal aimablement celle qui répond au téléphone à la Maison de l’Architecture, n’aura servi à rien.
Le bâtiment dessiné par l’architecte Jacques Ferrier est impressionnant avec sa double proue soulevée par la houle et recouverte de panneaux colorés changeant avec la lumière, un clin d’œil à Monet. Nous sommes une quarantaine, dont quelques couples avec enfants. L’un de ces moutards est requis pour porter l’amplificateur permettant au représentant du maître d’ouvrage qui tient le micro de se faire entendre. Des conseils de prudence nous sont donnés et des casques prêtés. Après avoir pataugé dans la boue, nous entrons dans une grande salle qui sera polyvalente. Quelques ouvriers y travaillent. Un escalier déstructuré monte à l’étage. Nous le prenons. Il est question de bureaux, de patios, d’un couloir qui va de la lumière à la lumière. Je fais un tas de photos et apprends que les panneaux colorés côté Seine (au nord) sont seulement décoratifs, ceux côté banlieue (au sud) sont également photovoltaïques. Le bâtiment aura un bilan énergétique positif. Il consommera moins qu’il ne produira. Les jours de chaleur, ses rideaux descendront tout seuls. L’été, ses fenêtres s’ouvriront automatiquement la nuit. La livraison est pour juin. Je vois un petit doute dans l’œil de certains des visiteurs.
Peu de questions sont posées. L’une concerne le nettoyage des panneaux colorés. Certains le seront à l’aide de nacelles suspendues, d’autres avec des robots. Notre guide dément l’histoire des panneaux installés puis enlevés pour cause de mélange. Ils ont été redéposés en raison d’une intervention technique sur la structure. Le prétendu cafouillage est une fiction de journaliste. On veut bien le croire.
Plus on monte, plus les travaux sont avancés et plus les bureaux sont petits (me semble-t-il). On n’aura pas vu celui de Sanchez, Chef de la Métropole, Socialiste, qui doit se trouver à un niveau plus noble. On ne verra pas non plus la salle où sera conservé le corps de Fabius dans du formol comme celui de Lénine (c’est du moins ce que prétend l’une de mes connaissances).
Arrivé au sommet, la visite devient sportive. Sur la terrasse, il faut franchir une mare de fluorine, ce liquide vert qui permet de tester l’étanchéité des surfaces planes soumises à la pluie. Un accompagnateur installe un pont de fortune afin que nous puissions bénéficier de la vue sur la ville. Les employé(e)s de la Métropole ne viendront pas sur cette terrasse, nous indique notre guide, elle sera réservée à de « l’événementiel ».
Nous redescendons, remercions l’aimable jeune homme à micro, remarchons dans la boue et rendons le casque prêté.
C’est à pied (impossible de faire autrement, les transports en commun ne viennent pas jusqu’à cet endroit), les mains dans les poches, par le bord de Seine, que je regagne mon logis.
                                                                 *
Près de la sortie de ce chantier est garée une camionnette bleue que je suppose être celle des ouvriers travaillant le ouiquennede. Elle est immatriculée en Roumanie.
                                                                 *
Il y a polémique sur l’utilité de l’imposant bâtiment entre qui pense que c’est une dépense de prestige inutile et qui pense que c’est rentable de regrouper au même endroit tous les services de la Métropole. Je n’ai pas envie de me pencher sur cette question. Il s’inscrit bien dans le paysage, ça suffit à ce que je sois content.
                                                                *
Entre le Cent Six (Scène de Musiques Zactuelles) et le Cent Huit (futur Hôtel de la Métropole) se construit le Cent Sept, opération immobilière privée. Y sera logée une crèche Liberty à l’usage des fonctionnaires territoriaux travaillant à côté. Le monde est bien fait.
 

7 mars 2017


Après avoir manqué par paresse celui de la précédente que je ne suis même pas allé voir ensuite, je suis ce vendredi, un peu avant dix-huit heures, le premier à pousser la porte du Centre Photographique de Rouen (anciennement Galerie du Pôle Image), rue de la Chaîne, où c’est le vernissage, en présence de l’artiste, de l’exposition Tom Wood (L’Embarcadère 1978-2002).
-Je peux entrer ? demandé-je à la seule personne présente, Raphaëlle Stopin,  maîtresse des lieux.
Elle acquiesce. Seule, elle ne l’est pas vraiment. Elle porte dans les bras son enfançon.
J’ai le temps de bien voir chacune des photos de Tom Wood, Irlandais de Liverpool né la même année que moi. La plupart sont en noir et blanc, toutes ont été prises entre mil neuf cent soixante-dix-huit et deux mille deux. Elles montrent dans son quotidien une population appauvrie par les années Thatcher et les suivantes, des hommes, des femmes et des enfants au regard traqué. Le photographe les a croisés dans le bus, sur le ferry qui permet de traverser le fleuve Mersey et dans les rues de cette ville où l’on a surnommé Photie Man.
Il y a bientôt du monde. Je regarde deux des albums de l’invité : Men et Women. Chez ces dernières sont quelques nus.
Tom Wood arrive, cheveux blancs clairsemés, petite barbe de même couleur, chemise bleu ciel rentrée dans un djine bleu et appareil photo en main. Une journaliste le photographe devant l’agrandissement d’un cargo rouge. Des vernisseurs font de même.
J’attends le temps qu’il faut avant que Raphaëlle Stopin, toujours portant son enfançon, présente l’exposition. Lui succède une femme qui annonce la création d’une Association des Amis du Centre Photographique (Pourquoi pas ? Il existe bien une Association des Amis du Bonsaï). Quant à Tom Wood, on ne lui donne pas la parole. Peut-être n’en avait-il pas envie. Nul ne nous le dit. C’est bien la peine que je sois resté aussi longtemps.
                                                            *
Il y a la Mutuelle Générale de l’Education Nationale. Avec son dernier bulletin, elle m’envoie un imprimé dans lequel elle s’engage pour Direct Energie et conseille à ses adhérents de quitter Heudéheffe d’un coup de clic afin de payer jusqu’à dix pour cent moins cher l’électricité. Prudent, je consulte les avis sur ce fournisseur. Ils sont mauvais : estimation de consommation très exagérée, difficulté à se faire rembourser, coupure de courant immédiate en cas de non paiement, j’en passe. Je m’abstiens donc, mais combien feront à cette mutuelle quasi officielle une confiance aveugle ?
                                                           *
Il y a la Mutuelle d’Assurance des Instituteurs de France et son serveur vocal. « Attestation d’assurance », lui dis-je quand il me demande pourquoi j’appelle. « Sept minutes d’attente » me répond-il. Je recommence deux heures plus tard. « Sept minutes d’attente ». Je rappelle et dis « Assurer une voiture ». Plus d’attente chiffrée, mais quand même un bobinot musical et publicitaire qui a tôt fait de me saouler. Je raccroche et fais ma demande par lettre en papier adressée à Niort. Cinq jours plus tard, j’ai mon attestation.
 

6 mars 2017


Ce vendredi matin s’ouvre la dernière vente de livres d’occasion du Secours Populaire au cinéma Pathé Docks. La pluie menaçant, je m’y rends avec le bus Teor. Surprise dans les toilettes, le magnifique brochet et son descriptif ironique n’y sont plus. Le mur a été repeint en blanc alors qu’il n’en est rien pour les autres poissons. Je n’irai pas jusqu’à soupçonner celui qui avait peu apprécié que je le compare (avec d’autres, dont moi-même) à cet animal retors d’être passé par là avec son pot et son pinceau, d’autant qu’il n’est pas là cette fois. D’autres concurrents sont également absents.
Quand les rideaux du cinéma se lèvent, c’est le petit moment de panique habituel chez les organisateurs : « Ah non, pas déjà, on n’est pas prêts ». Celui qui crie le plus fort constate avec effarement que sa montre retarde d’une demi-heure. Nous autres acheteurs nous soucions peu de ce mouvement d’humeur et tentons de trouver le bon livre avant qu’un autre mette la main dessus. Ma récolte ne comprend rien d’exceptionnel mais n’est pas négligeable.
Au moment où je paie, l’une des responsables du Secours Pop explique que le cinéma Pathé entend rentabiliser les espaces restés libres en y mettant des jeux d’arcade et autres installations payantes, mais l’association a rendez-vous bientôt avec la direction du centre commercial des Docks et espère trouver avec elle une alternative.
C’est à pied, un sac à chaque main, par le bord de Seine, que je regagne mon logis.
                                                          *
Choisir le mercredi, jour où je suis absent, pour installer les nouvelles grilles et barrière de la copropriété d’en face, c’est ce qu’ont fait les serruriers, que je remercie pour leur obligeance. Reste à remettre en service l’interphone. En attendant, la barrière est ouverte et entre qui veut.
                                                          *
Bien fermée en revanche la Poste Principale, rue de la Jeanne, et pour plusieurs mois de travaux. Il s’agit de mieux accueillir le client (autrefois l’usager). C’est la troisième fois que je vois cet endroit refait de fond en comble pour cette raison alors que ledit client est systématiquement dirigé vers les automates.
                                                         *
Place Saint-Marc, la femme descendue de voiture qui se précipite sur ce qu’elle croit être un horodateur et découvre qu’il s’agit d’un distributeur de seringues pour les drogués de la zone.
 

4 mars 2017


Pas la moindre attente à l’entrée de l’exposition L’Esprit français consacrée aux contre-cultures que propose la Maison Rouge dont Antoine de Galbert a annoncé la fermeture prochaine. Je paie dix euros, mets mon sac en coffre, passe devant les panneaux explicatifs qu’ont raison de lire, pour espérer y comprendre quelque chose, celles et ceux trop jeunes pour avoir vécu ça et qui sont nombreux ici ce mercredi, et vais au fil de mes envies et souvenirs parmi les sept cents archives et documents casés en deux mille mètres carrés. C’est foutraque, comme l’était cette période et comme le sont les notes que je prends, lesquelles ont la forme d’un inventaire très incomplet de ce qui me retient plus que le reste : le manuscrit de la Marseillaise (collection Charlotte Gainsbourg) et le film montrant son père la chantant poing levé devant les paras, l’Hommage au putain inconnu de Michel Journiac (squelette humain laqué blanc, vêtements acrylisés, drapeau tricolore, lettres relief), un numéro de l’Hebdo Hara-Kiri, prolongement hebdomadaire du mensuel Hara-Kiri, « La France aux Français », illustré d’un béret baguette sous le bras, une affiche recensant les cent cinquante membres du Comité de Soutien à la candidature de Coluche aux Présidentielles qui va de Hugues Aufray à Jean Yanne « Hitler aussi a commencé avec 150 signatures », un numéro du Bulletin Paroissial du Curé Meslier, le livre pour enfants d’Alain Le Saux Interdit/Toléré, le film de Paul Vecchiali Change pas de main « policier, politique et pornographique », les journaux du Fhar (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) Le Fléau Social et L’Antinorm « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous », des numéros du journal Tout ! « Ce que nous voulons, tout ! » et du Torchon brûle, « journal menstruel », l’immense sculpture au crochet de l’autodidacte Raymonde Arcier Au nom du père représentant une femme aux lourds cabas accouchant tout en marchant, une bédé de Copi Jouons aux élections avec les pédés « Nous sommes 4 millions en France, avec la proportionnelle, nous serions trente députés » « De mon temps, on les mettait au four », deux tableaux de Pierre Klossowski que je suis content de voir mais que je pense hors sujet, même chose pour ceux de Clovis Trouille Dolmancé et les fantômes de la luxure et Cérémonial saphique et les photos de Pierre Molinier (cela dans une salle nommée Sordide Sentimental n’ayant rien à voir avec le label) et Topor et Pierre et Gilles, le film de Jean-Pierre Bouyxiou et Raphaël Marongiu Satan bouche un coin (dont je possède le dévédé que m’a offert Jean-Pierre Turmel), des photos des Gazoline (dont fit partie Hélène Hazera) et des photos de Marie-France « légère égérie », les revues et fanzines où s’exprimaient Julien Blaine, Arnaud Labelle-Rojoux, F.J. Ossang, Jean-Jacques Lebel, Ivar Ch’Vavar, Lucien Suel, Dan et Guy Ferdinande et Rocking Yaset, certains bien assagis aujourd’hui et d’autres non, les photos d’Alain Bizos mettant en scène un Mesrine barbu Bras d’honneur, En joue !, La Guillotine et le reportage de la télé montrant le cadavre ensanglanté du même dans la voiture où il vient d’être tué par les policiers, l’Appel à la violence signé Serge Bard, Alain Jouffroy, Olivier Mosset et Daniel Pommereulle, toute une salle consacrée à Bazooka Production, avec deux numéros de Sordide Sentimental, l’un titré Education sentimentale et l’autre Isolation intellectuelle. Le mur du fond est couvert de grandes peintures acryliques réalisées en deux mille seize et deux mille dix-sept par Kiki Picasso qui montre à sa manière des évènements marquants de ces cinquante dernières années sous le titre générique Il n’y a pas de raison de laisser le bleu, le blanc et le rouge à ces cons de Français.
Je passe devant le tableau de Romain Slocombe Fracture interscapulaire de l’articulation de la hanche et descends au sous-sol. Là est une autre œuvre contemporaine signée Claude Levêque autour de l’univers des Bérurier Noir, Conte cruel de la jeunesse, un double grillage derrière lequel s’étend un terrain vague parsemé de déchets, cette installation aurait dû être réalisée en mil neuf cent quatre-vingt-sept mais ne l’a été qu’à l’occasion de cette exposition à la Maison Rouge.
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Que cette période dite de contre-culture ou des contre-cultures ait duré jusqu’en quatre-vingt-neuf, c’est discutable. Personnellement, je l’arrête en soixante-dix-neuf. Ouiquipédia donne comme dates de fin : mil neuf cent quatre-vingt pour les Etats-Unis, quatre-vingt-trois pour l’Angleterre et la France, quatre-vingt-cinq pour le Japon.
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Extrait de Vivre et penser comme des porcs de Gilles Châtelet lisible sur un mur de la Maison Rouge : années 80, écœurantes d’ennui, de cupidité et de bêtise, années de « révolutions conservatrices néolibérales ». Pas loin, une photo de Roland Barthes au Palace, où il a l’air de s’emmerder.
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Près de la guillotine de Piège pour une exécution capitale de Michel Journiac, un gardien endormi.
 

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