Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

23 mai 2017


Ce lundi matin j’attends face à la gare de Saint-Nazaire qu’il soit l’heure de l’autocar pour Guérande au Péhemmu Couleur Café. Sa perruche jaune pâle, son café à un euro affiché en gros sur les vitres, sa patronne et sa clientèle pittoresques, en font un endroit indiqué pour lire quelques lettres de Truffaut.
A dix heures cinq, je monte dans le car en compagnie de jeunes hommes qui font tous la tronche, des apprentis qui vont je ne sais où. Nous filons par une sorte d’autoroute, frôlons La Baule, traversons une de ces immondes zones commerciales qui jouxtent les villes, mais ne voyons pas les marais salants qui font la renommée de la cité médiévale.
Je descends près de la Médiathèque Samuel-Beckett et entre par la première porte aperçue dans la vieille ville cernée de remparts. Je constate alors que je l’ai échappé belle (comme on dit). Ce ouiquennede, c’était la Fête Médiévale.
Cela sent encore le cheval. Je croise quelques médiévaux attardés, des filles qui marchent pieds nus, des garçons aux cheveux longs pas lavés. Les employés municipaux rangent et nettoient. La pancarte « Enfants perdus » est encore en place. Près de la Collégiale Saint-Aubin et dans la rue principale s’agglutinent des groupes de touristes derrière un guide, certains sont venus de Dieppe, mais dès que je prends une rue adjacente, j’y suis seul.
Les commerçants s’interrogent mutuellement :
-Alors, ça a été ?
-Mieux dimanche que samedi.
C’est une façon d’évoquer le tiroir-caisse sans le nommer.
Je passe rue de la Juiverie où une plaque invite les passants à se souvenir : «En ce lieu a vécu au Moyen-Age une communauté juive qui a contribué à l’essor et au rayonnement de Guérande». Une note explicative précise qu’«En 1240, par l’ordonnance de Ploërmel, le duc Jean 1er le Roux bannit les Juifs de Bretagne».
Il fait vite chaud dans ces rues pavées. Je m’offre un café à l’ombre en terrasse et à un euro trente au Café de la Mairie. Près de là est un restaurant recommandé par Le Guide du Routard : La Potence, mais celle-ci ne fonctionne pas le lundi  Faute de mieux, j’opte à déjeuner pour le Café Restaurant du Centre qui a au moins l’avantage d’avoir une belle terrasse face à la Collégiale et de vastes et solides parasols qui permettent de manger à l’ombre. C’est assez vite complet.
Sur le menu, une photo montre les serveuses en minijupe, une tenue qui n’est pas celle de ce lundi et n’était pas non plus celle de ce ouiquennede car le chef serveur demande à l’une pourquoi elle n’a pas remis sa robe du Moyen-Age. Pour seize euros quatre-vingt-dix, j’ai droit à un duo de terrine aux salicornes des marais et bloc de foie gras (un voisinage assez étrange) et à un véritable jarret braisé au cidre (aussi énorme que sec). J’accompagne cela du demi-pichet de cidre brut à six euros cinquante.
Quittant la table alourdi, je choisis de fuir la chaleur de Guérande en regagnant au plus vite le bord de mer à Saint-Nazaire. Le car du retour est climatisé.
Face à l’immensité bleue, sur un banc, à l’ombre d’un arbre, je me replonge dans la Correspondance de François Truffaut jusqu’à ce qu’un oiseau lâche une chiure juste à ma droite. Que je sois en train de lire des lettres évoquant The Birds d’Hitchcock me donne à réfléchir. J’abandonne la place.
                                                                  *
Pas moyen d’entrer dans un Office du Tourisme sans y trouver tous les guichets accaparés pas des couples de retraités qui veulent qu’on leur explique tout en détail. Derrière je piaffe, ne voulant qu’un plan de la localité.
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« Puis-je savoir votre code postal ? » est la question à laquelle il me faut répondre avant de repartir avec ce plan qui parfois me sert.
 

22 mai 2017


Ce bon vieux train en provenance d’Orléans n’a que cinq minutes de retard ce dimanche matin quand il s’arrête à la gare de Saint-Nazaire. En y grimpant, je ne serais pas plus étonné que ça d’y découvrir une famille orléanaise de ma connaissance en tenue de plage venue passer la journée à la mer, mais non, c’est un adolescent boudeur et ses grands-parents qui occupent le carré central de la voiture dont je descends au premier arrêt : Pornichet.
Ici, il y a peu de temps était en vacances, avec ses trois enfants, l’une qui m’a tenu la main.
A la sortie de la gare, j’aperçois une terrasse attirante, celle du café La Terrasse « depuis mil neuf cent quatre ». Je me propose d’y revenir après être allé voir le front de mer. Il me déçoit totalement, ce n’est que la prolongation de La Baule. Comment est-il possible que j’aie oublié ça ? Le nom du lieu doit y être pour quelque chose, qui fait rêver à un port niché. Le port de plaisance se tient à l’avant de la plage avec arrogance. Près de lui est un port d’échouage. Il n’y a pas que des bateaux qui viennent s’échouer à Pornichet.
Heureusement, la ville possède de jolies rues intérieures dont l’une me permet de revenir à La Terrasse. La serveuse est désagréable, du genre à me demander au bout d’un quart d’heure si je veux autre chose.
Dans le petit bout de rue semi piétonnière proche, je trouve à déjeuner en terrasse au Bourlingueur dont le menu dominical est à quinze euros quatre-vingt-dix : carpaccio de bœuf à l’italienne, filet de lieu noir en croûte d’épices avec brochette de petits légumes, tarte Tatin. J’accompagne cela de sauvignon et mange seul, considérant celles et ceux qui sortent de la boulangerie voisine avec le pain et le gâteau du dimanche. Lorsque je bois le café s’installe un couple à deux moutards que je n’ai donc pas à supporter longtemps, le père au plus excité des deux : « Tu te calmes, les frites vont arriver, tu te calmes. »
J’ai le projet de rejoindre Saint-Marc-sur-Mer à pied. Il suffit de suivre la côte sur quatre ou cinq kilomètres. Assez vite, les moches immeubles sont remplacés par des villas plus ou moins regardables. Je passe devant la chapelle Sainte-Anne. Elle est miraculeusement ouverte. J’y entre. Au fond se tient un couple en prière. Une promenade en bois longe la plage pendant un certain temps. J’arrive à la Pointe du Bé où Julien Gracq venait en vacances dans une petite maison. S’y trouve le rococo Château des Tourelles devenu Centre de Thalassothérapie. Gracq en thalasso ? L’hypothèse est distrayante. A l’entrée de cet établissement  un panneau annonce une « Opération taille de guêpe » « Résultat silhouette garanti ». À un moment, plus de chemin, il faut passer par la plage. Marcher dans le sable au milieu des corps allongés a tôt fait de m’épuiser. Je récupère sur un banc dès que j’ai regagné la terre ferme. Quand je repars, je surplombe la petite plage naturiste de Chemoulin, coincée entre des rochers qui gênent la vue. Je fais une nouvelle pause près d’un radar militaire. Il fait beau et chaud. En ayant assez de monter et descendre, je termine par la route. Monsieur Hulot est là qui m’attendait.
L’idée m’est venue en chemin de continuer à pied par la côte jusqu’à mon gîte, je sais maintenant que j’en suis incapable. J’ai du mal à trouver par où passe le seul bus qui circule le dimanche à Saint-Nazaire en faisant une boucle dans la ville mais ai la chance de le voir arriver vite (c’est heureux car il ne passe que toutes les heures).
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Bourgeois du bord de mer avec leurs pantalons couleur saumon (comme les pages Economie du Figaro).
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Une femme sur la plage à ses enfants (une fille et un garçon entre huit et dix ans) : « Les hommes, ça te dit : J’te quitte, et ça s’en va. ». Le garçon proteste. « Ton père, c’est ce qu’il a fait. On s’est disputé, il m’a dit : J’te quitte, et il est parti. »
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Au matin, avant Pornichet, visite éclair du petit vide grenier installé au pied de l’immeuble dans la cour de l’Ecole Maternelle Jean-Zay. On y vend essentiellement des vêtements d'enfant et des jouets, comme on pouvait s'y attendre. C’est la première fois que je remets les pieds dans la cour d’une école maternelle depuis que j’ai quitté le métier.
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A Saint-Nazaire, avec le bus, passé par le Collège Anita-Conti, le Centre Boris-Vian où se niche le Conservatoire à Rayonnement Départemental (Musique) et la place des Quatzhorloges.
 

21 mai 2017


Un arc en ciel à l’heure du petit-déjeuner témoigne de la dernière averse de la nuit ce samedi.
Avec le bus U Un, je vais à la gare de Saint-Nazaire où j’attends le train pour Le Croisic (sur la Côte d’Amour). Celui-ci vient d’Orléans et se pointe avec dix minutes de retard. Ce n’est pas si mal car il est hors d’âge. Quand il redémarre, il pousse de gros soupirs, tant semble douloureuse l’opération.
Le Croisic est son terminus. On ne peut aller plus loin. La presqu’ile s’y oppose. Le premier port de crevette rose de France est avant tout un lieu touristique avec les inconvénients qui en découlent : parquignes, familles, moules frites, marinières.
Je préfère me balader dans les rues intérieures qui pour certaines ont un bel aspect breton et lorsqu’il s’agit de déjeuner choisis Le Lénigo sur le quai du même nom, face à la criée. L’établissement est conseillé par Michelin, Gault & Millau et le Routard. Ce dernier signale que Marie-Claude (en cuisine) et Ronald (à l’accueil et au service) se sont rencontrés aux Beaux-Arts. C’était il y a plus de trente ans.
Trois employés, dont un apprenti n’ayant que le droit de desservir, les assistent. Nous ne sommes que sept à table, trois couples d’âge certain me tiennent compagnie de loin, dont l’un particulièrement pénible (renvoyant le vin, demandant à voir une huître avant d’en commander, etc.).
Un « menu terroir » est proposé pour dix-neuf euros. Je suis le seul à le choisir. Des amuse-bouche le précèdent que je déguste avec un verre de chardonnay à quatre euros quatre-vingts centimes. Viennent ensuite une galette croustillante de moules au curry puis un pavé de merlu du Croisic avec un écrasé de pommes de terre, beurre de salicornes, qui appellent un second verre de chardonnay. Seule déception : le « gâteau breton de ma grand-mère Anna » n’est pas disponible. Il est remplacé par un petit sablé breton aux fraises. Je n’ose m’enquérir de la santé de cette grand-mère plus que centenaire. Sucre-t-elle les fraises ?
Au moment où je quitte cet excellent restaurant, chez les râleurs on se plaint : « Des langoustines comme ça, ça ne vaut rien » « Y a rien dedans, c’est pas compliqué », mais on ne le dit pas à Ronald.
Je prends le café en terrasse au Skipper à l’autre bout des quais puis vais lire au Mont Esprit, un jardin public à promontoire hélicoïdal.
Le train d’Orléans est encore là quand je retourne à la gare du Croisic. L’InterLoire est son nom. Une équipe de ménage le nettoie à fond, une femme étant chargée de faire les vitres à la raclette. Un simple Téheuherre dont le terminus est Nantes me ramènera à Saint-Naz avec arrêts à Batz-sur-Mer, Le Pouliguen, La Baule-Escoublac, La Baule-Les Pins et Pornichet.
Tout va bien jusqu’à cette dernière escale. Là, le train ne repart pas. Le chef de bord annonce qu’une intervention policière est en cours. Cela suscite bien des conjonctures chez les ancien(ne)s qui voyagent avec moi, dont un couple anglais lisant le Daily Mail. « Qu’est-ce qui peut bien se passer ? » On ne le saura pas. Après un quart d’heure d’immobilisation, le train redémarre et passe devant l’un des bistrots de Pornichet nommé Le Scénario.
                                                          *
Musset, Ingres, Balzac et Heredia furent des habitués du Croisic lorsque la vie y était plus palpitante qu’aujourd’hui.
 

20 mai 2017


Mon hôte ne va-t-il pas me faire la tête ce matin au petit-déjeuner ? C’est la question que je me pose au réveil, pour l’avoir recadré la veille au soir à propos de sa télé bruyante (un écran plat d’un mètre sur deux). Pas du tout, il est aussi jovial ce vendredi que les autres jours.
Cette nuit, l’orage a donné quelques éclairs et coups de tonnerre. D’autres sont possibles, mais il fait beau quand, en bas de la tour, je grimpe dans le bus U Un dont le terminus est la gare de Saint-Naz.
Au quai Six, j’attends l’autocar qui va à Saint-Brévin-les-Pins de l’autre côté de l’estuaire de la Loire. Il s’agit en fait d’un minibus. Je paie quatre euros quatre-vingts aller et retour à sa conductrice. Nous sommes une dizaine dont une gendarme en congé de maternité avec laquelle discute celle qui entreprend la traversée du fleuve par l’élégant pont sinueux à haubans, trois mille cinq cent cinquante-six mètres de long, soixante et un mètres de haut, cinq virgule six pour cent de pente, le meilleure vue que l’on puisse avoir sur les chantiers navals et ses deux paquebots en construction.
Saint-Brévin effectivement ne manque pas de pins mais on y trouve aussi des palmiers, un Espace Boby Lapointe dévolu à l’expression de la jeunesse locale et une église très bretonne à tour carrée nommée Saint-Nicolas. Je prends le chemin côtier, une balade sans effort (c’est tout plat) qu’ont dû faire Serge Prokofiev, René-Guy Cadou et Laurent Voulzy, vacanciers ici autrefois.
De l’autre côté de l’estuaire je vois tout Saint-Nazaire dont la tour en haut de laquelle je gîte. Au bout de deux kilomètres et demi, j’arrive au port de Mindin, pas loin du bout du pont. Quelques petits bateaux y sont amarrés. Il n’y a plus qu’à rebrousser.
Cela fait, je prends un café à la seule brasserie donnant sur la plage, Le Rio. Un euro soixante m’indique le ticket. L’eau, c’est dans un gobelet en plastique. On y fait à déjeuner avec buffets d’entrées et de desserts mais le lieu et l’esprit du lieu ne me plaisent guère. Dans la rue principale, perpendiculaire à la mer, ne se trouvent que des restaurants à crêpes, à pizzas, à burgers ou à tapas. C’est l’Office de Tourisme qui me sauve en m’indiquant Le S, restaurant de l’hôtel Le Petit Trianon, avenue Mindin, que je n’aurais jamais trouvé seul. « Nous y mangeons parfois », me disent les deux femmes qui me renseignent.
C’est un bel endroit peu fréquenté à l’ambiance feutrée qui propose un « menu ardoise » à quatorze euros composé de plats confectionnés « avec des produits frais et de saison ». Je choisis le camembert croustillant, l’émincé de volaille crème champignon accompagné de tagliatelles et petite ratatouille et la pêche melba. Cela mérite un demi-pichet de vin rouge de Gascogne. Celui-ci s’avère fort bon, tout comme la cuisine. A l’issue, je complimente la serveuse et la patronne, Avec le café, cela fait vingt et un euros vingt centimes, moins que la veille pour le repas décevant de Saint-Marc-sur-Mer.
Je retourne faire un peu de marche en bord de mer puis, un gros nuage bien noir approchant, je décide de retraverser la Loire. A l’arrivée, il a disparu. Au centre-ville, je pars à la recherche de l’hôtel nazairien qui m’accueillera pour la fin de mon séjour, la chambre d’hôtes d’altitude étant prise par autrui après le jeudi de l’Ascension.
Ce n’est pas simple. Certains hôtels sont définitivement fermés (Le Touraine, Le Dauphin). D’autres sont complets (Les Goélands, La Belle Etoile). Je dois encore une fois mon salut à l’Hôtel de Bretagne dont j’obtiens la dernière chambre disponible, celle dont les toilettes sont sur le palier.
Tranquillisé, je peux aller lire quelques lettres de François Truffaut sur un banc du front de mer.
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Sur un blockhaus de Saint-Brévin-les-Pins : « Breton toujours, Français jamais » (On est chez nous, version autonomiste).
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Deux autres tours identiques jouxtent celle où je rentre. Trois fois dix étages et pas un enfant. Que des retraités, m’explique mon hôte qui l’est aussi. Après vingt heures, on n’entend plus le bruit de l’ascenseur.
 

19 mai 2017


Vingt plages pour Saint-Nazaire ; ce jeudi matin, comme le temps est gris mais sec, je décide d’en voir un certain nombre en partant de celle de Kerloupiots en face de la tour où je gite jusqu’à celle de Monsieur Hulot à Saint-Marc-sur-Mer qui est appelée ainsi en souvenir des Vacances de Monsieur Hulot que Jacques Tati y tourna.
C’est une balade côtière de quatre kilomètres avec des montées et des descentes, des escaliers et des détours pour éviter une zone dangereuse et un terrain militaire, pendant laquelle je fais moult photographies de cabanes de pêcheur. Après le phare d’Aiguillon, j’arrive au but cuit, songeant à revenir en bus après le déjeuner.
Je reprends quelques forces au Café du Centre où les habitué(e)s d’un certain âge se partagent une grande table. Elles et eux ne comprennent pas le temps médiocre alors que les saints de glace sont passés. Un semblant de marché anime la rue. En face, une crêperie rappelle que les jeux de mots affligeants ne sont pas réservés aux salons de coiffure. Elle se nomme le Tati-Yon. Mon café bu, je poursuis un peu la lecture de la Correspondance de Truffaut.
L’Hôtel-Restaurant de la Plage n’a plus rien à voir avec le petit établissement populaire du temps de Tati, il est devenu chic et cher. Monsieur Hulot, lui, est fidèle à lui-même. Statufié, penché au-dessus de la rambarde qui domine le sable, il scrute l’horizon, une sorte de mégot en bouche (ce qui reste de sa pipe victime d’un vandale). Sous ses pieds est la brasserie Le France que mon Guide du Routard de deux mille douze, acheté un euro chez Book-Off, compare à une usine où tous les Nazairiens aiment à se retrouver.
Prudemment, j’y entre à onze heures trente afin de réserver. L’une des serveuses me propose de m’installer dès maintenant si je veux. Je reprends donc Truffaut et assiste au repas du staff sur fond de jeu des vagues.
A midi, je passe commande, au sein du menu du jour, d’une terrine de poissons au curry, d’un aïoli de cabillaud et d’un pavlova aux fruits ainsi que d’un demi-pichet de vin blanc. Plusieurs groupes d’importance arrivent, de même que des duos ou trios de collègues, quelques couples aussi. Le staff à ticheurtes orange (Boss ou Crew écrit dans le dos) ne manque pas d’activité.
Je me demande si mon vin ne sort pas d’une bouteille en plastique comme celui du restaurant japonais rouennais de la rue Verte. Quant à ce qui est dans mon assiette, c’est décevant  en quantité et en qualité. Le pain est bon, lui. Le lieu est une consolation, ainsi que la présence d’une apprentie serveuse espagnole aussi timide que mignonne, toute mince avec de petits seins. Elle m’inspire de coupables pensées. Je l’entraînerais bien dans une cabane de pêcheur.
Côté clientèle, ce ne sont que des groupes où je ne voudrais pas être et des couples dont je ne voudrais pas être. Se trouve là celle qui veut une salade paysanne sans assaisonnement. Elle ne risque pas de me donner des idées (comme on dit).
Après le café, je paie vingt-cinq euros soixante-quinze puis traverse la plage déserte jusqu’à une sorte de digue qui s’avance dans la mer en prolongement d’un groupe de rochers sur lesquels se fracassent les vagues. Au bout de cette digue, je m’offre un plaisir inédit : faire pipi dans l’océan tumultueux. Je sens les yeux de Hulot dans mon dos.
En pleine forme, je décide de rentrer pédestrement en traversant le terrain militaire dont le « défense d’entrer » est complété à la bombe d’un « dans ton cul » (et certains bâtiments aux mains des artistes de rue), puis j’emprunte la zone défendue sans me soucier du risque d’éboulis afin d’éviter le détour déplaisant par la route.
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La sentence du jour : « Ma femme, c’est mon porte-monnaie ».
D’un qui répare un bateau avec ses peutes, prétexte à un repas bien arrosé au bout de la cale.
 

18 mai 2017


Malgré les ronflements de mon hôte, lesquels traversent la cloison, je dors bien en cette première nuit au dixième étage. A huit heures, je prends un bon petit-déjeuner confectionné par ses soins, « sauf le miel », sur un balcon orienté vers la mer. Il fait beau mais ça ne doit pas durer.
Aussi sans tarder je prends à pied la direction du port de Saint-Nazaire par le chemin du bord de mer. Y arrivant, je me documente à l’Office de Tourisme puis erre au hasard sans tout voir. Au loin sont les chantiers navals. On y construit les paquebots qui iront défigurer les lieux touristiques de la planète, immeubles flottants, pièges à touristes. Quai de Kribi, aux piliers des Ducs de l’ancien embarcadère de Mindin, est érigé un monument commémorant l’abolition de l’esclavage. Il est signé Jean-Claude Mayo. A proximité en est un autre plus modeste et anonyme à la mémoire de Nikos Aslamazidis, travailleur grec détaché aux chantiers navals de Saint-Nazaire, mort en deux mille huit à trente-six ans après dix-neuf jours de grève de la faim pour la défense de ses droits, « esclave moderne ».
A onze heures, le ciel devenu menaçant, je lis les lettres de Truffaut au Café de la Marine. S’y retrouvent des habitués. Il y est notamment question de petites bites. «On s’en fout, c’est pas les plus grandes oreilles qui entendent le mieux», conclut l’un au comptoir devant une petite bière.
Pour déjeuner, je remonte vers l’Hôtel de Ville et entre chez Tic & Toque, un restaurant un peu chic mais pas choc à patron en djine délavé. Il y propose une formule à seize euros : filet d’anon sauce saté avec riz basmati, tiramisu aux fraises et café. C’est finement cuisiné et j’enrichis mon vocabulaire. L’endroit est couru par des habitués, ce qui oblige le maitre des lieux à courir à son tour. Il a l’air heureux d’afficher complet sur la porte. Pendant ce temps, il s’est mis à pleuvoir, ce pourquoi je rentre en bus après avoir acheté dix tickets pour onze euros.
-Vous verrez il parle, me dit le chauffeur lorsque je lui demande s’il pourra m’avertir à l’approche du lieu où je dois descendre. Ce bus est résolument moderne.
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Des garçons avec des instruments de jonglage devant une maison bourgeoise du boulevard René-Coty sur le trottoir de laquelle sont garés des vélos. Une école de cirque, me dis-je. Que non, il s’agit du Lycée Expérimental de Saint-Nazaire fondé en mil neuf cent quatre-vingt-deux par Gabriel Cohn-Bendit et André Daniel.
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Autres lycée, privé celui-là, face à la mer, nommé Saint-Louis, également collège. On y pratique le rugby sur la plage en équipe mixte. Le prof félicite un garçon : « Bravo, tu l’as bien ceinturée ».
Il ne m’a manqué que les conditions adéquates pour me faire aimer le sport quand j’étais collégien.
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« T’occupe pas d’eux », nom d’un bateau de pêche nazairien
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L’anon serait un cousin du merlan, selon le patron de Tic & Toque.
 

17 mai 2017


La nuit est calme à l’Hôtel de Bretagne qui ne me semble pas si complet que ça. Au petit-déjeuner assez quelconque en semi sous-sol, je ne côtoie qu’un couple de retraité(e)s et leur fille obèse.
Vers dix heures, je le quitte, ma valise à quatre roulettes à la main et mon sac à dos à sa place. Je rejoins le bord de mer et sa promenade de béton, m’éloignant du centre-ville côté Pornichet. Il s’agit de rejoindre une chambre d’hôtes que je n’ai pu réserver que pour dix nuits. Elle est située à quatre kilomètres. L’estuaire de la Loire est beau et calme. Aucune construction commerciale n’occupe cette partie de la côte atlantique. En face, c’est Saint-Brévin.
Je ne manque pas de prendre en photo le Monument Américain dû à Gertrude V. Whitney, un soldat sur un aigle au sommet d’un rocher entouré d’eau tenant à la main l’épée de Lafayette. C’est kitsch et en souvenir des deux cent mille soldats américains passés par Saint-Nazaire en mil neuf cent dix-sept. Cette statue est une copie de mil neuf cent quatre-vingt-neuf. L’originale datant de vingt-six a été détruite par les nazis en quarante et un. Je photographie aussi les cabanes de pêcheurs à filets carrés suspendus, typiques de la région.
Cette côte indemne d’activités lucratives pose un problème quand on veut déjeuner, pas un seul restaurant. Je réserve une table pour midi à la gargote de plage de Villès-Martin et en attendant vais lire (ou plutôt relire), un peu plus haut sur un banc, la Correspondance de François Truffaut dans l’édition du Livre de Poche.
A midi, je déjeune à ce P’tit Baigneur, les pieds dans le sable avec vue sur un joli phare. A la longue table de droite sont installés une douzaine de profs de sport en stage qui ont fait un volley en apéritif. Double punition pour moi, ils parlent de leur vie de prof et de sport. L’un qui va être à la retraite semble déjà ailleurs. Trois jeunes femmes occupent bientôt la table à ma gauche :
-T’as perdu toi, Corinne ?
-J’ai perdu quatre.
Elles ne parlent pas du résultat d’un jeu de bord de mer mais de leur poids qui les soucie avant l’été. Elles n’en choisissent pas moins une marmite du pêcheur. J’ai préféré l’andouillette frites salade. Tout est cher ici, elle est à quatorze euros. Mon quart de rosé à six euros a été mis au frais dans un seau de plage pour enfant. Le pain est un affreux pain de mie. Le café, correct, se paie un euro soixante-dix. Venu boire un verre au comptoir et mater les profs de gym, un sexagénaire en jupe à la voix maniérée se plaint à la serveuse :
-Tout se sait ici, on est écouté.
Je reprends le chemin qui devient moins carrossable et puis l’abandonne pour un trottoir me rapprochant du but. A l’ombre dans un parc dominant la mer, je reprends la lecture des missives de Truffaut.
A seize heures quinze, je sonne en bas de l’immeuble de dix étages aux balcons rouges. Ma chambre est tout en haut avec vue de côté sur la mer et de face sur une zone pavillonnaire et de petits immeubles. Elle est munie d’un balcon d’où je verrai se coucher le soleil.
                                                           *
Objectif de cyclistes en action et en maillot : « Avaler des kilomètres ».
                                                           *
A cent mètres de mon logement d’altitude, le sentier qui mène à Saint-Marc-Sur-Mer : « Chemin côtier réservé aux piétons à leurs risques et périls ».
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Discussion avec mon hôte à propos de l‘heure du petit-déjeuner :
Moi : « Je suis matinal, votre première heure sera la mienne. »
Lui : « Moi aussi je suis matinal, pas de problème, dites-moi. »
Moi : « Sept heures et demie ? »
Lui : « Ah non, là je ne peux pas, huit heures si vous voulez. »
Sept heures et demie ne me paraissait pourtant pas bien matinal.
 

16 mai 2017


La part de moi-même qui s’oppose à ce que j’aie envie de partir en voyage tend à s’accroitre. C’est sans joie que je quitte Rouen ce lundi matin, mais passée l’épreuve de la traversée de Paris avec une valise, assis dans le Tégévé Nantes Le Croisic, cela va mieux. Je ne vais ni à Nantes ni au Croisic, j’ai choisi le port de Saint-Nazaire. Le parcours est tranquille, nous ne sommes pas plus d’une quinzaine dans la voiture, un peu plus après Angers.
Arrivé à Saint-Naz (comme disent les intimes), il me faut trouver une chambre pour la nuit. L’hôtel que je vise s’appelle La Belle Etoile. Il est complet. D’autres aussi, me dit son aimable tenancière qui prend le téléphone pour me trouver un gite chez ses concurrent(e)s. C’est chose faite à l’Hôtel de Bretagne près de la Mairie, un établissement à l’ancienne, cinquante-deux euros la nuit (l’été c’est soixante-dix).
Je ressors pour aller voir la mer et assiste à l’arrivée d’un de ces cargos polluants qui sont si agréables à voir flotter sur la grande flaque bleue. La plage de sable est belle mais interdite pour cause de remise en forme. Du côté du port, les restaurants sont fermés le lundi soir. Ailleurs, ils le sont aussi, hormis crêperies et pizzerias. Je trouve mon salut à l’hôtel La Luna, voisin du mien. Tenu par un jeune couple d’origine chinoise, il fait aussi restaurant. La jeune serveuse est d’origine malgache. Pour treize euros, je dîne d’un buffet d’entrées et d’une pintade basquaise. Avec le quart de vin rouge et le café, cela fera dix-huit. Les autres convives sont surtout des ouvriers. Ce sont eux qui emplissent les hôtels des villes portuaires. Quand je retourne au mien, un écriteau l’affiche complet.
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Aucun hôtel ne donne sur la mer dans cette ville reconstruite.
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Voir une pancarte indiquant Le Grand Café a de quoi me réjouir. La déception est grande. Il s’agit du Centre d’Art Contemporain.
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En bon traumatisé des punaises de lit hôtelières, je stocke valise, sac et vêtements dans la salle de bain en laissant la lumière de celle-ci allumée toute la nuit.
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Edouard Philippe nommé Premier Ministre, une bonne petite magouille politicienne. Cela dit, ce n’est pas le plus antipathique des Droitistes. Je l’ai vu un jour au Havre à la fête du quartier Saint-François, quand il venait de rejoindre la tribu des néo barbus, discutant de façon décontractée avec ses administré(e)s.
 

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