la littérature en couleurs
Loïc Boyer
Invité par d’enthousiastes bibliothécaires que l’Histoire de l’album et celle de l’illustration intéresse, je suis allé à Grenoble l’autre jour. Cette sous-catégorie de l’histoire de l’art est encore faiblement représentée, que ça soit à l’Université ou dans les Écoles d’art alors que paradoxalement les formations autour du livre et de l’illustration se développent. J’ai donc pris mon ordi sous le bras et avec quelques albums prélevés sur place j’ai arpenté le sujet de Moscou à Los Angeles, de 1911 à 1981 — je n’avais que trois heures. Trois heures bien agréables avec un public attentif et motivé dans la bibliothèque Kateb Yacine qui est incluse dans un centre commercial au sud de la ville.

Mais les montagnes ne furent pas les seules à capter mon attention à l’heure du déjeuner puisque dans le restaurant jouxtant la bibliothèque m'attendait François Ruy-Vidal. Oui, le François Ruy-Vidal qui fut l’éditeur des nombreux albums parus sous le label Harlin Quist entre 1966 et 1972, qui fonda le département jeunesse des éditions Grasset, qui proposa aux enfants des textes signés Eugène Ionesco ou Marguerite Duras, qui ouvrit le monde de l’édition à des artistes comme Nicole Claveloux, Patrick Couratin, Mila Boutan ou Claude Lapointe, je ne vais pas énumérer davantage les raisons de l’influence considérable que cet homme a eu sur la production éditoriale pour les enfants en France…

Bref, en 2019 la discussion porta sur quelques points de ma conférence à laquelle il avait assisté et auxquels il m’apporta détails, éclaircissements et anecdotes: l’influence du Père Cocagnac sur le dessin d’Alain Le Foll, ses rapports avec Gallimard avant que Pierre Marchand ne soit recruté pour développer le secteur jeunesse, sa brève activité de galeriste rue de Nesle vers 1975, son émerveillement en lisant Oscar et Erick (Marcel Aymé) dans l’édition Jeunes bibliophiles en 1961, comment L’Arbre (Etienne Delessert & Eleonore Schmid) fut élaboré avec les élèves de sa classe de la rue de Picpus à Paris, comment en 1967 Simone Signoret fut à l’origine de sa publication de Pierre l’ébouriffé et les aventures stupéfiantes de Tomi Ungerer sur Fire Island auxquelles il n’a pas souhaité participer.

— J'irai ! j'irai !
— Où?
— Sous le ciel pommelé, et je mâcherai chaque herbe pour connaître le goût qu'elle a.
L’Échange, Paul Claudel