Ligeti + Schuman + Schubert au Théatre des Arts

M. Crocodile

Un concert à remonter le temps, vendredi soir à l’Opéra de Rouen, je suis assis sur un foutu strapontin mais étrangement bien placé, en surplomb et assez centré. Le chef invité est Henrik Schaefer, dont la réputation n’est plus à faire. Il a fait enlever le garde-fou de son estrade (je ne sais si ça s’appelle comme ça), ce qui a pour vertu de le rapprocher du public. Je constate qu’il est né en soixante-huit, l’année de la composition de Ramifications pour orchestre à cordes qui ouvre le programme. C’est de György Ligeti, mort il y a deux ans.
Je devine que cette pièce ne va pas plaire à tout le monde. Elle s’achève par des notes de silence. La baguette sûre d’Henrik Schaefer les donne à entendre, mais troublées par une toux catarrheuse venue du balcon.
Un saut en arrière et nous voici avec Robert Schumann pour une œuvre de mil huit cent cinquante-trois, composée en onze jours pour le violoniste Joachim qui ne la joua jamais, la jugeant trop difficile. Ce Concerto pour violon en ré mineur ne fut créé qu’en mil neuf cent trente-sept, en présence d’Adolf Hitler, par un violoniste non juif. Mis à l’écart, Jelly d’Aranyi et Yehudi Menuhin la jouèrent l’année suivante, en exil.
Ce soir, c’est Isabelle Faust qui s’y colle, jeune et talentueuse, blonds cheveux courts, chaussures blanches, vêtue mauve et gris. Il n’y a qu’à l’écouter pour être séduit, et chacun(e) devant moi le fait à sa façon. L’un frise sa moustache. Un autre dessine sur son programme.

Ligeti + Schuman + Schubert au Théatre des Arts
Après applaudissements nourris, Isabelle Faust donne deux courts solos en bonus avec son précieux violon, le Stradivarius dit « la Belle au bois dormant » de mil sept cent quatre, qui lui est prêté par la L-Bank Baden-Würtemberg. Je me souviens avoir un jour entendu sur France Culture un violoniste raconter comment un inestimable instrument prêté par un mécène peut, du jour au lendemain, être retiré au musicien pour être confié à un autre qui en est jugé plus digne et quelles répercussions psychologiques cela a sur lui.
A l’entracte, sans surprise, on évoque la performance d’Isabelle Faust et on se plaint du Ligeti, heureusement pas trop long.
Ils ne veulent pas entendre le monde dans l’état où ils l’ont mis, me dis-je avant d’aller me rasseoir dans un vrai fauteuil de la rangée précédente, resté libre.
Mon nouveau voisin, un octogénaire, manie l’ironie :
-J’ai tellement aimé Ligeti qu’à la fin, je n’entendais plus la musique. Je suis allé le dire à Daniel Bizeray.
Daniel Bizeray, directeur, est assis derrière. Il doit en entendre bien d’autres. La fin du programme ne lui vaudra aucune plainte, c’est la Symphonie numéro six en ut majeur de Franz Schubert, adagio-allegro, andante, scherzo et allegro final, datant de mil huit cent dix-huit, de quoi mettre tout le monde de bonne humeur, moi y compris. Qu’il est doux de se réfugier au début du dix-neuvième siècle, loin des perspectives effrayantes du vingt et unième.



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