Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

17 avril 2024


Ce mardi matin, le marché est sans parasols (ou sans parapluies, comme disent ceux qui les utilisent). Cela signifie que le mistral souffle à nouveau. Ce qui nuit à l’impression de beau temps donné par le ciel bleu.
Comme hier je prends le bateau bus de huit heures pour Les Sablettes pour n’en descendre qu’à Tamaris. Au bout du ponton, je prends cette fois à droite en direction des Forts.
Je passe d’abord devant une turquerie héritée de Michel Pacha puis arrive au Port du Manteau, tout petit. C’est ensuite la Pointe de Balaguier avec le Fort du même nom, visitable à des heures qui ne sont pas les miennes. Je longe la Baie de Balaguier où il ne manque qu’une plage et j’arrive à la Pointe de l’Eguillette avec le Fort du même nom, non visitable car militaire.
Une pancarte sur ce second Fort m’apprend que je suis à trois virgule trois kilomètres des Sablettes. Je poursuis encore le long de la mer vers le centre de La Seyne, arrive au Terminal des Croisières puis devant les Anciens Ateliers Mécaniques, vastes bâtiments à armature métallique et à murs de brique, en ruine, et donc couverts de graffitis.
En face est un arrêt du bus Quatre-Vingt-Trois. Je l’attends un quart d’heure. Il me ramène aux Sablettes.
Le mistral empêchant toute lecture en terrasse au Prôvence Plage, je rentre par le bateau bus de dix heures vingt-cinq. Il est presque plein, les vacanciers en sont la cause.
Un petit tour au marché où je trouve des bananes bio à un euro soixante-neuf le kilo puis je déjeune à La Feuille de Chou, curry de poulet au riz thaï, verre de vin rouge, brioche perdue boule de glace vanille et café
Ici, place Baboulène, je me crois abrité du mistral mais quand une bourrasque renverse une chaise et jette des couverts au sol, je dois tenir mon verre à vin. Au-dessus, des volets claquent. Derrière moi un couple discute du tirant d’eau d’un bateau à acheter, une envie de naufrage peut-être.
Où lire en terrasse sur le port quand il souffle un tel vent ? Je trouve une table à peu près abritée et néanmoins au soleil à La Réale et je tiens là un certain temps avant d’être délogé par des bourrasques de plus en plus violentes.
                                                                             *
Il y a des endroits où c’est le vent qui souffle. Il y en a d’autres où c’est le mistral ou bien la tramontane. On peut être sûr que lorsque le vent a un nom, c’est qu’il est particulièrement pénible.
                                                                             *
La Métropole Toulon Provence Méditerranée a nommé Réseau Mistral son service de bus et bateau bus. Elle n’est pas allée jusqu’à Réseau Moustiques ou Réseau Canicule.
 

16 avril 2024


Mes nuits toulonnaises sont sans problème rue des Boucheries. Mon voisinage est jeune et discret. J’entends à peine marcher le garçon du dessus et chez la fille d’en face pas le moindre bruit. Pour ce qui est des bruits de la rue, le double vitrage est efficace. Quand même le camion poubelle passant vers deux heures du matin peut me réveiller. Un insolent moustique vient parfois me piquer avant que je me lève.
Ce lundi le ciel est encore assez bleu. Je prends le bateau bus de huit heures pour Les Sablettes mais à l’arrivée n’en descends pas pour aller jusqu’à l’arrêt suivant, Tamaris, nom du quartier de bord de mer de La Seyne, autrefois balnéaire et huppé par la volonté de Michel Pacha dont l’influence en matière de constructions est visible sous la forme de diverses turqueries.
Au bout du ponton du débarcadère, face à l’unique café restaurant qui m’avait fort déçu il y a deux ans, je vais à gauche. Il s’agit de longer la mer jusqu’aux Sablettes, mer dans laquelle gisent des épaves de bateaux à moteur qui semblent vouées à y rester. En chemin, je passe devant l’Institut de Biologie Marine Michel Pacha qui est en déshérence.
Arrivé aux Sablettes, je mets le cap sur la terrasse du Prôvence Plage. J’y lis Strindberg assez longtemps bien qu’elle soit un peu trop fréquentée. Une adepte du longe-côte passe devant les Deux Frères. J’en fais une photographie depuis ma table de bord de plage puis rentre par le bateau de dix heures cinquante-cinq.
A midi, je déjeune d’un foie d’agneau frites salade chez Béchir. A la table voisine sont  un père divorcé et sa fille adolescente. Il porte un ticheurte Pablo Escobar, demande un cendrier car il a horreur de mettre ça par terre et une carafe d’eau. « Tu vois, lui dit-il, je touche plus à l’alcool, un Ricard de temps en temps, c’est tout. »
-Et ta mère, qu’est-ce qu’elle dit alors ?
-Rien.
Elle fait des efforts pour trouver des sujets de conversation mais lui n’est vraiment pas doué. En face, une femme de ménage anorexique s’est mise en tenue de travail devant l’immeuble dont elle nettoie maintenant la porte d’entrée de façon obsessionnelle.
Mon addition réglée, je m’installe au perchoir de La Gitane pour un café suivi de lecture. Il souffle un petit mistral qui nuit un peu à celle-ci. Une fanfare joue Emmenez-moi devant l’église des cathos tradis dont certains justement se promènent sur le quai, un chef curé en soutane noire, deux subalternes en soutane blanche à large ceinture noire, quelques ouailles masculines.
                                                                          *
Dans le bateau bus de l’aller, une jeune femme lisant Martin Eden, ce qui peut s’avérer dangereux.
                                                                          *
Un tas de chiens sur la plage des Sablettes alors qu’un panneau l’interdit. Je me demande à quoi sert la Brigade Anti Incivilités.
 

15 avril 2024


Un peu plus de guerre, lis-je ce dimanche matin quand je m’informe de ce qui se passe dans le monde avant de quitter mon studio Air Bibi. Le ciel est déjà bleu. Je fais traîner mon petit-déjeuner du Maryland car le premier départ pour Les Sablettes n’est qu’à neuf heures. Dans le bateau devant moi sont quatre vieilles marcheuses à bâtons et à sacs à dos bien remplis.
A l’arrêt de bus Sablettes, je prends le Huit qui ne va que ce jour-là au lieu-dit Marégau (commune de Saint-Mandrier). Il ne m’emmène pas où je croyais. L’arrêt Marégau est en bord de mer peu après Sainte-Asile, au pied du quartier portant ce nom. Plus qu’à marcher sur une petite route qui monte, sans voir la mer accaparée par des propriétés privées.
Un passage entre deux maisons me permet de rejoindre le sentier du littoral. Le bord de mer est fort beau comme toujours sur cette côte varoise. Une série de marches fatigantes me mène à une table d’orientation plus toute jeune d’où je vois tout ce qu’il y a à voir. Un propriétaire de chien, écroulé sur le banc à côté, me dit qu’après c’est vite militaire et que cela implique des détours. Il me conforte dans mon idée de revenir sur mes pas.
Déjà il y a trop de monde sur le sentier, des pékins avec des chiens, d’autres en tenue de sport. En redescendant le bout de route vers Sainte-Asile, je croise les quatre vieilles à bâtons du bateau. Elles me regardent d’un air de se demander comment se fait-il qu’il soit déjà en train de revenir de plus loin, alors que nous autres, baroudeuses chevronnées, nous arrivons seulement.
A l’arrêt Marégau, je trouve un bus garé partant dans dix minutes. J’y monte et comme aucun bateau bus n’est attendu aux Sablettes avant une heure, je fais tout le trajet du retour avec lui, voyageant longuement à travers La Seyne et la banlieue de Toulon avant d’atteindre Liberté, un arrêt bienvenu après tant de kilomètres enfermé.
Peu après, à midi pile, je suis à la terrasse de chez Béchir et je lui commande un couscous puis c’est un café lecture à La Gitane où je me remets de cette matinée dominicale un peu cafouilleuse qui me ferait presque dire en moi-même à propos de moi-même à la manière des gens d’ici : « Oh putain, pauvre ! ».
                                                                            *
Vue du bus, cette inscription à la peinture sur le mur de l’Hôpital de La Seyne : « Libérez Momo ».
Pas revu le frère de Momo depuis le jour de mon arrivée.
 

14 avril 2024


Rêvé que je faisais la rentrée dans une classe maternelle, rêve que je mets sur le compte des sorties scolaires que j’ai croisées ce vendredi. « Ils sont tous en sortie scolaire », remarquait l’une des lycéennes du France, continuant ainsi : « Hier, je monte dans le bus, une sortie scolaire était dedans, j’arrive à Liberté, trois sorties scolaires qui veulent monter. » Sorties scolaires ou pas, il ne se passe pas un mois sans que je rêve encore d’école de façon la plus réaliste.
C’est samedi, donc peu de risque de côtoyer de nouveau une sortie scolaire. Je prends le bateau bus pour Saint-Mandrier. Il sort du port après qu’un ferry y est entré, d’où un peu de tangage quand il en croise le sillage.
Un beau marché occupe la place devant le Café de la Place et les rues avoisinantes jusqu’à l’église que je vise. Ensuite, c’est à gauche et puis tout droit. Je n’ai pas longtemps à marcher pour atteindre, de l’autre côté de la presqu’île, la plage de la Coudoulière.
Près de celle-ci,  le jardin du Conservatoire du Littoral est encore fermé ainsi que celui de la Salle des Fêtes où se trouve une Vénus sans bras (comme celle de Milo) avec de jolis petits seins (contrairement à celle du Petit Gaou).
Je longe cette plage de la Coudoulière à tribord puis monte un rude escalier qui me mène sur le sentier littoral qu’un panneau signale dangereux. Un petit malin a transformé le « Attention aux chutes » en « Attention aux putes ».
Ce sentier est fort beau, bordé de pins maritimes torturés par le vent et de plantes qui piquent. Il offre des vues plongeantes sur la Baie de Cavalas et me mène jusqu’à la plage du même nom. Ensuite, c’est trop dangereux pour moi. De plus, bientôt c’est militaire donc interdit.
Je reviens par le même chemin avec au loin visibles les Deux Frères. Près de la Salle des Fêtes, une affiche oubliée montre que Saint-Mandrier fait partie des communes pour lesquelles le neuf mars, c’est la Journée de la Femme. Au programme : stand de minéraux, bijoux, prêt-à-porter, cosmétiques, soins du visage, déco, conseil en image, diététique avec Herbalife, cours de self-défense.
Quand je retrouve le Port, je m’installe au Mistral parmi la population locale pour un café verre d’eau lecture. C’est affolant comme tout le monde se connaît ici. « T’es pas encore parti ou t’es déjà revenu ? » « C’est annulé ». Les conversations ne vont pas loin. « Oui, on la connaît l’histoire, Robert. »
De retour à Toulon, je déjeune sous un parasol au Mondial Café d’un burgueur reblochon au lait cru frites salade suivi d’un nougat glacé pour dix-huit euros cinquante. La serveuse est moins empressée auprès de moi maintenant qu’elle me considère comme un client acquis.
Pour le café lecture d’après-midi, je me perche à La Gitane sous un parasol et reste là jusqu’à ce qu’arrive une manifestation de motards en colère (ils le sont toujours). Tandis que je m’éloigne, ces rebelles autoproclamés font hurler leur moteur autour de la Mairie, polluant par les gaz et le bruit.
                                                                           *
Ma définition du motard : un automobiliste qui n’a que deux roues.
 

13 avril 2024


Refaire le tour de l’île du Gaou, dite aussi île du Grand Gaou par opposition à celle du Petit Gaou désormais attachée au continent, tel est mon but ce vendredi matin. C’est pourquoi je prends le bateau bus de sept heures trente pour La Seyne puis avec l’aide d’un autochtone trouve l’endroit d’où part le bus Quatre-Vingt-Sept dont le terminus est Le Brusc (commune de Six-Fours). A peine y suis-je monté qu’il démarre.
Le trajet est longuet. Nous passons par tout Six-Fours et je suis le seul à aller au terminus. L’île du Gaou est tout près, accessible par une passerelle en bois, mais quand j’y suis, c’est pour découvrir qu’elle est en travaux et donc inaccessible. « Peut-être demain », me dit l’un des ouvriers.
Je peux au moins me balader sur le Petit Gaou dont les rochers ont des allures de Bretagne et qui est doté de la plus moche statue que je connaisse, Vénus de Robert Forrer.
Cela fait, je longe le bord de mer pour revenir au Port du Brusc, rencontrant d’abord quelques pointus décoratifs puis nombre de bateaux de plaisance. Il y a aussi dans ce port l’embarcadère pour l’île des Embiez, toute proche, où je n’ai pas envie d’aller. C’est chez Paul Ricard et dix-huit euros cinquante l’aller et retour pour un petit quart d’heure de bateau.
Aucun bar ne m’attirant (il y a la route entre eux et la mer), j’attends que se présente un bus pour rentrer. Il arrive à La Seyne juste à temps pour que je puisse prendre le bateau de dix heures. De retour à Toulon, je me perche au soleil à La Gitane où les serveurs n’ont plus à me demander ce que je bois.
Pour déjeuner, je choisis La Feuille de Chou, place Baboulène, sous les oliviers. On y propose ce midi une formule à vingt et un euros quatre-vingt-dix : filet mignon de porc, pommes grenaille, verre de vin rouge, tiramisu et café. « Vous étiez à côté de moi dans le bateau », me dit la patronne quand elle m’installe à la table du coin à l’ombre. Je dois faire un effort pour reconnaître la jeune femme qui était assise devant moi à l’arrière et qui à un moment s’est levée pour souhaiter un bon anniversaire avec son téléphone. En revanche, je me souviens parfaitement de sa petite serveuse d’il y a deux ans et de son combo crop top pantalon taille basse. Une autre la remplace aussi efficace et davantage vêtue.
Je prends ensuite un autre café sous l’auvent latéral du France où il fait presque trop chaud. Le ciel est d’azur. Je lis Strindberg. Trois lycéennes dont l’une au moins sèche les cours sont à la table voisine. « Putain, dit l’une, il y a un mec au loin, on dirait Justin Bieber » « Où ça ? » « Au loin ». Un type en trottinette électrique passe avec Capri c’est fini à fond. C’est Marguerite qui serait contente si elle était encore vivante et en vacances à Toulon.
                                                                            *
La place Baboulène, un quadrilatère arboré entouré de belles façades, peut-être le plus joli endroit pour manger en extérieur à Toulon, La terrasse de La Feuille de Chou occupe tout l’espace mais la circulation piétonnière se poursuit entre les tables éloignées les unes des autres. Le cuisinier a vue sur la clientèle. A un moment, il éternue. « A tes souhaits », lui dit le brocanteur d’en face.
 

12 avril 2024


La balayeuse et la laveuse de rues passent dès six heures ce jeudi matin. Je suis déjà debout, occupé à organiser ma journée. Prendre le bateau pour Les Sablettes puis le bus Huit jusqu’à son terminus Marégau (commune de Saint-Mandrier) pour ensuite revenir à pied le long de la mer par Sainte-Asile.
Après mon petit-déjeuner près d’un marché de nouveau semblable à lui-même, j’inaugure ma deuxième carte de sept jours en illimité sur le Réseau Mistral dans le bateau de huit heures, le premier depuis mon arrivée où je trouve une femme d’équipage.
Tout ça pour qu’arrivé au débarcadère, je constate que la ligne Huit ne fonctionne jusqu’à Marégau que les dimanches et jours fériés. Fichtre ! Je décide de marcher en direction des Deux Frères, ces rochers jumeaux triangulaires qui prolongent le Cap Sicié. Hélas, des propriétés privées obligent à passer par la route. Un chemin goudronné me permet de retrouver la côte mais pour aller plus loin il faudrait reprendre la route aussi je renonce et j’ai la chance qu’un bus Dix-Huit arrive. Il me ramène aux Sablettes où je croise la brigade anti incivilités et où je m’assois à la terrasse du Prôvence Plage pour un café verre d’eau. Je lis là jusqu’à l’arrivée d’un camion de vidange qui me fait fuir par le bateau de dix heures vingt-cinq.
Dans ce bateau pour Toulon voyagent un couple bourgeois et ses deux moutards à lunettes de soleil de petits frimeurs. Les parents sont assis devant leur progéniture qui a ordre de ne pas se lever sinon… (de la part de la mère, le père inexistant). A la fin de la traversée, la marmaille court partout (la mère regarde ailleurs, le père toujours inexistant). Pas une vacance scolaire sans que je me dise « Putain de famille ».
Le foie d’agneau est de retour chez Béchir, avec frites maison et salade pour quatorze euros quatre-vingt-dix. Aussi y suis-je moi-même de retour ce midi à une table ensoleillée puis je vais me percher à La Gitane pour terminer le premier volume de Correspondance d’August Strindberg. Près de moi sont une mère et son dix ans, accompagnés du grand-père ventru à casquette qui comate devant un verre de vin blanc. L’enfant tente de calculer je ne sais quoi sur une feuille de papier. « Ça fait une semaine qu’il ne va plus à l’école, il sait déjà plus poser une addition », constate la génitrice. « En rentrant tout à l’heure, tu vas m’en faire, tu vas voir. » Moi, in petto encore une fois « Putain de famille ».
Par une translation pédestre sur la droite, je me déplace jusqu’au France où je commence la lecture du deuxième volume de Correspondance d’August Strindberg. Derrière moi sont trois jeunes femmes en train de déjeuner au vin blanc. Le téléphone de l’une sonne : « Allo, là je suis au resto et j’ai pas envie de manger froid. Juste je te dis que Margot est dévastée, Manon est dévastée et moi je suis très triste, mais bon, il n’est pas mort. Allez bisous. Je te rappelle. » Que dire ?
Heureusement, il y a sur les marches du bas du port, devant le vieux gréement, une jeune fille qui lit un casque sur les oreilles et une autre qui fait de même plus loin face au large près de sa bicyclette. J’en fais une photo depuis ma table au moment où personne ne passe sur le quai et où un bateau bus bleu arrive à la Gare Maritime.
                                                                           *
Toulon est une ville propre. Elle n’a pas besoin de l’afficher dans les rues (ce que font les villes sales, Rouen par exemple). Il faut voir l’escouade d’engins et d’hommes qui descendent le cours Lafayette sitôt le marché terminé. Une véritable armée qui derrière elle laisse un pavage rutilant.
 

11 avril 2024


Un marché tout nu ce mercredi matin, que je n’ai jamais vu comme ça. A cause du vent, les grands parasols jaunes ou orange qui font le charme de cet endroit n’y sont pas. Un marché à trous aussi, beaucoup de vendeurs sont absents. C’est le jour de la fête de fin de ramadan.
Un autre serveur au Maryland, à qui je demande la formule à deux cinquante. « C’est deux soixante à partir de ce matin, je préfère vous le dire tout de suite. » « Bon, je la prends quand même. » La clientèle commente l’augmentation générale des prix de ce bar puis passe à l’actualité télévisée. « Encore un gamin qui s’est fait tuer hier » « Ouais, j’ai vu ça » « La jeunesse de maintenant, elle part en couille ».
Le ciel est bleu mais ça caille un peu. Je repasse à mon studio Air Bibi pour enfiler mon vêtement de pluie qui fait aussi office de coupe-vent. Aujourd’hui, je reste en ville, Ville Basse et Ville Haute, autrement dit : vieille ville et moins vieille ville. Je zone avec mon appareil photo dans les rues étroites et colorées et sur les vastes places, allant de monuments en lieux typiques, Cathédrale Sainte-Marie-de-la-Seds, ancienne Halle Municipale, Fontaine des Trois Dauphins envahie par la végétation place Puget, Opéra, façade du Grand Hôtel et Fontaine de la Fédération place de la Liberté, grande roue,  place Raimu (Jules Muraire) lequel est statufié en joueur de cartes de chez Pagnol.
Un peu de vent, un peu de nuages, un peu de soleil, c’est le coquetèle avec lequel je m’installe au premier rang de la terrasse du Grand Café de la Rade. Bientôt les nuages l’emportent et j’ai cette grande terrasse pour moi seul.
A midi, comme un touriste, je déjeune sur le port. Mon choix se porte sur le Midi Moins le Quart dont une jeune serveuse sert de produit d’appel en disant bonjour à qui passe sur le quai. Une autre, mignonne aussi, me donne pour table à l’intérieur celle que je désire, dans un coin pour être tranquille, avec vue sur le port. Dans la salle sont déjà installées des familles de vacanciers de Paris ou de Montpellier. Je choisis la dorade au pesto (quatorze euros quatre-vingt-dix). Un jeune couple arrive et gare son landau entre la table voisine et la mienne. « Désolé, on vient vous embêter », me dit-elle. « Oui, je vois ça ». Bien que le bébé ne dorme pas, nulle autre gêne ne s’ensuit. « L’enfant est bien sage », leur dis-je en partant. « A cet âge-là, ça va », me répond-il.
C’est ensuite un long café lecture à la tersasse du France avec le soleil revenu. Parmi les promeneuses et promeneurs qui passent sur le quai, celles et ceux pour qui c’est fête portent leur plus bel habit.
                                                                             *
Une femme à une autre sur le quai : « Après on va aller dans le centre ville voir s’il y a quelque chose. »
                                                                             *
Toujours aussi peu de bancs à Toulon. Deux ont quand même été installés face à l’entrée et sortie du port. Impossible d’en avoir un pour soi seul. Tu te retrouves toujours à côté d’un glandu.
 

10 avril 2024


Des pluies éparses, voilà ce que prévoit la météo pour Toulon ce mardi. L’une au moins est déjà tombée lorsque je sors à sept heures. De la terrasse du Maryland, je vois de gros nuages noirs qui stagnent au-dessus des ferrys pour la Corse. Toulon sous la pluie est une nouveauté pour moi et une cause de déprime pour les commerçants du marché : « Temps de merde alors ! ».
C’est le dernier jour de validité de ma carte sept jours en illimité sur le Réseau Mistral. Je décide de l’utiliser pour traverser la rade jusqu’à Saint-Mandrier. Quand j’arrive à la Gare Maritime le bateau bus pour La Seyne la quitte. Un retardataire le voyant partir sans lui s’emporte : « Sale fils de pute ! » « Sale fils de pute ! » (ne pas lui demander s’il parle de lui).
Dix minutes d’attente, vingt minutes de traversée, me voici à Saint-Mandrier. Il pleut un peu. Le Mistral est fermé le mardi. Je le remplace par le Café de la Place qui a vue sur la place où se garent les voitures. Mon café à un euro soixante-dix bu, je sors mon volume un de Correspondance d’August Strindberg. A ma droite, deux jeunes femmes parlent à voix basse pensant que je n’entends pas. Il s’agit des zones intimes de leurs filles qu’elles leur apprennent à ne laisser toucher par personne, même pas par leurs grands-mères pendant la douche. Un peu plus tard, un fils explique d’une voix forte à son père combien ça va coûter de le mettre en maison de retraite quand il voudra y aller et comment il pourrait faire pour financer ça, vendre sa maison par exemple. Je suis toujours étonné de la facilité avec laquelle les client(e)s des bars évoquent des questions d’ordre privé en public.
Rentré à Toulon, je déjeune à l’intérieur de chez Côté Cochon de cochon grillé à la broche avec son écrasé de pommes de terre (treize euros quatre-vingt-dix). Une spécialité que je retrouve avec plaisir. Le patron est d’une amabilité commerciale. « Allez, on passe au sucré ? » me dit-il quand j’en ai terminé. Je lui dis que non et paie l’addition.
La pluie a cessé mais le temps reste gris. Aussi prends-je le café (deux euros) à La Réale dont la terrasse avec vue sur le port est bien abritée. Près de moi sont deux bourgeoises d’un âge certain. L’une porte une toque. L’autre a lu hier la préface d’un recueil de poèmes de Verlaine. « Une heure cinq, dit la première après avoir consulté sa montre, toi aussi ? » La seconde confirme. Elles ont bien la même heure et elles s’ennuient. Que c’est triste Venise chante en sourdine Aznavour pour plomber un peu plus l’ambiance. Le ferry La Méridionale crache une fumée noire. Mes deux voisines se lèvent. « On va jusqu’au bout du port ? » suggère la porteuse de toque. « Non, je préfère rentrer », lui répond l’autre. Words don’t come easy to me, ajoute tout bas la sono.
Il est deux heures quand le soleil fait son apparition. Aussitôt le monde semble revivre. La serveuse se précipite pour essuyer les tables mouillées.
                                                                               *
Plus de sucre avec mon café, plus de vin avec mon repas. Ça ne m’empêchera pas de continuer à me dégrader.
                                                                               *
Michel de Montaigne : Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages que je sais bien ce que je fuis mais non pas ce que je cherche.
 

1 2 3 4 5 » ... 342