Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

L’infortuné docteur et le chanoine mondain

25 avril 2018


D’un Céline l’autre, ce recueil de témoignages sur Louis-Ferdinand Céline publié chez Bouquins/Laffont ne m’a pas seulement appris la rencontre entre celui-ci et la petite Eliane Bonabel, il m’a rappelé celle entre l’écrivain et l’abbé Mugnier. La voici racontée dans le Journal de Carlo Rim, peintre, journaliste, dessinateur de presse, scénariste et metteur en scène, à la date du quatorze novembre mil neuf cent trente-deux :
Déjeuner chez Lucien Descaves, rue de la Santé, avec Céline, Denoël, les deux fils Descaves et le chanoine Mugnier, venu en voisin (il habite à deux pas, rue Méchain), vieil ami de Descaves et qui fut le confesseur de Huysmans, un de ces curés de village entichés de bonne société, plus souvent au château qu’à la sacristie, l’œil futé, les joues trop luisantes, la soutane un peu verdie. Céline soliloque :
-Si le Voyage marche je pourrai peut-être me démouiser, me fringuer, m’installer proprement. Plein les bottes de l’ascétisme. Ce qu’il y a de sûr, c’est que je ne deviendrai jamais un toubib-littérateur ou un littérateur-toubib comme MM. Duhamel, Durtian, ou Mondor ! merde, Dieu m’en garde ! Gribouiller ses états d’âme sur ses feuilles d’ordonnances ! Et tout ça pour le public ! Je le connais le public ! je le titille, je le torche, je le purge, je le ramone, je patauge dans ses humeurs et ses glaviots. Il est ragoûtant le public !
L’abbé secoue doucement la tête.
-Certes, toutes ces misères…
Céline, le front en avant, lui jette un rire glacé :
-Et ma misère à moi ? malade je suis, infirme je suis ! Pas dormi une seule nuit depuis qu’ils m’ont scié le crâne comme un œuf à la coque en 1917 ! Vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans fermer l’œil, avec un tocsin dans les oreilles, à devenir fou !... C’est vrai, on m’a donné la médaille militaire, je ne devrais pas oublier ça, c’est de l’ingratitude !
Fin du repas. L’abbé fume un cigare, son verre de mirabelles au poing. Céline, qui ne boit ni ne fume, s’est dressé, prend congé avec précipitation comme un voyageur dont le train démarre. Il s'est esquivé. Descaves interroge Mugnier :
-Qu’est-ce que vous dites de mon Ravachol ?
-Comme cet homme doit être malheureux ! dit l’abbé en époussetant de sa serviette son rabat constellé de miettes.
En réalité, le soldat Destouches a été opéré au bras. L’abbé Mugnier aura l’occasion de revoir Céline comme il le raconte dans son propre Journal :
Hier déjeuné chez les Descaves avec leur fils Max, Céline et sa mère, le peintre Vlaminck. Céline fut tout de suite simple, gentil, bon enfant avec moi. Je lui dis que certains mystiques avaient parfois le langage très raide. Il ajouta que les vieux prédicateurs leur ressemblaient sous ce rapport. (…)
J’ai fait signer deux exemplaires du Voyage au bout de la nuit, Céline s’y prête de bonne grâce, sur la table de la salle à manger, le premier destiné à la comtesse de Castries, le second pour moi avec ses mots : « A M. le Chanoine Mugnier, notre compagnon d’infini, bien amicalement et respectueusement. » (dix-huit janvier mil neuf cent trente-trois) 
Déjeuner chez les Descaves avec Céline. Il revient de Californie où les gens ne s’occupent que de leur plaisir. (…) Je lui ai dit que j’avais été en Bretagne. Il m’a répondu : « Vous êtes allé voir l’incestueux vicomte ? » Et comme je m’étonnais, il m’a dit : « Disons vicieux. » Et il a ajouté encore : « On n’a ni talent ni génie si l’on n’est pas vicieux. » (douze septembre mil neuf cent trente-quatre)
Impossible d’évoquer Mugnier sans penser à Léautaud, lequel ne succomba pas à l’engouement suscité par Voyage au bout de la nuit, comme il le raconte dans son Journal littéraire à la date du jeudi huit décembre mil neuf cent trente-deux :
Pas lu, naturellement. Je l’ai regardé un peu ce soir, sur ce que m’en disait Auriant, qui en parle comme d’un livre remarquable. (…) Le peu que j’en ai lu, je ne crois pas que cela me plairait beaucoup. Je n’ai pas beaucoup de goût pour la littérature de mœurs populaires.
 


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