Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

21 novembre 2014


Nouveau lieu de rassemblement, ce jeudi à onze heures, pour protester contre les violences policières, la station de métro Théâtre-des-Arts, laquelle est restée ouverte. Cette fois, La Police est discrète, représentée par quelques hommes en civil qui semblent attendre le bus et quelques fourgons garés en retrait. Pour surveiller la centaine de manifestant(e)s que nous sommes, la démesure n’est plus de mise
Des lycéen(ne)s s’affairent à fabriquer banderoles et panneaux mais je doute qu’elles et eux soient à l’origine de l’appel. Pendant ce temps, des membres de groupuscules proposent leurs journaux, L’Egalité et Le Bolchevik, et tentent de catéchiser les inoccupé(e)s. Un drapeau du Parti de Gauche fait une apparition brève.
« L’Etat tue » proclame une première banderole. Elle est tenue à bout de bras par des gens qui ne sont plus lycéens depuis longtemps, dont l’un passablement énervé. Jugée trop lourde, elle est enroulée avant d’être hissée et fixée sur les ruines de l’église Saint-Vincent.
On assiste ensuite à une belle démonstration du pouvoir du mégaphone (ou du mégaphone du pouvoir) quand le lycéen qui le détient suggère d’aller faire le tour des lycées, en commençant par Blaise-Pascal, rive gauche. La proposition mégaphonée est approuvée par le silence d’autrui.
Quand la deuxième banderole est prête, « Maintenant déposez les armes », une bonne partie des présent(e)s se rassemblent derrière. Il est bientôt midi. Je regarde les manifestant(e)s s’éloigner suivi(e)s des quelques Forces de l’Ordre.
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Le Céhéresse filmé devant le Musée des Beaux-Arts de Rouen jeudi treize novembre déclarant à propos de la mort de Rémi Fraisse qu’il l’avait bien méritée a vu sa notoriété considérablement élargie en passant au Zapping de Canal Plus.
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Sur le site Makhnovtchina d’Echelle Inconnue (art/archi/urba/multimedia/désordre culturel), une analyse affûtée de la mise en place d'un vrai faux bidonville par des associations caritatives devant l’Hôtel de Ville de Rouen, opération soutenue par Robert, Maire, Socialiste.
Extrait : « Le bidonville, envisagé comme la dernière pièce à la mode, le spectacle qui fait sensation. Le bidonville scénographié pour « faire vrai », et s'imposer comme réel contre la réalité-même. Les barrières délimitent le cadre. La mise en scène est vivante, enlevée. Toute l'équipe, composée des personnels et bénévoles de dix-huit associations, s'affaire, les ouvreuses accueillent le public, les petites mains apportent la touche finale aux costumes. De l'ethnique, de l'exotique, du dépaysant. »
 

20 novembre 2014


Sorti de sous la terre à Ledru-Rollin, je constate que le brouillard ce n’était pas seulement pour la Normandie ce mercredi matin : le génie de la Bastille est invisible. Je me réchauffe d’un café et lis Libération au Café du Faubourg. Deux pages sont consacrées à Bosc-Roger-en-Roumois où l’on est aussi en plein bouillard. Comment le gentil Maxime est-il devenu assassin djihadiste ? La bourgade de l’Eure, que je n’ai jamais traversée sans me dire comment fait-on pour vivre ici, connaît son quart d’heure de célébrité.
A dix heures, je suis chez Book-Off. Le premier livre sur lequel je jette mon dévolu (comme on dit) est, par coïncidence, l’ironique Chers djihadistes de Philippe Muray (Mille et une nuits) : Vous compromettez, avec vos destructions, nos déconstructions. Vous intervenez, avec vos anéantissements, contre nos néantisations. Vous faites double emploi.
Le génie est visible quand par la Bastille je rejoins Beaubourg où je mange chinois dans l’impasse du même nom chez New New. Je passe ensuite un moment au Centre Pompidou à l’étage Art Moderne, très peu fréquenté ce jour, même par les gardien(ne)s, puis rapidement fais le tour de l’exposition Duras Song (Portrait d’une écriture) à la Bépéhi que l’on peut rejoindre directement sans avoir à subir la déprimante file d’attente cachée derrière le bâtiment. On y voit une photo de Marguerite se faisant arrêter par des policiers casqués en mil neuf cent soixante-dix lors d’une occupation des locaux du patronat en soutien aux travailleurs immigrés.
Le bus Vingt et Un me conduit ensuite à l’autre Book-Off où je fais mes emplettes. Une femme revendant ses livres récupère ceux dont on ne veut pas et se dirige vers la porte. L’employée la rappelle : « Eh, madame, votre argent ! ». Ce n’est pas la première fois que je vois ça.
Dans le train du retour, je lis l’un des livres achetés, Une Parisienne à Chicago (1892-1893) de Marie Grandin (Petite Bibliothèque Payot), me rappelant mon séjour là-bas avec celle qui, en ce moment, est à Lisbonne avec un autre.
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Parmi les livres à un euro rapportés de Paris : un exemplaire de Tout est musique d’Hélios Azoulay (Vuibert) bénéficiant d’un envoi de l’auteur : « Chère Valérie Manteau, bonjour, vous souvenez-vous d’Hélios Azoulay comme il se souvient de vous ? Je me questionne. Oui. »
La réponse est non, Hélios.
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Touriste japonais qui photographie une moto Kawasaki.
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Fille voilée au marché d’Aligre à qui une autre plus âgée demande :
-Tu ne penses pas à te marier ?
-Je suis bien comme ça. Quand je vois mes cousines.
 

19 novembre 2014


La seule fois que j’ai vu et entendu Eléonore Chomant sur scène, c’était au Théâtre de l’Echo du Robec à Darnétal, où elle accompagnait de la voix Johan Asherton. Je l’avais vue auparavant en images en solo dans une église de campagne filmée par Seb Petit. De quoi être convaincu du talent de la demoiselle et un peu frustré.
-Quand est-ce qu’elle remonte sur scène toute seule la petite Eléonore ? demandais-je ce jour-là à l’ami Masson dans la voiture d’Emmanuel qui nous ramenait à Rouen.
Je ne me souviens plus exactement de ce qu’il me répondit mais en substance c’était qu’elle ne pensait pas à ça en ce moment.
Il suffisait d’attendre. Depuis quelques mois, la voilà réapparue sous le nom de Tallisker qui désigne le groupe qu’elle forme avec elle-même. L’ayant manquée l’été dernier, je n’hésite pas ce mardi soir à sacrifier le concert d’accentus à l’Opéra de Rouen pour l’aller ouïr et voir à l’Ubi où elle donne un concert de remerciement pour celles et ceux qui l’ont aidée à réaliser son premier heupé de cinq titres : Implosion.
Collants noirs, petite robe noire, accessoire taxidermé par Sylvain Wavrant dans les cheveux, munie d’un petit micro portatif, Tallisker entre en scène vers vingt heures. Debout contre la bibliothèque, celles et ceux devant moi s’étant assis par terre, je n’en perds rien, séduit par sa façon de se multiplier, gérant ses boucles avec le pied, passant en cours de morceau de la guitare au violoncelle, chantant avec elle-même, évoluant en une gestuelle chorégraphiée, trouvant un moment pour remonter la bretelle de sa robe, pleine d’assurance quand elle chante et joue ses compositions, intimidée quand elle s’adresse au public :
-C’est difficile pour moi cette proximité, je préfère quand on ne me voit pas, quand je suis dans ma chambre.
Cette voix, cet univers musical aux couleurs hip-hop/trap (disent les spécialistes), cette présence scénique me plaisent bien. Tallisker récolte une bonne dose d’applaudissements et donne en bonus, avec son complice Sun Jun, une reprise à sa manière du Drunk in Love de Beyoncé.
Je repars de l’Ubi content, après avoir acheté l’heupé, me disant qu’elle a bien fait de sortir de sa chambre, Eléonore.
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Les Inrockuptibles sont de mon avis, qui l’ont repérée et la promeuvent.
 

18 novembre 2014


Ce lundi, à treize heures trente, je suis encore devant le Palais de Justice de Rouen, côté entrée principale cette fois et sous un parapluie, à l’appel des occupant(e)s de la Ferme des Bouillons, zone à défendre de Mont-Saint-Aignan, qu’Auchan voulait raser pour y faire un hypermarché, pas peu surpris de trouver là une ancienne collègue que je n’aurais jamais imaginée contester quoi que soit.
-J’habite au Village maintenant, me dit-elle (ce Village étant le centre de Monsainte).
Bientôt nous sommes plusieurs dizaines dont pas mal venus avec des légumes de là-haut et des pancartes annonçant que Les Bouillons restent ferme. Tandis qu’arrive un fourgon de Police qui va se garer dans la cour intérieure, une partie des présent(e)s installent un Tivoli sur la chaussée, y ajoutent une table et y exposent légumes et documents. L’un prend la parole et explique comment, face à la détermination des occupant(e)s s’appuyant sur l’avis d’experts, l’ancienne municipalité socialiste favorable à l’hypermarché a fait marche arrière en modifiant le plan d’urbanisme pour remettre la ferme en zone naturelle, empêchant Auchan de bâtir. L’avis d’expulsion court toujours et est contesté en appel ce lundi. Les occupant(e)s et celles et ceux qui les soutiennent (mille personnes sont adhérentes) voudraient acheter la ferme à Auchan, dont ils entretiennent le patrimoine, afin d’y pratiquer l’agriculture biologique. Dans ce but, des parts à cent trois euros sont en prévente. L’intervenant conclut en indiquant que l’avocat ne souhaite pas plus d’une quinzaine de personnes dans la salle du Tribunal et que la décision du Juge sera mise en délibéré.
Je quitte donc les lieux et vais boire un café verre d’eau au Socrate où je lis le premier volume des Lettres à Sartre de Simone de Beauvoir.
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Point acheté de ces légumes colorés, rebuté par l’heure de travail livrée avec : lavage, épluchage, cuisson, etc.
 

17 novembre 2014


Revoici, et c’est la dernière fois, le festival Automne en Normandie qui améliore la programmation de l’Opéra de Rouen et remplit le Théâtre des Arts qui l’héberge. Ce vendredi soir, c’est avec la projection des Temps modernes accompagnée de la musique composée par Charlie Chaplin himself (avec l’aide de David Raksin et d’Alfred Newman), dont la partition a été restaurée par le compositeur américain Timothy Brock. Celui-ci est présent pour diriger l’Orchestre.
Je suis en Gé Cinq au premier balcon, une excellente place, m’a dit dans l’après-midi la guichetière au joli sourire. Je confirme. De là, j’ai vue centrée sur l’écran et la totalité des musicien(ne)s ainsi que sur Timothy Brock qui donne en apéritif la musique imagée qu’il a composée pour le premier film de Charlot Kid Auto Race. Les gags de ce très court métrage sont pauvres, mais ils font rire les enfants et même certains adultes.
Les Temps modernes sont d’une autre envergure, que j’ai dû voir à la télévision il y a quarante-cinq ans et dont il me reste en mémoire le début. Difficile pour moi de suivre de concert (si je puis dire) l’image et le son, la première prend le dessus sur le second, d’autant que les interprètes sont dans la pénombre. Cette musique est fort à mon goût et j’aurais avec plaisir assisté à une autre exécution sans le film.
Tout le monde est bien content à la fin, après que Charlot s’est enfui sur la route avec la Gamine afin d’échapper aux policiers de la brigade des mineurs. Timothy Brock est beaucoup applaudi. Il montre l’écran où apparaît un portrait de Charlie Chaplin. « Je savais pas qu’il écrivait aussi de la musique », dit une dame de mon voisinage. Moi non plus.
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Glissée dans le livret programme, une feuille jaune d’Automne Collectif, le rassemblement créé à l’initiative des salariés d’Automne en Normandie, invite le public à protester contre la suppression du festival décidée par les Chefs de la Région Haute-Normandie et des Départements de Seine-Maritime et de l’Eure, Socialistes, qui veulent le remplacer ainsi que Terre de Paroles par un unique au printemps à partir de deux mille seize. Le budget sera trente pour cent moindre. Victor Hugo est appelé en renfort : On pousse à de bien maigres économies pour de bien grands dégâts !
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La veille, jour où la Police frappait celles et ceux qui voulaient construire un village de cabanes devant le Musée des Beaux-Arts de Rouen, Guillaume Le Blanc, professeur de philosophie à l’Université Michel-de-Montaigne de Bordeaux, était l’invité de La Grande Table de France Culture pour son livre paru chez Bayard, L'insurrection des vies minuscules (titre à double référence), dans lequel il fait de Charlot une source d’inspiration pour les évincés d’aujourd’hui.
«La question de Charlot n’est pas: comment s’élever dans la société? Elle est bien plutôt: comment tenir le coup quand on est viré? Comment habiter le monde malgré tout? Comment se construire une niche écologique pour temps précaire?» indique la quatrième de couverture.
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« Ce que je trouve intéressant dans le personnage de Charlot, c’est que c’est précisément une vie anonyme qui apparaît dans la foule et qui se met malgré lui à produire une politique de la rage d’exister, par-delà tout discours qui pourrait être tenu sur lui. C’est celui qui déborde d’énergie, arrive à construire quelque chose avec les moyens du bord, avec son corps : c’est un désespéré sans désespoir. » (extrait de l’entrevue des Inrockuptibles avec Guillaume Le Blanc, le vingt-huit octobre deux mille quatorze)
 

15 novembre 2014


Nouvel appel à manifester à la même heure au même endroit ce vendredi matin, une information pas très bien diffusée mais les Forces de l’Ordre ne l’ont pas manquée. A neuf heures, Rouen semble en état de siège, avec la présence cette fois, outre les Policiers, de très nombreux Militaires. Les camions bleus de ces Gendarmes Mobiles, garés au long du Palais de Justice, n’ont pas l’air d’avoir été changés depuis les années soixante-dix. La station de métro est une nouvelle fois fermée, les lignes de bus déviées.
Il pleut à dix heures moins dix quand je retrouve mon abribus. Un manifestant d’hier m’y rejoint. Il est l’un des rares à s’être fait embarquer (« On va te faire regretter d’être d’extrême gauche » lui a-t-on dit dans la voiture) et a passé sept heures en garde à vue avant d’être relâché sans suite, la Police n’ayant pu prouver ce qu’elle lui reprochait.
Il ne se passe rien à l’heure dite, hormis des mouvements de véhicules à gyrophare. Certains ne se garent sur le parvis du Palais de Justice que pour en repartir aussitôt. Au bout d’un quart d’heure, des slogans lointains se font entendre. Un groupe de lycéen(ne)s d’où dépasse un drapeau noir est bloqué devant la Fnaque. Impossible de les rejoindre par le chemin le plus court. Plus personne quand je m’y pointe.
Je les retrouve plus tard, bloqué(e)s au carrefour des rues de la Jeanne et de la rue du Guillaume. Je discute là successivement avec deux de mes connaissances, qui comme moi, observent la situation de l’extérieur. Ils ne s’attardent pas. Quatre lycéennes à ma droite grimpent soudain sur l’un de ces pots géants où poussent des arbres de ville. Elles se mettent à crier en direction du cordon de Police : « Allez, laissez-les passer !»
Les quatre Militaires à ma gauche viennent leur dire de se taire et de descendre. Le cortège bloqué fait demi-tour. Je retrouve cette centaine de lycéen(ne)s un peu plus tard devant le Musée des Beaux-Arts. L’un parle avec un mégaphone mais je suis trop loin pour entendre. Quelques Gendarmes surveillent ça au coin du jardin.
Les lycéen(e)s, parmi lesquel(le)s sont quelques adultes, repartent vers l’Hôtel de Ville. Je juge que j’ai les pieds assez trempés et abandonne cette manif qui ne sait pas quoi faire d’elle-même.
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Bloquer toute une ville avec des gros méchants habillés en bleu pour faire face au défilé d’une centaine de lycéen(ne)s pacifiques témoigne de la paranoïa du pouvoir socialiste et/ou de son désir de créer un climat de peur dissuadant qui que soit d’autre de manifester.
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Ce Gendarme qui voyant tomber Rémi Fraisse a déclaré : « C'est bon, il va se relever ! Il va se relever, c'est bon ! » doit confondre la vraie vie avec celle d’un jeu vidéo.
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Et ce Céhéresse, filmé par l’un des occupants de la Ferme des Bouillons, qui pendant l’attaque contre les manifestant(e)s pacifiques dont j’étais, jeudi dernier sur l’esplanade Marcel Duchamp, déclarant à propos de la mort de Rémi Fraisse qu’« il l’avait bien mérité ».
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« En effet, tous les bureaux abritant une caserne de la gendarmerie mobile affichent un vote pour Marine Le Pen à la présidentielle très nettement supérieur à la moyenne de leur ville (ou arrondissement pour Paris et Lyon). »
« Cette très forte prime accordée à  Marine Le Pen lors de la dernière élection présidentielle est d’autant plus spectaculaire qu’elle ne s’accompagne pas d’une minoration du vote en faveur de Nicolas Sarkozy. » Atlantico, le quatorze juillet deux mille quatorze.
 

14 novembre 2014


« Ils sont l’ordre mort. Nous sommes le désordre vivant. » Le rendez-vous pour une nouvelle manifestation en mémoire de Rémi Fraisse, ainsi qu’une surprise party, est fixé à dix heures du matin, ce jeudi, à l’endroit où était la Zone A Défendre urbaine de Rouen détruite par les Céhéresses à la demande de Robert, Maire, Socialiste. Cependant, comme je le constate en allant à La Poste, ça va être difficile. Les mêmes Forces de l’Ordre y sont à nouveau, occupant tout l’espace.
Des renforts sont dans toutes les rues avoisinantes. Des voitures de la Police Nationale sillonnent la ville. La station de métro Palais de Justice est fermée, gardée par des employés de la Técéhaherre parmi lesquels un voisin.
A dix heures moins le quart, je suis de retour par un chemin détourné et attends la suite sous l’abribus. Un Policier, descendu de voiture, prend en photo un graffiti sur la Caisse d’Epargne puis sort son mètre pliant pour le mesurer, hauteur et largeur. Quelques connaissances me rejoignent et nous papotons. D’autres petits groupes sont bloqués par les Céhéresses. Des isolés arrivent à s’infiltrer. Tout à coup, cinq de ces Céhéresses traversent la rue de la Jeanne et viennent droit sur nous : contrôle d’identité. Certains doivent sortir leurs papiers, d’autres ouvrir leurs sacs, l’un se fait palper. À moi, il n’est demandé que ce que j’ai sous ma veste :
-Une écharpe, réponds-je en l’ouvrant.
Il faut dire qu’entre-temps ces costauds ont trouvé de quoi leur plaire dans le sac de celle qui est avec nous : un masque et une perruque. Ils l’emmènent avec eux. Nous la voyons de loin fumer assise par terre en attendant qu’arrive une femme policière pour la fouiller. Je suppose qu’elle va se faire embarquer mais ne sais pas ce qu’il en est car nous est donnée l’information que c’est ailleurs que ça se passe. Nous rejoignons un groupe composé de quelques dizaines de lycéen(ne)s et de plus âgé(e)s et tentons une descente de la rue de la Jeanne. Les Céhéresses font alors cordon et stoïquement entendent qu’ils sont des assassins. Le face-à-face dure un moment et se termine par un demi-tour de la manifestation.
Bientôt, nous sommes sur l’esplanade Marcel Duchamp, devant le Musée des Beaux-Arts. C’est là qu’est la surprise, l’édification d’une nouvelle Zone A Défendre à vocation culturelle. Des palettes apparaissent, des bâches et des matelas, la télé et la presse écrite aussi. Il faut un certain temps avant que les Céhéresses se pointent. Ils ne sont pas contents.
Les premières parois des cabanes sont en train d’être dressées quand le mur bleu s’avance en tapant sur ses boucliers. L’un de ces braves, porteur d’une écharpe tricolore, sort du lot et énonce l’obligation de se disperser. Les lycéen(ne)s, et quelques autres, bras-dessus bras-dessous, font vaillamment face en qualifiant l’adversaire de noms d’oiseaux que je ne répèterai pas. Ils se font charger. Les coups de matraques tombent. Certains des agressé(e)s doivent reculer, poursuivis par les assaillants qui au passage détruisent le peu qui avait été construit. D’autres, dont moi-même, se retrouvent derrière les Forces de l’Ordre.
-Encerclons la Police, crie quelqu’un.
Las, des renforts arrivent. La première moitié des manifestant(e)s est repoussée hors de l’esplanade et tenue en respect, Une rangée de ces Céhéresses fait alors demi-tour et entreprend de nous faire reculer. Je me refugie en haut de l’escalier du Musée, espérant passer à travers les mailles, mais un de ces grands casqués me prend par le bras et me dit :
-Vous aussi, Monsieur.
Que ce Policier est donc poli.
Nous nous retrouvons rue du Canuet et, après un moment d’hésitation et de face-à-face, le gros de la manifestation se dirige vers l’Hôtel de Ville devant lequel est installé un vrai faux bidonville à l’initiative d’associations caritatives, Secours Catholique, Unicef et compagnie, cela avec le soutien de Robert, Maire, Socialiste. Les responsables d’icelles se portent au-devant des manifestant(e)s. Je vois bien qu’ils n’ont pas envie de partager leur bidonville. Quelques Policiers en voiture et d’autres en civil surveillent ça de loin ou de près.
Le cortège reprend alors son errance et comme il descend la rue de la Rép, je l’abandonne au carrefour avec la rue Saint-Romain, au plus près de chez moi.
 

13 novembre 2014


Ce mercredi, alors qu’il fait encore nuit, les deux Témoins de Jéhovah en faction devant la gare de Rouen affichent « Le Diable existe-t-il ? ». Je me retiens d’aller leur dire « Bien sûr, comme Dieu ».
Je réussis à m’asseoir dans le train de sept heures vingt-quatre pour Paris, lequel n’a qu’un niveau, ce qui oblige certains à passer une heure dix debout avant leur journée de travail. A l’arrivée, le métro Douze me conduit avenue de Sèvres où j’ai un livre vendu à déposer au Balto. J’y prends un café au comptoir. On y déconseille l’achat de Lui, ce n’est plus comme il y a quarante ans, les femmes sont habillées, mieux vaut encore Entrevue.
Par la rue du Four, je rejoins le Quartier Latin. Contrairement à son habitude, le gérant de Boulinier est de bonne humeur, Il me salue avec le sourire, ne regardant pas avec mépris mon achat de trois livres à vingt centimes. Serait-ce parce qu’à côté de moi deux jeunes femmes ont devant elles trois piles de Pléiade qu’elles lui vendent ou achètent ?
Chez Gibert Joseph les livres de trottoir relèvent d’une nouvelle politique commerciale. Ceux à un et deux euros sont désormais mélangés à d’autres plus chers de quoi me décourager de fouiller et me mettre de mauvaise humeur.
Je grimpe dans le bus Quatre-Vingt-Six qui m’emmène à Ledru-Rollin. Chez Book-Off on joue avec mes nerfs en diffusant Marcel et son Orchestre. Cette daube me fait presque regretter la pop love musique de la radio Chérie que je subis chez Détéherre le lundi. J’y trouve quelques livres puis sous un beau soleil fais le tour du marché d’Aligre où les brocanteurs et bouquinistes se plaignent des vols.
Après un déjeuner au Rallye, le Péhemmu chinois, d’un habituel confit de canard, je rejoins le quartier de l’Opéra. Buvant un café à La Clé des Champs, je bénéfice de la conversation des habitués dont un photographe : « Tu sais qu’il n’y a rien de plus difficile que photographier une fille nue, une salope en train de sucer. Ils ont essayé de me former au porno mais j’y suis jamais arrivé. »
Je fais le tour du deuxième BooK-Off et passe la fin d’après-midi Chez Léon comme souvent. Là aussi se trouvent des habitués, plus sympathiques, un peu sur le bord de la norme, que la patronne sait bien gérer. L’un d’eux : « Je ne vous dois rien, à part le respect ? »
Pendant le retour, je lis Regarde les lumières mon amour d’Annie Ernaux, livre rédigé (je ne dis pas écrit) à la demande du professeur Rosanvallon, ayant trouvé place assise dans le train de dix-huit heures trente (non direct). Le précédent (direct) a été supprimé pour cause d’avarie matérielle. Certain(e)s, après la journée de travail, regagnent leur domicile debout. De l’autre côté de la porte en verre, notre Députée, ancienne Ministre, Socialiste, est également assise, voyageant en première et gratuitement.
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Devant Le Café du Faubourg, une fille qui distribue des flayeures : « Pédalez dans l’eau d’une cabine privée ».
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Book Off était ouvert le Onze Novembre. S’en souvenir pour l’an prochain afin de fuir Rouen, lugubre ce jour-là. Cette ville de province où devant le Monument aux Morts un Préfet décore un chien sauveteur et où un site d’information, 76actu, titre Marcel Duchamp, artiste de Rouen, exposé au Centre Pompidou, à Paris.
Imagine-t-on à Neuilly où l’artiste passa ses dernières années un Marcel Duchamp, artiste de Neuilly, exposé au Centre Pompidou, à Paris.
 

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