Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

11 décembre 2014


Ce mercredi avant de prendre le train de huit heures sept pour Paris, j’entends au Journal de France Culture qu’une manifestation d’avocats doit avoir lieu entre la Bastille et l’Opéra. Il s’agit de protester contre une loi du Ministre Macron, mais comme ce dernier n’a pas l’air de savoir ce qu’il veut, le représentant des avocats ne peut plus dire précisément l’objet du mécontentent.
-Dans ce cas, pourquoi ne pas annuler la manifestation ? demande le journaliste.
-On n’arrête pas comme ça des milliers d’avocats venus de toute la France.
De la Bastille à l’Opéra, c’est aussi mon parcours. Cependant, je ne trouve pas trace d’eux lorsque après le Book-Off de Ledru-Rollin, le bus Quatre-Vingt-Six m’emmène au Quartier Latin. Je le quitte à Cluny en même temps qu’un sale môme qui tape sur la tête d’une passagère avant de descendre et qu’une nymphette peinant à mettre sur ses épaules un violoncelle aussi grand qu’elle.
Après un traditionnel déjeuner rue de la Harpe à l’Oie Qui Fume, je vais à pied jusqu’au Centre Pompidou pour y boire un café de la cafetière à La Mezzanine. La ruée espérée pour Koons n’est pas au rendez-vous. Aucune annonce n’est nécessaire pour indiquer la durée de l’attente. Il va bientôt falloir engager une chorale pour dire à Jeff qu’il n’est pas tout seul.
Sorti de là, je tente le bus Vingt-Et-Un, mais celui-ci, comme d’autres, n’arrive pas. « Manifestation », indique l’affichage. Je me rabats sur le métro. Autour de l’Opéra seuls les piétons passent. La situation est la même à ma sortie du Book-Off de Quatre-Septembre. Les milliers d’avocats sont accompagnés de notaires, d’huissiers et de greffiers. La nuit va tomber. C’est l’heure, annonce la sono, pour la province de rejoindre les bus et de rentrer chez elle. Je croise le «Barreau d’Angers en colère » dans sa tenue de travail, marchant d’un bon pas derrière la banderole. Un autre groupe suit de près un porteur de drapeau tricolore à la façon des touristes qui craignent de perdre leur guide. Dans le caniveau gît un drapeau de Heffo. Les Céhéresses sont pépères dans leurs camions rue Auber, papotant ou jouant à des jeux vidéo. Autour c’est un foutoir de première, bus et voitures bloqués claque-sonnant à tout va. Ce désordre s’étend jusqu’à la gare Saint-Lazare.
Dans le train du retour, je lis en diagonale Anquetil tout seul de Paul Fournel (Le Seuil) que je destine à l’un que je connais (s’il en veut), encore un livre bénéficiant d’un envoi de l’auteur à l’une qui n’aura pas souhaité le garder : « Pour Christine, ce portrait du grand JACQUES par le petit paul. Et la bise cycliste de Paul. ».
                                                              *
Parmi les autres livres boucofiés : La vie à en mourir (Lettres de fusillés 1941-1944) (Taillandier), Le Club des suicidaires de Stevenson (Arthaud), Le Crépuscule des pensées de Cioran (Biblio Essais), Discours sur le Fils-de-Pute d’Alberto Pimenta (L’insomniaque). Lorsque je tape le titre de ce dernier sur PriceMinister m’est suggéré comme lien commercial : « Des femmes cherchent des hommes pour des rencontres ».
                                                             *
Dans le train de l’aller quatre femmes quinquagénaires montées à Val-de-Reuil et n’y habitant sûrement pas :
-J’ai essayé de lire Modiano mais c’est spécial.
-Spécial comment ?
-On sait pas très bien où il veut en venir.
-Mais il a eu des prix, il me semble ?
-Oui, le Nobel.
-Ils ont des prix mais c’est pas des gens comme nous qui les choisissent.
                                                             *
« Avocat ? Notaire ? Charcutier ? », plaisanterie coutumière de frère Jacques, qui travaillait aux renseignements de France Télécom, quand on lui demandait le numéro de Maître Untel.
 

10 décembre 2014


Ouverture exceptionnelle de l’Ubi ce dimanche, j’y arrive à seize heures trente accueilli par le facétieux Jonathan Slimak, tête pensante de Jabran Productions, l’une des institutions culturelles locataires du lieu. Il fait temporairement office de barman. Je lui demande un café.
L’après-midi est annoncée en deux temps : projection de deux portraits du webdoc Music On The Road de Yoann Le Gruiec et Benoît Pergent, membres de Jabran Productions, puis concert d’un des musiciens filmés, le Navajo JJ Otero qui fête ses quarante-cinq ans en effectuant son premier voyage avec passeport, dix jours en France.
La projection a lieu dans la galerie MAM devant un public d’âge divers. Il s’agit pour ces jeunes gens de montrer les deux premières des vingt-sept rencontres qu’ils doivent faire dans neuf lieux hautement musicaux des Etats-Unis. Le premier film est consacré à Las Cafeteras, joyeux groupe de folk urbain latino contestataire de El Sereno (Los Angeles), le second à Saving Damsels, groupe de native soul rock d’Albuquerque dont le chanteur est JJ Otero. Celui-ci est dans la salle, personnage imposant, aux bras tatoués, à boucles d’oreille et à melon noir à plume. On le voit sur l’écran au volant d’une puissante voiture traçant la route dans le désert torride jusqu’à la réserve où vit pauvrement son père et évoquant la carte du pays navajo qu’on lui montrait à l’école religieuse, deux blocs séparés par une ligne jaune, d’un côté les christianisés qui iraient droit au paradis, de l’autre les fidèles à la religion des ancêtres destinés à l’enfer. A l’issue de la projection il prend la parole, se présente en langue navajo à la demande d’une spectatrice et se réjouit en anglais d’avoir découvert les musées parisiens et la choucroute.
Le concert suit dans le café de l’Ubi. JJ Otero prend sa guitare et s’installe sur une chaise. Il photographie le public puis présente son nouvel ami français Abdoulaye qui l’accompagnera de ses congas. La même spectatrice, un peu pesante, demande à ce qu’il résume chacune de ses chansons avant exécution afin qu’Abdoulaye traduise pour les non anglophones. Je sais donc qu’il chante son ancienne addiction à l’alcool, sa détestation des politiciens, prêtres et capitalistes, son goût pour les filles dans les bars, puis il se soustrait à cette exigence et ce n’est pas plus mal. J’aime cette musique de pays et la voix de JJ.
Au bout de pas mal de chansons, il demande un double café. Pas assez dormi, trop mangé, dit-il. Pendant cette pause, je prends un verre de vin blanc et échange quelques mots avec Abdoulaye Sambe qui a rencontré le chanteur navajo lors du premier des trois concerts parisiens que lui ont organisés les deux cinéastes, deux dans des centres pour sans abris et un dans un bar de la Bastille. Il l’a accompagné de ses congas lors des deux derniers et l’a suivi à Rouen.
Je m’assois pour le deuxième set. Une partie du public est rentrée à la maison. Dans celle qui reste certains amènent JJ Otero à s’arrêter au milieu de son premier morceau. Pas besoin de traduction pour comprendre qu’il est furieux contre ceux qui discutent pendant qu’il joue. L’un de ces irrespectueux lance un piteux : « I’m sorry, man ». JJ pousse un énorme soupir et reprend sa chanson puis répète à l’issue de celle-ci qu’il ne supporte pas cette attitude. Plus personne ne pipe et c’est à nouveau un très bon moment. Vers dix-neuf heures trente, il remercie les deux jeunes cinéastes rouennais qui se sont intéressés à lui et à sa musique, ce qui fait qu’il est ici ce soir. « Vous m’avez touché au cœur », leur dit-il submergé par les larmes. Ce colosse est un hyper sensible. Jonathan Slimak fait ce qu’il faut, lui apportant un mouchoir en papier et lui faisant un gros bisou sur la joue.
                                                             *
Bien content de voir un artiste se rebeller contre celles et ceux qui viennent au concert pour blablater avec leurs peutes.
                                                             *
Première musique à se faire entendre dans le film consacré à Las Cafeteras, celle du glacier. Elle m’emplit de nostalgie, été deux mille douze, on the road avec elle : New York,  Philadelphie, Pittsburgh, Colombus, Indianapolis, Chicago, Toronto, New York.
 

9 décembre 2014


Longtemps que je ne m’étais pas assis à l’une de mes places préférées de l’auditorium du Conservatoire de Rouen afin d’y ouïr les musicien(ne)s de l’endroit, j’y suis ce samedi soir pour un concert qui annonce mêler musique de France et du Vietnam.
Claude Brendel, homme de la maison, explique au micro que cela se situe dans le cadre de l’année du Vietnam en France (après l’inverse) et que les Vietnamiens invités sont d’Ile-de-France et complétés de chanteurs de Choisy-le-Roi puis il dirige mollement l’Orchestre symphonique du Conservatoire pour la création mondiale de Philippe Chamouard intitulée Les rêves de l’ombre dont la longueur le dispute au manque de relief. Cela aurait aussi bien pu s’appeler L’ombre des rêves. Le compositeur monté sur scène est applaudi autant que sa musique, faiblement par moi.
Suivent la courte Villanelle pour cor et orchestre de Paul Dukas et Hanoi, ville aux traditions millénaires, chanson populaire vietnamienne de Doàn Bông. Arrivent alors sur la scène, deux sexagénaires gris souris du Lions Club, cette institution bourgeoise essentiellement composée de patrons et de cadres supérieurs cooptés qui font le bien avec l’argent des autres.
L’un fait une allocution à la gloire de son cleube. L’autre tire de sa poche un chèque de mil cinq cents euros pour aider à un voyage en Chine des musiciens d’ici. Il le tend à Claude Brendel qui le détourne vers l’une des jeunes musiciennes.
Cette obscénité me décide à filer à l’entracte (l’œuvre vietnamienne de deuxième partie, Le chant du garde-frontière de Tô Hài, étant un hymne nationaliste et communiste des années soixante, je ne perds pas grand-chose).
                                                              *
« Devenir membre d'un Lions club vous permet de faire du bénévolat à échelle locale ou mondiale. C'est une occasion de se faire des amis et d'établir des réseaux professionnels, de mener à bien des projets qui permettent d'améliorer la vie dans les communautés, le tout en s'amusant. » (Site officiel du Lions Club)
Sûr qu’ils s’amusaient bien les deux gus en gris souris. Depuis la salle, leurs amis du cleube filmaient la performance.
 

8 décembre 2014


Samedi après-midi, c’est après un délicieux et copieux repas partagé à La Petite Auberge qu’avec celle venue de Paris pour me voir, je pousse pour la première fois la porte de la maison Guidoline, l’ «atelier de bicyclette qui permet d’apprendre librement les finesses de la mécanique », rue Molière. Des bicyclistes s’y activent en effet. L’un d’eux nous demande ce que l’on désire.
-Voir l’exposition David Liaudet.
Il nous indique une porte intérieure qui donne sur un café dont j’ignorais l’existence où nous accueille une jeune personne souriante. C’est sur l’un des murs de cet endroit chaleureux que sont montrées sept étapes de la longue besogne de l’artiste qui s’est donné pour mission de réaliser dans l’ordre alphabétique toutes les illustrations des mots définis dans le Dictionnaire Larousse illustré qui en sont dépourvus, un travail qui doit s’achever dans les années vingt.
Les panneaux que j’avais vus en mars deux mille huit à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Mont-Saint-Aignan étaient en noir et blanc. Ici, six sur sept sont en couleur. Je préfère les dessins de mots en noir et blanc. Parmi ceux-ci est l’extraordinaire illustrant extraordinaire.
Comme on se sent bien dans ce « café culturel », nous y prenons thé et café près d’un sapin de Noël dont l’étoile est un plateau de bicyclette, et même, l’endroit étant ouvert le mardi quand l’Ubi ne l’est pas, j’y prends carte d’adhérent afin qu’à l’avenir je puisse m’y réfugier de temps à autre avec mon ordinateur.
Avant qu’elle ne retourne à Paris, je lui montre le ridicule toboggan géant de la place de la Calende dont elle fait quelques photos. Pour rentrer à la maison, nous devons fendre la foule du marché de Noël, une épreuve dont nous nous serions bien passés.
Pendant un mois, entre dix heures et dix-neuf heures, l’hypercentre de Rouen est une Zaf (Zone à fuir).
                                                                  *
Le vélo, mauvais souvenir du temps que j’étais au collège Ferdinand-Buisson à Louviers. Arriver pédalant avait valeur de double aveu : tu n’habites pas en centre-ville, tes parents n’ont pas les moyens de te conduire en voiture. Et quoi de plus chiant que devoir marcher à côté de son vélo pour raccompagner une fille jusqu’à chez elle après les cours.
Le pire, c’étaient les ennuis techniques : pneu crevé, dérailleur bloqué, frein cassé. Obligé, en rentrant, de m’arrêter chez Georget, rue Saint-Jean, réparateur de cycles moins glamour que Guidoline, et de m’y morfondre en attendant la fin de la remise en état.
Triple engueulade en arrivant à la maison : pourquoi arrives-tu si tard, qu’est-ce que tu as fait pour casser ton frein (ou bloquer ton dérailleur, ou crever ton pneu), et encore de l’argent dépensé par ta faute.
De quoi détester le vélo pour le reste de sa vie.
 

6 décembre 2014


Preuve que le nouvel emplacement de l’Esadhar (anciennement nommée Ecole des Beaux-Arts de Rouen) sur les lointaines hauteurs de la ville n’est pas une bonne chose, ses expositions ont lieu dans les Grandes Galeries de l’aître Saint-Maclou et même, ce vendredi après-midi, c’est en ce lieu central que David Liaudet et Nicolas Moulin donnent chacun leur conférence dans le cadre de l’opération culturelle et artistique Oui Futur.
Le nom du premier ne m’était pas inconnu mais ce n’est qu’après une piqûre de rappel de l’ami Loïc Boyer que je me suis souvenu avoir vu de lui certaines de ses illustrations pour mots en étant dépourvus dans le dictionnaire Larousse à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (qui porte désormais un autre nom) lorsqu’on y organisait des expositions qui valaient le déplacement. D’autres de ces illustrations sont actuellement visibles chez Guidoline, haut lieu de la boboïtude rouennaise, que j’irai bientôt voir.
Deux gros radiateurs électriques d’appoint tentent de palier à l’absence de chauffage dans les Grandes Galeries. Une estrade pas du tout pratique fait face à une table à micros et ordinateurs derrière laquelle prennent place David Liaudet et Nicolas Moulin. Le public est essentiellement composé de profs et d’étudiant(e)s en art, certain(e)s debout, les autres mal assis(e)s. J’ai posé mes fesses sur l’une des rares chaises.
« Mon combat patrimonial est une performance artistique (enfin je crois) » annonce David Liaudet, ancien beauzarteux rouennais. Il ne parlera pas, dit-il, de ses dessins de dictionnaire, ni du livre de Cioran qu’il a recopié à la main, ni de son blog Architectures de Cartes Postales, ni de la Bulle six coques de Maneval qu’il a sauvé de la destruction, mais d’un livre de mil neuf cent soixante-douze, par lui acheté dans un vide grenier, Guide d’architecture contemporaine en France, qui est à l’origine de son intérêt pour l’architecture brutaliste.
Les questions qui se posent à propos de ce livre c’est quand comment pourquoi, déclare-t-il, et pour y répondre la meilleure façon est de téléphoner à son auteur. Ce qu’il fait illico avec l’aide d’un enseignant qui sait composer un numéro. Dominique Amouroux explique donc comment fut conçu ce qui était son travail de fin d’études. David Liaudet raconte ensuite son combat pour que soit inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le centre commercial de Sens dû à Claude Parent, il s’insurge contre Le Grand-Quevilly qui, il y a deux jours, a fait détruire l’église Sainte-Bernadette et termine en citant Cioran : Ne rien avoir accompli et mourir en surmené. Cet obsessionnel de première, mais qui n’en a pas l’air, a tout pour me plaire. Je l’aurais bien écouté plus longtemps.
Je suis moins intéressé par les propos de Nicolas Moulin, auteur entre autres de la série de photos retouchées Vider Paris, qui parle beaucoup et sans que l’on sache où il va ni quand ça va s’arrêter et comme j’ai trop froid, qu’il a tellement de photos dans son ordinateur et qu’il est bien capable de toutes les montrer, je m’en vais avant la fin.
                                                                     *
Gogo dancing, jacuzzi, stripteaseuses, c’est le nouveau visage du Marégraphe, café où je ne donne plus ma clientèle (comme dirait Henri Calet).
                                                                     *
Le magasin Tati de la rive gauche a disparu sans faire de bruit. Si quelqu’un(e) cherche mil neuf cent cinquante-deux mètres carrés à louer, c’est le moment.
 

5 décembre 2014


Ce mercredi, entre les deux trains, je passe pas mal de temps au Book-Off de la Bastille et à celui de l’Opéra. Dans les deux, la place donnée aux livres à un euro est en expansion. Imparable est le théorème de Book-Off : « Que le prix d’origine d’un livre soit deux euros ou vingt-quatre, il finira à un euro sur nos étagères. »
Entre ces deux escales, je déjeune au Rallye, le Péhemmu chinois de la rue du Faubourg Saint-Antoine, de mon habituel confit de canard pommes rissolées salade et quart de vin rouge, près d’un homme à tête de prof. L’un des joueurs présents, jeune homme avec des origines, le reconnaît et vient le voir :
-On m’a donné l’autorisation d’être vétécé, lui apprend-il.
-L’essentiel, c’est que vous soyez content, lui répond celui qui travaille peut-être en préfecture.
Il est ensuite question d’un homme qui a hérité d’une licence de chauffeur de taxi et plutôt que de s’épuiser à conduire lui-même la loue à un employé clandestin pour cent vingt euros par jour.
La conclusion du duo est que le monde est de plus en plus corrompu.
Après le second Book-Off, je trouve comme souvent refuge Chez Léon où règne un calme inhabituel jusqu’à ce qu’arrive un jeune voisin qui annonce son récent cambriolage :
-Ils sont montés au sixième et ont cassé la porte du voisin qui a une chambre de bonne, puis ils sont redescendus chez nous au cinquième et ont forcé la porte qu’on avait seulement tirée, plus d’ordinateur, etc…
La conclusion du comptoir est que le monde est de moins en moins sûr.
                                                        *
Deux femmes dans le bus.
La plus jeune : « Je suis optimiste. »
L’autre : « Ne t’en fais pas, ça ne va pas durer. »
                                                        *
Parmi les livres rapportés :  Le Portatif de Philippe Muray (Les Belles Lettres/Mille et Une Nuits), Journal atrabilaire de Jean Clair (Gallimard) et Rendez-vous sur ma langue de Marie-Laure Dagoit (al dante)
Dans le train surpeuplé du retour, je lis celui de cette dernière (que je ne croise plus en ville), sorte de pièce de théâtre ou de livret pour un opéra à venir, à trois personnages (Blanche-de-Neige, Bambie, Moi). On y croise des types et un chien entreprenant :
Sans doute il est arrivé à mes lecteurs
de traverser le grand salon où je me branle sans plus/
la main en forme d’anecdote.
 

4 décembre 2014


Ce mercredi matin, comme toujours, le sept heures vingt-quatre pour Paris est très attendu en gare de Rouen, essentiellement par des travailleurs et travailleuses ayant envie d’arriver à l’heure dans la capitale (neuf hommes pour une femme). Chacun(e) trouve place assise. On voyage dans le calme. Les quelques-un(e)s qui se parlent le font à voix basse. Mon voisin, qui a tout de l’homme de pouvoir, passe la première moitié du trajet à lire L’Equipe puis l’autre à jouer à Candy Crush. Bien que le train arrive à l’heure, un certain nombre de porteurs d’ordinateurs remontent vers l’avant afin de mettre le pied à quai plus vite.
Le retour se passe moins bien. Lorsque j’arrive à la gare Saint-Lazare elle est noire de monde. Le tableau d’affichage annonce une panne électrique au dépôt des Batignolles. Le train pour Le Havre n’est pas là. Le Rouen direct de dix-huit heures vingt-cinq  pour lequel j’ai un billet est annulé. Le dix-huit heures trente qui va à Rouen en s’arrêtant à Vernon, Gaillon-Aubevoye, Val-de-Reuil et Oissel n’est pas affiché. Un train est néanmoins présent voie dix-huit d’où part habituellement ce dernier. J’y grimpe sans attendre et y trouve place assise. De nombreux autres ont déjà fait ou font de même. Aussi, quand ce train est affiché, cinq minutes avant son départ, il est déjà complet. Le flot de celles et ceux qui y avaient aussi place ou auraient dû prendre le direct ou encore celui du Havre jusqu’à Rouen s’y engouffrent sans trouver de siège et sans comprendre : « Mais comment ils ont fait les gens pour être déjà dans le train ? » Il y a du monde debout aussi bien dans les couloirs que sur les plateformes et dans les escaliers. Les contrôleurs ne se font pas voir. Le chef de train bloque les toilettes en position fermée. Nous partons à l’heure. Personne ne se plaint ni ne commente. Après Vernon, tout le monde peut s’asseoir. Je m’en suis bien tiré, me dis-je à l’arrivée, songeant à celles et ceux qui attendent peut-être encore le train pour Le Havre.
Manque de personnel, manque de moyens, les incidents se multiplient ces derniers mois. Les Présidents de Normandie (Haute et Basse) ont écrit à la Senecefe pour s’en plaindre. Cela ira mieux en deux mille quinze, leur a-t-elle répondu.
                                                                    *
Publicité Orange en gare de Rouen : « Avec Office, travaillez partout ». Message subliminal patronal : « Avec Office, travaillez tout le temps ».
 

3 décembre 2014


Je pensais le sapin métallique de Saint-Maclou le comble de l’horreur rouennaise de Noël deux mille quatorze, c’est que je n’avais pas encore vu le toboggan géant installé devant le portail de la Cathédrale, place de la Calende, une attraction foraine ayant autant à voir avec Noël qu’un tir aux pigeons avec Pâques.
Des pigeons, il n’en manquera pas pour grimper tout en haut de ce Rider Toboggan, se laisser glisser sur le cul et s’écraser contre un rembourrage (« Interdit aux lunettes »). A la mocheté s’ajoutera le boucan.
Robert, Maire, Socialiste, est le responsable de cette opération Rouen Givrée (comme son nom l’indique).
                                                         *
Contribution d’une certaine extrême gauche à une énième tentative de censure : à Saint-Denis, des Noirs et quelques Blancs manifestent devant le Théâtre Gérard-Philipe contre l’installation performance Exhibit B de l'artiste blanc sud-africain antiraciste Brett Bailey, qu’ils n’ont pas vue, mettant en scène des Noirs dans une dénonciation des zoos humains d’autrefois, et parviennent à empêcher une représentation, au nom de l’antiracisme.
Ces protestataires noirs manifestent-ils lorsque sont démantelés les campements de Roms en Seine-Saint-Denis ? Pas que je sache. Y a-t-il eu une manifestation des Noirs de Saint-Denis lorsque l’extrême droite a comparé Christiane Taubira à un singe mangeur de bananes ? Pas davantage.
                                                         *
Celui qui a deux neurones dedans sa tête étant condamné de redevenir Président de la République pour échapper aux Tribunaux, il emploiera tous les moyens pour être celui qui, face à la fille Le Pen, sera obligatoirement élu. Juppé ferait bien de se méfier, un accident est vite arrivé.
 

1 2 3 4