Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 mars 2015


« Il nous avait prévenus, Leo Hussain n’assigne aucune frontière à la musique ni temporelle, ni matérielle », nous avertit le livret programme, de quoi s’accrocher à son fauteuil, le mien est au premier balcon côté jardin. L’audace du nouveau chef, ce vendredi soir, c’est de mettre au même programme Mozart et des compositeurs contemporains originaires d’outre Méditerranée. Audace mesurée, il n’en est pas à nous proposer un mixage des deux musiques à la Hughes de Courson dans Mozart l’Egyptien.
« En fait, il y a peu de choses que je hais autant que la classification « musique classique ». La musique est musique avant tout, et définir de telles délimitations à notre art est le desservir. J’aime la musique, c’est aussi simple que cela, que ce soit un quatuor à cordes de Beethoven ou le dernier album de Cold Play ! » explique Leo Hussain dans l’entretien lisible dans ce livret programme, propos recueilli par Vinciane Laumonier. Je ne sais à qui il faut attribuer ce Cold Play mis pour Coldplay, mais cela montre qu’à l’Opéra de Rouen, on a encore du chemin à faire avant d’être familier de toutes les musiques.
D’abord, ce vendredi soir, c’est Fusion d’Ali Osman, compositeur né au Soudan mais qui doit être Egyptien, une œuvre pleine d’allant. Les contrebasses deviennent instruments de percussion. Certains interprètes donnent de la voix et du pied. C’est plaisant.
La suite l’est moins, Light upon light, création mondiale avec la participation à l’oud de son compositeur Hossam Mahmoud, né au Caire, une œuvre dépouillée et austère qui me mène à l’ennui et au bord du sommeil, bien que j’aie pour fixer mon attention trois joueurs d’instruments à vent détachés de l’Orchestre et perchés au balcon sur ma gauche. Je ne sais ce qu’en pensent les autres car à l’entracte, je reste sur le promenoir d’où l’on entend, venu d’en bas, un brouhaha indéchiffrable.
Mon voisin de droite n’a pas quitté son siège. Il lit Albert Cohen. A la reprise, c’est la bien connue Symphonie numéro quarante en sol mineur de Wolfgang Amadeus Mozart, né à Salzbourg, où réside Hossam Mahmoud, où Leo Hussain fut directeur musical, on voit le fil. Le célèbre premier mouvement génère des applaudissements qui sont déplorés par celles et ceux qui savent que ça ne se fait pas, et même le deuxième, ce qui entraîne des chut ! indignés. Leo Hussain se démène et à l’issue on peut dire, au sens propre, qu’il a mouillé sa chemise. Sa sortie de scène est néanmoins en petite foulée.
                                                        *
Contrebassistes : plus petits lorsqu’ils sont sans leur instrument.
                                                        *
Arrivée d’une lettre circulaire avec mes quatre prénoms sur l’enveloppe. La Droite locale fait la chasse aux abstentionnistes et tente de me convaincre d’aller voter pour ses candidat(e)s au deuxième tour des départementales car elle est le recours « pour celles et ceux qui refusent la politique politicienne ». De quoi se gausser.
Parmi ces quatre chantres de la libre entreprise, deux sont à l’abri dans la Fonction Publique Territoriale.
 

30 mars 2015


La suite, au Théâtre des Deux Rives ce jeudi soir, c’est Sons Songs Sonnets (de Shakespeare) par Pablo Elcoq. Le public est le même, moins les classes lycéennes et plus des nouveaux venus qui ne font pas beaucoup baisser la moyenne d’âge.
Pendant que le monde s’installe, Pablo Elcoq est déjà sur scène, entouré d’instruments, dans la pénombre et en costume blanc. Je connais sa musique et ses capacités vocales depuis une déjà lointaine représentation du Baiser de la femme araignée par la compagnie Le Chat Foin de Yann Dacosta à Mont-Saint-Aignan.
Le plus souvent assis, passant de la guitare à l’accordéon, de la basse aux percussions, jouant aussi du sampleur et de la boucle enregistrée, Pablo Elcoq offre sa version chantée d’une sélection des Sonnets de William Shakespeare. Musicalement, cela va voir du côté du blues et est mâtiné d’« influences rock, folk, soul, parfois même un peu tzigane » (comme il l’a écrit lui-même dans la note d’intention).
Grâce à une traduction française, via une voix enregistrée qui descend sur le public ou dite par l’artiste lui-même, chacun peut se retrouver dans les soucis humains qu’évoquent les poèmes de Shakespeare (faiblesse, amour, pouvoir, médiocrité, temps qui passe, solitude, perspective de la mort) tout en jouissant de ce que sait faire des textes originaux celui qui les interprète avec sa voix capable de passer dans la même phase musicale de l’aigu à la basse éraillée.
Cela mérite beaucoup d’applaudissements à la fin. Pablo Elcoq dit quelques mots pour expliquer que son spectacle n’est pas celui qu il aurait dû être ; son scénographe et créateur de vidéos et lumières, Thierry Vareille, étant brutalement décédé.
Après avoir descendu la rue Louis-Ricard, je passe à proximité du O'Kallaghan's où, devant un écran qui diffuse du foute, s’agglutine un public plus nombreux et plus jeune qu’au Théâtre des Deux Rives. Entendre des filles crier dans la nuit « Penalty ! Penalty ! » a quelque chose de désolant.
 

28 mars 2015


Jeudi soir, je grimpe la rue Louis-Ricard jusqu’au Théâtre des Deux Rives pour voir jouer Loveless, pièce qui est l’aboutissement d’un stage d’une douzaine de jours au Centre Dramatique National de Haute-Normandie, bâtie par Yann Dacosta et Anne Buffet d’après Une vie de putain, recueil de témoignages de prostituées recueillis par Claude Jaguet pendant leur occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon en mil neuf cent soixante-quinze. Le sujet m’intéresse.
J’ai un vague souvenir de cette occupation d’église lyonnaise qui fit suite à des persécutions policières et s’acheva par des brutalités policières. Je suivais ça dans Libération auquel j’étais abonné. Je me rappelle surtout de la suite du mouvement avec Grisélidis Réal.
La salle, dans laquelle règne une lumière rouge, est bientôt partagée entre un public de plus de cinquante ans dont beaucoup d’enseignant(e)s et un public de classes de lycéen(ne)s. On trouve aussi là des gens du métier venus voir leurs camarades, six comédien(ne)s jouant les filles dans un décor d’église en chantier. Entre deux scènes sont diffusés des documents visuels et sonores d’époque. On peut aussi entendre de la bonne musique des seventies et une intervention de Ruwen Ogien, philosophe, comme quoi aux yeux de la société, une relation sexuelle ne peut se suffire à elle-même, elle a toujours besoin d’une justification, dont la plus noble est l’amour.
Les prostituées relayées par les comédien(ne)s narrent leurs expériences personnelles souvent difficiles et pourquoi elles ont commencé à faire ça et pourquoi elles continuent, cela donne des choses du genre : « Les hommes sont tous des cochons, alors autant en profiter si des crétins sont prêts à payer pour baiser, en échange d’un maximum de leur argent donnons-leur le moins possible. », loin de l’empathie qu’avait pour ses clients Grisélidis.
Du moins, cette pièce a-t-elle le mérite de parler de la prostitution d’une autre manière que l’actuelle, puisqu’au temps de la revendication a succédé le temps de l’interdiction ou a minima de la pénalisation des clients, sur laquelle actuellement nombre de membres du Sénat de toutes opinions politiques semblent d’accord, y compris certains issus de partis politiques pour lesquels il m’est arrivé de voter, une raison de plus pour désormais pratiquer l’abstinence (électorale).
Après, et en attendant la suite, je prends un verre de vin rouge au bar. Apercevant la fille rousse qui l’an dernier travaillait avec une autre dans le sous-sol de l’Ubi à une adaptation théâtrale du livre de Grisélidis Réal Le noir est une couleur, je lui demande où ça en est. Elles ont trouvé un nouveau lieu et elles continuent, me dit-elle, quelque chose sera peut-être visible en mai.

27 mars 2015


Ce mercredi matin, ça ne rigole pas avec le contrôle des billets dans le huit heures sept pour Paris, nul n’y échappe, avec nouvelles amendes augmentées à la clé, les contrôleurs étant soutenus par les membres de la Sûreté Ferroviaire.
Arrivé dans la capitale, je file vers le faubourg Saint-Antoine. Sitôt le café bu à l’angle de Ledru-Rollin je fouille chez Book-Off où ma pêche est maigre. De là, je gagne à pied Beaubourg et déjeune dans l’impasse du même nom chez New New. Chez mes voisin(e)s de table, chacun est dans son jeu de rôle. A ma droite, on espère avoir son rendez-vous avec l’intersyndicale. A ma gauche, on espère être admissible à l’oral.
Le métro me conduit à proximité du Musée d’Orsay où j’entre suite à une courte attente, attiré là par l’exposition Pierre Bonnard, peindre l’Arcadie. Après une nouvelle attente raisonnable au niveau inférieur, me voici admis à m’ajouter aux six cent quarante-huit personnes déjà à l’intérieur (estimation personnelle). La moyenne d’âge est élevée et certain(e)s font groupe autour de guides, gênant encore plus l’approche des tableaux que les individuel(le)s.
Je vais de salle et salle, me glissant dans les espaces libres afin de voir au mieux les portraits, les paysages, les intérieurs et surtout les nus pour lesquels Marthe, épouse, passa des heures dans la salle de bains, ne vieillissant jamais ou si peu. Comme le remarque une visiteuse : « Ce sont des nus juvéniles. » D’autres s’intéressent plutôt aux chats. Il faut dire que le chat vu par Bonnard à une allure particulière, très personnage de bandes dessinées. Qu’il peigne à Vernonnet, à Paris ou au Cannet, ses couleurs expriment la même température torride incitant à l’oisiveté. Même ses hivers ont l’air d’être chauds.
-De quelle couleur est la neige ? demande une guide.
-Rose, répondent en chœur un troupeau d’institutrices retraitées ramenées à l’âge de leurs ancien(e)s élèves.
Parfois sous nos pieds se fait entendre le métro et, pendant cinq minutes, un appel en multiples langues résonne dans chaque salle alertant sur la trouvaille d’un objet abandonné dont le propriétaire est invité à se faire connaître au plus vite auprès du personnel de sécurité. J’aime toujours Bonnard, même si sa peinture à la croisée de celle de Degas et de Matisse m’est désormais trop familière pour que je sois à nouveau vivement intéressé.
Je m’extrais de cette foule exténuante et monte dans les étages pour revoir les salles consacrées à Paul Gauguin et Vincent Van Gogh dont la peinture est tellement plus puissante que celle de Pierre Bonnard. J’y croise beaucoup de jeunesse occupée à prendre en photo La Nuit étoilée ou Et l’or de leur corps ou bien elle-même devant les tableaux qu’elle cache, la faute à Fleur Pellerin, Ministre de la Communication (et de la Culture), qui a récemment obligé Orsay à autoriser cette pratique.
Ensuite, on me voit au Book-Off de l’Opéra puis Chez Léon avant que le train de dix-neuf heures vingt-huit ne me ramène à Rouen. S’y affairent à nouveau les contrôleurs et les membres de la Sûreté Ferroviaire : cinquante euros d’amende pour ma voisine de devant à qui il ne manque qu’un justificatif d’abonnement.
                                                                  *
Parmi le peu de livres trouvés, The Hidden Mother, un roman exposition psychanalytique d’Estelle Benazet et Sinziana Ravini (L’Avenir Dure Longtemps/Editions Montgolfier/PCA Editions). Dans l’introduction, elles sont toutes deux au Bistrot du Peintre à Ledru-Rollin où elles « dégustent des cuisses de canards bien croustillantes et des pommes de terre sautées au persil ». De quoi m’obliger à l’acheter.
                                                                  *
A quoi bon acheter chaque semaine un journal dont je trouve bêtes beaucoup de dessins et dont les opinons me hérissent souvent le poil ? C’est la question que je me pose depuis la republication de Charlie Hebdo.
Celui de ce mercredi sera le dernier, achevé que je suis par l’édito de Riss Ça sert à rien d’aller voter dans lequel il fustige les abstentionnistes en leur attribuant « une pensée d’usagers de la carte Cofinoga ou de la carte de fidélité Darty ».
Elargissant son propos, ce brillant analyste s’en prend à ceux qui se désintéressent du militantisme politique : « Les seuls qui n’ont pas cru à cela, ce sont les militants du Front National. Pendant trente ans, ils ont distribué des tracts que personne ne lisait. Ils ont crié des slogans que personne n’écoutait (…) En apparence en tout cas. Alors pourquoi ont-ils continué à le faire (…) ? Parce que eux savent que le temps ne s’écoule pas de la même manière quand on croit à ses idées que lorsqu’on n’y croit pas. »
Et comment expliques-tu, Riss, que le Hennepéha et Hello, qui distribuent leurs tracts et crient leur slogans sans se lasser depuis plus de trente ans, n’obtiennent toujours que deux pour cent aux élections ?
 

26 mars 2015


Mardi soir, à l’Opéra de Rouen, je suis en fond d’orchestre pas loin des deux sœurs abonnées. Entre elles et moi est assise l’une de leurs connaissances qui dit qu’elle n’a pas aimé l’opéra Contes de la lune vague après la pluie. Ses voisines ont aimé.
-On m’a dit que l’an prochain le programme sera très bien, se console par avance la déçue.
-On verra, répondent les deux autres.
Un homme enjambe hardiment les sièges libres à ma droite pour s’y installer sans nous déranger. Je l’ai repéré depuis quelques concerts : il a un faux air de Tomi Ungerer.
-C’est très masculin ce soir, commente l’une des sœurs en consultant son livret programme.
Il est vrai que sur les quatorze interprètes, il n’y a que deux femmes ; oui mais : Naoko Yoshimura (clarinette) et Mami Nakahira (basson). C’est aussi une soirée qui a du cor, pas moins de quatre.
Après la Sérénade en mi bémol majeur de Richard Strauss, vient la Suite persane d’André Caplet, qualifié de « compositeur plus qu’honorable » par la rédactrice du livret programme, ayant eu à souffrir de la concurrence de Maurice Ravel et Claude Debussy. C’est une agréable découverte. Pour finir est donnée la Sérénade pour vents en ré mineur d’Antonin Dvořák.
Tout cela à la satisfaction de tout le monde, il n’y aura pas de débat pour savoir si on a aimé ou pas, ni à ma gauche ni à ma droite.
                                                                *
Au Socrate, une femme à son caniche :
-Donne la papatte à Tata.
La papatatata, il ne veut pas la donner.
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« Ça va dans le bon sens » : énervante expression employée par les politicien(ne)s et les expert(e)s en tout genre, spécialement les économistes.
 

25 mars 2015


« Sixième jour de colère » est-il annoncé ce mardi matin en ouverture des informations de sept heures de France Culture, informations réduites. « En raison d’un appel à la grève par plusieurs organisations syndicales portant sur les difficultés budgétaires et la défense de l’emploi à Radio France, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l'intégralité de nos programmes habituels. Nous vous prions de nous en excuser. ». Ce message vient régulièrement ponctuer le saoulant programme musical en boucle. D’émission, il n’y a plus qu’une, à six heures du matin l’enregistrée Un autre jour est possible de Tewfik Hakem. Après, plus rien n’est possible.
Cette absence me pèse.
Je pourrais en profiter pour écouter mes cédés, ce que je fais rarement depuis qu’il n’y a personne pour partager mes ouiquennedes, mais il faudrait que je sois capable de rester dans la même pièce, alors qu’avec la radio, c’est un tuner dans le salon, une mini-chaîne dans ma chambre, un radio-réveil dans l’escalier, un transistor dans la salle de bains, de façon à n’en pas perdre une miette.
                                                    *
Y a-t-il vraiment eu un Salon du Livre de Paris cette année si France Culture n’y était pas ?
Y aura-t-il encore France Culture dans les années à venir, notamment si Sarko, le fat sot, revient au pouvoir avec son envie d’économies et sa détestation des intellectuels ?
                                                    *
Revoici les nuisibles guides touristiques sous mes fenêtres à tonitruer leurs sottises en direction des troupeaux qui les suivent. L’une, ce mardi matin, voyait du torchis entre les pans de bois des maisons. Une autre, la veille, confirmait que les années passant elle parle toujours aussi bien anglais :
-Garalo, garalo, garalo, hurlait-elle en français.
Puis devenant pédagogue : l’eau : ze ouateur, gare à : cochionne, gare à l’eau : cochionne ze ouateur.
                                                   *
Le nombre de villes de l’Eure à avoir mis le F-Haine en tête au premier tour des départementales, et souvent en deuxième la Droite, c’est consternant. Parmi lesquelles Louviers, ville natale, il y a peu encore de Gauche.
La sortante Socialiste sortie est Leslie Cléret, avec qui je fus collègue (comme on dit) en cette ville à l’école Jean-Macé dans les années quatre-vingt, et son binôme (comme ils disent), Patrice Yung, était déjà prof de maths au lycée quand j’y étais élève à la fin des années soixante.
Elle et lui seront bientôt sous mes fenêtres au sein d’un groupe de retraités cornaqués, puis iront visiter gratuitement l’Historial Jeanne d’Arc avec le billet de faveur que leur aura remis Laurent le Fabuleux.
                                                  *
Déjà qu’il était affecté de tics, le voici maintenant atteint de bégaiement : Ni Nicolas Sarkozy.
 

24 mars 2015


Dimanche matin, je suis de nouveau à attendre devant le lycée Marc-Bloch de Védéherre, seul cette fois. Ce que voyant, les membres d’Amnesty International déjà présents me font entrer avant l’heure avec la cordialité un peu trop expressive qui caractérise ce genre de militants.
-Ça a marché hier ? demande l’un aux deux autres.
-Oui, on a vendu quatre mille livres. A un moment, on a dû ouvrir quatre caisses en parallèle.
-Oui, mais des livres à un ou deux euros, tempère le troisième.
-Quand même, entre quatre mille et huit mille euros en une journée, c’est pas mal.
Effectivement, me dis-je.
J’ai toutes les salles pour moi, jusqu’à ce qu’arrive à l’heure officielle l’une de mes connaissances rouennaises, ancien relieur qui fit aussi bouquiniste à une époque dans une partie de son atelier.
-Vous êtes déjà là ? Comment avez-vous fait pour entrer avant l’heure ? me demande-t-il.
Aujourd’hui, c’est moi qui fais figure de privilégié. Il est spécialement intéressé par les philosophes et encore plus par les Pères de l’Eglise mais ayant manqué la journée d’hier faute d’information, il ne trouve rien pour lui dans les bacs. Reste la salle baptisée « livres anciens » où il va aller faire un tour. On y trouve tout et n’importe quoi à condition que ce soit vieux et dépenaillé et donc considéré par celui qui s’en occupe jalousement comme rare et de grande valeur. C’est lui, improvisé libraire d’ancien chaque année, qui fixe les prix selon ses critères dont sans doute celui de deviner combien l’éventuel acheteur est prêt à mettre dans la vieillerie.
L’ancien relieur en revient dépité :
-Je ne peux pas le supporter, me dit-il et m’expliquant que ce cas relève de la psychiatrie.
De mon côté, je trouve de quoi emplir un sac, dont Messages, Signes & Dyables, trois cent quatre-vingts dessins d’André Malraux (Jacques Damase-Denoël  éditeurs), Le Temps du cœur, la correspondance amoureuse d’Ingeborg Bachmann et Paul Celan (Le Seuil) et J’avais peur de Virginia Woolf, les souvenirs de Richard Kennedy, qui fut à seize ans le grouillot de l’écrivaine, illustrés par lui-même, avec « un poster pliant de la vie avec les Woolf, par la grande porte et la petite » (Anatolia).
Je paie mon modeste dû, semblant ne pas entendre les voix féminines qui tentent de m’attirer vers les tables à pétitions, et arrive à la maison à midi pile, l’heure de l’apéritif que je prends désormais et malheureusement seul.
                                                              *
Petits malentendus sans importance, recueil de nouvelles d’Antonio Tabucchi, dont le titre est à la fois une explication et une excuse à sa présence au rayon des policiers en poche à la vente de Védéherre.
                                                              *
Ce dimanche est celui du premier tour des élections départementales mais dégoûté à des titres divers par tou(te)s les candidat(e)s, je m’abstiens. Plus précisément, je fais la grève du vote.
                                                              *
Il n’empêche que j’ai quand même failli voter, pour un autre ne pouvant y aller, mais il s’est avéré que nous n’étions pas du même bureau.
 

23 mars 2015


Samedi, avant que ne commence à quatorze heures la vente de livres d’occasion annuelle d’Amnesty International à Val-de-Reuil, j’ai l’idée de faire le détour par le Champ de Foire d’Elbeuf où il y a vide grenier. C’en est une mauvaise ; sur place, c’est poussière et misère. Je m’extrais de cette ville au réseau routier compliqué et arrive en avance devant le lycée Marc-Bloch de Védéherre.
A ce moment en sort Marc-Antoine Jamet, Maire, Socialiste, accompagné de ses amis. Ils portent sous le bras des livres qu’ils ont pu choisir avant tout le monde. Chaque année c’est ainsi.
Je suis rejoint par quelques autres pressés dans mon genre devant la porte coulissante qu’il est interdit de franchir avant l’heure officielle. Monsieur le Maire revient. Il a oublié son manteau. Quand il ressort, il nous déclare avec un grand sourire :
-Vous remarquerez que je n’emporte pas de livres.
Je raconte aux autres qu’il en avait deux sous le bras, il y a cinq minutes.
-Quand on est Socialiste, on peut se servir avant les autres, leur dis-je.
D’autres sont d’ailleurs en train de le faire. La dame d’Amnesty est offusquée par mon propos.
-Ce sont des gens qui nous aident, les élus, le directeur du lycée, les copains, c’est normal qu’on les remercie.
Nous sommes bientôt nombreux à attendre. Au feu vert, chacun se précipite vers son intérêt particulier, au rayon littérature pour moi où me rattrape la souriante bouquiniste rouennaise des Mondes Magiques, puis je continue par les livres d’art et les éditions de poche, cependant que ça ne cesse d’arriver sous l’œil d’une caméra de télévision.
Cette année, la politique des prix est à l’avantage des acheteurs, beaucoup de livres sont à un euro et les poches toujours à cinquante centimes. Je passe par tous les rayons, même ceux du sport et de la cuisine où peut m’attendre un ouvrage mal rangé.
Je recroise la jeune femme des Mondes Magiques. Elle peine à porter l’un de ses sacs.
-Vous allez pouvoir emporter tout ça ? lui dis-je.
-Pas en une seule fois.
Je suis moi-même lourdement chargé lorsque, saturant, je choisis d’en rester là en me promettant de revenir le lendemain. Dans mon butin : Les Soleils révolus (Journal 1979-1982) de Gabriel Matzneff (L’Infini/Gallimard) et le catalogue de la mythique exposition Paris Moscou 1900/1930 organisée en mil neuf cent soixante-dix-neuf au Centre Georges Pompidou.
De retour à Rouen, j’attends qu’un bus Teor passe pour traverser la rue du Général-Leclerc quand celui-ci, d’un coup de rétroviseur, pulvérise le feu qui commande sa circulation. Par chance aucune partie n’en est projetée. Mourir sur la voie publique un sac de livres au bout de chaque bras aurait pu m’arriver ce samedi après-midi.
                                                                             *
Ces élus du Parti Socialiste qui se servent avant les électeurs ne sont pas une concurrence bien dangereuse. Ce qui est époustouflant, c’est qu’ils ne voient pas ce qu’il y a de choquant à faire ce qu’ils font, l’effet déplorable produit chez celles et ceux qui les regardent.
 

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