Bavardeuse

Texte paru dans la revue Diérèse n°27 à l’automne 2004


Surtout ne pas lui laisser prendre la parole. Lui permettre juste d’acquiescer de temps à autre et de poser une question de temps en temps. Occuper le terrain. Parler, parler et encore parler. Telle est la tactique de la demoiselle, pantalon taille basse et petit haut minimum dévoilant un ventre plat et bronzé dont elle connaît l’irrésistible pouvoir. Parler de n’importe quoi et surtout ne pas s’arrêter. Du concert de Tryo pendant l’Armada où il n’y avait pas cent mille personnes, elle est sûre que non, mais peut-être bien quand même soixante mille. De sa mère à la foire Saint-Romain qu’elle avait trouvé en larmes en descendant d’un de ces manèges qui mettent la tête à l’envers et d’elle-même qui avait pleuré à son tour devant une preuve d’amour aussi touchante. De ses projets d’avenir, peut-être institutrice mais surtout pas prof, elle avait un petit frère de treize ans et qu’est-ce qu’il était chiant, toujours à vouloir qu’elle joue au tennis avec lui. Parler de tout cela et de bien autre chose sans se soucier de soûler son entourage, de celui qui relit son mémoire à ceux, vêtus de pantalons ridicules, se vantant de leurs accidents de skate-board, en passant par moi-même plongé dans l’Obscurité du dehors de Cormac Mac Carthy en terrasse à l’Espiguette. Mais soyons indulgent, elle ne peut faire autrement. Tout le monde ici sait ce qu’il a dans la tête ce garçon. Au moindre silence, à la première interruption, il se jetterait dans la faille et comment ferait-elle pour lui résister, ils s’y prennent trop bien les garçons, se débrouillent pour vous attirer dans leur chambrette et avec quelle hardiesse ils vous mettent la main dans la culotte et ensuite leurs doigts qui vous explorent la fente. Non, de cela elle ne veut pas. Elle est trop jeune, bien trop jeune encore. Elle ne peut que parler, sans cesse parler, jusqu’à ce qu’ils se lèvent et se séparent, partant chacun de leur côté, et ce soir quand elle y pensera à ce garçon qui sait si bien se taire, ne se promènera sur son sexe humide d’autre doigt que le sien.