Contre l'oubli


        Désormais, c'est en écoutant France Culture que j’ai des nouvelles de l'amant de Sandie qui fut mon amante et qui ne m'écrit plus. Autrefois, c'était elle qui m'informait des faits et gestes de son artiste, ce qui ne m'intéressait absolument pas, ce que j'ai fini par lui avouer. Ce pourquoi sans doute Sandie ne m'écrit plus, ne répond même plus à mes lettres.
        Lorsque je pense à elle, par exemple en m’attardant, lors de la foire aux livres organisée à Villeneuve par Amnesty International, devant les titres de Marcel Proust, son auteur préféré, je me dis que c'est vraiment trop bête.
        J'ignore ce qu'elle lit aujourd'hui, si elle écrit toujours des textes déstructurés dans lesquels j'avais bien du mal à entrer, bref quelle est sa vie. J'aurais dû éviter de lui écrire que peu m'importait la polémique entre son artiste d'amant et le sociologue en renom dans les revues en quadrichromie.
        Je songe encore à cela en cherchant des pièces de dix francs dans mon porte-monnaie pour payer les quatre ouvrages que j'emporte de cette foire aux livres. La caissière en profite pour coller un grand coup de tampon sur l'un de mes achats : «Amnesty International, lire contre l'oubli ». Je m'interpose:
        -S'il vous plaît, j'aimerais bien éviter le tampon.
        Elle me regarde d'un air intrigué et renonce à frapper les trois autres livres. Comme s'il fallait lire pour ou contre quelque chose...
        Je me sauve avec mon butin. J'écrirai une nouvelle fois à Sandie pour son anniversaire. A l'adresse de sa mère en la priant de faire suivre. Sandie ne me répondra pas. Un jour, sa mère mourra et je ne pourrai plus lui écrire. Un jour, je mourrai et Sandie n'en saura rien.
        Est-elle seulement encore avec cet artiste qui expose à Monaco ses œuvres vidéos et compagnie comme me l'apprend France Culture? Se souvient-elle que l'on s'est promis de toujours s'écrire lorsque chacun est parti de son côté? De ne pas s'oublier.
                                                                                     Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°13 en mars 2001.)