Enfances

Texte paru au Val d’Aoste dans la revue Les Cahiers du Ru n°31 en été 1998


Elle est vraiment jolie cette petite fille avec ses longs cheveux blonds. Ce qui étonne, c’est ce bandeau blanc à la hauteur de ses yeux et surtout ses cris de frayeur.
Elle vit dans la rue comme beaucoup d’enfants en Amérique latine et il a été facile au chirurgien de s’occuper d’elle. Là-bas, aux Etats-Unis, un de ses riches patients avait besoin d’une paire d’yeux tout neufs. Enlever une petite fille et lui ôter les yeux était la solution la plus simple. Le médecin est talentueux, les cicatrices seront parfaites.
Le petit garçon, lui, est trop mort pour hurler. C’est un bébé cambodgien et il a été aisé au praticien de le tuer puis de l’éviscérer pour placer la drogue en cette cache idéale. Bientôt, il s’envolera pour l’Europe dans les bras d’un couple exemplaire.
Alice et Lucas, eux, ne risquent rien. Ils sont nés du bon côté de la planète. Leur mère les regarde jouer dans ce jardin public aménagé avec les plus colorés des jeux à grimper suédois. Elle est tranquille, toutes les règles de sécurité ont été appliquées pour leur construction et leur installation. Après jouer, ils iront au salon de thé puis au cinéma et ce soir leur père, de retour de sa clinique, leur racontera une belle histoire.
Rien n’est trop beau pour les enfants.