Fleurs coupées


            J’avais acheté des fleurs parce qu’il fallait bien ne pas arriver les mains vides mais à peine ai-je franchi la porte du service où elle se trouvait que je me suis fait interpeller par une infirmière.
            -Non, non, surtout pas de fleurs. C’est strictement interdit. Et puis vous devez enfiler une blouse blanche avant d’aller plus loin.
            Devant mon air dépité, elle s’est adoucie et m’a dit :
            -Bon, vous pouvez lui montrer le bouquet mais il faudra le remporter. Vous connaissez le numéro de la chambre ?
          -Oui, ai-je répondu en cherchant comment mettre la blouse de médecin.
            La porte de la chambre était ouverte. Deux lits. Deux vieilles femmes étonnement pareilles, ressemblant à des nouveaux-nés extrêmement âgés. Dormant toutes deux, édentées, presque chauves, tellement maigres.
            Je n’ai pas reconnu ma grand-mère. Je suis ressorti pour interroger une infirmière.
            Elle m’a indiqué le lit de gauche et m’a dit :
            -Vous pouvez la réveiller.
            J’ai posé la main sur la tête de ma grand-mère et je lui ai doucement caressé le front comme on le fait pour réveiller un petit enfant.
            Elle a ouvert les yeux, m’a reconnu. Elle m’a dit qu’elle avait soif. Il faisait une chaleur oppressante dans cette chambre. C’était la fin de juin. J’ai versé un peu d’eau minérale dans le verre posé près de son lit et je l’ai aidée à boire.
            Dans le couloir, les infirmières riaient. Peut-être de cet imbécile qui apportait des fleurs à sa grand-mère mourante et qui ne la reconnaissait pas. Peut-être simplement pour faire croire que la vie est plus forte que la mort.
            J’ai essayé de parler avec ce petit être anéanti d’où je venais. Je lui ai montré les fleurs si malvenues. Bientôt, ses yeux se sont fermés et elle est entrée de nouveau en sommeil.
            Je me suis débarrassé de la blouse, j’ai repris le bouquet et je suis parti. Dehors, le soleil brillait plus que jamais. Paris semblait anéanti. J’ai cherché une poubelle et j’y ai déposé les fleurs.
            Quelques jours plus tard, ma grand-mère était morte.
            Son enterrement eut lieu début juillet, sans moi qui me dorait au chaud soleil de Castellane.
                                                                              Michel  Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°15 en septembre 2001.)