Hôpital silence

Texte paru dans la revue Filigranes n° 47 en août 2000.


D’abord, c’est l’odeur d’urine s’immisçant dans mes poumons, puis les murs lépreux lézardant mon regard, enfin je le vois près de la fenêtre, allongé, accablé, mon père. Les staphylocoques dorés ont envahi son genou droit et l’ont gonflé telle une pastèque. Il souffre atrocement, la jambe immobilisée dans une gouttière de plâtre. Nous nous embrassons maladroitement. Comme d’habitude.
Il m’explique le généraliste désinvolte aux antibiotiques mineurs, la douleur s’accroissant dans la nuit jusqu’à l’intolérable, la décision téméraire d’appeler une ambulance à une heure du matin et l’étonnement de la voir arriver un quart d’heure plus tard.
Et puis les questions des médecins, les analyses, les radios et l’incertitude. Bien sûr, il n’ose demander ce qu’il a vraiment, ni pour quand la guérison. Surtout ne pas déranger, telle est sa devise.
Bientôt, notre conversation flageole. Il y a déjà si longtemps que nous nous sommes perdus. Depuis toujours me semble-t-il. Je regarde le malade du lit voisin. Vieillard édenté, bouche ouverte, regard perdu, lâchant de temps à autre un pet sonore. Il vit ses dernières heures sous le regard navré de sa femme et de sa fille qui le veillent comme s’il était déjà mort. Le troisième lit est vide. Son locataire est assis dans un fauteuil. Il écoute en sourdine Radio Nostalgie : « Y’a d’la joie, bonjour bonjour les hirondelles, y’a d’la joie, partout y’a d’la joie. »
Mon père me montre son bras enflé par la perfusion d’antibiotiques. On entend les infirmières rire dans la salle contiguë mais il attendra que l’une d’entre elles pénètre dans la chambre pour demander que l’on change l’aiguille de bras.
Il me pose quelques questions anodines sur ma vie et mon travail et puis, entre lui et moi, s’installe, pesant comme une larme qui ne coulera jamais, il ne me reste plus qu’à partir, le silence.