Imprudence

Texte a paru dans une version légèrement différente dans la revue Le Bord de l’Eau n°16 en juillet/août 1995


Ça m’apprendra à faire l’amour sans capuchon, nu jusqu’au bout de la queue, toujours me disant qu’il y a peu de danger que le sida passe de la femme à l’homme ou que je risque autant de l’attraper lorsque je la lèche.
Me voici maintenant sur le chemin de Rouen avec pour destination le Centre Hospitalier Régional et Universitaire. C’est la troisième fois en deux ans que je vais me faire aspirer quelques centilitres de sang. Je connais les lieux et je n’ai même plus besoin de prendre rendez-vous. Je suis un numéro sur un dossier anonyme où figurent les résultats des précédents dépistages du virus.
Négatifs.
Dans la salle d’attente couleur pastel sont assises deux jeunes femmes à l’allure d’hôtesses, les lèvres parfaitement dessinées de rouge. Je leur dis bonjour et m’installe sur une chaise près de la porte. C’est minuscule et surchauffé. Il n’y a rien à lire, j’aurais dû emporter un bouquin.
Les deux jeunes femmes me regardent en coin surtout lorsqu’elles pensent que j’ai les yeux ailleurs. C’est sûr, avec ma silhouette longiligne et mes cheveux trop longs, elles me prennent pour un homosexuel malade. Elles doivent être contentes que je ne sois pas assis plus près d’elles.
Je me demande quelle vie dissolue les a amenées là. Des aventures ? Un amant ? Des amants ? A moins qu’elles ne soient call-girls…
-Je ne suis pas à l’aise ici, murmure l’une à l’oreille de l’autre, j’aurais dû emporter un bouquin.
L’infirmière vient la chercher et quelques minutes après elle revient le sourire aux lèvres. Peut-être n’avait-elle peur que de la prise de sang…
-Déjà, s’étonne son amie.
-Eh oui, je fais les choses rapidement quand il le faut, répond-elle.
-Et elle est bien, elle est très douce, ajoute-t-elle en parlant de l’infirmière.
« Pourvu qu’elles soient douces » chantonne-t-elle en reprenant son sac. Elles quittent la pièce sans me dire au revoir. Ça va être mon tour. La porte s’ouvre. Je suis seul dans la salle d’attente mais l’infirmière annonce quand même :
-Monsieur Michel X…
Je la précède et m’installe dans le fauteuil tandis qu’elle enfile des gants, préservatifs translucides. Elle est blonde, souriante, douce et jolie comme doit l’être une infirmière.
J’ai le courage de regarder les deux tubes remplis de mon sang, mais au moment où elle retire l’aiguille, j’imagine comme chaque fois qu’un geyser de sang va jaillir de mon bras ou qu’une bulle d’air va entrer dans la veine et griller d’un coup mon cerveau.
-Vous aurez les résultats dans une semaine. Vous viendrez les chercher 
Oui, je viendrai les chercher. Je lui dis merci et au revoir tandis qu’elle rassemble les flacons et ma fiche pour envoyer le tout au laboratoire.
Monsieur Michel X… va avoir la trouille pendant une semaine.