L'Unique et sa probabilité


            Un pigeon m’a chié dessus. A Barcelone. Le jour de mon anniversaire. Alors que je sortais du temple de la Sagrada Familia, dernière folie de Gaudi. Il a bien visé l’animal, juste sur ma tête. J’ai tiré mon mouchoir de ma poche gauche, l’ai tendu à Mélo, lui disant :
            -Fais quelque chose, s’il te plaît, fais quelque chose. Et discrètement, tout le monde me regarde.
            Mélo m’a essuyé les cheveux. Courageusement, malgré mes jérémiades et sous les yeux d’une multitude de touristes, se moquant un peu de moi :
            -Toi qui te plains toujours d’être transparent. Pour une fois que tu es le centre d’attraction tu devrais jubiler.
            J’ai réfléchi deux minutes et lui ai dit :
            -Jamais un autre que moi ne se fera chier sur la tête par un pigeon le jour de son anniversaire en sortant du temple de la Sagrada Familia. Les lois de la probabilité sont claires à ce sujet. Je suis Unique. Absolument Unique
            Mélo m’a regardé avec un sourire indulgent. J’ai pensé, peut-être qu’en fait Antoni Gaudi n’a imaginé ce monument que pour qu’un pigeon me chie sur la tête, à sa sortie, le jour de mon anniversaire. Mais je me suis bien gardé de le lui dire. Je n'ai pas voulu aggraver mon cas.
                                                                    Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Gros Textes n°29 au printemps 2001 et en Italie (Val d’Aoste) dans la revue Les Cahiers du Ru n°37 en été 2001.)