Mal-être

Texte paru en Belgique dans la revue Traversées n°19 en juin 1998


La demeure rose fuchsia ressemble à une énorme pâtisserie crémeuse et dégoulinante. On ne peut imaginer un si mauvais goût. Cela rappelle les hôtels particuliers que l’on voit à Houlgate mais en dix fois pire. Une horreur tellement excessive que la beauté n’est pas loin.
Nous sommes sur la route qui va de Dives-sur-Mer à Cabourg, devant la maison la plus laide de France.
Elle me tire par la chemise :
-Viens, j’ai envie de voir la mer.
Mais en chemin, elle décide d’acheter une carte postale pour sa maman qui vit dans une maison sombre et humide au fond d’un bourg suintant d’ennui. Assise sur un banc, dans les jardins du casino, après avoir griffonné quelques mots, elle colle le timbre tout en regardant, songeuse, les luxueuses voitures de sport vers lesquelles se précipite un chasseur qui les mène jusqu’au parking, après qu’en sont descendus quelques riches individus accompagnés de félines créatures à la moue dédaigneuse.
Elle jette la carte postale dans une boîte à lettres et me prend par la main :
-Viens, j’ai envie de voir la mer.
Sur la promenade Marcel-Proust, face à l’immensité iodée, elle se serre contre mon corps et pose sa tête sur mon épaule.
-Tu sais, je t’aime, me dit-elle.
C’est ce que l’on dit dans ces cas-là et le regard qu’elle pose sur la façade du Grand Hôtel me dit combien elle m’aimerait encore plus si je pouvais lui offrir, pour ce week-end à Cabourg, une chambre somptueuse avec vue sur la mer.