Martel en tête


            Ils avaient dû, comme moi, descendre l’escalier de pierres usées près du moulin abandonné pour parvenir au creux de l’étroite vallée bordée de rochers gris et asséchée par l’été caniculaire. Ils suivaient, main dans la main, le lit déserté par le ruisseau. En les regardant s’approcher, je pensais à la pluie qui, dès l’automne, dévalant les collines, balaierait toute trace de leur passage et du mien.
            C’était l’été, à Martel dans le Quercy.
            J’avais déployé une couverture sur l’herbe rase et jaune où je m’étais allongé pour lire. Je filais de ligne en ligne mais ne pouvais chasser de mon esprit le fait que, sous cette même couverture, un an plus tôt, en Bretagne, à l’orée d’un petit bois, près de Port-Manech, s’était glissé un serpent ondulant cependant que je rêvais entre deux pages de L’Oiseau bariolé de Jerzy Kosinski.
            D’un bond, je m’étais levé et avais tiré vivement l’un des coins de la couverture. L’animal terrifiant et terrifié s’était faufilé parmi les taillis proches et je m’étais dit que mon grand-père n’avait peut-être pas tort lorsqu’il me mettait en garde contre le danger de la lecture.
            J’étais allé me réfugier parmi les rochers du bord de mer et y avais repris mon livre à la page voulue. Mais ma lecture avait bientôt été interrompue de nouveau par une jeune fille en maillot de bain, accompagnée d’un énorme chien, qui m’avait demandé de lui indiquer le chemin douanier. Je l’avais renseignée, les yeux fixés sur le sexe rouge et pointu comme un foret de l’animal qui bandait.
            C’était la même couverture et c’était le même soleil.
            Ils furent bientôt assez proches pour que je constate qu’elle et lui n’étaient vêtus que d’un tee-shirt blanc et court qui laissait au vent doux la faculté de se faufiler entre les poils de leurs toisons ; blonde pour elle ; brune, presque noire, pour lui.
            Je plaçai un marque-page dans Le moine apostat d’Anthony Shafton et allai me dissimuler derrière un rocher afin de les observer sans trahir ma présence. Ils furent arrêtés par un gros tronc d’arbre chu en travers du chemin. Elle lâcha la main de son compagnon, se mit à califourchon sur le fût et frotta longuement son sexe contre l’écorce rêche parsemée de lichen et de mousse desséchée. Il avait le regard arrêté sur la croupe onduleuse et son membre avait pris la forme d’une tige luisante dressée vers le bleu du ciel. A son tour, il enjamba l’arbre déchu et la prit par-derrière comme une chienne.
                                                                  Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°18 en septembre 2002)