Mauvais départ


            La demoiselle entre dans le parc. Elle tient par la main chacune de ses petites sœurs. Elle cherche des yeux le jeune homme à qui elle a donné rendez-vous. Le soleil, qui joue au chat et à la souris avec l’ombre des feuillages, l’empêche de distinguer la longue silhouette filiforme et la chevelure de poète de celui qu’elle cherche.
            C’est lui qui vient vers elle et lui sourit. Elle joue la surprise, s’étonne de le rencontrer ici et propose aux petites sœurs d’aller contempler les animaux du jardin zoologique voisin. Elle les rejoindra bientôt. Les fillettes s’enfuient vers l’entrée du zoo, la jupette virevoltante, sous le regard de quelques vieux messieurs joueurs de cartes.
            La demoiselle et le jeune homme vont s’asseoir sur un banc. Elle essaie de ne pas rougir et il tente de parler sans bredouiller. Il évoque la chaleur, la lumière et la paix du parc ombragé puis passe au Grand Meaulnes avant d’arriver à Sissi et à Mayerling.
            Il raconte les rubans de taffetas, les voiles de mousseline, les robes d’organdi, les chemises de satin, les pantalons de velours. Il décrit les longs cheveux blonds, les anglaises et les accroche-cœurs et puis se tait. Il ne sait que dire maintenant et elle ne sait que répondre. Elle se lève brusquement :
            -Je me demande ce que font mes sœurs. Il faudrait aller voir où elles sont.
            -Oh, on va les trouver devant la cage aux singes en train de faire des grimaces.
            Ce en quoi il se trompe. Les fillettes tiennent solidement des deux mains les barreaux d’un enclos entre lesquels elles ont glissé leur visage. Elles ne bougent ni ne parlent et encore moins ne font des grimaces. Elles regardent les zèbres qui bandent.
                                                              Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Cahier d’(Ecriture) n°5 en novembre 2001.)