N'allez pas croire


        N'allez pas croire, ce n'est pas par plaisir qu'elle s'enferme dans la salle de bains. Ne pensez pas qu'elle passe des heures à se doucher, se sécher, se coiffer, se maquiller. Ne la voyez pas régnant sur une armada de crayons à lèvres, fards à paupières, fonds de teint et flacons de parfum. Ne l'imaginez pas lèvre peinte et oeil de biche, fraîche comme la rose à peine éclose. Elle est assise sur le carrelage froid et elle pleure. Hier à Beyrouth, aujourd'hui à Paris. La même salle de bains, la même blancheur glaciale. Elle est une petite fille. Elle entend tomber les bombes. Les vitres se brisent. Elle se bouche les oreilles de ses petites mains d'enfant. Elle pleure. Son frère lui caresse les cheveux. Son père tente de la rassurer. Sa mère sèche ses larmes. Elle est une jeune fille, presque une jeune femme. Elle entend les éclats de voix. Elle se bouche les oreilles. Elle pleure. Elle est seule désormais, toute seule. Son frère n'est plus là pour lui caresser la nuque. Son père et sa mère ne se soucient plus d'elle. Ce sont eux qui lui déchirent les tympans de leurs cris, de leurs disputes. Ils se haïssent aujourd'hui à Paris, eux qui s'aimaient hier à Beyrouth. La guerre ne finira-t-elle jamais? se demande-t-elle. Elle est enfermée dans la salle de bains mais n'allez pas croire.
                                                                         Michel Perdrial
(Ce texte a paru en Belgique dans la revue Inédit n°147 en décembre 2000.)