Nostalgie


            C’était mil neuf cent trois et Marie-Louise écrivait à Hélène :
            « Dans la solitude de ma chambrette, en face les immenses horizons de notre vallée, je t’adresse, ainsi qu’à tes bons parents, mes amitiés et mes remerciements pour la bonne journée que j’ai passée près de vous. Pas trop de péripéties au retour cependant quelques incidents à noter. A la mairie, nous manquons le tramway qui part à dix pas de nous ; obligés d’aller à pied jusqu’au calvaire en courant ; presque arrivés là, le tramway pour Saint-Aubin venait de partir ; obligés d’attendre le prochain… Te dire notre impatience… Nous avions peur de manquer le train… Juge de l’inquiétude de maman… enfin bref, nous arrivons à la gare comme le train arrivait. Jusqu’à Glos, excellent voyage, pas une minute de retard. Là, on nous attendait avec le poney… Il commence à pleuvoir, pas de parapluie. Je prends une couverture que je mets par-dessus mon chapeau. Je m’enveloppe dans une autre. Je n’ai pas senti une goutte d’eau mais j’étais en sueur à Pont-Audemer. Je ne te dis que cela. Heureusement qu’il faisait nuit. J’aurais fait peur aux piétons. Je suis sûre que je faisais une Mi-Carême tout à fait réussie. Si nous avions rencontré des enfants, ils auraient été capables de m’arrêter au passage… Envoie-moi souvent de tes nouvelles, ma chérie ; un petit mot sur une carte postale ne demande pas beaucoup de temps et fait tant de plaisir… Nos meilleures amitiés de notre part à tous ; à tes chers parents ; à toi, chère amie et à ta bonne grand-mère quand tu la verras. »
            Elle racontait cela sur une carte postale réalisée d’après une phototypie de A. Breger Frères, 9, Rue Thénard à Paris. Le verso étant exclusivement réservé à l’adresse, Marie-Louise avait dû utiliser le recto de la carte, représentant l’église du Bec-Hellouin, pour narrer, de chaque côté du clocher, son aventureux retour.
            Elle écrivait d’une écriture lisse, sans faute d’orthographe et sans erreur de ponctuation. Seules lui importaient l’émotion et la gratitude. C’était une autre époque. Une époque où les femmes et les hommes avaient l’impudeur d’aimer. Aujourd’hui, le cœur sec nous a tous contaminés.
                                                                        Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue Diérèse n°12 en décembre 2000.)