Question de style

Texte paru en une version légèrement différente dans la revue Verso n°111 en décembre 2002


            Une table ronde où nous dînons tous les sept dans un restaurant de la rue de Charenton, à deux pas du bois de Vincennes. Six enseignants et un surveillant qui ne veut surtout pas être pris pour un prof. Je me tais comme à mon habitude, un peu hébété. Je fais semblant de manger. La nourriture n’est pas terrible mais le vin est bon. Bien sûr ce n’est pas moi qui l’ai choisi. Mes collègues, comme ils disent, chahutent gentiment et titillent le serveur qui finit par s’enfuir, excédé. C’est souvent ainsi. Lorsque les enseignants sont hors de l’école, ils se comportent comme leurs élèves. Et parlent bien sûr du dernier livre qu’ils ont lu. Toujours absents de la vraie vie. Je les regarde l’un après l’autre, l’une après l’autre. Ils et elles me trouveront sûrement trop timide, peut-être légèrement demeuré. Peu m’importe, si je suis l’un d’eux, je ne fais pas partie de la famille. De ses collègues qui sont aussi des amis de Mélo. Et Mélo, je ne suis là que pour elle qui fait ce soir son tour de chant dans ce restaurant de la rue de Charenton près de laquelle passent les tégévés qui mènent au soleil.
            Voilà. C’est à elle. Mélo s’empare du micro avec la même aisance que de ma queue lorsqu’elle a envie de me sucer. Ses jeunes seins libres palpitent sous un débardeur qui offre aux regards captivés la blancheur de son ventre plat. Sa voix envahit la salle où résonne le texte de Léo Ferré : « Ton style c’est ton cul, c’est ton cul. » Les bouches silencieuses s’ovalisent et les yeux s’écarquillent. « C’est ta loi quand je m’y plie, salope. » De petits rires gênés se font entendre ici et là cependant que les fourchettes restent en suspens.
            Un ange passe et il a du style.