Rémanence


            Luna se sentait bien chez lui. Chez sa mère, la décoration toute féminine de l’appartement parfois l’oppressait. Ici, elle aimait voir traîner des outils dans la cuisine. Ce n’était pas qu’il soit particulièrement bricoleur mais quand il sortait un marteau ou une pince, il négligeait souvent de les ranger.
            Luna avait dix ans lorsque son père avait quitté sa mère et elle aussi par la même occasion. Depuis plus de nouvelles. Peut-être était-il au Canada dont il rêvait toujours. Quand elle y pensait, elle sentait son cœur qui se gondolait.
            -Tu sais, lui dit-elle ce jour-là, jamais je ne te laisserai tomber.
            Il était en train de préparer le repas et il se tourna vers elle :
            -On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Il ne faut rien promettre.
            -Non, tu verras. Même si un jour je dois partir, je ne te quitterai pas.
            -C’était écrit, ajouta-t-elle. Tu avais besoin de moi et moi, je manquais de toi. On ne s’est pas rencontré sans raison.
            -Et je vais devenir de plus en plus vieux.
            -Je me fous de ton âge. On ne dirait pas que tu as quarante ans et tu bandes toujours quand j’en ai envie.
            -Et quand je ne banderai plus ?
            -La médecine va faire des progrès, tu seras peut-être le premier homme qui bandera jusqu’à cent ans.
            Elle vint le rejoindre et l’enlaça.
            -Ne t’en fais pas, lui dit-elle. Toi, tu as la tête pleine de questions. Moi, j’ai la tête pleine de réponses. Tu vois, il fallait que l’on se rencontre.
            Luna l’embrassa légèrement sur les lèvres.
            -On mange, dit-elle.
            -Tu me poses une question ou tu me poses une réponse ?
            Ils s’installèrent à la table ronde et picorèrent la salade composée qu’il avait confectionnée.
            -C’est une salade poubelle, le taquina Luna. Tu y as mis tout ce qui traînait.
            La rumeur grouillante de la ville palpitait entre eux. Il regardait Luna et s’imbibait d’elle.
            -Elle est bonne ta salade, lui dit-elle.
            Elle ajouta :
          -Cette après-midi, je vais aller bosser. Je dois passer en terminale quand même. Mais avant de partir, je vais te faire une douceur.
            Luna le prit par la main et le conduisit dans le salon. Elle s’agenouilla devant lui et d’un geste résolu fit sauter les boutons de son jean. Elle sortit le sexe humide et à demi érigé et le glissa dans sa bouche adolescente où il enfla de tout son bonheur.
            Ses jambes défaillirent et il perdit le contrôle de sa respiration et de son rythme cardiaque. Luna, d’une langue chaude et caressante l’acheva. Il jouit longuement tandis qu’elle le buvait puis elle le quitta d’un baiser sur le front le laissant affaibli et songeur.
            Luna, il raffolait de son impudeur, de l’habitude qu’elle avait de se promener nue dans l’appartement, des poses lascives qu’elle prenait sur le canapé, des danses provocantes qui la faisaient s’exhiber devant lui. Ou au-dessus de lui lorsqu’il était allongé sur son lit. Elle lui montrait alors son sexe, écartant les lèvres, regarde bien, et parfois se masturbait face à son regard, titillant le petit clitoris, inondée et suffocante. C’était alors à son tour de se caresser devant elle qui l’excitait de mots crus et vulgaires, ceux qu’il aimait entendre dans sa bouche de polissonne ingénue.
            Luna qui était partout dans cet appartement, même et peut-être surtout lorsqu’elle était absente. Elle le suivait de pièce en pièce et il la retrouva dans cette chambre où, hier soir, ils avaient joué à se dévêtir mutuellement, chacun essayant d’empêcher l’autre de lui ôter ses vêtements. Bientôt, les habits épars et les halètements épuisés avaient témoigné de l’âpreté de la lutte. Ils avaient bien ri lorsqu’ils avaient découvert la petite culotte de Luna accrochée à un livre sur une étagère de la bibliothèque.
            -Nabokov, lui avait dit Luna en soulevant son petit dessous. Ça ne pouvait pas mieux tomber, non ?
            Elle l’avait rejoint sur le lit moelleux pour une débauche de caresses, d’embrassements et d’attouchements. Avant peu, ils étaient soudés l’un à l’autre se nourrissant mutuellement de leurs odeurs, liqueurs et ardeurs.
            Après la jouissance quasi simultanée qui avait empli la chambre de leurs cris, il était resté en Luna très longtemps. Il aimait s’imaginer uni à elle pour la vie ou au contraire mourir en elle au paroxysme du plaisir mais il ne lui en soufflait mot.
            Il était comme tous les hommes, désespérément.
                                                                Michel Perdrial
(Ce texte a paru au Québec dans la revue Les Saisons Littéraires n°20, vernal/estival 2001.)