Sans réponse


            Tu te souviens ; c’était l’époque où je portais une veste en laine naturelle tissée à la main à la lueur des lampes à pétrole et où j’écoutais des musiques rurales dans des étables délabrées.
            Nous étions au pied d’un château, dans le Lot, à Assier, où j’étais venu pour le récital d’un chanteur-gardien de chèvres, fabricant de disques et de fromages qui, dans l’une de ses chansons, appelait une salope pour qu’elle lui fasse respirer son placenta. Tu étais près de moi, jolie et mince spectatrice, et je n’aurais jamais osé te dire : viens salope, même si j’espérais que tu le sois un peu.
            Heureusement, la nuit était tombée et il s’était mis à faire froid. Tu grelottais et j’avais, dans ma voiture, une seconde veste en laine naturelle tissée à la main à la lueur des lampes à pétrole.
            Au petit matin, je t’ai laissée en t’expliquant que lorsqu’on habite et travaille en Normandie, on ne peut rester à Assier où les joueurs de pétanque sur la place du village sont bien trop petits.
            Tu te souviens ; quelques années plus tard et toujours à Assier dans le Lot, tu es montée dans ce train circulant sur la voie unique précisément le jour où le chef de gare distrait le faisait partir cependant qu’arrivait en face un convoi de marchandises.
            Tu te souviens de tout cela et tu ne me réponds pas. Pourquoi es-tu si complètement morte ?
                                                                Michel Perdrial
(Une version légèrement différente de ce texte a paru dans la revue Verso n°104 en mars 2001.)