The End


            On aurait cherché en vain la ferme. Ce n’étaient que terrains vagues et entrepôts sordides. Le jour n’était pas encore levé. J’étais seul dans la rue où m’avait déposé un chauffeur de taxi mal luné. A quelques pas, deux bergers allemands parcouraient le macadam en tous sens. C’était bien là. C’était écrit sur le panneau. Rue de la Ferme. C’étaient les policiers qui m’avaient donné l’adresse :
            -On a retrouvé votre voiture. Elle est à la fourrière de Montreuil en Seine-Saint-Denis. Vous avez intérêt à la récupérer rapidement sinon ça va vous coûter cher.
            La fourrière était facilement repérable, un bâtiment minable entouré d’un bourbier immonde. Elle était dirigée par un petit coq excité et éructant. Quand il ne criait pas après ses secrétaires, il insultait un ordinateur récalcitrant ou hurlait dans un micro des ordres aux conducteurs des engins chargés de récolter les voitures mal garées. Parfois, il s’occupait de ses clients.
            Il consentit à m’indiquer l’endroit où se trouvait ma voiture. Elle gisait dans la boue et j’aurais vraiment préféré que les voleurs la noient dans un étang ou la brûlent dans un champ plutôt que de la voir là.
            Je fis le tour des dégâts. Serrures cassées, peinture rayée, tissu lacéré, siège souillé. Puis je payai une somme exorbitante au volatile agité pour la faire conduire dans un garage en vue d’une expertise avant de trouver un bus pour rejoindre Paris.
            Cette voiture, je l’avais achetée pour Sandie, pour aller la chercher chez sa mère, là-bas, en vallée d’Eure, dans la maison triste écrasée par la falaise, Sandie qui y avait si souvent posé son petit cul enchanteur, parfois même mouillé le siège lorsque je lui caressais la fente tout en conduisant.
            Grâce à elle, petite automobile allemande aux phares ronds, nous avions fait tant de kilomètres ensemble, de Bretagne en Ariège, de Cabourg à Avignon, avant que Sandie ne me quitte ou que je la quitte, ce n’était pas très clair.
            Dès qu’elle serait réparée, je la mettrais en vente pour ensuite acheter une nouvelle voiture, italienne, japonaise ou même française et chercher un nouvel amour, s’il s’en trouve encore. On me dit que oui, je fais semblant d’y croire.
                                                               Michel Perdrial
(Ce texte a paru dans la revue La Nef des Fous n°10 au premier semestre 2002.)