Trop tard

Texte paru dans la revue L’Art du Bref n°15 en juillet/août 1996 mis en onde dans l’émission Clair de Nuit sur France Culture le 3 février 1997


Nous suivions la camionnette noire fleurie de gerbes multicolores. Deux ou trois dans chaque voiture. Cela faisait un tout petit cortège. A chaque carrefour, l'un des passagers de la camionnette en descendait et arrêtait les voitures qui venaient en sens inverse. Il rejoignait ensuite son véhicule en courant comme un dératé, la cravate rejetée par-dessus son épaule. Ceci nous faisait sourire pourtant ce n'était pas le moment. Et cela ainsi jusqu'à ce que nous quittions la ville, que nous arrivions en bordure de la forêt à l'entrée du cimetière.
Nous marchions tristement derrière le cercueil porté par quatre
hommes aux épaules couvertes de pellicules. Quelques-unes d'entre nous pleuraient. Certains aussi. Des tréteaux attendaient la boîte en bois verni qui y était déposée. L'homme qui tout à l'heure courait dans les rues de Louviers faisait un discours ridicule d'où il ressortait que quarante-deux ans c'était bien jeune pour mourir. Puis, l'un des porteurs de cercueil marmonnait:
-Merde, on a oublié les immortelles.

Il courait les chercher dans la camionnette. L'un après l'autre, nous en déposions une sur le cercueil. Puis, celui-ci était à nouveau soulevé par les quatre porteurs.
Nous grimpions dans la terre fraîche jusqu'au grand trou gardé par deux fossoyeurs appuyés sur leurs pelles. Le cercueil y descendait lentement retenu par des cordes. Nous jetions une nouvelle immortelle sur son couvercle, chacun à notre tour, tout au fond du trou. Je réussissais à viser en plein cœur.