Un après-midi à la campagne

Texte paru dans la revue Diérèse n°27 à l’automne 2004


J’avais eu un peu de mal à trouver le village où elle habitait. Elle m’attendait sous l’abri de l’arrêt des bus. Son frère l’accompagnait mais je lui ai dit que je voulais être seul avec elle et que, non merci, je n’avais pas envie de prendre un café chez sa mère et son beau-père.
Je lui ai proposé d’aller en direction de la forêt. Elle avait peur et il a fallu que je la convainque que j’avais juste envie de marcher et de discuter avec elle, pas de la violer dans un bosquet.
C’était une petite fille butée et secrète que j’avais du mal à faire parler. Elle m’a néanmoins raconté le beau-père alcoolique, les études ratées, son travail de vendeuse dans une boulangerie de la ville voisine, ses amours illicites avec le pâtissier marié. Elle m’a avoué qu’elle avait besoin de tendresse, pas de sexe. Elle n’aimait pas le sexe, elle ne pouvait pas me dire pourquoi, c’était trop difficile. Nous nous sommes enfoncés dans la forêt. Je pensais, à la voir aussi frêle et fragile, que j’aurais peut-être, plutôt que le goût de la protéger, celui de la soumettre à mes désirs et de l’utiliser pour mes plaisirs. Penser cela me faisait bander et ralentissait ma marche alors qu’il m’aurait fallu accélérer pour aller à son pas. Je lui ai demandé d’aller moins vite. Nous avons fait une large boucle dans la forêt avant de revenir vers le village. Une mare, vaste et lumineuse, a surgi au détour du chemin. Je lui ai dit que j’aimais cet endroit, que je trouvais belle cette surface glauque parsemée de fleurs blanches. Elle m’a rétorqué qu’elle ne trouverait jamais la moindre beauté à ce lieu et, lorsque je lui ai demandé pourquoi, m’a répondu :
-C’est là que mon petit frère s’est noyé quand il avait huit ans.