Variations sur une devinette idiote

Texte paru dans la revue Supérieur Inconnu n°14 en avril/juin 1999


Elle lui téléphone:
-Pince-mi  et  pince-moi  sont dans un bateau. Pince-mi tombe à l'eau. Qui est-ce qui reste?
-Pince... commence-t-il à répondre.
Il s'interrompt. Reprend:
-Ah non, ça fait trop mal!
Elle lui donne son numéro avant de raccrocher. Il se demande qui est cette fille.
Une heure plus tard, il la rappelle. Trop chaud pour dormir.
-Lèche-mi et lèche-moi sont dans un château. Lèche-mi tombe de haut. Qui est-ce qui reste?
-Ah non, c'est trop dégoûtant! s'insurge-t-elle.
Elle s'interrompt. Reprend:
-Et puis de toute façon je ne te connais même pas.
Elle raccroche brutalement.
Une demi-heure après, c'est sa voix qu'il entend lorsqu'il décroche :
-Suce-mi et suce-moi sont sur un escabeau. Suce-mi tombe dans le ruisseau. Qui est-ce qui reste?
-Suce-moi, oh oui, vas-y suce-moi! supplie-t-il.
-Mais comment veux-tu donc que je fasse? Nous sommes à cent lieues l'un de l'autre.
Elle raccroche. Il la rappelle aussitôt:
-Baise-mi et baise-moi sont sous un chapiteau. Baise-mi tombe sur le dos. Qui est-ce qui reste?
-Baise-moi, bon d'accord, baise-moi. Je te donne mon adresse. Tu as de quoi noter? Tu verras, c'est facile à trouver. Je t'attends toute nue sur mon lit aux draps défaits. La fenêtre est ouverte. Tu n'auras qu'à traverser le jardin et enjamber le rebord. T'introduire dans ma chambre avant de m'introduire. Débrouille-toi pour arriver avant la fin de la nuit. Après ce sera trop tard.
Il se rhabille car il était nu avec la queue bandée. Se précipite vers sa voiture. Ne prend pas le temps de boucler sa ceinture de sécurité. Démarre en trombe, réveillant ses voisins.
Quelques dizaines de kilomètres plus loin, à la sortie d'un virage, la police l'arrête:
-Défaut de port de la ceinture, vous ne coupez pas à l'amende, lui dit l'un des policiers qui demande les papiers du véhicule.
Il  n'a  aucun  papier  sur  lui.  Il  a  tout laissé chez lui. Tellement pressé de la rejoindre.
-Vous allez devoir nous suivre au commissariat, disent les policiers. Il va falloir établir votre identité et ça risque bien de prendre toute la nuit.
Il suit la voiture de police, furieux, le regard sombre, les dents serrées. Elle l'attendra en vain. Ne voudra peut-être plus de lui lorsqu'il la rappellera.
Au commissariat, l'un des policiers, d'humeur loquace, tente de lui remonter le moral.
-Ne vous en faites pas, lui dit-il, cela arrive à tout le monde de se faire pincer.