Venise et après

Texte paru en version un peu différente dans la revue Gros Textes n°19 au printemps 1998


Derrière nous, des jeunes gens enlunettés de noir et de riches vieilles envisonnées, les maisons colorées de l’île de Burano, un repas d’anniversaire à la trattoria da Ignazio, putain quarante-six ans, un coucher de soleil sur la Salute, un café au Florian l’air intimidé, du vin blanc pris pour de l’huile et versé sur les lasagnes, des photos de femmes nues au Palazzo Grassi, pour dessert un tiramisu, des promenades sans fin dans les ruelles tortueuses et Mélo qui me dit : Veux-tu que je te suce dans un coin sombre ? et moi : Non, non, j’ai trop peur, un buisson sur la tombe d’Ezra Pound à San Michele, serrés comme des sardines sur le vaporetto, des larmes plein les yeux sous le pont du Rialto, une glace en terrasse face à San Giorgio, une Saint-Valentin en gondole, Santa Lucia, I need your love, des chansonnettes sur le rio, et le gondolier : Jolie, mademoiselle, la promenade en gondole ?, une photo de nous deux engondolés.
Devant nous, le gare mussolinienne et son buffet lugubre, une vieille folle qui ramasse les tasses sac à main sous le bras, un train de nuit pour Paris, une cellule de six couchettes et comment faire avec le désir qui décline, combien d’années déjà ?, Mélo, est-ce que tu m’aimes encore ?