la littérature en couleurs
Invité par d’enthousiastes bibliothécaires que l’Histoire de l’album et celle de l’illustration intéresse, je suis allé à Grenoble l’autre jour. Cette sous-catégorie de l’histoire de l’art est encore faiblement représentée, que ça soit à l’Université ou dans les Écoles d’art alors que paradoxalement les formations autour du livre et de l’illustration se développent. J’ai donc pris mon ordi sous le bras et avec quelques albums prélevés sur place j’ai arpenté le sujet de Moscou à Los Angeles, de 1911 à 1981 — je n’avais que trois heures. Trois heures bien agréables avec un public attentif et motivé dans la bibliothèque Kateb Yacine qui est incluse dans un centre commercial au sud de la ville.

la littérature en couleurs
À la sortie, peu après midi, le brouillard s’était levé et j’ai finalement pu voir les magnifiques montagnes. Arrivé la veille dans la nuit et levé dans un épais brouillard donc, je commençais à mettre en doute la localisation alpine de cette cité.
Mais les montagnes ne furent pas les seules à capter mon attention à l’heure du déjeuner puisque dans le restaurant jouxtant la bibliothèque m'attendait François Ruy-Vidal. Oui, le François Ruy-Vidal qui fut l’éditeur des nombreux albums parus sous le label Harlin Quist entre 1966 et 1972, qui fonda le département jeunesse des éditions Grasset, qui proposa aux enfants des textes signés Eugène Ionesco ou Marguerite Duras, qui ouvrit le monde de l’édition à des artistes comme Nicole Claveloux, Patrick Couratin, Mila Boutan ou Claude Lapointe, je ne vais pas énumérer davantage les raisons de l’influence considérable que cet homme a eu sur la production éditoriale pour les enfants en France…

la littérature en couleurs
On a bavardé en mangeant, bien contents de se rencontrer enfin après tant de correspondance électronique. Pour être tout à fait franc nous nous étions déjà rencontrés, probablement en 2004, à l’occasion du Festival du livre jeunesse de Rouen. J’y étais sur un stand de la région Haute-Normandie, où en compagnie de quelques camarades je proposais alors quelques jeux en papier, et faisant le tour des exposants je m’étais arrêté sur son stand où nous avions discuté de ce qu’il était louable de mettre entre les mains des enfants. Nous étions tombés d’accord dans une grande joie commune — j’ignorais absolument qui il était à cette époque, lui possède encore la carte de visite que je lui avais laissée en échange d’un catalogue.
Bref, en 2019 la discussion porta sur quelques points de ma conférence à laquelle il avait assisté et auxquels il m’apporta détails, éclaircissements et anecdotes: l’influence du Père Cocagnac sur le dessin d’Alain Le Foll, ses rapports avec Gallimard avant que Pierre Marchand ne soit recruté pour développer le secteur jeunesse, sa brève activité de galeriste rue de Nesle vers 1975, son émerveillement en lisant Oscar et Erick (Marcel Aymé) dans l’édition Jeunes bibliophiles en 1961, comment L’Arbre (Etienne Delessert & Eleonore Schmid) fut élaboré avec les élèves de sa classe de la rue de Picpus à Paris, comment en 1967 Simone Signoret fut à l’origine de sa publication de Pierre l’ébouriffé et les aventures stupéfiantes de Tomi Ungerer sur Fire Island auxquelles il n’a pas souhaité participer.

la littérature en couleurs
Me racompagnant à la gare dans son auto il me raconta également, en en riant encore, comment lors de sa première rencontre avec Maurice Sendak il s’était adressé à lui “I’LL EAT YOU UP!” comme Max s’adresse à sa mère au début de Where the Wild Things are, me conseilla de parler davantage de Patrick Couratin «un continent!» et, parmi de nombreuses citations, me donna sa préférée car elle guide encore sa vie:

— J'irai ! j'irai !
— Où?
— Sous le ciel pommelé, et je mâcherai chaque herbe pour connaître le goût qu'elle a.

L’Échange, Paul Claudel