Dimanche 28 Novembre 2010

Livres

Nadia Sendin

Antoine et Isabelle de Vincent Borel aux éditions Sabine Wespieser :


Compte-rendus littéraires club de lecture :
Antoine et Isabelle est une grande fresque historique qui commence en 1917 et s’achève à la fin de la seconde guerre mondiale, avec un prologue et un épilogue en 2001, où le petit-fils d’Antonio, le personnage principal du récit, devenu journaliste, est invité par Michel Ferlié, descendant des Gillet, l’autre grande famille du roman.
Ce roman, en parti autobiographique, suit la trajectoire de deux familles en Espagne et en France dans l’entre deux-guerres : les Canuto-Vives, les grands-parents de l’auteur, qui ont choisi de se battre pour la jeune République espagnole et face à eux, une bourgeoisie de nantis lyonnais, les Gillet. Ces deux familles sont les témoins des révolutions, des soubresauts, des tragédies de l’Histoire au début du XXème siècle.

Antoine Vives et Isabelle Canuto se sont mariés à Barcelone dans les années 30. Leurs deux familles ont fui leurs terres d’origine pour s’installer à Barcelone, où ils espéraient trouver travail, progrès, confort. Dans la grande ville, les familles s’entassent dans des logements insalubres et étroits et les enfants sont contraints de travailler. Antonio qui apprivoise vite cette ville exaltante travaille comme serveur et Isabelle devient couturière.
Barcelone, en ce début des années 30, se fait l’écho de la Révolution russe : les ouvriers s’organisent en syndicats pour revendiquer de meilleures conditions de travail, l’égalité des droits et la démocratie. Antonio et Isabel en font partis. Ils s’opposent aux puissants patrons soutenus par l’armée et le pouvoir voulant maintenir leurs privilèges. C’est le cas de la famille Gillet, la plus puissante famille de patrons lyonnais dominant l’industrie textile et qui a des parts dans de nombreuses filiales internationales. Nous suivons ainsi ces deux familles dans une Europe écartelée entre la montée du fascisme et les revendications marxistes des ouvriers qui mènent au pouvoir le Front Populaire en Espagne, renversé par le putsch militaire de Franco.

Cette grande fresque historique s’interroge, à travers le destin de ces deux familles, sur les raisons de la montée du fascisme en Europe et sur ce qui a conduit à la guerre d’Espagne, en montrant l’affrontement entre deux idéologies : celle déterministe et naturaliste des grands patrons qui considèrent que les travailleurs leurs appartiennent et celle des ouvriers qui prennent conscience qu’ils constituent une force revendicatrice.
Ce roman résonne aussi de nos jours. Cette vision de grands patrons se réjouissant lors de la crise de 1929 de l’émergence d’un monde nouveau représenté par l’édification de l’Empire State Bulding, alors que la classe moyenne ruinée agonise, fait échos au capitalisme et à la crise actuelle, où seuls les puissants peuvent profiter du marasme et anticiper la venue d’un monde nouveau.

Avis d'un lecteur :

Antoine et Isabelle de Vincent Borel

Livre d’une densité imposante dans laquelle on se laisse entrainer comme jeté dans une rivière en cru dont on n’arrive pas à sortir mais où l’on ne se noie pas. On a qu’une envie au contraire c’est garder la tête hors de l’eau pour tout savoir de la vie des deux personnages centraux Antonio et Isabel et tout autant de ce qui a fait que leur magnifique histoire d’amour soit devenu un drame, malgré eux.
Ils construisent leurs vies autour de valeurs qui leurs sont communes et semblent légers dans un monde qui tisse sa toile sur une Europe en pleine préparation de guerre après avoir tenté de reconstruire les dégâts de la précédente.

L’auteur, journaliste, travaille comme un journaliste qui transmet, montre, donne à voir, les machinations, les accords plus ou moins licites des entrepreneurs et grands bourgeois de France et d’Allemagne, sans porter de jugement…si ce n’est pas porter un discret jugement que de simplement les dévoiler. Cette forme d’écriture lui donne un style littéraire dans lequel on peut être amené à se perdre parfois, mais c’est sans danger pour que l’envie d’aller plus loin dans son récit se mette à manquer.

Ce récit est encadré par le camp de concentration de Mauthausen. L’auteur en parle au début et à la fin, comme la marque indélébile d’une visite faite à quinze ans.
Au final Antoine, courageux républicain révolté et sa belle Isabelle tout aussi tenace dans ces valeurs partagées, ne seraient ils pas seulement les vecteurs d’un message central contre l’oubli des ignominies dont est capable l’humain. Ignominie – au début du livre - comme la négation des chambres à gaz en Allemagne, ignominie – au milieu du livre - comme la fabrication en France de gaz de combats pour asphyxier (ypérite) dans les tranchées en 14-18 et ignominie aussi – fin du livre - pour réduire à néant (zyklon B) en 39-45 des juifs, des handicapés, des jeunes, des vieux, des tziganes et… probablement des Roms…
Ignominie de faire partir des trains de déportés et de zyklon B sur les mêmes voies ferrées depuis Lyon.
A lire et à faire lire pour ne pas oublier.