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sans fin la fête
Je ne m’occupe généralement pas de commenter les annonces de décès, forcément désolantes et forcément trop nombreuses, surtout quand on arrive à l’âge où les personnes qui ont modelé l’univers culturel dans lequel (grâce auquel) vous avez grandi, meurent avec une régularité et une fréquence redoutables.
Comme tu l'as déjà compris, je ferai une exception pour Étienne Delessert.

Né en 1941, disparu le 21 avril dernier, le gaillard a été un sacré aventurier de l’illustration. Son indéniable talent et son esprit de conquête lui ont ouvert de nombreux champs de la création, l’album pour la jeunesse restant tout de même son territoire de prédilection. 
Pionnier d’un renouveau de l’édition pour enfants dans l’hexagone dès les années 1960, il fut l’un de ceux qui, par l’étrange beauté de leurs images, attirèrent vers le monde du livre de tous jeunes illustrateurs qui allaient ensuite faire carrière en france dans l’édition, la presse ou la publicité. Mais Delessert, lui, était déjà parti, à New York où sa contribution à l’iconographie de la presse d’alors fut immédiate.

Je n’entrerai pas ici dans les détails biographiques - la place me manquerait et il l’a déjà très bien fait dans son ouvrage autobiographique L’Ours bleu - mais notons qu’il fut associé à Herb Lubalin, qu’il produisit des courts-métrages d’animation pour Sesame Street, qu’il fut le premier éditeur de Georges Lemoine, qu’il a illustré tout un numéro du magazine Fact de Ralph Ginzburg, qu’il fut le directeur artistique du magazine Record dans sa plus belle (et plus courte) version, qu’il a dirigé la superbe collection Monsieur Chat chez Grasset, qu’il a été un des principaux contributeur à Siné Hebdo avec des images superbes et politiques, que son premier livre a paru en 1966 chez Harlin Quist, le dernier en 2016 chez MeMo et évidemment j’en passe…

Dans un registre plus personnel, je mentionnerai sa contribution (parfois houleuse) à mon propre livre. Il a bien voulu se rendre disponible pour répondre à mes questions (je me souviens d’un entretien qu’il voulait absolument faire via Facetime: pendant tout le temps où il parlait je voyais à l’écran son oreille de très très près; de temps en temps il éloignait son téléphone de sa feuille pour regarder si j’étais toujours là) et fournir des images. Il m’a envoyé des dessins de Jean-Paul Goude qu’il appréciat particulièrement, des références d’albums états-uniens aux dessins fabuleux et tout à fait inconnus par ici. Il m'a même scanné des images d’un carnet/brouillon de Comment la souris etc. que peu de gens ont vu et que je t’ai placé en ouverture de ce billet.
Il m’appelait par mon nom de famille uniquement, comme le faisaient les hommes entre eux dans les années 1960 - 1970.
Et même s’il avait un caractère impossible (son enthousiasme n’avait d’égal que sa colère) il était également d’une grande générosité, en témoigne l’usage du titre de l’un de ses albums les plus marquants, Sans fin la fête, qu’il nous a permis pour cette fameuse exposition à Lyon.
Il y a trois mois à peine je le sollicitai à nouveau pour reproduire une de ses images dans une autre exposition, à Mèze cette fois.
Je te mets ci-dessous notre toute dernière correspondance

« Bonjour Étienne,
je me permets un message car je travaille ces jours-ci sur une exposition pour la médiathèque de Mèze (c’est dans l’agglomération de Sète). (…) Si vous m’y autorisez j’aurais vivement souhaité faire figurer dans la partie Littérature votre illustration où la petite Josette est représentée comme une montagne creuse avec un papillon géant sur la tête. Vous m’aviez proposé cette image au moment de la conception de mon livre Les Images libres mais nous ne l’avions alors pas utilisée. Ça serait une nouvelle occasion de la partager avec le public.
Dans l’attente de vous lire,
Loïc Boyer »

« OK
Suis à l’hôpital
Amicalement
E »

« Merci beaucoup Étienne,
c’est très aimable à vous.
Je vous enverrai des photos de l’expo quand elle sera montée.
Amicalement,
Loïc »

Il n’aura pas vu le panneau ou apparaît son dessin, je te le poste ci-dessous, comme une réparation impossible.
 


 

sans fin la fête