COUPS DE COEUR LITTERATURE ASIATIQUE
A l'occasion du Festival International des Cinémas d'Asie qui se tiendra à Vesoul du 8 au 15 février, vos libraires ont sélectionné plusieurs livres de différents auteurs asiatiques. Les deux pays à l'honneur cette année sont le Cambodge et la Corée.


Sélection de livres pour le Festival International des Cinémas d'Asie à Vesoul
Récit de lune de GUO SONGFEN (éd. Zulma)

Guo Songfen est né en 1938 à Taipei et mort en 2005 à New York. Il appartient au groupe moderniste de Taiwan avec Wang Wenxing (La Fête de la déesse Matsu), Bai Xianong (Gens de Taipei), Cheng Ruoxi ou Li Yu (De la chair à l'extase). Devenu enseignant à l'université de Taipei, il se rend en 1966 aux USA et obtient un diplôme de littérature comparée. Ses activités politiques l'obligent à s'exiler définitivement aux Etats-Unis, où il finit sa vie en se consacrant à l'écriture.
Wenhui passera des années à soigner son mari revenu gravement malade du front. Miraculeusement guéri, Tiemin reprend goût à la vie et délaisse son épouse, emportée malgré elle, dans une lutte révolutionnaire qui la dépasse. Le récit, délicat et contemplatif, est parsemé des souvenirs de la jeune femme.
Dans le Taïwan de l’après-guerre, l’auteur retrace le destin de jeunes mariés sur fond de troubles politiques et de terreur blanche.

Célia VINCENT

Sélection de livres pour le Festival International des Cinémas d'Asie à Vesoul
La mort à demi-mots de KIM YOUNG-HA

Kim Young-Ha, jeune auteur né en 1968, est considéré comme le chef de file de la nouvelle littérature sud-coréenne. Après deux recueils de nouvelles, il publie son premier roman : La mort à demi-mots.
Ce roman dont l’histoire se déroule en 1990 dépeint un Séoul futuriste où les taxis foncent à 180 km/h, et où les personnages désignés par des initiales mènent des existences décousues, semblent perdus, venir de nulle part, appartenir à rien et vivre sans rêves ni illusions. Nous rencontrons une jeune fille nommée Judith comme le tableau de Klimt et qui fait l’amour avec ses amants en mangeant des sucettes, une artiste qui utilise son corps pour ses performances, une femme que l’eau rend malade et ne boit que du coca, un chauffeur de taxi qui plonge son désarroi dans des allers-retours à 180km/h. Autant de récits d'êtres à la dérive que relate dans son manuscrit un bourreau bienfaiteur qui encourage ces individus désespérés à abandonner leur vie actuelle.
L'auteur dépeint le mal-être profond, l'ennui et la vacuité d'une jeunesse perdue qui n'a pas connu la guerre, et accède après des décennies de dictature militaire à l'abondance, à la liberté et à la consommation.

Sélection de livres pour le Festival International des Cinémas d'Asie à Vesoul
Monsieur HAN de HWANG SOK-YONG (éd. Zulma)

Hwanh Sok-Yong est un grand écrivain coréen qui dans ses romans a montré la souffrance des familles victimes de la guerre de Corée. Monsieur Han, considéré comme une chronique publiée en 1972 est le premier volet d’une longue série de romans (Chang Kilsan, le Vieux Jardin, L’Invité) dénonçant la division des deux Corée et l’impact que cela a eu dans la vie de son peuple. L’auteur ne s’est pas contenté d’être un témoin mais il s’est également engagé. Dénonçant cette situation de guerre latente entre les deux pays et s’étant aussi rendu en Corée du Nord, il a été contraint de s’exiler à Berlin puis à New-York, avant de rentrer dans son pays où il a été condamné à sept ans de prison, puis libéré en 1998 avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement républicain.

Dans ce roman, l’auteur retrace le destin de monsieur Han, professeur de gynécologie, ayant étudié la médecine au Japon au moment de la colonisation et qui enseigne et travaille à l’hôpital public de Pyongyang au moment où éclate la guerre entre les deux Corée. Monsieur Han est un personnage que l’on dit intransigeant et qui au nom de ses valeurs, de sa morale, refuse toute compromission avec le régime communiste, ce qui lui doit d’être incarcéré pour actes d’insoumission. Après avoir échappé à une exécution, il décide de fuir au Sud, laissant sa famille au Nord. Là, victime d’accusions d’espionnage au service du gouvernement communiste, il est de nouveau incarcéré et torturé.
A travers le parcours d’un homme innocent, qui refuse de fuir et de collaborer, prisonnier d’un monde absurde où toutes les valeurs sont inversées, l’auteur dessine le portrait d’un pays divisé entre Nord et Sud, de familles déchirées et d’une société où domine la suspicion, le mensonge et la corruption.

Célia VINCENT

Sélection de livres pour le Festival International des Cinémas d'Asie à Vesoul
Le Saut du Varan de François BIZOT (éd. Folio)

François Bizot est ethnologue, membre de l’école française d’Extrême-Orient, directeur d’études à l’EPHE et vit depuis 1965 en Asie du Sud-Est. Il est notamment l'auteur du récit autobiographique Le Portail (2000), couvert de prix littéraires et qui relate sa captivité dans les geôles cambodgiennes en 1971, alors qu’il était un jeune ethnologue responsable de l’atelier de restauration d’Angkor. Trente-cinq ans après, il continue d’étudier l’histoire et la philosophie de la péninsule indochinoise. Le Saut du Varan (2006) est son premier roman.

L’histoire se déroule en 1970, à Phnom Penh, au lendemain du coup d’état du général Lon Nol, favorable aux autorités américaines. Le diplomate français Jean-Marie La Tour poursuit une jeune fille cambodgienne qui lui a volé son portefeuille. Cette-dernière est retrouvée morte, éventrée, dans le village de Ta Siem, au nord du site d’Angkor, où les français sont responsables du chantier de conservation. Ce crime impliquant les autorités françaises revêt un enjeu politique important. L’inspecteur Boni, chargé de l’enquête, rencontre sur le site d’Angkor, l’ethnologue Rénot, qui le guide dans son périple et avec lequel il se lie d’amitié.
Nous suivons les deux hommes dans leur voyage vers la province de Ta Siem, au cœur de la nature cambodgienne, où survivent les derniers vestiges de traditions disparues. L’auteur décrit des êtres fatigués, en proie à la culpabilité, à la solitude, au sentiment d’inutilité et à un constat pessimiste sur l’humanité. Au grès de leur exploration de la jungle, l’intrigue se révèle être moins une enquête qu’une quête intérieure. L’inspecteur Boni, se rend compte qu’il n’est pas à la recherche du coupable mais de lui-même, comme une plongée à l’intérieur de soi. Happé par le silence et l’insondable mystère de cette nature merveilleuse, exempt de lois, de codes, de règles, et de morale _ une nature qui se révèle un suaire où se mêlent le vivant et le mort, dans un éternel recommencement _ son être s’ouvre, se libère de ses tourments et s’abandonne à la seule vérité de son impuissance.
Ces hommes désenchantés sont aussi les derniers témoins d’une civilisation en perdition, sacrifiée sur l’autel de la guerre et du progrès.
Dans ce roman porté par une langue riche, dense, foisonnante, l’auteur décrit avec clairvoyance, justesse et nostalgie l’intériorité des êtres et interroge la complexité de l’âme humaine face à un monde à l’agonie.