A L’Armitière pour la présentation de Je vous écris de l’usine de Jean-Pierre Levaray

24 mars 2016


Ce mardi soir, je suis assis au bout du deuxième rang près d’une femme à tics sous la verrière à l’étage de la librairie L’Armitière. Jean-Pierre Levaray y est invité à présenter Je vous écris de l’usine (Libertalia), livre qui regroupe les chroniques qu’il écrivit pour le mensuel CQFD pendant ses dix dernières années passées à turbiner dans l’usine d’engrais chimiques du Grand-Quevilly ancienne filiale de Total classée Seveso Deux seuil haut.
Récent retraité, il a fêté ça lors d’une soirée « Bye bye turbin » au Centre Culturel André Malraux (je n’ai pas eu à m’interroger pour savoir si j y allais ou non, car en ce lieu je suis non grata).
Désintoxiquez-vous, Vivez mieux et plus longtemps, tels sont les titres en forme d’injonction faisant arrière-plan dans les rayonnages. Tue ton patron, semble leur répondre l’un des livres de Jean-Pierre Levaray posé sur la haute table derrière laquelle il s’installe en compagnie de la libraire chargée des rencontres avec les auteur(e)s. Celui habituellement chargé de filmer ce genre d’évènement (qui ne jure que par le libéralisme mais bénéficie ici d’un emploi subventionné grâce à l’argent public) est absent et avantageusement remplacé par une jolie jeune fille.
Je suis là par sympathie pour Jean-Pierre Levaray que je connais depuis On @ faim label musical et fanzine dont il s’occupait il y a un certain temps (il publia l’un de mes textes). Je l’ai ensuite croisé à L’Insoumise, la librairie de la Fédération Anarchiste sise à la Croix de Pierre, et dans les manifestations. Il écrit sur ce qu’il connaît trop bien : le travail à l’usine. Il y est entré à l’âge de dix-huit ans et y est resté quarante-deux années (toute une vie de labeur épuisant dans la même usine, très dangereuse, comparable à celle qui a explosé à Toulouse, avec en bonus l’amiante et les poussières ionisantes.
Les poussières ionisantes, la libraire poseuse de questions est contente d’avoir appris quelque chose. Elle a cette honnêteté d’avouer qu’elle ne connaît rien au monde ouvrier et a préparé sérieusement l’entrevue sur des fiches. Elle présente Je vous écris de l’usine comme « Coup de cœur des libraires «  de L'Armitière.  Elle cite les bonnes critiques du livre faites par Le Matricule des Anges, Le Canard Enchaîné et Médiapart, en insistant un peu trop. Comme à chaque fois, elle me crispe avec ses intonations exagérées et ses mimiques.
Jean-Pierre Levaray dit qu’il n’aime pas parler en public. Il lit la dernière de ses chroniques de CQFD qui constitue le dernier chapitre de son livre. Il y est question de Nono, l’ouvrier qui remplissait à son profit un jerrican d’essence dans le coffre de la voiture de l’usine qu’il conduisait, comment il a été dénoncé photo à l’appui par un autre ouvrier, et comment la hiérarchie, qui aurait dû le virer, lui a donné une deuxième chance.
Jean-Pierre Levaray, militant syndicaliste et libertaire, n’est pas manichéen, ni ouvriériste, ce pourquoi je le lis avec intérêt depuis son premier livre Putain d’usine.
Les questions posées à la fin portent sur l’affaiblissement des luttes sociales et du syndicalisme plutôt que sur le livre qu’un seul des présents a lu, un ancien ouvrier de la même usine qui le recommande vivement. Cette galerie de portraits de travailleurs me plaira sûrement, mais je n’achète pas Je vous écris de l’usine à L’Armitière, préférant le faire ultérieurement à L’Insoumise.
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Que cette rencontre avec Jean-Pierre Levaray ait lieu à L’Armitière le jour anniversaire de l’Appel du Vingt-Deux Mars, préambule à Mai Soixante-Huit, est une coïncidence, il y a lurette que cette librairie a oublié ce qu’elle était quand elle se trouvait rue des Ecoles.