Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
18 mai 2025
Vendredi après-midi, par le réseau social Effe Bé, j’apprends que les Archives Départementale de la Seine-Maritime organisent ce ouiquennede une visite « exceptionnelle » de la Tour des Archives de Rouen pour la raison qu’elle a soixante ans et qu’il reste des places. Suis un simple numéro de téléphone fixe. J’appelle. Une voix féminine me répond. En deux temps trois mouvements, me voilà inscrit pour la première visite du samedi.
Je ne pouvais laisser passer l’occasion de grimper au sommet du deuxième plus haut bâtiment de la ville. Le premier me restera interdit. Le temps n’est plus où l’on pouvait par l’escalier intérieur monter jusqu’à l’ultime plate-forme de la flèche de la Cathédrale de Rouen, comme eurent la possibilité de le faire Stendhal et Pierre Louÿs (entre autres).
Le lendemain matin, je traverse la Seine par le pont Corneille. A neuf heures, je suis l’un des trois hommes invités à entrer par un vigile et un pompier. Après avoir traversé la cour en passant au pied de la tour, nous sommes accueillis dans le bâtiment adjacent de celle-ci par une archiviste et un autre pompier.
Nous montons directement en haut par l’ascenseur intérieur qui ne pourrait pas contenir plus que nous sommes. Celui d’extérieur, une bulle de verre, est hors d’usage depuis un moment, nous dit celle qui va nous servir de guide. « De plus, il ne pouvait pas fonctionner par un vent supérieur à trente kilomètres heure. »
Quand l’ascenseur s’arrête, nous sommes au vingt-neuvième étage. Il en reste un à monter à pied pour être au somment d’où l’on a vue sur tout Rouen et ses alentours. Cette plate-forme de la Tour des Archives de Rouen est le spot parfait pour qui veut en finir avec la vie.
Les deux autres ont apporté des appareils photo auprès desquels le mien semble un jouet d’enfant. Je les soupçonne d’être des journalistes locaux. Il fait gris, ce qui permet de photographier sans être gêné par le soleil. A quatre-vingt-neuf mètres de haut, nous admirons le panorama, aval, amont, rive gauche, rive droite. Je connais tout ce que je vois, mais ce n’en est pas moins intéressant. Et je suis le seul à voir les éoliennes qui tournent sur la Côte Sainte-Catherine. Ce grand terrain vide en bas, nous dit l’archiviste, c’est l’emplacement de la future Gare. Une Gare hypothétique, me dis-je. A côté de ce rectangle inoccupé est ce qu’on appelait la Friche Lucien. Ça a changé de nom, mais c’est toujours un lieu pseudo alternatif pour fêtards ayant des idées avancées.
Quand on a tout bien vu, bien photographié, nous descendons au quinzième étage, identique à tous les autres, pour voir comment sont rangées les archives. Elles sont dans des boîtes en carton posées sur des étagères, comme partout. L’un des deux autres a toujours des questions à poser, pas très malignes. C’est ce que j’appelle un brave garçon.
Pour finir, le pompier et l’archiviste nous ramènent au niveau zéro où un autre archiviste a disposé trois documents pour nous dans la salle de consultation : un numéro du Journal de Rouen, la liste d’équipage d’un bateau du Havre et un registre paroissial d’état-civil. D’où de nouvelles questions du brave garçon. Cela devait durer une demi-heure, nous en sommes au double.
D’autres archivistes nous attendent à l’accueil, qui nous demandent si ça nous a plu. Pour chaque visiteur sont offerts un bonbon et un sac bleu en plastique du Département de Seine-Maritime avec de la documentation à l’intérieur. Je refuse le bonbon, ce qui est courageux, et accepte le sac sur lequel est écrit « La Seine-Maritime s’enflamme pour les Jeux », ce qui ne l’est pas. Pourvu que personne de ma connaissance ne me croise avec ça à la main quand je vais rentrer.
*
Vendredi vers neuf heures, passage au Clos Saint-Marc où les cartons de livres de Thierry ont déjà été fouillés par l’ennemi, mais qui à part moi pour être intéressé par la biographie d’un dont le nom m’a toujours réjoui : Poulet Malassis, l’éditeur de Baudelaire. Cet Auguste Poulet Malassis de Claude Pichois chez Fayard devient mien pour trois euros. Par acquit de conscience, comme on dit, je regarde une nouvelle fois le contenu de chaque carton. C’est ainsi que dans l’un, je découvre deux Dominique Meens, Eux, et nous et Ornithologie du promeneur, ainsi que le Villon François de Marcel Schwob, trois Allia grand format, jamais vus ailleurs. Je rejoins Thierry. « Et pour ces trois-là ? » « C’est à moi ça ? » me demande-t-il. « Je ne sais pas si c’est à vous, mais c’était dans un de vos cartons. » « Huit euros », me dit-il. « J’espérais un peu moins. » « C’est des livres rares. » « Je sais, c’est pour ça que je les achète. » « Sept euros », me dit-il. On peut négocier avec lui mais avec diplomatie.
Je ne pouvais laisser passer l’occasion de grimper au sommet du deuxième plus haut bâtiment de la ville. Le premier me restera interdit. Le temps n’est plus où l’on pouvait par l’escalier intérieur monter jusqu’à l’ultime plate-forme de la flèche de la Cathédrale de Rouen, comme eurent la possibilité de le faire Stendhal et Pierre Louÿs (entre autres).
Le lendemain matin, je traverse la Seine par le pont Corneille. A neuf heures, je suis l’un des trois hommes invités à entrer par un vigile et un pompier. Après avoir traversé la cour en passant au pied de la tour, nous sommes accueillis dans le bâtiment adjacent de celle-ci par une archiviste et un autre pompier.
Nous montons directement en haut par l’ascenseur intérieur qui ne pourrait pas contenir plus que nous sommes. Celui d’extérieur, une bulle de verre, est hors d’usage depuis un moment, nous dit celle qui va nous servir de guide. « De plus, il ne pouvait pas fonctionner par un vent supérieur à trente kilomètres heure. »
Quand l’ascenseur s’arrête, nous sommes au vingt-neuvième étage. Il en reste un à monter à pied pour être au somment d’où l’on a vue sur tout Rouen et ses alentours. Cette plate-forme de la Tour des Archives de Rouen est le spot parfait pour qui veut en finir avec la vie.
Les deux autres ont apporté des appareils photo auprès desquels le mien semble un jouet d’enfant. Je les soupçonne d’être des journalistes locaux. Il fait gris, ce qui permet de photographier sans être gêné par le soleil. A quatre-vingt-neuf mètres de haut, nous admirons le panorama, aval, amont, rive gauche, rive droite. Je connais tout ce que je vois, mais ce n’en est pas moins intéressant. Et je suis le seul à voir les éoliennes qui tournent sur la Côte Sainte-Catherine. Ce grand terrain vide en bas, nous dit l’archiviste, c’est l’emplacement de la future Gare. Une Gare hypothétique, me dis-je. A côté de ce rectangle inoccupé est ce qu’on appelait la Friche Lucien. Ça a changé de nom, mais c’est toujours un lieu pseudo alternatif pour fêtards ayant des idées avancées.
Quand on a tout bien vu, bien photographié, nous descendons au quinzième étage, identique à tous les autres, pour voir comment sont rangées les archives. Elles sont dans des boîtes en carton posées sur des étagères, comme partout. L’un des deux autres a toujours des questions à poser, pas très malignes. C’est ce que j’appelle un brave garçon.
Pour finir, le pompier et l’archiviste nous ramènent au niveau zéro où un autre archiviste a disposé trois documents pour nous dans la salle de consultation : un numéro du Journal de Rouen, la liste d’équipage d’un bateau du Havre et un registre paroissial d’état-civil. D’où de nouvelles questions du brave garçon. Cela devait durer une demi-heure, nous en sommes au double.
D’autres archivistes nous attendent à l’accueil, qui nous demandent si ça nous a plu. Pour chaque visiteur sont offerts un bonbon et un sac bleu en plastique du Département de Seine-Maritime avec de la documentation à l’intérieur. Je refuse le bonbon, ce qui est courageux, et accepte le sac sur lequel est écrit « La Seine-Maritime s’enflamme pour les Jeux », ce qui ne l’est pas. Pourvu que personne de ma connaissance ne me croise avec ça à la main quand je vais rentrer.
*
Vendredi vers neuf heures, passage au Clos Saint-Marc où les cartons de livres de Thierry ont déjà été fouillés par l’ennemi, mais qui à part moi pour être intéressé par la biographie d’un dont le nom m’a toujours réjoui : Poulet Malassis, l’éditeur de Baudelaire. Cet Auguste Poulet Malassis de Claude Pichois chez Fayard devient mien pour trois euros. Par acquit de conscience, comme on dit, je regarde une nouvelle fois le contenu de chaque carton. C’est ainsi que dans l’un, je découvre deux Dominique Meens, Eux, et nous et Ornithologie du promeneur, ainsi que le Villon François de Marcel Schwob, trois Allia grand format, jamais vus ailleurs. Je rejoins Thierry. « Et pour ces trois-là ? » « C’est à moi ça ? » me demande-t-il. « Je ne sais pas si c’est à vous, mais c’était dans un de vos cartons. » « Huit euros », me dit-il. « J’espérais un peu moins. » « C’est des livres rares. » « Je sais, c’est pour ça que je les achète. » « Sept euros », me dit-il. On peut négocier avec lui mais avec diplomatie.
16 mai 2025
Quiche au boudin noir et pommes suivi d’un tataki de thon sauce soja gratin dauphinois patates douces et salade, c’est mon déjeuner de ce mercredi à La Terrasse, même maison qu’Au Diable des Lombards, en terrasse ensoleillée. La formule est à quatorze euros quatre-vingt-dix. C’est bon mais moins qu’à côté car ici c’est micro-ondé.
Il fait presque trop chaud au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Ma récolte de livres à un euro est bonne. En édition de poche, L’Air de Paris de Daniel Percheron (Zulma) et Jack London de Jennifer Lesieur (Libretto Phébus). Au rayon Roman, deux livres de Joseph Roth qui n’en sont pas : Symptômes viennois et Une heure avant la fin du monde, tous deux chez Liana Levi. Au rayon Témoignage, qui certes en est un, mais aussi bien plus que ça, le récent Le Couteau de Salman Rushdie (Gallimard). S’y ajoute, trouvé sur le présentoir en bas de l’escalier en béton, Mémoires de l’inachevé de Grisélidis Real (Verticales), ouvrage composé des lettres de l’écrivaine prostituée (ou de la prostituée écrivaine) à Maurice Chappaz, à ses amants et à sa famille, huit euros bien placés. Quand je remonte à l’air libre, le temps a changé. Des nuages témoignent d’une possibilité d’orage.
Je retourne place Sainte-Opportune et m’installe sous la véranda de L’Opportun pour un café vert d’eau lecture, celle de L’Air de Paris de Daniel Percheron, recueil de ses chroniques parues dans Le Monde en mil neuf cent quatre-vingt-seize. J’apprends que le mot misonéiste qualifie les ennemis de la nouveauté, dont je suis, à n’en pas douter. Un homme passe avec un sac à tout « I love my life » Des filles offrent au soleil et à mon regard leur ventre nu si plat. Raymond Queneau trotte dans ma tête avec son Si tu t’imagines.
Je rentre avec le seize heures quarante, voiture Cinq, place Vingt-Sept, mon habituelle, mes livres ayant la place Vingt-Huit. J’y respire encore L’Air de Paris : Dans l’île Saint-Germain, la rue Pierre-Poli sonne de façon préhistorique.
*
Rentré, j’apprends que la Bibliothèque Oscar Niemeyer du Havre organise un gros désherbage ce ouiquennede. Vingt-cinq mille documents (pas uniquement des livres) vendus entre un à quatre euros. C’est tentant, bien que je me souvienne d’un précédent qui fut décevant.
Que faire ? Y aller ou pas ? Le prix du billet de train est une aide à la décision : treize euros quatre-vingt-dix l’aller, huit euros soixante le retour. A quoi je devrais ajouter le prix d’un repas. Pour que ce soit rentable, il faudrait que je trouve beaucoup de livres, et si cela était, porter ça à bout de bras jusqu’à la Gare. Donc, non.
Il fait presque trop chaud au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Ma récolte de livres à un euro est bonne. En édition de poche, L’Air de Paris de Daniel Percheron (Zulma) et Jack London de Jennifer Lesieur (Libretto Phébus). Au rayon Roman, deux livres de Joseph Roth qui n’en sont pas : Symptômes viennois et Une heure avant la fin du monde, tous deux chez Liana Levi. Au rayon Témoignage, qui certes en est un, mais aussi bien plus que ça, le récent Le Couteau de Salman Rushdie (Gallimard). S’y ajoute, trouvé sur le présentoir en bas de l’escalier en béton, Mémoires de l’inachevé de Grisélidis Real (Verticales), ouvrage composé des lettres de l’écrivaine prostituée (ou de la prostituée écrivaine) à Maurice Chappaz, à ses amants et à sa famille, huit euros bien placés. Quand je remonte à l’air libre, le temps a changé. Des nuages témoignent d’une possibilité d’orage.
Je retourne place Sainte-Opportune et m’installe sous la véranda de L’Opportun pour un café vert d’eau lecture, celle de L’Air de Paris de Daniel Percheron, recueil de ses chroniques parues dans Le Monde en mil neuf cent quatre-vingt-seize. J’apprends que le mot misonéiste qualifie les ennemis de la nouveauté, dont je suis, à n’en pas douter. Un homme passe avec un sac à tout « I love my life » Des filles offrent au soleil et à mon regard leur ventre nu si plat. Raymond Queneau trotte dans ma tête avec son Si tu t’imagines.
Je rentre avec le seize heures quarante, voiture Cinq, place Vingt-Sept, mon habituelle, mes livres ayant la place Vingt-Huit. J’y respire encore L’Air de Paris : Dans l’île Saint-Germain, la rue Pierre-Poli sonne de façon préhistorique.
*
Rentré, j’apprends que la Bibliothèque Oscar Niemeyer du Havre organise un gros désherbage ce ouiquennede. Vingt-cinq mille documents (pas uniquement des livres) vendus entre un à quatre euros. C’est tentant, bien que je me souvienne d’un précédent qui fut décevant.
Que faire ? Y aller ou pas ? Le prix du billet de train est une aide à la décision : treize euros quatre-vingt-dix l’aller, huit euros soixante le retour. A quoi je devrais ajouter le prix d’un repas. Pour que ce soit rentable, il faudrait que je trouve beaucoup de livres, et si cela était, porter ça à bout de bras jusqu’à la Gare. Donc, non.
15 mai 2025
Parmi ceux qui fument devant la Gare de Rouen ce mercredi matin, l’artiste de rue graveur de portes Alain Rault, aka le Playboy Communiste, enroulé dans sa couverture, cheveux et barbe en bataille. Entre deux bouffées, il émet un petit rire sardonique. Il y a plusieurs semaines, sur Effe Bé, on l’avait annoncé enfermé dans un établissement spécialisé. Ou bien c’était une fausse nouvelle (une autre l’ayant annoncé mort il y a plusieurs mois, le confondant avec un autre sans-abri) ou bien on l’a laissé sortir.
Dans le train de sept heures vingt-deux pour Paris qui avance dans le brouillard, mon voisin utilise un cache-yeux pour dormir. Je lis Petit Manuel de survie de Francis Galton, tiré de son ouvrage L’Art du voyage paru en mil huit cent cinquante-cinq. J’y apprends comment retrousser ses manches : Lorsque vous avez à retrousser vos manches, souvenez-vous que la bonne manière de le faire, n’est pas de commencer à retourner les poignées à l’extérieur, mais l’inverse ; il faut rouler les manches à l’intérieur contre la peau et non pas de l’autre côté. Dans le premier cas, les manches demeureront retroussées, sans se défaire ; dans l’autre cas, elles descendront toutes les cinq minutes.
A Saint-Lazare, la voix de la ligne Quatorze se vante d’un train toutes les quatre-vingt-cinq secondes. Cela n’empêche pas que la rame qui arrive soit blindée. Heureusement, j’en descends à la suivante, Madeleine, et dans la Huit je peux m’asseoir et respirer jusqu’à Ledru-Rollin où je bois un café comptoir au Camélia dont je suis le seul client.
Comme le beau temps est assuré, au Marché d’Aligre Emile Débarras a fait aligner par ses tâcherons tous ses livres. Il n’y en a aucun pour moi et c’est peut-être mieux ainsi car j’en ai déjà deux dans mon sac, trouvés dans les boîtes à livres des Beaux-Arts et de la Gare avant de quitter Rouen : Les Essais dans la Pochothèque et La servante écarlate, avec préface inédite de l’auteure, chez Pavillons Poche. Auxquels s’ajoutent ceux que je veux vendre chez Re-Read ou l’on ne m’en prend que huit sur douze pour deux euros. Cette modique somme me permet de diviser par deux le prix du Journal d’Helga d’Helga Weissová (Belfond).
Je suis de retour à Ledru-Rollin pour l’ouverture de Book-Off. Une femme a tôt fait de m’énerver, qui parle au téléphone comme si elle était chez elle « On a attendu une heure et le film, il était nul, nul ! » « On s’en fout » lui dis-je, ce qui suffit à la faire disparaître à l’autre bout de la boutique puis à se taire. Cela faisait longtemps que j’avais cherché pouille à quelqu’un. Je suis dans un moment où je ne supporte pas grand monde.
Je ressors avec une récolte de livres à un euro satisfaisante : Une jeunesse de Marcel Proust d’Evelyne Bloch-Dano (Stock), Jean Guéhenno et la Bretagne d’Alain-Gabriel Monot (Blanc Silex), Qui était Juan Népomucène Ruiz ? d’Heinz Berggruen (Christian Bourgois), L’autofictif 2007-2008 d’Eric Chevillard (L’Arbre Vengeur), Prisonnier du sexe de Norman Mailer (Pavillons Poche) et en édition bilingue Le Soutire au pied de l’échelle d’Henry Miller (Buchet Chastel).
*
Une chose qui ne m’était jamais arrivée : la porte des toilettes Decaux qui s’ouvre alors que je suis en pleine action. De quoi se retrouver en garde à vue pour exhibitionnisme.
*
Francis Galton dans son Petit Manuel de survie :
Le voyageur qui se trouve malade, loin de toute aide, peut se consoler avec le proverbe selon lequel « bien qu’il y ait une grande différence entre un bon et un mauvais médecin, il y en a très peu entre un bon médecin et pas de médecin du tout ».
Il faudra que je cite ce proverbe à mon médecin.
Dans le train de sept heures vingt-deux pour Paris qui avance dans le brouillard, mon voisin utilise un cache-yeux pour dormir. Je lis Petit Manuel de survie de Francis Galton, tiré de son ouvrage L’Art du voyage paru en mil huit cent cinquante-cinq. J’y apprends comment retrousser ses manches : Lorsque vous avez à retrousser vos manches, souvenez-vous que la bonne manière de le faire, n’est pas de commencer à retourner les poignées à l’extérieur, mais l’inverse ; il faut rouler les manches à l’intérieur contre la peau et non pas de l’autre côté. Dans le premier cas, les manches demeureront retroussées, sans se défaire ; dans l’autre cas, elles descendront toutes les cinq minutes.
A Saint-Lazare, la voix de la ligne Quatorze se vante d’un train toutes les quatre-vingt-cinq secondes. Cela n’empêche pas que la rame qui arrive soit blindée. Heureusement, j’en descends à la suivante, Madeleine, et dans la Huit je peux m’asseoir et respirer jusqu’à Ledru-Rollin où je bois un café comptoir au Camélia dont je suis le seul client.
Comme le beau temps est assuré, au Marché d’Aligre Emile Débarras a fait aligner par ses tâcherons tous ses livres. Il n’y en a aucun pour moi et c’est peut-être mieux ainsi car j’en ai déjà deux dans mon sac, trouvés dans les boîtes à livres des Beaux-Arts et de la Gare avant de quitter Rouen : Les Essais dans la Pochothèque et La servante écarlate, avec préface inédite de l’auteure, chez Pavillons Poche. Auxquels s’ajoutent ceux que je veux vendre chez Re-Read ou l’on ne m’en prend que huit sur douze pour deux euros. Cette modique somme me permet de diviser par deux le prix du Journal d’Helga d’Helga Weissová (Belfond).
Je suis de retour à Ledru-Rollin pour l’ouverture de Book-Off. Une femme a tôt fait de m’énerver, qui parle au téléphone comme si elle était chez elle « On a attendu une heure et le film, il était nul, nul ! » « On s’en fout » lui dis-je, ce qui suffit à la faire disparaître à l’autre bout de la boutique puis à se taire. Cela faisait longtemps que j’avais cherché pouille à quelqu’un. Je suis dans un moment où je ne supporte pas grand monde.
Je ressors avec une récolte de livres à un euro satisfaisante : Une jeunesse de Marcel Proust d’Evelyne Bloch-Dano (Stock), Jean Guéhenno et la Bretagne d’Alain-Gabriel Monot (Blanc Silex), Qui était Juan Népomucène Ruiz ? d’Heinz Berggruen (Christian Bourgois), L’autofictif 2007-2008 d’Eric Chevillard (L’Arbre Vengeur), Prisonnier du sexe de Norman Mailer (Pavillons Poche) et en édition bilingue Le Soutire au pied de l’échelle d’Henry Miller (Buchet Chastel).
*
Une chose qui ne m’était jamais arrivée : la porte des toilettes Decaux qui s’ouvre alors que je suis en pleine action. De quoi se retrouver en garde à vue pour exhibitionnisme.
*
Francis Galton dans son Petit Manuel de survie :
Le voyageur qui se trouve malade, loin de toute aide, peut se consoler avec le proverbe selon lequel « bien qu’il y ait une grande différence entre un bon et un mauvais médecin, il y en a très peu entre un bon médecin et pas de médecin du tout ».
Il faudra que je cite ce proverbe à mon médecin.
13 mai 2025
Un énorme boum dans la nuit de samedi à dimanche. Il est minuit vingt-cinq. Pas un coup de tonnerre assurément. Pas une explosion. Je dirais plutôt : le bruit d’un immeuble qui s’effondre. Je m’attends à une succession de sirènes de pompiers mais rien. Je me rendors.
Au matin de ce dimanche, je pense trouver l’explication de ce gros boum sur les réseaux soucieux, mais rien. A onze heures, ma voisine, qui fréquente la même terrasse que moi, m’interroge sur cette déflagration nocturne. Est-ce que je sais ce que c’était ? Que non.
Ce n’est que ce lundi midi que j’apprends par les sites d’information locale ce qui s’est passé.
Paris Normandie :
« Dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 mai 2025, une explosion de gouttière s’est produite rue Saint-Romain à Rouen.
Police Secours est intervenue vers 00 h 30, alors que l’ouvrage en fonte situé au-dessus de la boutique de brocante Label avait terminé sa course chez les voisins de Paul Marius, brisant un carreau de leur porte cochère. Des morceaux de métal jonchaient le sol.
Les causes de l’incident, qui a uniquement causé des dégâts matériels, sont inconnues, mais il se pourrait qu’un jet de pétard en soit à l’origine. »
Normandie Actu : « Vous l’avez peut-être entendu, un bruit d’explosion a retenti dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 mai 2025.
L’auteur de ces lignes a pu le constater, aux alentours de 0h30 dans la nuit de samedi à dimanche, une forte détonation a résonné vers la rue de la République.
Selon notre source, il s’agissait d’une « explosion de gouttière en fonte, au-dessus du magasin Paul Marius de la rue Saint-Romain ». La gouttière a été retrouvée « brisée, à environ deux mètres de hauteur » et des morceaux de métal jonchaient le sol.
L’explosion « a soufflé l’enseigne de l’Atelier Saint-Romain et brisé le carreau d’une porte cochère ». Il n’y a heureusement pas eu de blessé.
Pour l’heure, l’origine de cette détonation demeure inconnue. Des prélèvements ont été effectués et une enquête est en cours. »
Quand je sors vers quatorze heures pour aller boire un café, je constate que Normandie Actu est plus près de la réalité des faits que Paris Normandie. La gouttière, ce qu’il en reste, est à l’angle de Paul Marius et de l’Atelier Saint-Romain, pas au-dessus de la boutique de brocante Label.
Cette explosion de gouttière à proximité de la boutique Paul Marius, ce qui semble une petite chose pour un si fort bruit, me remet en mémoire un évènement d’avant mon départ à Saint-Raphaël.
Un après-midi, un jeune couple sonne à ma porte de jardin. Des locataires Air Bibi perdus, me dis-je. « Police Nationale », me dit la jolie jeune femme blonde en sortant une discrète carte de la poche de son djine. « Ne vous inquiétez pas », me dit celui qui l’accompagne, un brun en blouson de cuir. Ils ont une question à me poser. « Est-ce que de chez vous on voit dans la cour de Paul Marius ? » Je leur réponds que non. Ils me demandent alors quel est le syndic de la copropriété puis, ce que je trouve bizarre, quelle agence immobilière s’occupe de ma location. Quel rapport avec Paul Marius ? C’est la question que je ne leur pose pas. Je leur dis que d’autres appartements plus loin ont vue sur Paul Marius, m’attendant à ce qu’ils sonnent dans ce voisinage, mais non m’apprend ma voisine (la même) quand je lui demande le lendemain s’ils sont passés chez elle. De quoi me faire trouver ça encore plus bizarre et m’amener à me dire que cette histoire de Paul Marius n’était qu’une diversion, qu’ils venaient pour moi, mais pourquoi ?
Cette visite n’a eu aucune suite. Je l’aurais presque oubliée sans le gros boum d’origine mystérieuse visant peut-être Paul Marius.
*
Parmi mes lectures du moment, celle, au jardin, car ce livre lourd ne se prête pas à la lecture au café ou au lit, de Correspondances croisées, pavé regroupant les lettres de travail de Pierre Belfond envoyées et reçues entre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit et deux mille trois, quand il se relançait dans l’édition avec Mémoire du Livre, un ouvrage publié à ses dépens et réservé à ses correspondants, dans la préface duquel il précise qu’aucune citation ne doit être faite des lettres échangées.
Je fais une exception pour cette assertion de lui : Pour un libraire, un bon livre est un livre épuisé.
Au matin de ce dimanche, je pense trouver l’explication de ce gros boum sur les réseaux soucieux, mais rien. A onze heures, ma voisine, qui fréquente la même terrasse que moi, m’interroge sur cette déflagration nocturne. Est-ce que je sais ce que c’était ? Que non.
Ce n’est que ce lundi midi que j’apprends par les sites d’information locale ce qui s’est passé.
Paris Normandie :
« Dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 mai 2025, une explosion de gouttière s’est produite rue Saint-Romain à Rouen.
Police Secours est intervenue vers 00 h 30, alors que l’ouvrage en fonte situé au-dessus de la boutique de brocante Label avait terminé sa course chez les voisins de Paul Marius, brisant un carreau de leur porte cochère. Des morceaux de métal jonchaient le sol.
Les causes de l’incident, qui a uniquement causé des dégâts matériels, sont inconnues, mais il se pourrait qu’un jet de pétard en soit à l’origine. »
Normandie Actu : « Vous l’avez peut-être entendu, un bruit d’explosion a retenti dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 mai 2025.
L’auteur de ces lignes a pu le constater, aux alentours de 0h30 dans la nuit de samedi à dimanche, une forte détonation a résonné vers la rue de la République.
Selon notre source, il s’agissait d’une « explosion de gouttière en fonte, au-dessus du magasin Paul Marius de la rue Saint-Romain ». La gouttière a été retrouvée « brisée, à environ deux mètres de hauteur » et des morceaux de métal jonchaient le sol.
L’explosion « a soufflé l’enseigne de l’Atelier Saint-Romain et brisé le carreau d’une porte cochère ». Il n’y a heureusement pas eu de blessé.
Pour l’heure, l’origine de cette détonation demeure inconnue. Des prélèvements ont été effectués et une enquête est en cours. »
Quand je sors vers quatorze heures pour aller boire un café, je constate que Normandie Actu est plus près de la réalité des faits que Paris Normandie. La gouttière, ce qu’il en reste, est à l’angle de Paul Marius et de l’Atelier Saint-Romain, pas au-dessus de la boutique de brocante Label.
Cette explosion de gouttière à proximité de la boutique Paul Marius, ce qui semble une petite chose pour un si fort bruit, me remet en mémoire un évènement d’avant mon départ à Saint-Raphaël.
Un après-midi, un jeune couple sonne à ma porte de jardin. Des locataires Air Bibi perdus, me dis-je. « Police Nationale », me dit la jolie jeune femme blonde en sortant une discrète carte de la poche de son djine. « Ne vous inquiétez pas », me dit celui qui l’accompagne, un brun en blouson de cuir. Ils ont une question à me poser. « Est-ce que de chez vous on voit dans la cour de Paul Marius ? » Je leur réponds que non. Ils me demandent alors quel est le syndic de la copropriété puis, ce que je trouve bizarre, quelle agence immobilière s’occupe de ma location. Quel rapport avec Paul Marius ? C’est la question que je ne leur pose pas. Je leur dis que d’autres appartements plus loin ont vue sur Paul Marius, m’attendant à ce qu’ils sonnent dans ce voisinage, mais non m’apprend ma voisine (la même) quand je lui demande le lendemain s’ils sont passés chez elle. De quoi me faire trouver ça encore plus bizarre et m’amener à me dire que cette histoire de Paul Marius n’était qu’une diversion, qu’ils venaient pour moi, mais pourquoi ?
Cette visite n’a eu aucune suite. Je l’aurais presque oubliée sans le gros boum d’origine mystérieuse visant peut-être Paul Marius.
*
Parmi mes lectures du moment, celle, au jardin, car ce livre lourd ne se prête pas à la lecture au café ou au lit, de Correspondances croisées, pavé regroupant les lettres de travail de Pierre Belfond envoyées et reçues entre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit et deux mille trois, quand il se relançait dans l’édition avec Mémoire du Livre, un ouvrage publié à ses dépens et réservé à ses correspondants, dans la préface duquel il précise qu’aucune citation ne doit être faite des lettres échangées.
Je fais une exception pour cette assertion de lui : Pour un libraire, un bon livre est un livre épuisé.
9 mai 2025
Commencer par le vide-grenier de l’avenue des Provinces au Grand-Quevilly ou par celui du quartier Saint-Éloi à Rouen rive droite ? Les pauvres sont plus nombreux et rapidement prêts, me dis-je. Je prends donc ce jeudi le métro de sept heures zéro trois qui passe par les stations Place du 8 Mai et Charles de Gaulle.
Me voici sur place à sept heures trente, descendu à l’arrêt Provinces en compagnie d’une dizaine de femmes à foulard et chariot. Tous les exposants sont installés et déjà assaillis par une foule composée à soixante-dix pour cent de personnes ayant des origines. Je parcours comme je peux les six allées parallèles se partageant l’avenue et les deux ou trois excroissances perpendiculaires dont celle où se situent le Théâtre Charles Dullin, lequel est en travaux, et le restaurant La Table de Sacha qui profite de ce vide-grenier pour vendre de la bière, sur ses grandes ardoises : « Garderie pour maris ».
Sont proposées des marchandises ayant pour point commun que jamais je ne les achèterai. Je ne vois pas le moindre livre susceptible de m’intéresser. Il m’est pourtant arrivé de faire ici de belles découvertes. Quel choc de croiser là cette fille qui était si belle il y a un quart de siècle quand elle fréquentait en même temps que moi la terrasse des Floralies, revue il y a quelques années, devenue prof et toute ridée. Cette fois, je la découvre en plus terriblement grossie. Elle continue de s’habiller dans le style néo-baba qui était le sien et cela devient tragique. Autre rencontre, celle d’une vendeuse de fringues que je côtoyais au Socrate quand j’avais le droit d’y aller, autour de laquelle se pressent les acheteuses. Elle tient ordinairement boutique au centre-ville de Rouen. Aujourd’hui, elle se livre à des soldes sauvages. A défaut de livres, j’aurais aimé trouver des ramettes de papier pour me servir d’emballage quand j’en vends mais rien.
Il est huit heures trente quand je vais attendre le métro du retour à la station John Fitzgerald Kennedy près d’une publicité Lacoste avec Adèle Exarchopoulos. Elle est si mal connue qu’il faut écrire son nom sur l’affiche pour que certains (dont moi) sachent que c’est elle. Quand j’allais encore au cinéma, je l’ai bien aimée dans La Vie d’Adèle, le film d’Abdellatif Kechiche, qui ensuite a eu des soucis (il ignorait la coordinatrice d’intimité). Un mal habillé porteur de sacs Aldi emplis de fringues en sort une paire de chaussures en s’exclamant « Balenciaga ! Ça vaut le coup les foires à tout ». Foires à tout, c’est ainsi qu’on appelle les vide-greniers dans cette province. « Ah, il arrive enfin ce connard ! », ajoute-t-il quand se présente le métro.
Je descends à Théâtre des Arts et rejoins pédestrement le quartier Saint-Eloi. Peu de monde est présent pour parcourir les allées de ce petit vide-grenier dispersé autour de la place Henri le Quatrième dont des emplacements restent inoccupés. Je l’ai connu plus glorieux et y ai fait aussi de bonnes affaires certaines années. Là, pas un livre ne peut me tenter et j’ai tôt fait de le quitter.
En rentrant chez moi, je croise une bruyante laveuse de rue qui montre que les employés de la Métropole ne sont pas en congé en ce jour férié et que rien ne change dans certains domaines. Elle est conduite par un homme à la peau blanche et celui qui marche à côté en lavant les pavés avec de l’eau sous pression a la peau noire. Jamais on ne verra l’inverse, un homme noir dans l’habitacle et un homme blanc s’épuisant en marchant à ses côtés.
*
Grand carillonnage à la Cathédrale en fin d’après-midi. Habemus papam. Ce que je craignais est arrivé. Je suis désormais plus vieux que le Pape.
A moins que son Dieu juge bon de le rappeler à lui rapidement, ce sera mon dernier Pape.
Me voici sur place à sept heures trente, descendu à l’arrêt Provinces en compagnie d’une dizaine de femmes à foulard et chariot. Tous les exposants sont installés et déjà assaillis par une foule composée à soixante-dix pour cent de personnes ayant des origines. Je parcours comme je peux les six allées parallèles se partageant l’avenue et les deux ou trois excroissances perpendiculaires dont celle où se situent le Théâtre Charles Dullin, lequel est en travaux, et le restaurant La Table de Sacha qui profite de ce vide-grenier pour vendre de la bière, sur ses grandes ardoises : « Garderie pour maris ».
Sont proposées des marchandises ayant pour point commun que jamais je ne les achèterai. Je ne vois pas le moindre livre susceptible de m’intéresser. Il m’est pourtant arrivé de faire ici de belles découvertes. Quel choc de croiser là cette fille qui était si belle il y a un quart de siècle quand elle fréquentait en même temps que moi la terrasse des Floralies, revue il y a quelques années, devenue prof et toute ridée. Cette fois, je la découvre en plus terriblement grossie. Elle continue de s’habiller dans le style néo-baba qui était le sien et cela devient tragique. Autre rencontre, celle d’une vendeuse de fringues que je côtoyais au Socrate quand j’avais le droit d’y aller, autour de laquelle se pressent les acheteuses. Elle tient ordinairement boutique au centre-ville de Rouen. Aujourd’hui, elle se livre à des soldes sauvages. A défaut de livres, j’aurais aimé trouver des ramettes de papier pour me servir d’emballage quand j’en vends mais rien.
Il est huit heures trente quand je vais attendre le métro du retour à la station John Fitzgerald Kennedy près d’une publicité Lacoste avec Adèle Exarchopoulos. Elle est si mal connue qu’il faut écrire son nom sur l’affiche pour que certains (dont moi) sachent que c’est elle. Quand j’allais encore au cinéma, je l’ai bien aimée dans La Vie d’Adèle, le film d’Abdellatif Kechiche, qui ensuite a eu des soucis (il ignorait la coordinatrice d’intimité). Un mal habillé porteur de sacs Aldi emplis de fringues en sort une paire de chaussures en s’exclamant « Balenciaga ! Ça vaut le coup les foires à tout ». Foires à tout, c’est ainsi qu’on appelle les vide-greniers dans cette province. « Ah, il arrive enfin ce connard ! », ajoute-t-il quand se présente le métro.
Je descends à Théâtre des Arts et rejoins pédestrement le quartier Saint-Eloi. Peu de monde est présent pour parcourir les allées de ce petit vide-grenier dispersé autour de la place Henri le Quatrième dont des emplacements restent inoccupés. Je l’ai connu plus glorieux et y ai fait aussi de bonnes affaires certaines années. Là, pas un livre ne peut me tenter et j’ai tôt fait de le quitter.
En rentrant chez moi, je croise une bruyante laveuse de rue qui montre que les employés de la Métropole ne sont pas en congé en ce jour férié et que rien ne change dans certains domaines. Elle est conduite par un homme à la peau blanche et celui qui marche à côté en lavant les pavés avec de l’eau sous pression a la peau noire. Jamais on ne verra l’inverse, un homme noir dans l’habitacle et un homme blanc s’épuisant en marchant à ses côtés.
*
Grand carillonnage à la Cathédrale en fin d’après-midi. Habemus papam. Ce que je craignais est arrivé. Je suis désormais plus vieux que le Pape.
A moins que son Dieu juge bon de le rappeler à lui rapidement, ce sera mon dernier Pape.
7 mai 2025
Pour une raison de prix du billet, j’ai choisi il y a des semaines d’aller à Paris ce mardi au lieu du mercredi et c’est une bonne chose car les trains Nomad ne sont pas affectés par la grève ce jour alors qu’ils le seront peut-être demain.
Je quitte Rouen avec le sept heures vingt-deux et trouve que les personnes qui prennent ce train le mardi sont plus pénibles que celles du mercredi. Ça baille, ça tousse, ça laisse son sac dans le couloir. Pourtant beaucoup sont les mêmes, parmi lesquels les saumons qui remontent la rame de plus en plus tôt. Je lis Je ne me souviens plus de Philippe De Jonckheere, le négatif des livres de Joe Brainard et de Georges Perec, un livre qui ne me laissera aucun souvenir, comme c’est le cas de presque tous.
Le bus Vingt-Neuf doit toujours compter avec les embouteillages, les travaux ça n’avance pas, et au Marché d’Aligre, peu de livres. Ils sont de plus convoités par les nuisibles qui achètent en scannant avec leur smartphone dans l’espoir d’une revente fructueuse. Bien plus de monde que le mercredi sur ce marché car c’est le premier de la semaine, je ne m’attarde pas. Il souffle à Paris le même vent froid qu’à Rouen. Le soleil qui se montre vers dix heures dix aide à le supporter.
Je passe chez Mona Lisait sans y voir un livre pour moi. Le stock y est peu renouvelé. Un café au comptoir du Camélia et j’entre dans le Book-Off de Ledru-Rollin dont j’espère bien. A tort car, quand je ressors, je n’ai dans mon sac que La Province de François Mauriac (Arléa) déniché au rayon Témoignage.
Je ressors de terre place Sainte-Opportune et entre chez Au Diable des Lombards. La formule du jour est à mon goût : quiche aux fruits de mer et andouillette grillée sauce moutarde pommes sautées. Pourtant, et il est rare que cela m’arrive, j’ai du mal à finir et laisse même quelques pommes sautées. Je dois reconnaître que je suis de mauvaise humeur, sans doute parce que cette année je ne déjeunerai pas avec celle qui travaille près de la Bastille pour son anniversaire qui arrive bientôt. Elle a brutalement coupé les ponts avec moi. Sans que je sache pourquoi. Encore que j’aie une idée ou même deux.
Au Book-Off de Saint-Martin, j’ai le plaisir d’être souvent seul au sous-sol. Cet endroit m’est plus favorable. Je remonte avec six livres : Un jour, tu raconteras cette histoire de Joyce Maynard (Philippe Rey), Sables mouvants de Sybille Bedford (Christian Bourgois), Promenades dans Berlin de Franz Hessel (L’Herne), Les Médecins de l’amour de Philippe Brenot (Zulma), Rues secrètes de Pierre Mac Orlan (Arléa) et Dévotion de Patti Smith (Folio). Suffisamment chargé et fatigué, je rejoins L’Opportun pour un café sous la véranda et Je ne me souviens plus.
Dans la voiture Cinq du seize heures quarante pour Rouen, je poursuis ma lecture. J’en suis au dernier chapitre, dans lequel « Je ne me souviens plus » est remplacé par « J’aimerais ne plus me souvenir ». De quoi maintenir ma morosité à un taux élevé.
*
Je ne me souviens plus du nom des différents candidats aux deux dernières élections présidentielles et même je ne suis plus très sûr de savoir pour qui j’ai voté. Par exemple est-il possible que j’ai voté Bayrou au premier tour de 2007 dans l’espoir que ce serait la meilleure façon de barrer la route à Sarkozy ? Non, je n’ai pas pu faire cela. Je n’en jurerai pas pourtant. A partir du moment où je n’ai plus voté blanc, je crois que je n’ai pas cessé de faire des conneries. Et du coup, m’en rendant compte, j’ai cessé de voter.
Pour ma part, je me souviens parfaitement avoir voté Bayrou au premier tour en deux mille sept pour la même raison que Philippe De Jonckheere. Je n’ai pas du tout l’impression que c’était une connerie et donc je n’ai pas cessé de voter, même si parfois je m’abstiens, aux Municipales notamment. Et je n’ai jamais fait l’erreur de voter blanc, trop d’ambiguïté, « ils sont tous tellement bien que je ne sais pas lequel choisir ».
*
C’est dommage que ce mardi personne n’ait eu l’idée de me demander ce que je lisais. J’aurais voulu voir la tête du quidam auquel j’aurais répondu : Je ne me souviens plus.
Je quitte Rouen avec le sept heures vingt-deux et trouve que les personnes qui prennent ce train le mardi sont plus pénibles que celles du mercredi. Ça baille, ça tousse, ça laisse son sac dans le couloir. Pourtant beaucoup sont les mêmes, parmi lesquels les saumons qui remontent la rame de plus en plus tôt. Je lis Je ne me souviens plus de Philippe De Jonckheere, le négatif des livres de Joe Brainard et de Georges Perec, un livre qui ne me laissera aucun souvenir, comme c’est le cas de presque tous.
Le bus Vingt-Neuf doit toujours compter avec les embouteillages, les travaux ça n’avance pas, et au Marché d’Aligre, peu de livres. Ils sont de plus convoités par les nuisibles qui achètent en scannant avec leur smartphone dans l’espoir d’une revente fructueuse. Bien plus de monde que le mercredi sur ce marché car c’est le premier de la semaine, je ne m’attarde pas. Il souffle à Paris le même vent froid qu’à Rouen. Le soleil qui se montre vers dix heures dix aide à le supporter.
Je passe chez Mona Lisait sans y voir un livre pour moi. Le stock y est peu renouvelé. Un café au comptoir du Camélia et j’entre dans le Book-Off de Ledru-Rollin dont j’espère bien. A tort car, quand je ressors, je n’ai dans mon sac que La Province de François Mauriac (Arléa) déniché au rayon Témoignage.
Je ressors de terre place Sainte-Opportune et entre chez Au Diable des Lombards. La formule du jour est à mon goût : quiche aux fruits de mer et andouillette grillée sauce moutarde pommes sautées. Pourtant, et il est rare que cela m’arrive, j’ai du mal à finir et laisse même quelques pommes sautées. Je dois reconnaître que je suis de mauvaise humeur, sans doute parce que cette année je ne déjeunerai pas avec celle qui travaille près de la Bastille pour son anniversaire qui arrive bientôt. Elle a brutalement coupé les ponts avec moi. Sans que je sache pourquoi. Encore que j’aie une idée ou même deux.
Au Book-Off de Saint-Martin, j’ai le plaisir d’être souvent seul au sous-sol. Cet endroit m’est plus favorable. Je remonte avec six livres : Un jour, tu raconteras cette histoire de Joyce Maynard (Philippe Rey), Sables mouvants de Sybille Bedford (Christian Bourgois), Promenades dans Berlin de Franz Hessel (L’Herne), Les Médecins de l’amour de Philippe Brenot (Zulma), Rues secrètes de Pierre Mac Orlan (Arléa) et Dévotion de Patti Smith (Folio). Suffisamment chargé et fatigué, je rejoins L’Opportun pour un café sous la véranda et Je ne me souviens plus.
Dans la voiture Cinq du seize heures quarante pour Rouen, je poursuis ma lecture. J’en suis au dernier chapitre, dans lequel « Je ne me souviens plus » est remplacé par « J’aimerais ne plus me souvenir ». De quoi maintenir ma morosité à un taux élevé.
*
Je ne me souviens plus du nom des différents candidats aux deux dernières élections présidentielles et même je ne suis plus très sûr de savoir pour qui j’ai voté. Par exemple est-il possible que j’ai voté Bayrou au premier tour de 2007 dans l’espoir que ce serait la meilleure façon de barrer la route à Sarkozy ? Non, je n’ai pas pu faire cela. Je n’en jurerai pas pourtant. A partir du moment où je n’ai plus voté blanc, je crois que je n’ai pas cessé de faire des conneries. Et du coup, m’en rendant compte, j’ai cessé de voter.
Pour ma part, je me souviens parfaitement avoir voté Bayrou au premier tour en deux mille sept pour la même raison que Philippe De Jonckheere. Je n’ai pas du tout l’impression que c’était une connerie et donc je n’ai pas cessé de voter, même si parfois je m’abstiens, aux Municipales notamment. Et je n’ai jamais fait l’erreur de voter blanc, trop d’ambiguïté, « ils sont tous tellement bien que je ne sais pas lequel choisir ».
*
C’est dommage que ce mardi personne n’ait eu l’idée de me demander ce que je lisais. J’aurais voulu voir la tête du quidam auquel j’aurais répondu : Je ne me souviens plus.
5 mai 2025
Balzac dans ses Lettres à Madame Hanska s’épanche surtout sur ses malheurs : amour contrarié par la distance, épuisement au travail, affaires désastreuses, dettes, procès, maladies diverses. Par goût personnel, j’ai choisi dans le premier volume, lu durant mon séjour sur la Côte d’Azur, quelques méchancetés et deux compliments :
Fin mars mil huit cent trente-trois : Eugène Sue est un bon et aimable jeune homme, fanfaron du vice, désespéré de s’appeler Sue, faisant du luxe pour se faire grand seigneur, mais à cela près quoique un peu usé, valant mieux que ses ouvrages.
Mercredi vingt-neuf mai mil huit cent trente-trois : Mon Dieu, l’auteur d’Indiana, Mme Dudevant s’est déshonorée, tout Paris s’intéressait à ses deux amants, Sandeau vient de partir pour l’Italie, il est au désespoir, je l’ai cru fou. Mme Dudevant s’est donnée à un homme, nommé G. Planche, un homme généralement méprisé, mais qui l’avait encensée dans la Revue des 2 mondes. (George Sand)
Mardi trente juin mil huit cent trente-cinq : Mme d’Agoult est une tourangelle, pâle, jaunasse, cheveux traînants, maigre, assez désagréable à voir, nerveuse qui, dit-on, aimait Liszt depuis longtemps en toute tranquillité de mari.
Mercredi dix-neuf juillet mil huit cent trente-sept : Hier, je parlais à Heine de faire du théâtre, et il me disait : Prenez-y garde, celui qui s’est habitué à Brest, ne peut pas s’accoutumer à Toulon, restez dans votre bagne.
Vendredi deux mars mil huit cent trente-huit : Elle est excellente mère, adorée de ses enfants, mais elle met sa fille Solange en petit garçon, et ce n’est pas bien. Elle a laissé son fils Maurice goûter de trop bonne heure aux dissipations de Paris, il a une maladie de langueur à 12 ans et son épine dorsale est malade, il est comme un homme de vingt ans moralement car elle est intimement chaste, prude, et n’est artiste qu’à l’extérieur. Elle fume démesurément, elle joue peut-être un peu trop à la princesse et je suis convaincu qu’elle s’est peinte fidèlement dans la princesse du Secrétaire intime. (George Sand)
Lundi vingt-six mars mil huit cent trente-huit : Ajaccio est un séjour insupportable, je n’y connais personne, et il n’y a d’ailleurs personne. La civilisation y est comme au Groënland, les Corses aiment peu les étrangers. J’y suis comme échoué sur un banc de granit, allant voir la mer, revenant dîner, déjeuner, voir la mer, me coucher, et recommencer, n’osant pas me mettre à travailler, car à tout moment je puis partir, et cette situation est l’antipode de mon caractère, qui est toute résolution, toute activité. Je suis allé voir la maison où est né Napoléon et c’est une pauvre baraque.
Mardi vingt-sept mars mil huit cent trente-huit : Il n’y a ici ni cabinet de lecture, ni filles, ni théâtres populaires, ni société, ni journaux, ni aucune des impuretés qui annoncent la civilisation ; les femmes n’aiment pas les étrangers, les hommes se promènent toute la journée en fumant, c’est une paresse incroyable. (la Corse toujours)
Dimanche quatorze avril mil huit cent trente-neuf : Beyle vient de publier, à mon sens, le plus beau livre qui ait paru depuis cinquante ans. Cela s’appelle La Chartreuse de Parme, et je ne sais si vous pourrez vous le procurer. Si Machiavel écrivait un roman, ce serait celui-là.
Dimanche neuf avril mil huit cent quarante-trois : J’ai dîné hier à la place Royale. La seconde fille de Hugo est la plus grande beauté que j’aurai vue de ma vie. Elle n’a que 14 ans, mais elle sera ! Enfin vous la verrez. C’est quelque chose de faire ses enfants beaux. Il faut pour cela de la richesse dans le sang, la pureté, etc. J’ai été médiocrement content de ce dîner. (Adèle)
Dimanche dix-huit juin mil huit cent quarante-trois : Je viens de lire Consuelo !... Après Le Compagnon du Tour de France, avoir fait cela, c’est une telle chute qu’il n’y a plus rien à attendre de George Sand, Consuelo est le produit de tout ce qu’il y a de plus vide, de plus invraisemblable, de plus enfant.
Mardi cinq décembre mil huit cent quarante-trois : Ma sœur a dit en voyant les 15 ou 16 bustes de grands hommes faits par David : - Allons ! je vois qu’Honoré n’est pas le plus mal. Et en effet, vous serez stupéfaite en voyant la tête olympienne que David a su tirer de ma grosse face de bouledogue.
Dimanche vingt-trois mil huit cent quarante-quatre : Il n’est rien advenu du dîner de Rothschild, car nous y étions 25. Mais j’y ai trouvé Liszt. Non, chère, vous ne vous figurez pas ce qu’est un drôle de cette espèce ! Il a la fatuité d’un comédien, et la haine d’un accusateur public. Il n’a que des doigts.
Lundi premier juillet mil huit cent quarante-quatre : Je dîne aujourd’hui chez Mme de Castries, qui part pour Dieppe, et notre inimitié demande tous les égards possibles.
Fin mars mil huit cent trente-trois : Eugène Sue est un bon et aimable jeune homme, fanfaron du vice, désespéré de s’appeler Sue, faisant du luxe pour se faire grand seigneur, mais à cela près quoique un peu usé, valant mieux que ses ouvrages.
Mercredi vingt-neuf mai mil huit cent trente-trois : Mon Dieu, l’auteur d’Indiana, Mme Dudevant s’est déshonorée, tout Paris s’intéressait à ses deux amants, Sandeau vient de partir pour l’Italie, il est au désespoir, je l’ai cru fou. Mme Dudevant s’est donnée à un homme, nommé G. Planche, un homme généralement méprisé, mais qui l’avait encensée dans la Revue des 2 mondes. (George Sand)
Mardi trente juin mil huit cent trente-cinq : Mme d’Agoult est une tourangelle, pâle, jaunasse, cheveux traînants, maigre, assez désagréable à voir, nerveuse qui, dit-on, aimait Liszt depuis longtemps en toute tranquillité de mari.
Mercredi dix-neuf juillet mil huit cent trente-sept : Hier, je parlais à Heine de faire du théâtre, et il me disait : Prenez-y garde, celui qui s’est habitué à Brest, ne peut pas s’accoutumer à Toulon, restez dans votre bagne.
Vendredi deux mars mil huit cent trente-huit : Elle est excellente mère, adorée de ses enfants, mais elle met sa fille Solange en petit garçon, et ce n’est pas bien. Elle a laissé son fils Maurice goûter de trop bonne heure aux dissipations de Paris, il a une maladie de langueur à 12 ans et son épine dorsale est malade, il est comme un homme de vingt ans moralement car elle est intimement chaste, prude, et n’est artiste qu’à l’extérieur. Elle fume démesurément, elle joue peut-être un peu trop à la princesse et je suis convaincu qu’elle s’est peinte fidèlement dans la princesse du Secrétaire intime. (George Sand)
Lundi vingt-six mars mil huit cent trente-huit : Ajaccio est un séjour insupportable, je n’y connais personne, et il n’y a d’ailleurs personne. La civilisation y est comme au Groënland, les Corses aiment peu les étrangers. J’y suis comme échoué sur un banc de granit, allant voir la mer, revenant dîner, déjeuner, voir la mer, me coucher, et recommencer, n’osant pas me mettre à travailler, car à tout moment je puis partir, et cette situation est l’antipode de mon caractère, qui est toute résolution, toute activité. Je suis allé voir la maison où est né Napoléon et c’est une pauvre baraque.
Mardi vingt-sept mars mil huit cent trente-huit : Il n’y a ici ni cabinet de lecture, ni filles, ni théâtres populaires, ni société, ni journaux, ni aucune des impuretés qui annoncent la civilisation ; les femmes n’aiment pas les étrangers, les hommes se promènent toute la journée en fumant, c’est une paresse incroyable. (la Corse toujours)
Dimanche quatorze avril mil huit cent trente-neuf : Beyle vient de publier, à mon sens, le plus beau livre qui ait paru depuis cinquante ans. Cela s’appelle La Chartreuse de Parme, et je ne sais si vous pourrez vous le procurer. Si Machiavel écrivait un roman, ce serait celui-là.
Dimanche neuf avril mil huit cent quarante-trois : J’ai dîné hier à la place Royale. La seconde fille de Hugo est la plus grande beauté que j’aurai vue de ma vie. Elle n’a que 14 ans, mais elle sera ! Enfin vous la verrez. C’est quelque chose de faire ses enfants beaux. Il faut pour cela de la richesse dans le sang, la pureté, etc. J’ai été médiocrement content de ce dîner. (Adèle)
Dimanche dix-huit juin mil huit cent quarante-trois : Je viens de lire Consuelo !... Après Le Compagnon du Tour de France, avoir fait cela, c’est une telle chute qu’il n’y a plus rien à attendre de George Sand, Consuelo est le produit de tout ce qu’il y a de plus vide, de plus invraisemblable, de plus enfant.
Mardi cinq décembre mil huit cent quarante-trois : Ma sœur a dit en voyant les 15 ou 16 bustes de grands hommes faits par David : - Allons ! je vois qu’Honoré n’est pas le plus mal. Et en effet, vous serez stupéfaite en voyant la tête olympienne que David a su tirer de ma grosse face de bouledogue.
Dimanche vingt-trois mil huit cent quarante-quatre : Il n’est rien advenu du dîner de Rothschild, car nous y étions 25. Mais j’y ai trouvé Liszt. Non, chère, vous ne vous figurez pas ce qu’est un drôle de cette espèce ! Il a la fatuité d’un comédien, et la haine d’un accusateur public. Il n’a que des doigts.
Lundi premier juillet mil huit cent quarante-quatre : Je dîne aujourd’hui chez Mme de Castries, qui part pour Dieppe, et notre inimitié demande tous les égards possibles.
3 mai 2025
« Je m’appelle Margot », me dit celle qui s’apprête à me faire une prise de sang. Je suis le premier arrivé ce vendredi matin deux mai au laboratoire de la place Saint-Marc. Cette sympathique infirmière cherche d’abord à faire apparaître une veine de mon bras gauche, puis me dit que ce sera peut-être mieux au bras droit. C’est là qu’elle me pique sans que je sente grand-chose et prélève la dose de sang nécessaire à l’analyse. Il s’agit de confirmer ou d’infirmer mon diabète. « Vous aurez le résultat peut-être ce soir ou peut-être demain matin », me dit-elle avant que je lui souhaite une bonne journée.
J’achète un pain au chocolat à un euro vingt à la boulangerie Chez Catherine, petit-déjeune, puis m’occupe de remplir mon frigo par un passage chez U où je suis déçu de ne pas voir ma caissière préférée.
Je retourne place Saint-Marc pour explorer le marché de la drouille. Parmi toute cette quincaillerie périmée figurent toujours quelques livres usagés. Olivier, l’aimable bouquiniste aux cheveux noués en catogan, m’annonce qu’aujourd’hui tous ses livres sont à deux euros. Cela vaut la peine que je m’y penche. Parmi eux, j’en trouve deux pour me plaire : La Crèche, Bibiche, l’Affaire St-Jus, Le Laveur, quatre inédits d’Albertine Sarrazin et Journal de prison 1959 de la même, l’un et l’autre aux éditions Sarrazin.
L’après-midi, le soleil étant toujours là, je rejoins Le Sacre et je constate qu’il s’est fait manger une partie de sa terrasse par celle créée pour le restaurant YumMó. A l’heure où j’arrive, treize heures dix, personne n’y mange et pas davantage à l’intérieur. A quatorze heures vingt, le couple de gérants baisse le rideau et s’en va.
Mon café bu, en complément à la lecture de Lettres à Madame Hanska de Balzac, je lis Balzac, Paris d’Eric Hazan, mort récemment, que j’avais vu et écouté à Lyon. Souvenir d’un personnage imbu de lui-même dont les idées d’ultra gauche juraient avec une vie de privilégié.
Vers dix-sept heures trente, je retourne au laboratoire et demande à l’accueil si mon résultat est disponible. Il l’est. Ce n’est qu’au retour chez moi que j’ouvre l’enveloppe. Je pousse un soupir de soulagement. Ma glycémie à jeun présente un résultat quasi normal, contrairement à la précédente et bien que je ne me sois pas nourri de façon prudente pendant mon séjour à Saint-Raphaël : un virgule dix alors que le maximum de la norme est un virgule zéro neuf. Je n’entre pas dans le diagnostic officiel du diabète. Je ne devrais pas recevoir de téléphonage de mon médecin.
C’était la dernière journée de ciel bleu. Au matin du trois mai, il pleut fort et le tonnerre gronde. Ce changement de temps, du beau au mauvais, est tout à fait adapté au malheureux anniversaire que j’ai en tête. Celui de la mort de mon frère Jacques à La Rochelle. Dans la nuit du deux au trois mai. Il y a exactement trente ans.
*
Cité par Eric Hazan, Balzac dans Physiologie du mariage :
Errer dans Paris ! adorable et délicieuse existence ! Flâner est une science, c’est la gastronomie de l’œil. Se promener, c’est végéter ; flâner, c’est vivre.
J’achète un pain au chocolat à un euro vingt à la boulangerie Chez Catherine, petit-déjeune, puis m’occupe de remplir mon frigo par un passage chez U où je suis déçu de ne pas voir ma caissière préférée.
Je retourne place Saint-Marc pour explorer le marché de la drouille. Parmi toute cette quincaillerie périmée figurent toujours quelques livres usagés. Olivier, l’aimable bouquiniste aux cheveux noués en catogan, m’annonce qu’aujourd’hui tous ses livres sont à deux euros. Cela vaut la peine que je m’y penche. Parmi eux, j’en trouve deux pour me plaire : La Crèche, Bibiche, l’Affaire St-Jus, Le Laveur, quatre inédits d’Albertine Sarrazin et Journal de prison 1959 de la même, l’un et l’autre aux éditions Sarrazin.
L’après-midi, le soleil étant toujours là, je rejoins Le Sacre et je constate qu’il s’est fait manger une partie de sa terrasse par celle créée pour le restaurant YumMó. A l’heure où j’arrive, treize heures dix, personne n’y mange et pas davantage à l’intérieur. A quatorze heures vingt, le couple de gérants baisse le rideau et s’en va.
Mon café bu, en complément à la lecture de Lettres à Madame Hanska de Balzac, je lis Balzac, Paris d’Eric Hazan, mort récemment, que j’avais vu et écouté à Lyon. Souvenir d’un personnage imbu de lui-même dont les idées d’ultra gauche juraient avec une vie de privilégié.
Vers dix-sept heures trente, je retourne au laboratoire et demande à l’accueil si mon résultat est disponible. Il l’est. Ce n’est qu’au retour chez moi que j’ouvre l’enveloppe. Je pousse un soupir de soulagement. Ma glycémie à jeun présente un résultat quasi normal, contrairement à la précédente et bien que je ne me sois pas nourri de façon prudente pendant mon séjour à Saint-Raphaël : un virgule dix alors que le maximum de la norme est un virgule zéro neuf. Je n’entre pas dans le diagnostic officiel du diabète. Je ne devrais pas recevoir de téléphonage de mon médecin.
C’était la dernière journée de ciel bleu. Au matin du trois mai, il pleut fort et le tonnerre gronde. Ce changement de temps, du beau au mauvais, est tout à fait adapté au malheureux anniversaire que j’ai en tête. Celui de la mort de mon frère Jacques à La Rochelle. Dans la nuit du deux au trois mai. Il y a exactement trente ans.
*
Cité par Eric Hazan, Balzac dans Physiologie du mariage :
Errer dans Paris ! adorable et délicieuse existence ! Flâner est une science, c’est la gastronomie de l’œil. Se promener, c’est végéter ; flâner, c’est vivre.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante