Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

16 octobre 2025


Revoir Lanloup, c’est mon désir ce mercredi matin. Aussi, mes crêpes mangées et mon allongé bu au Quay des Brunes maintenant doté d’une vitre coulissante pour l’été, vais-je attendre le car BreizhGo de neuf heures onze terminus Paimpol.
Halte-là, c’est le nom bien venu de l’arrêt où je descends du car. La rue en pente qui mène à l’église de Lanloup est interdite aux voitures. On refait les réseaux. A mi-chemin, une tranchée la coupe en deux. Les ouvriers sont d’accord pour arrêter la pelleteuse le temps que j’enjambe cette tranchée. Je préfère faire un bon détour par une rue qui descend sur la gauche, puis remonte sur la droite.
L’église de Lanloup est une église gothique en granit. Elle est entourée du cimetière. Son porche abrite les statues des douze apôtres. Elle est ouverte. Son chœur s’allume quand je m’en approche, me permettant de bien voir la statue de Saint Loup en granit et la Vierge en bois polychrome. On trouve aussi dans cette église des boîtes à chefs en bois (appelées aussi boîtes à crânes). Dans l’entrée et la pénombre est un grand livre d’or sur lequel j’écris « Une nouvelle fois dans cette très belle église » et je signe.
En face est le café épicerie Kabellig Ruz où j’avais bu un café il y a deux ans. Oui, mais il n’ouvre que du jeudi au dimanche. Sa gérante est devant la porte avec son chien. Elle me propose d’entrer, elle peut me faire un café. La perspective d’être seul avec elle alors que ce n’est pas officiellement ouvert me rebute, ce sera tristounet et il me faudra faire la conversation. Je refuse en remerciant.
La fois précédente, elle m’avait indiqué comment aller au Château et revenir par la Fontaine. De cela non plus, je n’ai pas envie. J’ouvre la boîte à livres du petit jardin public d’à côté et y prélève Badonce et les créatures, des nouvelles d’Alexandre Vialatte publiées chez Julliard, puis je fais dans l’autre sens le crochet vers Halte-là, m’arrêtant en chemin près d’un calvaire à une table de pique-nique mangée par la mousse où j’écris ce début de journée sous un ciel particulièrement gris tandis que chante un coq peu matinal.
A l’arrêt Halte-là est un bar restaurant du même nom arrêté depuis longtemps, bien que les tables et les chaises de la terrasse soient toujours là, empilées en bord de route. Le prochain car de retour est à midi vingt-trois. Que faire ?
De l’autre côté de la route vers les terres est indiquée la chapelle Sainte Colombe. Allons la voir. Je marche un petit moment vers Pléhédel et la trouve dans une sorte de parc, cachée derrière des arbres, une belle chapelle en granit, fermée évidemment. Dans ce parc, un châtaignier répand ses fruits. Il y a de quoi faire une bonne récolte mais qu’en ferais-je ? D’ailleurs, je n’aime pas les châtaignes.
De retour à Halte-là, comme je n’ai rien de mieux à faire, et la tranchée étant désormais franchissable sur une plaque métallique, je redescends au centre du village et m’assois sur un banc dans le petit jardin devant un terrain de boules où pousse de l’herbe. J’écris là la suite de ma matinée puis remonte attendre le BreizhGo. Sur l’abri des cars une affichette municipale témoigne de l’énervement des agents d’entretien : « Ne crachez pas sur les vitres. Vous ne le faites pas chez vous ! »
Dans ce car monte à Kertugal, le quartier d’origine de Saint-Quay, la jolie serveuse du Café de la Plage qui fait relâche le mercredi. « Ah tiens ! Bonjour ! » Je descends peu après à l’arrêt Casino et, comme le soleil fait son apparition, m’installe à la terrasse arborée de bord de mer des Valseuses que j’ai connu sous le nom des Cochons Flingueurs.
L’endroit est toujours branchouille et chérot. Aussi je me contente de la saucisse fermière de Trégomeur avec purée à seize euros cinquante, que par erreur on ne me fait payer que quinze euros cinquante. Je ne dis rien, trouvant déjà le prix élevé. Comme dessert, je prends un kouign-amann à deux euros quarante au Fournil du Casino, que l’on me fait réchauffer et que je mange face au large.
Le vent frais est de retour et les nuages. Aussi je rejoins l’intérieur du Quay des Brunes pour le café, et voir si ça m’intéresse, les nouvelles de Vialatte trouvées à Lanloup.

15 octobre 2025


Une nouvelle nuit tranquille au creux de mon large lit du second étage de la Villa Les Marronniers. Dans de beaux draps nouveaux, mon aimable logeur étant passé en mon absence avec mon autorisation les changer. Je suis toujours seul dans cette grande demeure, mais les vacances de Toussaint qui commencent à la fin de la semaine vont peut-être changer ça.
Le Quay des Brunes fermé pour travaux ce mardi, c’est au Kreisler que je petit-déjeune avant de rejoindre le Portrieux par le bord de mer. Peu après la piscine d’eau de mer, je découvre une porte de jardin explosée, pourtant en solide bois peint en bleu. C’est celle d’une villa inoccupée. Quand j’atteins la turquerie, je vois arriver vers moi un couple de quinquagénaires et un chien, des gens d’ici à qui j’explique la porte explosée. Ils préviendront la Mairie.
Après être passé réserver aux Plaisanciers, je m’installe en terrasse au Poisson Rouge face au ciel gris coloré d’orange du lever du jour. J’abandonne Claude Tillier et reprends les notes des Œuvres complètes de Paul-Jean Toulet.
La lueur orangée grandit à l’horizon. A onze heures, le soleil donne. Je vais chauffer mes vieux os sur un banc face au mouillage où flottent des petits navires qui ne sont plus ceux que contemplèrent Boudin, Signac et Morisot.
Eugène Boudin fit de nombreux séjours au Portrieux entre mil huit cent soixante-huit et mil huit cent quatre-vingt. En ont résulté près de quatre-vingts tableaux, études et dessins. Paul Signac a exécuté ici une dizaine d’œuvres majeures. Berthe Morisot séjourna au Portrieux en août et septembre mil huit cent quatre-vingt-quatorze avec sa fille Julie Manet dans la maison nommée Roche Plate au vingt-trois de la rue du Commerce.
Du jambon braisé à la sauce chorizo ce midi aux Plaisanciers où il y a toujours du monde, essentiellement des travailleurs de Port d’Armor. Je m’assois ensuite au soleil en terrasse à L’Ecume. J’achève les notes du Bouquins Laffont consacré à Toulet, un livre acheté lors du dernier désherbage de la Bibliothèque Municipale de Sotteville-lès-Rouen. A en juger par son état, très peu de Sottevillais(e)s l’ont lu avant moi.
Le banc bleu d’entre l’Ile de la Comtesse et Port d’Armor me permet d’à nouveau me chauffer au soleil. De temps à autre, la conserverie de Port d’Armor crache un jet de vapeur. Tout est calme chez la Comtesse.
La seule pharmacie de Saint-Quay est à cinquante mètres de mon logis provisoire. Je m’y arrête en rentrant. Pas moins de cinq pharmaciennes sont à l’ouvrage en parallèle. Celle qui s’occupe de moi m’indique que Cosidime est toujours en rupture mais bien sûr, elle a le générique.

14 octobre 2025


Pour inaugurer cette nouvelle semaine, j’attends le car BreizhGo de neuf heures onze terminus Paimpol sous un ciel entièrement dégagé.
Je vise l’Abbaye de Beauport et pour ce faire descends à l’arrêt Kerity Eglise. De cette église, je rejoins les belles ruines de cette abbaye dont les moines furent chassés à la Révolution. Ils pratiquaient le prêt sur gage. C’était une bonne occasion de se débarrasser de ses dettes.
Si le soleil est là, le vent de nordet aussi. Il me pousse dans le dos tandis que, laissant l’’Abbaye derrière moi, je marche entre mer et marais. Si je continuais, j’arriverais au bout de la Pointe de Gulden. Je m’en préserve en coupant tout droit par une rue intérieure qui me fait arriver pile dans le Port de Paimpol.
Il est onze heures. Ce qui me plairait, c’est un pain au chocolat du Fournil du Martray. Las, il est fermé le lundi. Je n’ai pas envie de déjeuner ici. Aussi je rejoins la Gare et, en attendant le douze heures cinq du retour, bois un café au soleil à la terrasse du Bar Tabac de la Gare.
J’arrive à une heure moins le quart au Café de la Plage, accueilli par le joli sourire de ma serveuse préférée. Elle me propose la table en coin avec banquette et vue sur le large. Le menu du jour n’est pas époustouflant : houmous et pain pita, arancini à la crème de chorizo (boulettes de riz) et café gourmand. A la table d’à côté un trio, deux quinquagénaires et une vieille qui s’avère être la mère d’elle. C’est cette vieille qui paye mais elle donne sa carte à l’homme qui va le faire à sa place.
-Vous étiez déjà là il y a deux ans, dis-je à la serveuse quand elle m’apporte le café gourmand. Je me souviens de vous.
-Moi aussi, je me souviens de vous, me dit-elle.
Elle me conseille d’aller à Gwin Zegal.
Il est quatorze heures dix quand je sors. Le soleil a disparu et le vent est toujours frisquet. Je rejoins L’Ecume, ma table en coin devant le mur repeint par la serveuse. J’ai avec moi Mon oncle Benjamin de Claude Tillier prélevé dans le mur de livres du Parc de la Duchesse Anne où l’on trouve surtout de vieux livres abimés déjà là il y a deux ans. Un Dix Dix-Huit de mil neuf cent soixante-trois (deux francs cinquante) avec en couverture un dessin de René Biosca. Un exemplaire en piètre état qui pourrait se désintégrer pendant la lecture.
Je ne connais pas ce roman de mil huit cent quarante-trois, mais j’ai vu (et oublié) le film qui en a été tiré avec Jacques Brel. Ça commence ainsi : Je ne sais pas, en vérité, pourquoi l’homme tient tant à la vie. Françoise Hardy remixée chante Le temps de l’amour. La serveuse s’attaque à la peinture de la suite du mur en résistant au conseil des habitués. Je ne comprends rien à ce qu’a écrit Claude Tillier, des dialogues, des dialogues.
                                                                   *
Rentré, je me renseigne sur Gwin Zegal. Quatre kilomètres entre le centre du bourg de Plouha, desservi par le car BreizhGo, et ce port sur pilotis. C’est trop pour moi.

13 octobre 2025


Une chouette hulule quand je sors de mon logis Air Bibi dans une bonne odeur de boulangerie, mais c’est ailleurs que j’achète mon pain au chocolat. Au Quay des Brunes, l’habitué en chef se morfond. Dans un coin, l’huîtrier du dimanche discute avec ses vendeuses. Le soleil se lève. On dirait que le beau temps est de retour.
C’est ce que je constate lors de ma marche quasi quotidienne sur le bord de terre. La mer bouge bien. A l’arrivée au Portrieux je vais jusqu’au phare vert de la jetée du port d’échouage. Cette tourelle de feu a été dessinée par Léonce Reno. Elle est démontable et a voyagé à Paris en mil huit cent soixante-sept pour l’Exposition Universelle. Du pied de ce feu, j’assiste au départ de Papy, un caseyeur vert mené par un couple de pêcheurs. Me rejoignent père, fille adulte avec leurs cannes à pêche, et mère qui s’assoit sur le banc. En face, j’aperçois les loupiotes de La Marine. Sa terrasse est au soleil.
Après le café, j’ouvre Toulet et parcours les notes que je n’ai pas lues au fil des jours, parmi lesquelles trois lettres à Léon Barthou, ancien camarade de lycée et frère de Louis. Et il faut être aussi bête que Curnonsky, de m’avoir fait comprendre, pauvre provincial que je suis, que je le compromettais parce que je le faisais rimer avec Nijinski.
Vers onze heures, je prends le bourg par l’intérieur, m’arrête au Fournil de Saint-Quay en bas de mon logis provisoire, demande à la jolie étudiante nattée un bagnat et un creumebeule poire abricot. Je continue jusqu’au Quay des Brunes pour, en terrasse ensoleillée, commander la formule six huîtres et verre de vin blanc.
On trouve ici la clientèle locale du dimanche, des retraités bien âgés, quelques femmes dans la quarantaine. Une autre passe, non pour consommer, mais pour ramasser les mégots qu’elle stocke dans un gobelet en plastique. Je suis le seul à déguster des huîtres, la formule n’est plus affichée par la nouvelle propriétaire.
A midi, je rejoins la Grève Noire, petite plage au-delà de celle du Casino et, sur un banc bleu, pique-nique. Cette plage est celle des baigneuses et baigneurs que n’effraie pas le froid, des habitué(e)s de tout âge, dont une nymphette qui voudrait bien, mais n’ose pas.
Malheureusement, le vent m’empêche de rester là à lire. La terrasse du Quay des Brunes étant blindée, celle du Café de la Plage bientôt à l’ombre, je retraverse Saint-Quay par le dedans jusqu’à L’Ecume. « Service au bar, merci » a inscrit sur une ardoise le patron qui n’a pas envie de se fatiguer. La table en terrasse où je suis subit peu le vent. Je peux rouvrir Toulet.
Je retrouve ensuite le chemin côtier. Les promeneurs du dimanche après-midi sont là, encouragés par le soleil. Mon banc bleu, au-dessus de la Plage de la Comtesse est heureusement libre, où je me fais chauffer le dos. Sur le muret, un lézard fait la même chose.

12 octobre 2025


L’habitué en chef s’ennuie ce samedi matin au Quay des Brunes. Nous ne sommes que deux clients. Lisa n’est pas là et la patronne n’est pas bavarde. Je redoute qu’il tente d’engager la conversation avec moi. Je comprends mal ce qu’il dit à cause de son accent.
Dès que le jour se lève, je marche vers le Portrieux le long des barrières blanches. Ces barrières blanches sont l’emblème de la station balnéaire. Elles datent des années Vingt, comme la piscine d’eau de mer et le cinéma théâtre Arletty. Tout cela est dû à un maire bâtisseur, Alfred Delpierre. J’avance face à un petit vent dont le défaut est d’être frisquet.
Cela ne m’interdit pas la terrasse du Poisson Rouge. Dans le port tintent les mâts des voiliers. Je m’attends à voir débouler un troupeau de moutons à clarines. Le café bu, je retrouve la correspondance de Paul-Jean Toulet et Emile Henriot. Toulet à Henriot : Peut-être savez-vous encore votre grammaire, et qu’on évacue un lieu, non une personne. Il ne vous reste qu’à dire « faire confiance », « ruée », « H.P. » pour chevaux-vapeur et l’affreux « emprise » pour main-mise.
Peu de travailleurs le samedi aux Plaisanciers mais des locaux qui viennent chaque semaine et des familles du coin. Après le buffet d’entrées, je prends le stèque frites sans sa sauce et un creumebeule.
Le vent de nordet (comme on dit ici) est toujours présent lorsque je sors dans le Port. Je vais droit à L’Ecume, la petite table en coin devant le mur repeint par la serveuse qui n’est point là. La bande-son est celle des succès féminins des années Quatre-Vingt. Un café et Toulet Henriot. De ce dernier à Toulet : J’ai vu ce matin chez un garçon qui revient de l’Indochine, des images chinoises fort belles représentant des gens qui s’entre-baisent. Au comptoir, on parle politique. « Bon il est revenu au pouvoir le cocu. Lecornu. » « Ça existe dans le privé ça ? » On parle aussi des restaurateurs qui se sont fait gauler à la pêche clandestine. C’était la pleine lune. Les flics en ont profité. D’abord ils ont été alertés quand ils ont vu autant de voitures garées à trois heures du matin à Martin Plage, et après ils ont vu les frontales. Le Bouquins Laffont des œuvres complètes de Paul-Jean Toulet se termine par sa traduction du Grand Dieu Pan d’Arthur Machen, que je n’ai pas envie de lire.

11 octobre 2025


Le marché du bourg s’installe doucement ce vendredi quand je rejoins le Quay des Brunes. Un travailleur a des soucis, le car BreizhGo ne passe pas. Un autre lui propose de l’emmener.
Je n’ai besoin que de mes pieds pour rejoindre Tréveneuc, sa grève et sa Chapelle Saint-Marc, par le Géherre direction Paimpol que l’on trouve à droite après le Kasino. C’est d’abord la Pointe de l’Isnain, occupée par une bien belle propriété privée, puis la Grève de l’Isnain, un détour par la route en raison de l’effondrement du sentier, la Grève de Fonteny, quelques jolis points de vue sur le large, des pointes au bout desquelles parfois un pêcheur est en équilibre sur les rochers arrivé là je ne sais comment.
Le but est proche lorsque j’aperçois quatre petits bateaux blancs au mouillage et l’île arrondie dont je ne sais pas le nom. Le chemin s’élargit. Il mène à la route qui aboutit à la Chapelle, fermée évidemment. J’ai une pensée pour la jeune Julie Manet, quatorze ans, qui eut la chance d’y entrer. Au-dessus de la grève, ce sont les Viviers de Saint-Marc, vente directe et restaurant, mais pour celui-ci la réouverture est en avril deux mille vingt-six.
Assis sur un banc face à la mer, je récupère. Puis je prends le sentier dans l’autre sens, un sentier étroit pour deux pieds seulement. Il vaut mieux le parcourir hors saison. Un marcheur croisé à l’aller, une coureuse et un marcheur au retour. Je ne me lasse pas de la beauté de cette côte découpée mais je suis content quand j’aperçois le Sémaphore sur sa pointe, puis l’église au centre de Saint-Quay. Il est onze heures quand je m’installe à l’une des deux tables hautes de la terrasse du Café de la Plage où je réserve une table d’intérieur pour midi.
Le ciel est gris, il fait frais, je retrouve Toulet en correspondance avec Debussy. De ce dernier, le vingt mai mil neuf cent dix-sept : Si la guerre n’a pas pu m’atteindre physiquement elle m’a démoli moralement : je me suis perdu et mes moyens ne me permettent pas d’offrir une récompense honnête à qui me retrouvera. Moins d’un an plus tard, il meurt. Avant midi, un intrépide se jette du haut du plongeoir dans la piscine d’eau de mer qui vient de réapparaître.
Le menu du Café de la Plage affiche houmous maison pain pita, faux filet charolais, mac and cheese sauce chimichurri, dôme chocolat combawa. C’est toujours bon au Café de la Plage et je suis content de retrouver au service la jolie petite brune que je n’avais pas oubliée.
Il fait presque froid quand je ressors. Aussi, après être allé chercher à l’Office du Tourisme les horaires des marées dont j’ai besoin pour faire le tour de la Comtesse, je retourne à l’intérieur du Café de la Plage pour le café. Celui-ci bu, je reprends Toulet, ses lettres à Francis Carco. Cher Monsieur, en attendant que ce valet m’apporte de l’encre, je vous écris au crayon et au galop. Puis celles à Henri de Régnier. Mon cher ami, l’insomnie, l’aphasie, l’aboulie, et autres fées qui me ravagent le cerveau depuis quelque temps, ne me laissent guère en état d’écrire. Puis des lettres de Paul-Jean Toulet et d’Emile Henriot. Toulet à Henriot : Cher ami. Merci des choses délicates et autres mensonges que vous m’avez jonchés dessus.

10 octobre 2025


Encore une nuit sans voisinage dans mon logement provisoire de la Villa Les Marronniers dont la porte d’entrée est toujours ouverte. « Je ne la ferme jamais », m’a dit mon logeur et je fais comme lui. Avec ses maisons et ses appartements vides, Saint-Quay risque les squatteurs et les cambrioleurs. L’éclairage public éteint leur faciliterait l’ouvrage. Ils doivent être occupés ailleurs.
Au Quay des Brunes, Lisa n’est pas là. L’ambiance s’en ressent. « Qu’est-ce qu’il y a en couverture de Ouest France ? « demande l’habitué en chef. « Lecornu » « Lecornu, le corniaud ».
Ce jeudi matin, quand je longe la mer, elle est si haute que seule la partie supérieure du plongeoir de la piscine d’eau de mer émerge. Il reste peu de l’Ile Harbour et de celle de la Comtesse dont la plage a disparu. Un qui ne risque pas d’être atteint par la mer, c’est le Château de Calan ou Villa Kermor ou la turquerie, comme l’appelle l’ami d’Orléans (et moi-même à sa suite).
Cette construction fut lancée par le comte de Calan en mil huit cent quatre-vingt, dans le style oriental, et poursuivie par le deuxième propriétaire, dans le style mauresque en vogue après l’Exposition Universelle de mil neuf cent. La décoration intérieure a été en partie confiée au mosaïste Odorico. A ses pieds, le fonctionnel hôtel de mil neuf cent quatre-vingt, en béton, quatre étoiles, nommé Ker Moor. Le bulbe de la terrasse de la turquerie, que je vois de mon logis Air Bibi, sert de réservoir d’eau. Le bâtiment possède une cinquantaine de fenêtres à jambages et arcs en plein-cintre entourées de briques rouges. J’aimerais voir le dedans mais propriété privée, défense d’entrer.
Le soleil est là quand je m’assois à la terrasse du Poisson Rouge pour un café Toulet. C’est si fatiguant de penser : le soleil et la mer m’en ont dégoûté entièrement. (…)  La dernière fois que je la vis, elle était aussi belle que les choses qu’on regarde avec la mémoire. C’est la fin des lettres à Madame Bulteau. Le ciel devenu gris, je passe aux lettres de Paul-Jean Toulet et de Claude Debussy.
Vers onze heures, la fraîcheur tombe et m’oblige à me lever. Je réserve aux Plaisanciers et fait le tour du Port du Portrieux, d’où partaient autrefois ceux qui faisaient le Grand Métier, vers Terre-Neuve ou l’Islande.
Le buffet d’entrées, un sauté de canard à l’orange avec écrasé de pommes de terre, une mousse au chocolat chez Les Plaisanciers et me voici, le soleil revenu, à la terrasse de L’Ecume pour le café lecture. De temps en temps passent des porteurs d’épuisettes. La mer est basse et fort éloignée. Le vendredi vingt-huit août mil neuf cent trois, Claude Debussy sermonne Paul-Jean Toulet : Cher ami, si la condition d’amis n’interdisait pas toutes discussions pénibles, je vous aurais dit depuis longtemps combien je regrettais vos relations avec l’opium…, puis le vingt-sept août mil neuf cent sept, il se plaint du Grand Hôtel de Pourville par Dieppe : Naturellement, cet endroit est odieux, et si les gens n’y sont pas plus ridicules qu’ailleurs, on les voit davantage – ça n’est pas une compensation. Ajoutez à cela, un hôtel où le « confort moderne » est représenté par un manque absolu d’eau chaude et une nourriture sans agrément.
Remonté sur le chemin de ronde, je retrouve mon banc observatoire au-dessus de la plage de la Comtesse réapparue. Elle est le terrain de jeux des porteurs d’épuisettes. Il y a aussi un homme qui arpente le sable avec un détecteur de métaux, creusant parfois avec une pelle et étant déçu par ce qu’il découvre. C’est comme chercher des ministres dans un lot de politiciens, on en trouve mais qui ne valent pas grand-chose.
                                                                   *
Si l’île de la Comtesse a été habitée par une comtesse, l’île Harbour aurait dû être habitée par un comte (attention, jeu de mot laid). Autre jeu de mot laid, de Toulet à Debussy : Mais cet hiver exécrable m’avait plongé dans une aboulie qui n’était pas pour les chats.

9 octobre 2025


Sur le conseil de Lisa, la serveuse du Quay des Brunes, j’achète mon pain au chocolat à la boulangerie de l’église où il est artisanal. Aucune discussion, il est meilleur que celui des trois autres pour dix centimes de plus.
Ce mercredi, je vais revoir Paimpol et pour ce faire, j’attends le car BreizhGo Deux Cent Un de neuf heures onze à l’arrêt Casino. Il arrive à la Gare Ferroviaire vers dix heures d’où je marche jusqu’au Port, bien beau au soleil.
De là, je rejoins le Géherre afin de faire une nouvelle fois la balade de la Pointe de Guilben (six kilomètres aller et retour). A ma gauche, sur la pointe d’en face, la tour de Kerroc’h et l’église de Ploubazlanec. Le sentier est plus rude que dans mon souvenir. Il comporte vers la fin une montée que je ne me vois pas redescendre.
Je suis heureux d’arriver au bout, de retrouver les beaux arbres sous lesquels bivouaquait cette fille avec qui j’avais passé la journée et qui m’a sans doute oublié. Pour revenir, je prends une petite route jusqu’à ce que je trouve un sentier de traverse pas trop pentu qui me ramène sur le Géherre à un endroit non risqué. Sur ce chemin du retour, face à moi, un couple se rapproche, suivi d’un chien non attaché. L’animal, en m’apercevant fait demi-tour. Il se sauve en aboyant de trouille. Ses maîtres (comme on dit) l’appellent : « Marcel, Marcel, viens ici ! » Je continue à avancer. Marcel fuit de plus en plus loin. L’homme est obligé de lui courir après et de l’attacher. « Il n’est pas bien obéissant, Marcel », lui dis-je perfidement lorsque nous nous croisons à nouveau. Un peu plus loin, j’assiste à la sortie à la queue leu leu des bateaux des ostréiculteurs (ou conchyliculteurs).
Il est midi moins le quart lorsque j’atteins le Port dont le tour a été refait. En partie au profit des voitures désormais garées là où étaient des terrasses de bord d’eau. Deux restaurants ouverts ont encore la vue sur les bateaux : L’Islandais et Chez Tonton Guy. On n’y accueille pas avant midi. Des couples rôdent autour tandis que j’attends assis sur un banc près du Carrousel. Je me souviens avoir mangé au premier après avoir été mal reçu au second.
A midi pile, je suis à la table de bord de terrasse de L’Islandais : tartare de betteraves haddock, « rougaille » saucisses, tarte citron meringuée (vingt euros le tout). C’est très bon, surtout le dessert, ce qui n’est pas courant.
C’est à l’intérieur de L’Epoque que je prends le café (un euro soixante-dix) puis ouvre Toulet, toujours en correspondance avec Madame Bulteau, qu’il appelle Toche. J’avais autre chose à vous dire, mais je ne me rappelle pas. 
La carte Esse Dé que j’ai achetée à la Fnaque de Saint-Brieuc ne voulant pas fonctionner, m’indiquant « Fichier en lecture seule » bien que le bitoniot soit à sa place en haut, je la montre au photographe de la rue Georges-Brassens, homme serviable qui cherche en vain à la formater avant que je lui suggère d’en mettre une à lui dans mon appareil. Il se passe la même chose, c’est l’appareil qui est défectueux. « La réparation coûterait plus cher qu’un neuf », me dit-il. Je le remercie et rejoins la Gare face à laquelle je m’installe à la terrasse ensoleillée du Bar Tabac de la Gare pour attendre le seize heures cinq du retour. J’y bois un nouveau café (un euro trente) que j’accompagne d’un pain au chocolat acheté au Fournil du Martray. Il est conforme à ceux d’autrefois, un des meilleurs que je connaisse.

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