Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Saint-Quay-Portrieux (vingt-deux) : Ty-Huel

22 octobre 2025


« Il y a du monde dans le magasin, vous allez chacun de votre côté. » Elle insiste : « Vous allez chacun de votre côté ! » Le monde : c’est moi. Le magasin : le Fournil de Saint-Quay. L’objet du différend entre deux employés dans l’arrière-boutique : je l’ignore.
Muni de mes deux crêpes, je passe comme chaque matin devant l’Hôtel Saint-Quay qui semble le plus souvent sans clients. Sur sa façade, on distingue encore l’inscription « Bouquinerie », laquelle a été mal recouverte par un raccord de peinture. Lors de ma précédente venue à Saint-Quay, j’avais acheté à la timide hôtelière, pour une broutille, des livres d’Hervé Guibert et de Tony Duvert.
Un peu plus bas se dresse l’ébouriffant bâtiment rose triangulaire à tourelle qui a nom Ty-Huel. Le jour de mon arrivée, mon logeur m’a dit qu’il était à vendre et qu’il avait été construit sur ce petit terrain triangulaire pour emmerder des bonnes sœurs en leur ôtant la vue sur la mer. Comme on ne voit pas grand-chose de la mer de cet endroit, je me demande si ce n’est pas une légende urbaine. Quoi qu’il en soit, cette bâtisse ne cesse de me fasciner.
Pas de pluie ce mardi matin. Au départ de ma balade, je trouve Pierre occupé à sortir la terrasse du Café de la Plage. « Vous allez bien ? » me dit-il. « Je vais passer tout à l’heure. Vous pouvez déjà me réserver une table », lui réponds-je. Vers Paimpol, un nuage noir est décoré d’une portion d’arc-en-ciel. La mer est agitée du vent d’hier. A l’arrivée, les bateaux du Portrieux sont éclairés par le soleil. C’est marée haute, ça flotte.
Je retrouve ma table habituelle au Poisson Rouge et Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar. Comment se fait-il que tout ce qui occupe et agite notre esprit, en alimente le flot ou la flamme, disparaisse à peu près inévitablement de tout entretien entre proches ?
J’assiste à l’arrivée dans l’ancienne Mairie des membres du Cercle Informatique Quinocéen dont le chef a refusé de m’aider. Des vieux qui portent leur ordinateur dans une sacoche à poignée. J’en braquerais bien un. Le risque de connaître le même sort que Sarkozy serait trop grand.
Après avoir laissé passer une brouillasse, je traverse Saint-Quay par le dedans. Direction le Café de la Plage où je trouve place haute à l’intérieur pour un autre café Yourcenar. A midi, je rejoins la salle du restaurant. Parmentier de poisson au curry breton, pavlova ananas passion, telle est la formule du jour pour dix-neuf euros. On n’entend pas le rire de Cristalle qui ne commence qu’à quinze heures, me dit Pierre. Je lui parle de l’éventuelle virée à Gwin Zegal. « Vous avez son numéro ? Contactez-la », me répond-t-il. Les vacances de Toussaint se font douloureusement sentir avec dans la salle du restaurant un tas de famille à moutards, le pire étant un deux ans seul avec sa mère. Une grand-mère essaie de faire choisir un fichipe à ses petits-enfants. « Fish and chips », reprend le père divorcé. Cela me saoule, au point que j’apprécie peu ce que je mange.
Je suis heureux de retrouver l’extérieur. La marée étant basse, je coupe par la Plage du Casino pour rejoindre le banc jaune au-dessus de la Grève Noire. J’y reprends mes esprits puis y prends le timide soleil avant de rejoindre le Quay des Brunes où Lisa essaie un diadème d’Allo Ouine. « Ça me va ? » me demande-t-elle. « C’est parfait, discret et de bon goût. »
Mon café bu, je retrouve Marguerite qui a toujours quelque juste réflexion à faire. L’admirable jeune homme souffre surtout du défaut qui, depuis deux siècles, caractérise la pensée de gauche : son optimisme. Comme Michelet et Hugo, il croit l’homme bon, non seulement dans sa forme mythique et originelle, mais encore aujourd’hui, et dans la rue. 
Rentré, j’envoie un texto à Cristalle. Dans sa réponse, elle me dit que ce n’est pas une obligation mais un plaisir, qu’elle en discutera avec son collègue, que ce serait plutôt le mercredi de la semaine d’après.