Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 mars 2023


Je suis en train de lire la correspondance de Marcel Pagnol au Socrate ce jeudi après-midi quand apparaît le gyrophare bleu d’un motard de la Police. Il précède une petite manifestation. C’est celle des étudiants. Ils font halte devant le Lycée Camille Saint-Saëns dans le but d’attirer à eux des élèves dudit. Aucun ne se joint au groupe qui reprend sa marche et ses slogans. Pas plus de deux cents, dont quelques professeurs.
Mardi dernier, ce fut moins calme à Rouen. La manifestation officielle terminée, celle des énervés s’est répandue dans les rues du centre-ville, causant beaucoup de dommages sur son passage, sans que la Police n’intervienne (le pouce arraché de la semaine précédente ayant peut-être donné à réfléchir). Ces violents ont finalement été dispersés du côté de la Seine.
Une poubelle brûlait encore sur le parvis de la Cathédrale quand je suis passé par là pour voir ce qui se trouvait dans la boîte à livres. Rien.
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Il y a ceux qui bandent en brûlant une poubelle et ceux qui bandent en cassant une vitre d’abribus. L’abribus, ce symbole de la société capitaliste.
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Reçu une invitation pour l’inauguration de l’exposition Normands au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Son sous-titre : Migrants conquérants innovateurs. Qualifier de migrants ces envahisseurs (assassins, incendiaires, violeurs), il fallait oser. A qui cela fera-t-il plaisir ?
 

30 mars 2023


Pour la première fois je voyage à l’étage d’un train nouveau pour aller à Paris, bien que j’aie demandé une place en bas lors de ma réservation. C’est un jour d’affluence, pour une raison mystérieuse. Ça ne change rien, mais j’ai pour voisine une femme que je pourrais qualifier de grosse au risque de heurter sa sensibilité mais en attendant, c’est elle qui heurte mon bras quand elle bouge et elle ne cesse de bouger (maquillage, grignotage, tapotage, téléphonage). Nonobstant, je poursuis ma lecture de Fille de la campagne d’Edna O’Brien. A l’arrivée à Paris, la cheffe de bord souhaite une bonne retraite et un bon anniversaire à Hervé qui est en voiture Cinq. Encore un navetteur qui nous quitte.
Le bus Vingt-Neuf qui m’emmène à Bastille est doté d’un chauffeur qui explique en détail les conditions particulières du trajet consécutives aux travaux qui empêchent de traverser le Marais. « Des questions ? Des angoisses ? », conclut-il. Oui, un n’a rien compris. « Vous ne m’avez pas écouté », se fait-il gronder.
Ma première étape est le marché d’Aligre. C’est encore un jour de sortie des livres de poche, des romans que je ne saurais acheter. Je bois un café au Camélia et arrive au Book-Off de Ledru-Rollin peu après dix heures. Les rideaux métalliques sont baissés. Une affichette annonce l’ouverture à midi pour cause d’inventaire.
Plus qu’à aller en métro à celui de la rue Saint-Martin. Il fait presque trop chaud dans son sous-sol en cette journée presque estivale. Cela nuit à ma recherche de livres à un euro. Je deviens quand même l’acquéreur de premier volume des œuvres de T.E. Lawrence chez Bouquins, celui où l’on trouve sa correspondance, puis retourne à Bastille. Face au Paris, assis sur un banc, en attendant midi, je lis.
La formule entrée plat du Paris propose mousse de foie d’oie et gigot de porcelet haricots verts. C’est tentant mais assez décevant, surtout les haricots, du surgelé d’un vert artificiel. Cela mangé, arrive celle qui travaille dans le coin avec qui j’ai rendez-vous pour le café. Durant une heure nous échangeons sur divers sujets et je lui offre les trois livres trouvés pour elle il y a peu.
Quand nous nous quittons je rejoins le Book-Off de Ledru-Rollin que je préfère le matin. J’y trouve peu, dont Gaston Maspero le gentleman égyptologue d’Elisabeth David (Pygmalion), il s’agit du grand-père de feu le libraire éditeur.
Pour rentrer, je m’installe à ma place préférée dans la voiture Cinq du train de seize heures quarante. Je n’ai pas envie de voisinage mais une femme, que je pourrais qualifier de grosse au risque de heurter sa sensibilité, me dit qu’elle a une réservation à côté de moi. « Pas possible, lui dis-je, la voiture Cinq est sans réservation. » Elle s’est trompée de voiture et part en me reprochant de ne pas être aimable. Une dame qui l’est, assise devant moi, me dit que parfois il y en a des réservations dans la voiture Cinq. « Oui, le vendredi », lui dis-je. « Pas seulement le vendredi et les lumières rouges qui le signalent ne s’allument qu’après le départ. » « Je confirme », me dit une jolie jeune fille un peu plus loin. Heureusement, ce n’est pas le cas ce jour. Je peux lire tranquillement Fille de la campagne. Par moments, Edna O’Brien m’énerve un peu, avec sa propension à se vanter de toutes les célébrités qu’elle a côtoyées. De Robert Mitchum, avec qui elle couche un soir, à Paul Mac McCartney, ramené chez elle pour qu’il chante une chanson à ses enfants.
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Pub de cul de bus : « Les gens bornés auront toujours raison ». C’est pour Zeplug (bornes de recharge pour véhicules électriques et hybrides), pas pour Elisabeth.
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Pompiers de Paris faisant leur joguigne sur la voie des bus qui doivent les contourner.
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A deux heures moins le quart, tous les jours, quand je devais apporter à mon mari son plateau d’Earl Grey et deux toasts légèrement brûlés avec un filet d’huile d’olive, je rangeais mon cahier, espérant que le chapitre du lendemain était en sécurité au fond de moi. Puis, les enfants rentrés, je faisais du pain et des gâteaux-éponge, sachant bien que l’odeur mettait de la bonne humeur, mais aussi que je ne pourrais pas vivre éternellement dans une maison faux-Tudor qui donnait sur un terrain communal noyé dans le brouillard. (Edna O’Brien, Fille de la campagne)
 

29 mars 2023


Troisième et dernière série d’extraits du premier volume du Journal littéraire de Paul Léautaud, tirée de mes notes prises lors de ma lecture à Toulon. Cela commence fort :
Vendredi vingt-quatre octobre mil neuf cent vingt-quatre (celle dont il est question est son amante, Anne Cayssac, qu’il appelle le fléau)
Ah ! oui, je l’ai secouée. Ensuite traînée sur son lit, troussée et là encore corrigée, malgré ses ongles dont elle m’a attrapé le visage et les mains. Résultat, naturellement, défense de revenir chez elle, et tous les noms prodigués. Coquine !
Samedi vingt-cinq octobre mil neuf cent vingt-quatre
J’ai une main toute déchirée et une longue ligne de griffe à une joue de la scène d’hier. Si ce n’est pas ridicule !
Lundi vingt-sept octobre mil neuf cent vingt-quatre
Femelle, qui ne s’est montrée aimable que pour les affaires de cul. Que de fois, après les pires disputes, il me suffisait de lui montrer ma queue bien raide pour l’entendre dire d’une voix mouillée : « Viens m’enfiler ! » et montrer alors la plus belle ardeur.
Dimanche premier février mil neuf cent vingt-cinq
Dîné et passé la soirée chez A… Toujours charmante, tendre, aimante. Des paroles, des regards. J’en suis touché, et j’en ris aussi, de cette aventure à mon âge. L’affaire du pucelage n’a encore pas marché. Un petit mieux, mais toujours grande souffrance et qui a même duré après. Elle-même a remis à une autre fois. Elle doit être fort étroite. Je l’ai fait mettre dans une certaine position. Elle a un tout petit sexe.
Mercredi vingt-deux avril mil neuf cent vingt-cinq
Hier soir, été couché chez A… Manque d’habitude de coucher à deux. Mal dormi. Je suis vanné. Bien failli réussir dans la fameuse opération, mais elle a poussé de tels cris, avec les voisins au-dessus, et cette petite chambre dans laquelle tout s’entend, que nous n’avons pas persévéré.
Jeudi sept mai mil neuf cent vingt-cinq
J’ai presque dép… A… ce soir à 7 heures. Je crois même pour de bon.
Dimanche dix mai mil neuf cent vingt-cinq
Visite de A… à Fontenay. Pour échapper à l’ennui, je l’emmène dîner à Robinson. Elle m’entreprend ensuite pour que je rentre chez elle. Je me suis laissé faire. Sapristi ! elle n’est du tout dép… comme je le croyais. Rien à faire devant ses cris de souffrance.
Mardi vingt-deux décembre mil neuf cent vingt-cinq
J’aurais un grand plaisir en ce moment à pouvoir dépenser une dizaine de mille francs en imbécilités.
Jeudi vingt-quatre décembre mil neuf cent vingt-cinq
Je me suis payé pour près de 250 francs de bougies d’un coup : 35 kilog. C’est mon seul luxe, cet éclairage.
Je peux ajouter, à ce que je notais précédemment d’argent dépensé sans résultat, mon dentier, en avril ou mai dernier, 500 francs, et que je ne mets jamais.
Jeudi vingt-huit janvier mil neuf cent vingt-six
Rictus passait son temps à dire qu’il ne fallait pas que la guerre cessât qu’on eût rattrapé l’Alsace et la Lorraine, mais quand commencèrent les visites des avions allemands sur Paris et les obus de la Bertha, Jehan Rictus prit sa valise et fila aussitôt se réfugier en Eure-et-Loir, bien à l’abri. Pousser la guerre aussi loin qu’il le faudrait, il entendait cela pour les autres, pas pour lui.
Dimanche vingt-six décembre mil neuf cent vingt-six
Je me rappelle Autexier, à l’école communale de Courbevoie, j’avais douze ans, lui de visage si joli, si fille, si fille aussi dans sa démarche et ses allures, – le fils d’une femme de ménage à Courbevoie aussi, j’avais quatorze ou quinze ans, qui venait souvent à la maison, ma belle-mère absente, jouant tous les deux, le pantalon tombé, et moi par derrière lui, la q… bandant, entre ses cuisses, en faisant de mon mieux le mouvement nécessaire, mais toujours dérangés par le retour de ma future belle-mère, preuve que nous n’étions ni l’un ni l’autre très habiles, car enfin dix minutes auraient pu suffire, – le petit garçon de bains, établissement rue des Quatre-Vents, 1902, 03 ou 04, par qui je me fis branler un jour, (j’avais voulu la réciprocité en même temps, qu’il avait refusée), – auparavant, je l’oubliais, quand j’étais clerc d’avoué chez Barberon, mes jeunes collègues M… et un autre dont le nom m’échappe, – mon aventure un soir, à la place de l’Etoile, aves deux petites fripouilles de gamins que je faillis bien amener chez moi rue de l’Odéon, heureusement au dernier moment je préférai les laisser en plan, après m’être laissé aller avec eux à la recherche d’un coin tranquille du côté de la Porte du Bois. Hypocrites et poltrons autant que sots ceux qui cachent cela pour leur compte et s’en indignent pour les autres ; dans les choses de l’amour, tout est possible, tout est humain et tout se vaut.
 

28 mars 2023


Deuxième série d’extraits du premier volume du Journal littéraire de Paul Léautaud, tirée de mes notes prises lors de ma lecture à Toulon:
Lundi quatorze septembre mil neuf cent huit (retour de voyage à Rouen avec Gourmont et Dumur)
Aussi remarqué que les femmes ont en général les lèvres assez charnues. Il paraît qu’à Rouen on mange beaucoup, signe d’une certaine sensualité.
Vendredi huit octobre mil neuf cent huit
Pierre Louÿs est passé au Mercure. Il a extrêmement changé, grossi, empâté, bedonnant déjà, le vrai bedon large de partout. Plus rien du beau jeune homme que nous avons connu. On lui donnerait quarante ans.
Lundi douze octobre mil neuf cent huit
Au bout de cette heure passée à réfléchir et à me dire que je vaux mieux que tous ces gens, pas abâtardi comme eux, ne coupant pas comme eux dans tous les lieux communs moraux et littéraires, idées sociales, bêtise de style, tous ces ronronnements et ces moutonneries, je me suis mis à dîner. Maintenant cela va mieux.
Mercredi sept décembre mil neuf cent dix
Saint-Pol-Roux fait circuler des imprimés demandant pur lui la Légion d’honneur. Prière de signer. Morisse m’en a présenté un ce matin. J’ai éclaté de rire.
Lundi seize septembre mil neuf cent douze
C’était la fin d’octobre, le commencement de l’hiver, le soir, dans une sorte de brume. Elle se prêtait très bien à tout. Finalement, je la fis se lever. Elle se pencha en avant sur des charpentes entassées, s’appuya là des deux mains, et moi derrière elle, l’ayant retroussée, je l’enfilai très agréablement.
Mercredi trente octobre mil neuf cent douze
Je réfrige à beaucoup de choses.
Vendredi vingt-huit mars mil neuf cent treize
Que de jolies femmes j’ai vues passer, pendant ma pose rue Rochechouart à attendre Billy ! Cela me ferait tout de même plaisir, de connaître une jolie femme. Seulement, voilà ! Je ne suis pas beau, à leurs sens.
Lundi onze août mil neuf cent treize
Je pense, depuis quelques jours, que Rousseau et après lui Chateaubriand ont fait beaucoup de mal à la littérature. C’est d’eux que nous viennent tous nos phraseurs. Ils ont ôté le naturel dans le style comme dans les sentiments. (…)
Je veux dire exactement : la tragédie, la tragédie de Corneille et de Racine, surtout, a abîmé notre théâtre en y introduisant la déclamation. Eh ! bien, Rousseau et Chateaubriand ont abîmé notre littérature en y introduisant la déclamation. Un écrivain qui déclame, rien n’est plus méprisable.
Vendredi trente et un décembre mil neuf cent vingt
J’ai bien fini l’année. Je suis allé ce soir à la chocolaterie Debauve et Gallais, rue des Saints-Pères, acheter du chocolat pour moi et quelques gourmandises pour les enfants de mon voisin Poinçon, chez qui vit, à son gré, mon chat Cendré. Dépense de 10 frs 80. Il y avait queue à la caisse. Ces choses sont chères. Ces gens gagnent un argent fou. Ma foi ! je suis parti sans payer.
Samedi vingt-neuf juillet mil neuf cent vingt-deux
Le physique compte pour un homme et on ne peut pas être un poète de talent avec le physique d’Ernest Prévost qui a le visage d’un comptable d’hospice de vieillards.
Dimanche treize mai mil neuf cent vingt-trois
Il dit qu’elle est très processive, elle en a donné des exemples, et qu’elle n’aurait pas raté le procès s’il y avait eu matière.
Mercredi seize avril mil neuf cent vingt-quatre
Je me rappelle ce soir, dans ma chambre, rue Monsieur-le-Prince, qu’ayant envie de faire l’amour, et moi ne pensant qu’à dormir, elle se mit à la tête du lit, à cheval sur ma figure, et me mouilla ainsi tout le visage en me promenant dessus son con qu’elle avait tout mouillé de désir. Elle n’en obtint pas davantage. Comme je l’apprécierais aujourd’hui et elle aurait un autre amant, à mes cinquante-trois ans, que celui qu’elle avait quand j’en avais dix-neuf.
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Une attention particulière pour les mots « processif » (qui aime à intenter, à prolonger des procès) et « réfriger » (on en devine le sens mais on ne trouve aucune autre occurrence quand on fait une recherche sur Internet).
 

27 mars 2023


Des notes prises à Toulon, lors de ma lecture du premier volume du Journal littéraire de Paul Léautaud, il est temps que je partage certaines :
Huit mai mil neuf cent trois
Je m’en aperçois de plus ou plus : une seule chose m’intéresse : moi, et ce qui se passe en moi, ce que j’ai été, ce que je suis devenu, mes idées, mes souvenirs, mes projets, mes craintes, toute ma vie. Après cela, je peux tirer la ficelle. Tout le reste ne m’intéresse que par rapport à moi.
Samedi soir quatre juin mil neuf cent quatre
Université Populaire. Il n’y a pas moyen de travailler dans ce petit coin dont je dispose à l’Université. Il me faut entendre vociférer, à trois mètres de moi, tous ces « camarades », tous ces « compagnons », tous ces « citoyens », appellations à vomir.
Vendredi neuf septembre mil neuf cent quatre
Je songe aussi que j’ai un grand défaut, et grave en cette sorte de choses : je ne donne pas de plaisir aux femmes, ayant fini en cinq minutes et ne pouvant recommencer.
Jeudi seize mars mil neuf cent cinq (à propos d’Hugues Rebell)
J’ai dit qu’il était excessivement pervers. Ainsi, il avait une chatte. Il s’était mis à la masturber. Si bien qu’à la fin, cette chatte ne le quittait plus. Cela alla bien quelque temps, puis cela assomma Rebell. La chatte n’en était pas moins exigeante ; ce fut alors le valet de chambre qui dut s’occuper d’elle. Quand elle se montrait amoureuse, Rebell appelait le valet de chambre : « Jean, lui disait-il, masturbez la chatte » tout comme il aurait dit : « Jean, donnez-moi mon chapeau. » Et le domestique remplissait son office, avec un crayon taillé soigneusement à cet effet.
Samedi vingt-six août mil neuf cent cinq (avec Rémy de Gourmont)
Nous parlons du manque de comique dans le théâtre actuel, des raisons de ce manque de comique, qui sont la manie qu’on a de vouloir enseigner, éduquer, moraliser, exposer une thèse, etc., le dogmatisme grossier qu’ont tous les auteurs, leur manque de légèreté d’esprit.
Mercredi treize décembre mil neuf cent cinq
Elle a une douzaine d’années. On lui avait mis des tas de linge dans son corsage. Cela lui faisait une petite poitrine, assez bien portante même. Elle était charmante, et je le lui ai dit, en lui tâtant, en riant, les proéminences fictives de son corsage.
Mardi dix-neuf décembre mil neuf cent cinq
Quant à la petite Paule, qui a maintenant treize ans, une petite merveille d’élégance et de distinction et de joliesse. J’ai demandé ses jours de promenade pour aller la voir. On n’a pas pu me renseigner précisément.
Dimanche onze février mil neuf cent six
J’ai à écrire par exemple qu’une femme s’est branlée. Voit-on exprimer cela par : elle se caressa intimement… ou : elle promena un certain temps un de ses doigts… c’est puéril et ça ne veut rien dire. Le terme masturber ? C’est presque vouloir faire de l’effet, et c’est ce qu’il faut surtout éviter, l’effet, quand on écrit des choses vives et réellement arrivées, et qu’on ne veut surtout que raconter.
Jeudi douze août mil neuf cent six (avec Rémy de Gourmont)
Nous avons bavardé « mauvaises mœurs », – c’est son mot, – moi lui racontant mon histoire de petites filles, un soir, rue Monge, l’une d’elle un rouleau de papier à la main qu’elle tenait d’une façon significative, m’invitant à les suivre dans une rue obscure voisine, ce dont je me gardai bien, par manque de goût, devinant aussi la suite : les parents surgissant pour vous faire chanter, mon histoire de jeunes garçons, un soir, place de l’Etoile, courant 1904, que je suivis jusqu’à une allée à l’entrée du Bois, pour me défiler sitôt arrivé là. Lui, me racontant l’histoire d’une gamine de huit ans, sœur d’une « fille » qu’il connaissait, ladite gamine très avancée, demandant toujours un homme à sa sœur, et celle-ci ayant dit à Gourmont : « Elle veut absolument qu’on le lui mette. J’aime autant que ce soit toi qui l’aies. Si tu veux, je l’habillerai gentiment et je te l’amènerai. » Cela avait été convenu, puis l’affaire n’eut aucune suite.
Mardi sept janvier mil neuf cent huit
Le surnom de Mme K…, du temps qu’elle couchait avec tous les jeunes poètes : L’Anthologie. C’est Larguier qui me l’a dit ce soir au Mercure.
Mercredi douze avril mil neuf cent huit
Nicolardot vrai bohème, toujours malpropre, parasite de Barbey d’Aurevilly, grand baiseur.
Il logeait dans un grenier, dans la même maison qu’un bordel, rue des Ciseaux. Tous les matins, sitôt réveillé, il faisait monter une fille et l’enfilait. C’était le début de sa journée. Il s’offrait aussi de temps en temps une porteuse de pain. Il assurait que rien n’était plus facile. On les avait toutes pour un « petit noir » (café). Il paraît que c’était vrai. Quand il en entendait ou voyait une, il l’appelait et l’enfilait là, sur son palier. Tous deux redescendaient ensuite siroter un « petit noir ».
Dimanche six septembre mil neuf cent huit
Il y a encore des sots qui coupent encore dans des phrases sur l’armée, le drapeau, la patrie. Ces idées sont aussi malfaisantes que les idées religieuses. Je ne sais pas si le métier d’officier n’est pas encore plus bas que celui de prêtre ou de magistrat. Alors que tout être aspire à la liberté, se faire volontairement esclave, machine à obéir. Le besoin de dominer est aussi bas que le besoin d’être dominé.
 

25 mars 2023


Ce jeudi vers quatorze heures alors que je veux rejoindre Le Socrate pour mon café lecture, j’apprends que ça chauffe dans les rues de Rouen. Une partie des manifestants que j’ai entendus passer rue de la Rép en fin de matinée se retrouve face à la Police après avoir quitté l’itinéraire officiel.
Je ne suis plus à un âge où on peut soudain se trouver face à une foule qui déboule poursuivie par les Céhéresses sans craindre pour son intégrité, plus à un âge où lorsqu’on tombe on se relève sans dégât. Je reste donc aux abris, apprenant plus tard dans l’après-midi que c’est le bazar un peu partout en France et que précisément à Rouen une manifestante a eu le pouce arraché par une grenade de désencerclement.
Macron avec son Quarante-Neuf Trois et ses déclarations méprisantes de la mi-journée mercredi a mis le feu aux poudres (comme on dit). Tout ça pour une loi qui ne résoudra rien. Lui qui ne cesse de répéter « Il faut prendre son risque » n’a pas voulu courir celui d’être perdant lors d’un vote à l’Assemblée. Prendre son risque oui, seulement quand on en sûr de gagner.
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A partir de dimanche, il devait recevoir Charles le Troisième, Roi d’Angleterre, à Versailles (le bon duo au bon endroit). Le lendemain, Sa Majesté devait prendre un Tégévé pour Bordeaux. Qui, chez les cheminots ou autres, n’aurait pas songé à le bloquer ? La visite est reportée.
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Sur une échelle de un à dix, mon rejet de Macron variait selon les périodes entre six et huit. Maintenant, il est à dix. Définitivement je pense.
 

24 mars 2023


Ce mercredi vers onze heures et demie, tandis qu’il pleut un peu sur la Fontaine des Innocents en travaux, j’entre à l’intérieur du Boulinier des Halles. J’inventorie les bacs Arts, Théâtre Poésie et Biographie, tous en désordre. Beaucoup des livres sont sales. J’en trouve deux propres, à deux euros cinquante l’un : Représailles, journal de guerre de Raymond Guérin (Finitude) et Le Livre de cuisine d’Alice Toklas (Editions de Minuit).
Je pourrais ensuite aller déjeuner comme à l’accoutumée chez Café Vigouroux car on n’y trouve pas d’écran accroché au mur (aucun risque que la tronche de Macron causant avec les journalistes ne puisse me couper l’appétit), mais cela fait longtemps que je n’ai pas mangé chinois (comme on dit). Aussi vais-je jusqu’à ce petit restaurant nommé China, rue de la Verrerie, avec buffet à volonté.
« No Limit », est-il écrit sur sa vitre. J’y ai dîné autrefois avec celles qui me tenaient la main, sans penser alors qu’un jour j’y serais seul. Le repas est à douze euros cinquante, la clientèle internationale et ouvrière. Trois fours à micro-ondes sont à disposition. Il faut être un bon stratège pour ne pas avoir à attendre son tour.
Mon addition réglée, je marche, pas loin, jusqu’au Book-Off de Saint-Martin et descends au sous-sol. Dans les livres à un euro, je fais ma recherche. On ne saurait confondre L’Attrape-cœurs et L’Arrache-cœur, Salinger avec Boris Vian, dis-je à deux jolies filles qui attribuent le second au premier. Finalement, elles désirent lire les deux mais, pas de chance pour elles, aucun n’est là. De mon côté, je remonte avec Les Boutiques de cannelle de Bruno Schultz (L’Etrangère / Gallimard) et trois livres à offrir.
Je rejoins avec le métro Quatorze et mes pieds (heureusement, il ne pleut plus guère), le Book-Off de Quatre Septembre. Les amas d’ordures sont toujours là, de plus en plus vastes, que je dois contourner. Le Déplaisant est également là. Je le contourne et pose mon sac derrière le comptoir sans lui demander l’autorisation. Si trois quarts d’heure plus tard je ne ressors pas bredouille, c’est grâce à Lettres à une jeune fille de Joë Bousquet (Grasset).
Dans la voiture Cinq du train de mon retour à Rouen, sans voisinage immédiat, je poursuis ma lecture de Fille de la campagne d’Edna O’Brien. Sur la couverture de ce Livre de Poche une photo d’elle jeune et jolie, la clope au bec. Ce sont ici ses souvenirs. Au détour d’une phrase sur un roman qu’elle lit au temps de sa jeunesse Seule, à Boulogne-sur-Mer, elle retrouve alors le fringant capitaine Levison, dont elle s’était jadis follement éprise., je me projette dans un avenir proche, du moins j’espère.
 

23 mars 2023


Sous le parapluie, je rejoins la Gare de Rouen ce mercredi. A l’arrivée, je le range dans le fourreau en plastique un peu déchiré qui m’a été remis il y a des années à New York à l’entrée du Mémorial du Onze Septembre (la pluie venait de cesser quand j’y arrivais) et le case dans mon sac à dos à un endroit où il ne fuitera pas sur mes futurs achats.
J’ai la chance de ne pas avoir de voisinage immédiat dans la voiture Trois du train de sept heures vingt-quatre pour Paris. J’ai pour compagnie Fille de la campagne d’Edna O’Brien et je ne suis pas le seul à lire. Peu avant Mantes-la-Jolie, je vois sur une petite usine une banderole qui rappelle que la retraite, c’est à soixante ans. Il ne pleut pas encore quand j’arrive dans la capitale.
Pour me donner une chance de parcourir le marché d’Aligre au sec, je délaisse le bus Vingt-Neuf au profit du métro. Par la Quatorze je rejoins Madeleine où je récupère la Huit. Au moment où les portes de ce Huit se ferment, un homme surgit en courant d’un couloir pour s’y engouffrer et renverse une femme sur le quai. Elle crie. « J’suis pressé », se justifie-t-il. Cela se passe dans mon dos. L’homme assis en face de moi, un immigré, commente : « Sauvage. Même en France. Il s’est même pas excusé. Il est dans le train. Sauvage. » Cette jeune femme, toute menue, va s’asseoir sur un siège coloré de la station. D’autres femmes l’entourent à qui elle fait signe que ça va. Elle pleure.
La rame restée à quai par la faute de ce blaireau finit par repartir. Il pleuviote quand je sors à Ledru-Rollin. Les deux marchands de livres ont installé les barnums. Chez Emile je trouve Charlotte Delbo Un témoin écrivain et dramaturge, ouvrage collectif sous la direction de Catherine Douzou et Jean-Paul Duffet, livre en français édité en Italie par l’Universtà degli Studi di Trento, dipartimento di Lettere e Filosofia, deux euros.
Je dois ressortir mon parapluie lorsque je rejoins Le Camélia pour un café comptoir. Dans Le Parisien du jour une écologiste dit que parfois Mélenchon fait sa Tatie Danielle.
Mon parapluie remballé, je rejoins Book-Off un peu plus haut juste avant son ouverture. Parmi les livres à un euro que je mets dans mon panier : Souvenirs d’Elisabeth Vigée Le Brun (Tallandier) et Ecris-moi vite et longuement Lettres à Véronique Campion de Françoise Sagan (Stock).
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Dans les trains du mercredi, avant la Guerre du Covid, je voyais toujours des lecteurs du Canard Enchaîné. Désormais, plus aucun. Le volatile perd ses plumes.
 

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