Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 juin 2022


Entre les bourgs de Daoulas et d’Hôpital-Camfrout se trouve une commune moins connue, Logonna-Daoulas. C’est là où je me rends ce mercredi avec le car du Faou, malgré le risque d’averses et l’impossibilité de savoir si le restaurant La Grignotière est ouvert ou non. Par prudence, j’emporte de l’eau et une banane, le minimum pour survivre en milieu hostile.
Le car BreizhGo numéro Trente-Deux me dépose devant une maison couverte d’une fresque représentant un bord de mer idyllique. Elle a été peinte par un artiste brestois nommé Guillaume Duval. Je la photographie puis prends la rue principale et trouve bientôt La Grignotière d’où sort la patronne avec une quantité de bouteilles vides à jeter. Je retiens une table pour midi puis découvre quelques jolies maisons à hortensias et l’église.
Quand je reviens à mon point de départ, une caravane est garée devant la fresque, celle d’O’Barber. L’homme au rasoir espère la clientèle des néo barbus de Logonna-Daoulas. Pour ma part, je désire aller jusqu’au port de Moulin Mer et je constate que je ne peux le faire que par la route. Aucune averse n’étant en vue, je me lance dans cette marche assez désagréable. De plus, ça monte et ça descend.
Quand j’arrive au port, je vois qu’il est peu de chose et jouxté d’une école de voile. De l’autre côté du bras de mer mais inatteignable, car privé, est l’ancien moulin qui donne son nom à l’endroit. Ne pouvant aller plus loin, je m’assois sur un banc face à l’immensité marine et fais mon Philippe Katherine Non mais laissez-moi manger ma banane.
Une animatrice du cleube de voile me confirme qu’il est impossible de retourner au centre de Logonna autrement que par la route. Je marche à nouveau au bord du bitume avec face à moi un arc-en-ciel indiquant une averse lointaine.
De retour dans le bourg, je bois un café à l’une des deux tables de trottoir du Celtic, un bar tabac sinistre tenu par une aimable dame. Il ne coûte qu’un euro trente-cinq. Sitôt terminé, je vais lire sur le banc d’un terrain public négligé.
Une averse se déclenche vers onze heures quinze. Je me refugie pour un autre café dans la salle de bar de La Grignotière, non moins déprimante que celle du Celtic.
A midi, la patronne au sourire timide me fait passer dans une salle d’une tristesse encore plus grande où je suis rejoint par un jeune ouvrier à demi de bière et par un duo de quadragénaires, deux habitués qui ont droit à un pot de moutarde, cette rareté, et ne se disent pas un mot. Une autre salle est réservée à un groupe de vieilles et de vieux.
Pour accompagner mon repas, la patronne m’apporte une bouteille de bordeaux Château Lamothe. C’est d’abord une assiette variée : tartelette aux herbes, pâté, surimi, melon, puis un bon émincé de volaille à la crème avec pommes sautées. Pour le dessert, le minimum est de mise : fruit, glace ou fromage, enfin un café. Je paie quatorze euros quarante, ce prix incluant mon café d’avant déjeuner.
« Allez-y monsieur c’est gratuit », me dit le chauffeur du car de retour. Je remets le ticket dans ma poche et ne peux l’utiliser pour descendre la rue Jean-Jaurès en tram. A pied, ça fait une trotte et, même sans vent, il me faut une vingtaine de minutes.
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J’ai déjà eu droit au « Allez-y monsieur c’est gratuit » l’an dernier dans le Sud Finistère. Il s’agissait pour les chauffeurs d’afficher un mécontentement après affectation sur une ligne qui ne leur convenait pas.
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« Juillet août, le GR, c’est l’autoroute des touristes. » (le chauffeur du car de l’aller)
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« J’embrasse plus, y a recrudescence. » (l’une des vieilles du repas commun, lors de son arrivée à La Grignotière)
 

29 juin 2022


Nous ne sommes que trois passagers ce mardi matin dans le car BreizhGo numéro Trente-Deux ayant quitté Brest à sept heures cinquante-cinq avec pour terminus Le Faou. J’en descends dans le bourg précédent, Hôpital-Camfrout, où coule le Camfrout qui se jette dans la mer au bout là-bas. Une jolie petite église, Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, et une maison bâtie sur la roche sont deux autres de ses curiosités.
Mon idée est de suivre le Camfrout, présentement à marée basse, en direction de son embouchure. Rien n’indique que ce soit possible. J’essaie rive gauche mais ne peux aller loin. Rive droite, après avoir marché sur la route durant deux cents mètres, je trouve le chemin espéré. Une pancarte indique « Château de Rosmorduc 45 mn Anse de Kernisi 1 h Moulin Mer 1 h 30 ». Allons jusqu’au château, me dis-je.
Ce n’est pas si facile car le sentier est parsemé de pierres et présente des hauts et des bas. De plus il n’est pas fléché, ce qui me conduit sur une mauvaise voie. Un amoncellement de rochers, au-dessus duquel un pneu est pendu en signe d’avertissement, m’empêche d’aller plus loin,
Revenu sur mes pas, je remarque une grossière flèche rouge que j’avais ratée. Elle invite à prendre sur la gauche au plus près du cours d’eau, lequel est agrémenté d’épaves très photogéniques. Après un promontoire rocheux, un escalier un peu raide me fait descendre au niveau du fleuve puis j’arrive à un autre qu’il faut monter et ensuite il faudrait descendre parmi des pierres. A mon âge (comme on dit), cela me semble dangereux.
Aussi je rebrousse et m’assois sur le banc du promontoire. A ma droite, au loin, je devine Moulin Mer et ses bateaux amarrés. A ma gauche, tout aussi loin, j’aperçois l’église et le restaurant que je vise pour midi. Personne d’autre que moi sur ce chemin, aucun humain n’y vient avec son chien ou pour courir.
Quand je retourne au bourg, l’église est ouverte sur le côté par une porte qui m’oblige à me baisser pour y entrer. J’en fais prudemment le tour, cela manque de lumière.
Ressorti, je réserve pour midi à l’Auberge du Camfrout puis bois un café à un euro quarante au bar tabac d’à côté, La Gabare, tenu par un jeune couple. L’ambiance y est meilleure qu’au Fontenoy du Folgoët mais la même radio médiocre s’y fait entendre, ce qui finit par nuire à ma lecture.
L’Auberge du Camfrout est un restaurant ouvrier avec menu tout compris à treize euros quatre-vingt-dix : buffet d’entrées, vin à volonté, trois plats au choix, dessert en libre-service et café itou. J’opte pour le lapin chasseur et comme je convoite une crème brûlée je demande au patron s’il ne faudrait pas que je m’en empare dès à présent. « Les pros de l’ouvrier prennent leur dessert en arrivant », me répond-il.
Ici, j’ai droit à ma table personnelle, avec vue sur Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Les travailleurs mangent à des tables de deux ou quatre. Ils sont peu nombreux. A peine la moitié de la salle est occupée, alors que c’est bien meilleur qu’à La Duchesse Anne du Folgoët (le travail n’est pas toujours au bon endroit). L’addition réglée avec remerciements, je vais attendre le car du retour.
Il est bien plus chargé qu’à l’aller, essentiellement des jeunes, aussi j’y mets mon masque. Son terminus est près du haut de la rue Jean-Jaurès (que Miossec dans sa chanson qualifie d’avenue, elle le mérite). Et comme dans sa chanson, il y souffle un sérieux vent.
Mon logement Air Bibi est près du bas de cette rue. Ayant récemment appris que mon ticket BreizhGo me donne droit à une correspondance avec Bibus, je descends la rue (avenue) Jean-Jaurès en tram (cette information m’aurait été utile quand j’habitais Recouvrance et que je me suis fadé toute la rue de Siam à pied bien des fois).
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Sur le trajet, à Logonna-Daoulas, en lettres capitales sur un transformateur : « Volutes par temps fumé ».
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Hôpital-Camfrout ou L’Hôpital-Camfrout, l’un ou l’autre se dit ou se disent.
 

28 juin 2022


L’averse vient de cesser lorsque je descends ce lundi matin tôt du car BreizhGo numéro Vingt et Un devant le cimetière du Folgoët, petit bourg situé juste avant Lesneven, connu et reconnu pour sa Basilique Notre-Dame dont la plus haute tour atteint les cinquante-trois mètres. C’est vers ce monument démesuré que je me dirige alors que le ciel devient partiellement bleu.
J’en fais le tour et quelques photos, ainsi que de ses annexes : calvaire, statue, presbytère. Puis je vais voir, de l’autre côté de la route, la Chapelle des Pardons. Celui du Folgoët est le deuxième en importance. Il a lieu le premier dimanche de septembre. Près de cet édifice se trouve une mignonne bibliothèque municipale, bien sûr fermée à cette heure.
J’aimerais trouver un chemin allant dans la campagne, mais non, alors je me résous à un café à l’intérieur du Fontenoy qui n’a pas de terrasse, ni de concurrence. Il est à un euro quarante et pollué par une radio médiocre. Je lis malgré tout Lettres à sa femme du divin Marquis jusqu’à dix heures et demie.
Revenu à la Basilique, je vais voir les apôtres en pierre usée sous le porche puis je visite l’intérieur peu vaste au renommé jubé. J’admire aussi les vitraux. Une vierge à l’enfant bien kitsch me ravit. En sortant, je réserve une table à côté, à La Duchesse Anne. Sur l’une des vitres, il est écrit en gros « Restaurant ouvrier ».
En attendant midi, pas d’autre choix que de retourner au Fontenoy pour un second café verre d’eau et y lire pendant que certains comatent devant un verre de vin ou de bière au comptoir.
Restaurant ouvrier, La Duchesse Anne l’est, un peu trop à mon goût, car ici pas question quand on est seul d’avoir sa table à soi. On me case d’office à une table de quatre où je suis rejoint par un autre retraité puis par un troisième, du moins cet homme en a-t-il l’âge, mais je découvre qu’il travaille encore, chauffeur livreur de métaux. « Je n’aime pas laisser du cuivre sur mon camion quand je déjeune, nous dit-il, le plus souvent je m’arrange pour le livrer le matin, là il est bien planqué ».
Dans ce restaurant communautaire, on paie en arrivant, quatorze euros tout compris, puis il y a buffet d’entrées nombreuses et variées, vin ou limonade à volonté. Trois plats du jour sont proposés mais quand c’est mon tour il n’y a déjà plus de bœuf carotte. Refusant le cordon bleu, je me contente des boulettes de bœuf avec des pommes de terre, cela cuisiné médiocrement. Ensuite je choisis au hasard un dessert sur le plateau qui passe. Un café et je me tire de là.
Bien heureux si en plus, dans cette foule de prolétaires, je n’ai pas chopé le Covid. Lui aussi est en libre-service, et à nouveau disponible partout.
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Dans le car de l’aller montent à chaque arrêt des simplets des deux sexes, dont certain(e)s ont des gestes incontrôlés. Tou(te)s descendent à Plabennec pour retourner en institution durant la semaine, je suppose.
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Le Folgoët est aussi réputé pour ses hortensias. C’est leur moment.
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Il y a bien sûr les Déménageurs Bretons, il y a aussi les Ramoneurs Bretons, et il y a encore les Echafaudeurs Bretons.
 

27 juin 2022


Peu de cars BreizhGo circulent le dimanche. Heureusement, le Brest Quimper est de ceux-là et s’arrête au Faou, mon objectif du jour. Avant l’heure de son départ, j’achète deux pains au chocolat pour deux euros vingt près du marché et vais les consommer avec un allongé à un euro soixante au Café de l’Océan, le seul déjà ouvert, dont le mobilier semble provenir de chez Emmaüs. Le patron s’appelle Alain, il a soixante-dix-sept ans, comme je l’apprends d’un homme qui le félicite d’être encore là, « avec tout ce que tu as vécu ». La clientèle est essentiellement composée des commerçants du marché, pas pressés d’aller bosser. La femme d’Alain apparaît, aussi âgée que lui et cheveux en bataille. Elle fait du rangement et l’aide à servir. Tout est tranquille jusqu’à ce que soudain elle se mette à hurler après son mari qui a dû lui faire une remarque que personne n’a entendue. Une cliente disant un peu haut ce qu’elle pense de cette femme se fait à son tour agresser verbalement par celle qui ressemble de plus en plus à une méchante sorcière. Le pauvre Alain se prend la tête à deux mains en disant « Oh la la ». « Je peux bien servir toute seule », crie encore l’énervée, puis le calme revient.
Le car numéro Trente et Un part à neuf heures trente. Il passe le pont de l’Iroise, frôle Plougastel puis arrive à Daoulas où il est bloqué par des vaches. Celles-ci salissent le bitume de leurs déjections tout en étant lavées à grande eau par leurs propriétaires. C’est aujourd’hui la Fête de l’Elevage. Après négociation, le chauffeur est autorisé à frôler le bétail à petite vitesse. Vient ensuite la charmante bourgade nommée L’Hôpital-Canfrout puis c’est Le Faou où je descends, place des Foires, devant la Mairie.
J’ai peu à parcourir pour atteindre la Grand Rue qui vaut à ce bourg le titre de « Petite Cité de Caractère ». Beaucoup de ses maisons sont remarquables. La plupart sont à pignon, étroites et longues. En bas de cette rue est l’église Saint-Sauveur, elle aussi remarquable,  sous son porche les statues en bois colorées des douze apôtres, à l’intérieur une belle descente de croix et une cuve baptismale aux serpents unique en Bretagne. Près de cette église est le fond de la ria de la rade de Brest dite « rivière du Faou ». Elle est à sec, en raison de la marée basse. Je m’assois néanmoins sur un banc face aux quelques bateaux posés sur la vase.
Aujourd’hui le temps se maintient (comme on dit). Cela me permet de déjeuner en terrasse au restaurant Saveurs des Halles, face aux belles demeures à pignon ardoisé du haut de la Grand Rue, d’une bonne andouillette à la moutarde ancienne accompagnée de délicieuses frites maison à douze euros cinquante et d’un quart de saint-nicolas-de-bourgueil à six euros soixante puis je vais prendre un café à un euro quarante à la terrasse du Café du Centre près de l’arrêt de car, afin de ne pas louper celui de treize heures vingt-six.
Il arrive de Quimper avec une étonnante ponctualité et file sur Brest directement par la deux fois deux voies ce qui évite toute nouvelle rencontre avec des bovins.
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C’est la première fois depuis mon arrivée dans le Finistère que j’entre dans un édifice religieux. Première fois aussi ce jour que j’entends dire un « Kenavo ». Par une femme à un certain Michel, à qui elle dit aussi « On n’est pas payé cher mais qu’est-ce qu’on rigole bien », ce qui donne une idée de son âge.
 

26 juin 2022


Ce samedi, des averses sont au programme sur la pointe bretonne. Je prends quand même le car BreizhGo numéro Vingt et Un pour Lesneven, petite ville de l’intérieur, dans le pays de Léon. J’y arrive sous une éclaircie qui me permet de marcher tranquillement jusqu’à son centre constitué de deux places, celle de la Mairie Château et celle de l’église Saint-Michel.
Cette dernière est entourée de commerces. Il y trône une statue du Général Le Flô qui fut ami de la Russie et porte à son bras les couleurs de l’Ukraine. Une scène a été installée devant l’église car ici, la Fête la Musique, c’est le samedi suivant le solstice d’été. Au programme, « folk celtique » puis « rock punk ». Et dimanche, c’est le Carnaval, qu’ailleurs on organise en février.
Ayant vu ce qu’il y avait à voir, dont quelques maisons typiques et un grand nombre de boulangeries pâtisseries, je bois un premier café à la terrasse ventée du Bistrot de Lesne (un euro quarante) puis un second (même prix) à la terrasse couverte du Café Breton, le concurrent d’en face.
Le restaurant sur lequel je comptais pour midi étant en vacances, je me rabats sur Benny Bakers, un snack face à la Mairie, où tout est fait maison, m’assure le patron. J’y déjeune d’un fish and chips honorable à treize euros, accompagné d’un quart de vin blanc à quatre, puis retourne à ce qui est pompeusement appelé la Gare Routière afin d‘attendre le car de treize heures pour Brest. Elle jouxte le cimetière, lequel est dominé par une élégante chapelle.
De la jeunesse des deux sexes prend également le car, désireuse de fuir, au moins le temps d’un l’après-midi, ce lieu où elle doit vivre. Autrefois, Auguste Le Breton et Pétillon (parents boulangers) y sont nés.
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A Lesneven, on trouve aussi un salon de coiffure nommé C’est dans l’Hair, un local Info Jeunes à l’angle duquel est une caméra de surveillance, des conversations de déprimé(e)s chroniques « y a pas grand-chose de bien à la télé ce soir » ; cette ville pourrait être jumelée avec Louviers (ville natale).
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Lesneven, ça rime avec vain, pas avec veine.
 

25 juin 2022


Le temps est encore une fois incertain (comme on dit) ce vendredi matin et la pluie annoncée pour l’après-midi. Cependant, je ne renonce pas à monter dans le car BreizhGo numéro Trente-Quatre qui relie Brest à Camaret-sur-Mer en faisant le tour de la rade.
Aller au bout de la presqu’île de Crozon est l’occasion de passer par une succession de bourgs attrayants : Le Faou, Argol, Telgruc-sur-Mer et Crozon. Après ce dernier, c’est la descente sur le port de Camaret où est le terminus.
Quand je quitte le car avec mes quelques compagnons de voyage, le ciel est en grande partie bleu. Je retrouve avec plaisir cette jolie ville de bord de mer où mon dernier passage date de mai deux mille vingt et un, lorsque je villégiaturais à Quimper.
Je vais revoir de près sur le Sillon le cimetière de bateaux, la chapelle Notre-Dame-de-Rocamadour et la tour Vauban.
A midi, comme la fois précédente je trouve une table avec vue sur ces curiosités touristiques sous l’auvent du restaurant A l’Abri du Kraken. L’équipe y est toujours jeune et aimable. Le menu encore à dix-sept euros : tapas, dessus de palette sauce fourme frites maison et far breton. Le quart de merlot est passé de quatre euros vingt à quatre euros quarante mais il a gardé son goût bizarre.
A la table voisine déjeune un couple de quinquagénaires enthousiastes. Leur propriétaire, qui est venue manger ici, leur a recommandé le fish and chips. C’est comme un beignet trempé dans la friture, c’est pas commun, alors tant qu’à faire. « J’espère que vous n’allez pas être déçus », commente sobrement le serveur.
Pendant que je savoure mon dessert pléonastique des gouttes se font entendre sur le toit de toile. Le café est toujours à un euro cinquante mais je choisis d’aller en boire un au même prix à la terrasse couverte du Cocoon où je peux lire les lettres que le Marquis écrivit à sa femme. Pas question cette fois-ci de revoir les alignements de Lagat-Jar et les ruines du manoir de Saint-Pol-Roux.
-Et c’est jusqu’à quand cette flotte ? demande le patron.
-Attends je regarde, lui répond le serveur. « La pluie se termine dans trente et une minutes ».
La pluie ne cesse pas, dont les principales victimes sont les randonneurs à pied ou à bicyclette. Quand je quitte le Cocoon, c’est pour me rapprocher de l’arrêt du car. Plutôt que d’entrer au bistrot librairie La Terrible, tenu par deux jeunes femmes et qui n’était pas là à mon dernier passage, je m’assois à une table en terrasse sous l’auvent du bar tabac La Chaloupe où la convivialité n’est pas obligatoire.
                                                                 *
Sur la route du car Landévennec et Roscanvel me rappellent le temps de l’amour avec elle et avec elle.
 

24 juin 2022


Ciel gris ce jeudi au réveil et mouillasse au menu. Muni de mon vêtement de pluie, je me rends chez Baguette et Tradition puis au Vauban. Il est huit heures et demie et j’en suis encore une fois le seul client. Si je ne compte pas un chef cuisinier qui s’épanche au comptoir. Il y a eu une grosse bourde hier dans son restaurant. On a pris un groupe pour un autre et quand ce dernier s’est présenté, le menu réservé avait été mangé. La responsable de l’erreur refuse de la reconnaître, c’est ça qui est insupportable. Il en a gros. Dalida essaie de détendre l’atmosphère avec Itsi bitsi petit bikini.
Vers dix heures et demie, alors que je ressors de mon logis provisoire avec l’envie de descendre au Port, la mouillasse se transforme en grosse pluie. J’entre une nouvelle fois au Vauban, y prends un café et poursuis ma lecture de Lettres à sa femme du Marquis de Sade. Elle en a du mérite cette femme à supporter les jérémiades de son divin mari. Il faut dire que lui est malheureux dans la prison où on le maltraite. Tout cela pour « une partie de filles ». Un ou deux clients sont au comptoir ainsi que le patron qui fait le point avec son personnel du matin sur la Fête de la Musique : « On a vidé tous les fûts, les fûts du bar et les fûts de la salle de concert, y avait plus rien, et ils sont partis avec tous nos verres. L’année prochaine, il faudra les servir avec des verres qui sont pas à nous. »
A midi, il pleut peu. Dans l’espoir de trouver un restaurant à mon goût, je monte au quartier Saint-Martin mais ce ne sont que dînettes pour vertueux (l’une affiche son opposition à l’éolienne, laquelle ?). Les mangeoires à grandes tables du carrefour Liberté Quartz ne peuvent davantage me retenir. Je me retrouve au Bistrot de P’tit Louis, assis à ma table du matin, pour un menu complet à dix-neuf euros cinquante : « Fraîcheur de maquereau et truite bretonne, crème brûlée d’oignon rosé » « Tourte de veau et volaille marinée au pinot gris, salade de haricots verts et tomates pleine terre » « Tartelette à la rhubarbe et compotée de fraises ». Dans la tablée voisine on a une discussion de collègues : «  L’autre jour, j’étais en formation de relationnel… »
« Vous avez voulu tester ? », me demande le patron qui me voit boire un allongé le matin à cette table. « Disons que c’est la pluie qui m’a retenu ici. » J’ajoute que c’était bon. Il ne faut pas vexer les gens. D’ailleurs ça l’était, le bémol étant la quantité. La tartelette disait la vérité mais la tourte aurait dû s’avouer demi-tourte.
                                                                  *
J’entends qu’une grosse majorité de Français sont satisfaits du nouveau visage de l’Assemblée Nationale. Elle leur ressemble, paraît-il. Quand on voit la tronche qu’elle a.
                                                                  *
Elle fait tout ce qu’elle veut de ses cinq doigts. Il n’y a qu’une chose que je voulais lui faire faire, à La Coste, de ces mêmes doigts-là ; et qu’elle n’a jamais voulu faire… Donatien Alphonse François de Sade à sa femme, à propos d’une amie à elle, Madame de Chamousset, le vingt-deux mars mil sept cent soixante-dix-neuf
 

23 juin 2022


Mon objectif du jour n’étant pas atteignable en car BreizhGo le matin, je retarde mon petit-déjeuner pour le prendre au Vauban. Je suis toujours le seul client dans la salle de café, peut-être parce que ça a l’air d’un endroit cher, alors que l’allongé est à un euro cinquante. Dans la salle voisine, celle du restaurant, déjeunent les clients de l’hôtel. L’un d’eux ayant sa chambre au premier se plaint de n’avoir pu dormir à cause du concert donné ici pour la Fête de la Musique. « Vous vous souviendrez du solstice d’été », lui répond la serveuse.
Ce mercredi, le ciel se dégage vers midi, au moment de mon départ pour Lampaul-Plouarzel. L’arrivée est prévue à treize heures cinq mais avant Saint-Renan le premier car est dérouté à cause d’un accident puis après Saint-Renan le second car doit suivre longtemps une voiturette, ce qui donne un quart d’heure de retard à l’arrivée place du Bourg, près de l’église.
Je ne traîne pas pour descendre pédestrement vers Porspaul. Il y a un kilomètre et demi à faire pour atteindre la mer et j’aimerais bien pouvoir manger. Je passe devant une boulangerie rose, fermée, puis arrivé sur la côte trouve un premier restaurant, fermé. Un second, au bout du bout, est heureusement ouvert mais il est deux heures moins le quart. Voudra-t-on de moi ?
Oui, parce que je suis seul. J’ai en plus la chance que ce restaurant, L’Auberge du Môle, figure sur le dépliant pour un apéritif gratuit que m’a remis  le patron du restaurant Les Chardons Bleus à Porspoder. Je choisis le « cocktail de l’aubergiste ». L’endroit propose un menu à treize euros cinquante : salade feta tomates, bœuf mijoté avec du riz et verrine aux fruits rouges. Le quart de vin rouge est à trois euros cinquante. La vue est fort belle : plage, flots bleus, port d’échouage, dunes et rochers tourmentés.
Je vais voir ça de près, marchant jusqu’au bout de la presqu’île de Beg Ar Vir sur laquelle se dresse un bâtiment isolé, ancien four à goémon ou ancien ermitage, je ne sais pas. Revenu au-dessus de la plage et du port, je m’installe sur un muret pour observer tout cela un moment puis retourne à L’Auberge du Môle pour un café verre d’eau à un euro quarante.
Sur cette terrasse, je côtoie deux jeunes femmes qui semblent vivre dans une série. « Fous-le dans un moment de gênance, par exemple : « Mais tu me trouves grosse ? », dit l’une à l’autre. Il y a aussi une femme accompagnée de son fils adulte handicapé dont les gémissements se mêlent aux cris des goélands.
Quand je remonte vers l’arrêt de car le ciel commence à se couvrir et il l’est de plus en plus au cours du trajet de retour. A l’arrivée à Brest, j’ai juste le temps de rejoindre mon logement Air Bibi avant que ne choient les premières gouttes.
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Dans le second car de l’aller, des branlotin(e)s sortant du collège, c’est mercredi on a cours jusqu’à midi. Filles comme garçons se tapent dessus en s’envoyant des « Ta gueule ».  Ce joli monde descend à Plouarzel dans une cité pavillonnaire.
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Un moment de gênance, c’est malaisant.

 

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