Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 avril 2024


Ce vendredi matin, la première chose qui me met dehors, après les courses, c’est d’aller à la Mairie de Rouen chercher ma nouvelle carte d’identité. Un numéro d’attente m’est remis à l’accueil.
Comme le guichet de retrait rapide est fermé, j’attends un peu plus longtemps que mon numéro s’affiche à l’un des guichets ordinaires. Une fonctionnaire territoriale souriante me reçoit. Elle va voir si c’est arrivé.
Cette fois, c’est bon. Elle récupère ma carte actuelle, me demande de vérifier les informations sur la nouvelle, me la redemande car il y a encore un papier à signer et il faut surtout reprendre mes empreintes digitales pour s’assurer que je suis bien moi.
Avec ma nouvelle carte, l’aimable dame me remet mon dossier de demande, que j’en garde ce qui m’intéresse et que je détruise bien le reste pour éviter l’usurpation d’identité. « Elle est valable dix ans », me dit-elle.
Je ne sais pas si ce sera la dernière.
Elle est si petite que le risque de perte est accru. Il y a aussi la possibilité du vol. En excluant ces deux éventualités qui m’obligeraient à en refaire une, serais-je encore vivant dans dix ans ?
Quand je ne serai plus assez valide pour vivre la vie que je mène avec escapades de courte et moyenne durée, je ne la prolongerai pas. Je ne suis pas de ceux qui préfèrent la quantité à la qualité.
                                                                        *
Ensuite, chez Axel Telecom, rue de la Rép, pour y retirer un livre commandé à un particulier via Rakuten Ode à la ligne 29 des autobus parisiens de Jacques Roubaud, un ouvrage dont j’ai appris l’existence par hasard sur les internets.
Fidèle usager de cette ligne de bus, je ne pouvais pas continuer à vivre sans. Je l’ai acheté au prix curieux d’un euro cinquante-huit à quoi il a fallu ajouter trois euros de port.
C’est un bel objet et pour cause. Les Editions Attila en avaient confié la réalisation à des étudiant(e)s en typographie de l’Ecole Estienne. Il a été publié en deux mille douze avec six couvertures différentes. La mienne est à base de tickets de bus de différentes époques.
                                                                          *
Retrouvailles avec les groupes de touristes cornaqués par des guides à drapeau dans la ruelle. L’une à son troupeau, me voyant rentrer de la boulangerie,: « Oh ! Look at this man with a French baguette ! ».
 

26 avril 2024


Maintenant que je suis rentré à Rouen, il est urgent que je donne la parole à l’un au bourg qui se fait appeler Le Major ou Play With Cathedral.
Ça commence le seize avril, par un mail qu’il m’envoie, intitulé « info » : « Vu sur Instagram. Ne me remerciez pas, en vous informant je fais juste mon travail de citoyen. La solidarité entre rouennais doit être sans faille. Bon courage! ». En lien, dû à lui-même, un nouveau montage photo grossier me montrant encore collant une affiche pour Macron, sur un panneau municipal cette fois.
Puis le dix-sept avril, nouveau mail intitulé « ben oui » qui reprend un extrait de mon Journal : « ... Un montage dû à un bricoleur qui s’est assis un jour sur la flèche de la Cathédrale et n’en a plus bougé (au point que la pointe a fini par atteindre son cerveau).... Je suis le dernier avec qui il faut s'amuser. A chaque mot de travers sur mon compte répondra un nouveau montage que le net avalera et diffusera. Sans compter que pour le moment je n'ai pas remplacé l'affiche et ce n'est pas le choix qui manque. Bonnes vacances. »
Puis le même jour, nouveau mail intitulé « Archives bien tenues, retour obtenu » une copie d’écran de la première partie de mon Journal (publiée chez Eklablog) en date du dix décembre deux mille douze, texte à lui consacré et intitulé Au quart d’heure de célébrité de Play With Cathedral.
Puis le dix-neuf avril, nouveau mail intitulé « Dernier message promis juré craché. Sinon, en Enfer! », trop long pour j’en donne l’intégralité, extrait : « Voilà, une fois tous ces éléments mis à plat, ce qui vous met théoriquement (?) à l'abri de toutes traîtrises de ma part, nous pouvons nous ignorer mutuellement jusqu'à ce que mort s'en suive. On verra bien qui de nous gagnera en premier le repos éternel (je suis de 53) mais sans vouloir être désagréable ou offensant, je n'ai pas consulté, pour ma part, de généraliste depuis presque 3 ans. A tel point qu'épuisé de m'attendre, ce salaud est parti en retraite. Comme dit mon épicier, "Faut faire avec" même si là c'est plutôt sans. Bonne fin de vacances et méfiez vous du vent, à nos âges les ennuis arrivent vite. »
Puis le vingt avril, nouveau mail intitulé « oubli! » : « Je suis bête! J'ai oublié de vous dire que si vous aviez l'envie ou le besoin de créer un compte Instagram c'est pour ma part sous ce nom de PWC et non Le Major. Allez, je file... »
Puis le vingt et un avril, nouveau mail intitulé « Vous relancez la mise? Bonne idée! » après que j’ai écrit dans mon Journal Cette histoire de Vincent, ça donnerait des idées, mais il y a longtemps que j’ai jeté le livre dédicacé de celui auquel je pense. et qu’il a lu ça comme si obligatoirement il s’agissait du livre signé Alain Aubourg : « Vous? Jeter un livre? Alors qu'il peut rapporter 0.50 ou 1€? Vous n'êtes pas du genre à passer à coté d'une telle affaire! Un sou c'est un sou! D'autant qu'avec la vie dispendieuse que vous menez (restaurants, pensions de vacances qui s'ajoutent au loyer courant de votre monastère, transports à gogo...) vous ne pouvez vous permettre de louper la moindre occasion de rentrée d'argent. Votre idée de petite vacherie glissée en douce dans votre dernier billet m'en a donné une autre. D'autant que je suis prêt avec un nouveau montage qui devrait au minimum vous faire criser et, au maximum, Criser. Alors, petite phrase contre morceau de montage, je trouve ce troc très amusant. Au bout d'un certain nombre d'échanges dont je déciderais arbitrairement la quantité (je suis l'offensé, c'est mon privilège), je publierais le puzzle reconstitué un peu partout sur la toile (internet). Cela vous va comme jeu? Je n'ai aucunement besoin de votre réponse; je me contenterais de m'imposer la pénible lecture de vos états d'âme dans lesquels vous avez pour habitude de distiller votre fiel comme on cracherait une glaire sur les pompes d'un quidam. Considérez moi comme un modeste morceau de votre karma. D'autant qu'encore fumeur de divers trucs je ne vous dit pas comme j'ai les poumons encombrés. »
Puis le même jour, nouveau mail intitulé « encore un oubli » : « Ah! Je n'ai pas la tête aussi bien faite que la votre. D'où les oublis. Donc, je suis bipolaire, tout peut basculer en tous sens, à tous moments. Particularité qui présente au moins l'avantage de période UP par rapport à des personnes normales continuellement DOWN. »
Puis le vingt-deux avril, nouveau mail extrêmement long intitulé « Suite de luxe », extraits : « Vous auriez tort de ne faire simplement que vous amuser de cette petite histoire qui s'écrit à deux (moi aussi je vis seul et pratique la masturbation – ça retarde les ennuis de prostate et évacue des tensions). Car en fait je peux publier ce que je veux, quand je veux, à propos de qui je veux et surtout sans aucun prétexte. Vive la presse libre ! D'autant que vous partez avec un handicap sérieux qui est la réputation que vous vous êtes taillée dans cette ville, et peut-être ailleurs ?  En effet si par exemple demain je mets en ligne un montage vous ridiculisant ou vous mettant dans une situation compliquée par rapport à vos convictions (que j’ai du mal à cerner), qui à Rouen viendra se plaindre que Perdrial galope sur internet en faisant rire tout le monde ? Qui m’en voudra à part vous ? Si je sortais un peu de chez moi ou si j'étais un peu mondain, je suis certain que j'aurai en retour de cette publication quelques encouragements ou félicitations : « Putain ! tu y as claqué la gueule c'est cool ! ». (…) Donc oui je suis une tête de con, guilty, mais une tête de con souvent sympathique, voire drôle à l’occasion, toujours actif et bourré de compétences. Alors que de votre côté si je peux me permettre sans vouloir trop vous offenser, vous êtes une tête de con tout court. Ah ! Ce jour où au Son du Cor je suis allé vers vous en terrasse vous saluer et vous proposer de m’assoir à votre table pour prendre un café. Je n’avais pas remarqué que vous étiez connecté en ligne direct à la banquise, ce qui m’a valu une réponse -30° centigrade dans la gueule : « JE SUIS EN TRAIN DE LIRE ». Quand j’y repense je mets toujours une petite laine. Vous voyez, je ne brode pas sur des ragots dont je me tape, j’ai mes propres expériences de vous. Et je lis votre difficile parcours de fin de vie. (…) En conclusion : Ne jouez pas au plus fin. On discute, enfin moi surtout, et la mer pour l’instant est calme. Il ne tient qu’à vous que la houle se creuse. Merci également de noter que j’ai des cartes cachées, des stratégies diverses selon la nature du terrain et que si je suis un piètre joueur de poker, je suis en revanche un excellent joueur de Go. PS: Et puis matez les jeunes femmes si vous voulez mais ne l'écrivez pas, ça fait mauvais genre. »
Puis le même jour, trois nouveaux mails montrant des détails d’un futur nouveau montage photo destiné à me dénigrer, accompagnés de ceci : « Je piaffe d'impatience et espère une bêtise, un écart de votre part. Pensez aussi à ouvrir un dossier intitulé "Harcèlement/PWC/Major/ piècesàconviction etdiversdocumentstome1 +annotations" et faites bien toutes les copies nécessaires. Pour vous lire je vous sais procédurier même pour des gains ridicules. J'en ai ouvert un de mon coté (informatique pour ma part, je vis avec mon temps) que j'ai nommé sobrement "MP"; rien de procédurier pour ma part; juste un dossier que j'ouvre quand j'ai envie de me marrer ou pour extraire un original photo pour vous charcuter (c'est une image). »
Puis le vingt-trois avril, nouveau mail intitulé « nokidforme » avec un photo montage consécutif à mon propos avoir un enfant nuit gravement au niveau intellectuel. Rien de méchant, cela pourrait même me faire sourire si ça ne venait pas de lui.
Puis le vingt-quatre avril, nouveau mail intitulé « Lettre de Papa » dans lequel il vante sa paternité et sa descendance, et qui s’achève par « Je lis toujours avec tristesse vos sales réflexions sur les parents devenus subitement cons ou bien gâteux. Aussi vos écrits à propos d'enfants que vous jugez insupportables pour ne pas dire quasi-mongoliens. Dans votre monde donc il n'existe que ça, que cette population d'abrutis pourvus d'enfants plus ou moins abrutis. Vous ne voyez rien d'autre. »
Puis le vingt-cinq avril, nouveau mail intitulé « Tais-toi! Tu déranges le monsieur... », contenant un bout d’article que je n’ai pas lu.
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Peu m’importe d’être l’objet des montages photos d’Alain Aubourg. Ce qui m’ennuie c’est quand d’aucuns, peu méfiants, y voient une image de la réalité vraie. Alors que ce sont des défèque-niouzes qui, en tant que tels, ne portent tort qu’à celui qui les produit.
S’en prendre aux photos des personnes, manipuler leur image pour les enlaidir ou les ridiculiser, une vieille pratique de l’extrême droite et d’une certaine extrême gauche adepte du totalitarisme.
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Je n’ai répondu à aucun de ces mails (quatorze en dix jours) mais je ne prends pas à la légère ce harcèlement et les menaces à demi-mots que contiennent certains des messages. Ce pourquoi je les rends publics, avant d’aller prochainement déposer une main courante contre leur auteur au Commissariat qui porte le nom de la rue où il habite.
 

25 avril 2024


Debout à quatre heures ce jeudi, après une dernière nuit tranquille dans mon studio Air Bibi vieillot de la rue des Boucheries dans lequel il faut se glisser sous le lavabo pour s’asseoir sur le siège des toilettes, mais pour trente-trois euros la nuit on ne peut pas se plaindre.
Avant de partir, comme demandé par mes logeurs, je ferme les volets et laisse la fenêtre ouverte. Grâce à un ingénieux système, une fausse boîte à lettres qui dissimule un trou dans la porte, après avoir fermé je fais tomber les clés à l’intérieur.
Je tire ensuite ma valise jusqu’à la Ville Haute pas bien haute où se trouve la Gare. Le Tégévé de cinq heures quarante-neuf est déjà à quai car il part d’ici, avec seulement deux arrêts : Aix-en-Provence Tégévé et Avignon Tégévé. Je suis voiture Cinq, à ma droite un coffre à bagages, derrière moi une jolie maman qui sait parler à ses deux petites filles sans bêtifier, à ma gauche personne jusqu’à Avignon puis un jeune homme à casquette rouge qui voyage léger.
Quand il se met à faire tout gris, je me dis ça devient bon, mais il y a encore une heure trente jusqu’à Paris. Peu avant la capitale, le soleil réapparaît entre deux nuages. Nous y sommes à l’heure prévue. La ligne Quatorze du métro fonctionne. Le train Nomad de dix heures quarante n’a pas de problème. Ce qui me met à Rouen comme espéré à midi une.
Arrivé à mon logis, je rétablis le courant électrique puis je file acheter de quoi me nourrir au Djurdjura, mon kebabier de secours (salade tomates oignons sauce blanche).
                                                                             *
Il fallait bien quitter Toulon et sa rade. Je regrette déjà le Mondial Café, l’Unic Bar de Béchir, le Maryland et le marché du cours Lafayette, les cafés du Port, les bateaux bus et leurs destinations, Six-Fours et son Brusc, le frère de Momo.
                                                                              *
August Stringberg, un excellent compagnon de voyage. Les deux volumes de Correspondance lus pendant mon séjour toulonnais le montre tel qu’il fut : orgueilleux, prétentieux, querelleur, envieux, parano, quémandeur, adepte du chantage au suicide, atrocement misogyne, antisémite, etc.  Je ne vois que Léon Bloy dans son Journal pour le surpasser dans tous ces domaines. C’est une littérature réjouissante, notamment par son comique involontaire.
 

24 avril 2024


« Comment ça va les étrangers ? » C’est un Chinois qui s’adresse aux Gaulois du marché prenant le café au Maryland ce mercredi matin. Ils lui répondent « Salut l’immigré ! ». « On est chez nous maintenant, leur dit-il, fallait pas nous laisser entrer, c’est vous les étrangers. » C’est une vieille plaisanterie entre eux. Toulon qui a malheureusement été gérée par le F-Haine, il y a des années, est parmi les villes où je suis passé une des rares où je n’entends  jamais de propos racistes, qu’ils soient explicites ou sous-entendus.
C’est le troisième et dernier jour de ma tournée d’adieu aux destinations des bateaux bus. Je prends celui de huit heures pour Les Sablettes. A l’arrivée, je longe la mer jusqu’au Port de Saint-Elme où se prépare une compétition de bateaux à voiles en plastique qui font un bruit désagréable au vent. Je poursuis par le sentier du littoral jusqu’à Sainte-Asile où je trouve fermé le bar tabac du même nom. Il n’ouvre qu’à neuf heures. Il est neuf heures moins deux et rien ne bouge. N’ayant pas envie d’attendre, je fais le chemin dans l’autre sens. Trop de vent froid pour la terrasse du Prôvence Plage, un dernier regard aux Deux Frères et je rentre avec le neuf heures cinquante-cinq.
Il y a là des familles dont certaines semblent considérer ce bateau bus comme un élément d’un parc d’attraction qui s’appellerait Rade de Toulon et qui comporterait aussi la Grande Roue installée devant l’Arsenal (mais c’est plus cher). A l’arrêt Tamaris, un père monte avec son dix ans. « Oh la la, lui dit-il, il y a de la marmaille, viens on va derrière. »
« Bonjour monsieur, un p’tit café ? » me demande la serveuse du Grand Café de la Rade, tout sourire avec moi aujourd’hui, après qu’hier je lui ai dit ce que je pensais d’elle. Elle est tout aussi agréable quand elle me l’apporte.
Comme ce Grand Café de la Rade propose aujourd’hui pour formule à seize euros quatre-vingt-dix, un tajine de poulet carottes olives et une tarte Tatin, j’y reste pour déjeuner.
Si cet établissement a la meilleure vue sur l’entrée et sortie du Port, sa cuisine est médiocre. Le tajine est plutôt un poulet façon tajine et la tarte Tatin m’arrive froide après que je l’ai attendue extrêmement longtemps. Je m’en plains au patron qui me dit qu’il a un nouveau personnel en cuisine et qu’ils ne savent pas gérer. En compensation, il m’offre un café.
J’en prends un autre à La Gitane où le vent froid m’invite à ne pas rester très longtemps. D’ailleurs, il me faut rentrer pour faire ma valise et le ménage (un peu).
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Ça m’aurait plu de pouvoir dire au revoir au frère de Momo.
 

24 avril 2024


On baisse les joues de la terrasse au Maryland tellement il fait froid ce mardi matin. Je ne m’y attarde pas et rejoins la Gare Maritime qui est dotée d’une confortable salle d’attente.
C’est le deuxième jour de ma tournée d’adieu aux destinations des bateaux bus. J’attends celui qui part pour La Seyne à sept heures cinquante. Il arrive de là-bas et décharge sa cargaison de navetteurs ayant un emploi à Toulon. Beaucoup moins de monde dans l’autre sens, je voyage non loin de deux lectrices. Je sais seulement que l’une lit un roman édité par Stock, reconnaissable à sa couverture noire.
A l’arrivée, je fais le tour du port puis entre dans le Parc de la Navale et me rapproche du pont-levant toujours levé. Ce pont-levis muni d’un contrepoids permettait aux trains de franchir le Port pour aller des Chantiers de la Méditerranée à la Gare de La Seyne. Son utilisation débuta en mil neuf cent vingt. La délocalisation de la construction navale entraîna la fermeture des Chantiers en mil neuf cent quatre-vingt-neuf. Depuis deux mille neuf, ce pont est ouvert au public après avoir été durant deux ans entièrement rénové et stabilisé en position verticale.
A neuf heures précises, j’entre à l’accueil et y trouve deux femmes. « C’est que à pied », me dit la plus âgée qui semble douter de mes capacités. L’ascenseur, que je n'avais pas l'intention de prendre, est en panne. La plus jeune sort avec moi en grelotant pour m’ouvrir la porte d’accès à l’escalier qui permet d’atteindre le sommet. C’est gratuit et ça se grimpe facilement, niveau par niveau. Il est préférable de s’arrêter à l’avant-dernier car au-dessus c’est entouré de vitres anti-suicide qui empêchent le regard direct sur le monde alentour. Vu de là, le bateau bus a l’air d’un jouet d’enfant quand il passe à la base de cet édifice métallique. En descendant, on traverse une salle où se trouve ce qu'il reste des mécanismes d’autrefois.
De retour à l’embarcadère, je rentre avec le bateau de neuf heures quarante. Il part alors que traversent la ville les camions rouges de Dino Park « le retour des dinosaures ».
Direction le Grand Café de la Rade dont la serveuse est la seule désagréable de tous les cafés que je fréquente depuis trois semaines. En première ligne, j’ai pour voisins un couple de vieux. Elle cherche quelle heure il est, là où est sa fille. « Ça m’énerve qu’on n’ait pas tous la même heure ! »
A midi, je retourne au Mondial Café pour les farcis maison à seize euros. A l’issue de mon repas, le patron m’offre un petit verre de Get Vingt-Sept en guise d’au revoir.
Le café, c’est au France, en première ligne, malgré le petit vent frais. Celui-ci est de plus en plus frais et de moins en moins petit, au point qu’il m’oblige à rentrer.
                                                                          *
Le Pont de La Seyne, un des rares monuments publics dont les horaires d’ouverture soient compatibles avec les miens. Je  l’aurai eu cette fois encore pour moi seul.
 

23 avril 2024


Ambiance du lundi au Maryland où je prends mon petit-déjeuner. Un seul vendeur de fruits et légumes est présent pour faire marché en bas du cours Lafayette. C’est le début de ma tournée d’adieu en trois jours aux destinations des bateaux bus. Première de la liste : Saint-Mandrier par le bateau de huit heures.
Arrivé sur place, je fais à nouveau et une dernière fois le tour du vaste port, m’attardant sur un banc, côté ensoleillé, avec pour spectacle un couple qui sort un canot de l’eau.
Comme ça se couvre et que je n’ai envie de retourner dans aucun des deux cafés à disposition, je rentre avec le bateau de neuf heures trente qui est accueilli par les contrôleurs.
Le ciel bleu est de retour quand je m’installe en première ligne au Grand Café de la Rade. Avec les vacances, c’est l’apparition des pères divorcés. Un à ma gauche avec son trois ans à qui il dit : « J’appelle Mamie pour savoir quand elle te gardera. » « Allô maman, là j’ai pas été bon, j’ai emmené le petit chez le coiffeur mais c’est lundi, c’est fermé. » A ma droite un autre avec sa fille adolescente qui ronchonne : « J’ai faim, on n’a rien mangé hier soir ». Elle ne cache pas à quel point elle s’ennuie déjà.
Au Mondial Café, un seul plat est affiché, celui que j’avais demandé : souris d’agneau avec son écrasé de pommes de terre, vingt et un euros tout de même. Il y a deux ans, j’avais payé vingt-deux euros cinquante avec le quart de vin rouge.
-Vous direz merci au cuisinier, dis-je à l’aimable serveuse.
-En plus, il est parti à sept heures et demie ce matin pour aller chercher la viande, m’apprend-elle.
Copieux et délicieux, c’est mon jugement de fin de repas.
Je vais m’installer au perchoir de La Gitane. Après mon café, je relis les missives de Strindberg à l’époque de Mademoiselle Julie. Bientôt des nuages apparaissent. Il fait trop froid pour rester en terrasse. Je choisis de rentrer. Alors que je suis devant l’église des traditionalistes, il arrive sur moi et me serre la main.
-Salut, tu te rappelles de moi j’espère.
-Oui, le frère de Momo.
-Une grave nouvelle. Ma femme est décédée.
-Ah, ça arrive. Bonne journée.
 

22 avril 2024


A défaut de me risquer à la rejoindre par le bord de mer, c’est par la route que je veux atteindre ce dimanche matin la Tour Royale. Je monte pour ce faire dans le bus Trois de sept heures cinquante-neuf à l’arrêt Mayol et en descends à l’arrêt Polygone.
Près de cet arrêt s’élance vers le ciel l’église contemporaine Saint-Jean Bosco dont je fais une photo puis je marche sur l’avenue de la Tour Royale située entre deux blocs de bâtiments militaires, dont l’un abrite des essais de missiles.
Au bout de cette avenue sans issue, j’arrive à cette Tour Royale, également nommée Grosse Tour, tour à canons édifiée à la pointe de Pipady. Outre sa fonction militaire, elle a connu divers usages au cours des siècles. Après les massacres de la Saint Barthélémy, le commandant Nicolas de Pignan y donna asile aux familles protestantes toulonnaises. Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, elle devint une prison où les paolistes corses et les révolutionnaires croupissaient dans des conditions terribles. Au cours de la guerre franco-allemande de mil huit cent soixante-dix, elle abrita l'or de la Banque de France. Durant la Première Guerre Mondiale, de nombreux prisonniers de guerre allemands y furent internés. Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, elle fut occupée par les soldats nazis et très endommagée lors des bombardements alliés. Désormais, elle appartient à la ville de Toulon et on peut la visiter mais seulement l’été.
Autour de cette Tour massive, je croise des personnes à chiens, des militaires qui courent et une femme qui donne à manger à des chats errants (peut-être la même qu’il y a deux ans). De la jetée qui mène à un bâtiment militaire récent, j’observe un bateau pilote qui se porte vers un ferry jaune arrivant de Corse.
A côté se trouve le parc du bathyscaphe qui donne vue sur le port de Toulon. Des Antillais(e)s sont à la fin de leur nuit avec de la musique du pays à fond. Une voiture de la Gendarmerie passe sans s’arrêter.
De retour à l’arrêt Polygone, j’ai une petite frayeur en voyant la rue barrée pour cause de triathlon. La jeune fille qui fait la police au rond-point me dit que les bus passent quand même. Une femme attend le neuf heures neuf avec moi. Elle doute de sa venue. Des coureurs cyclistes passent à fond l’un après l’autre, précédés de motards de la Police. C’est une folie de faire circuler des bus au milieu de cette compétition sportive mais elle et moi sommes contents de voir arriver le nôtre.
A neuf heures trente, je suis à la terrasse du Grand Café de la Rade juste avant que le soleil ne l’atteigne. C’est ici ce dimanche que je termine la lecture du volume deux de Correspondance d’August Strindberg. Pour ne pas alourdir mon bagage, je n’ai pas pris le volume trois. Mes derniers jours en rade de Toulon seront des jours de relecture. Derrière moi, c’est encore un couple de trentenaires atteints de gâtisme juvénile depuis qu’ils sont parents de Génération Cinquante, « Il est où le pigeon ? » « Allez, on va au tchou tchou » (le petit train pour touristes).
Le dimanche est encore une fois mon jour de couscous à l’Unic Bar, chez Béchir, puis je me dirige vers La Gitane pour le café. Tels des goélands énervés par le vent, trois curés tradis en soutane blanche s’ébattent avec quelques ouailles devant l’église Saint-François-de-Paule, assurément la plus belle de la ville. L’un d’eux rejoint une paroissienne en jupe longue et son fils à la terrasse du bar tabac, trop loin de moi pour que j’entende leur conversation.
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Ils sont nombreux à partir ceux qui s’assoient à la terrasse des grands cafés du bord de port quand ils ne sont pas servis au bout de dix minutes ou parfois moins.
 

21 avril 2024


L’île du Gaou malgré les travaux est ouverte le samedi et le dimanche, ai-je appris du site de la Mairie de Six-Fours-les-Plages. Aussi ce samedi prends-je le bateau bus de sept heures trente-cinq pour La Seyne où nous ne sommes que deux passagers. Je rejoins le point de départ du bus Quatre-Vingt-Sept pour Le Brusc. Il part cinq minutes plus tard. Je suis encore une fois le seul à aller jusqu’à son terminus, près de mon but.
Sous la passerelle qui permet d’entrer sur l’île se cache un tout petit port qui n’abrite que le bateau de pêche nommé Roumpi. Il y a deux ans, comme tout un chacun, pour faire le tour de cette île j’avais pris à droite après la passerelle. Donc cette fois je prends à gauche. Cela me permet d’être d’emblée au-dessus des plus belles pointes rocheuses attaquées par les vagues d’une mer bouillonnante et de croiser les sportifs qui courent tous dans le sens de tout un chacun.
Le chemin du tour de l’île longe des barrières en bois qui protègent la végétation, barrières qui sont l’objet d’une remise à neuf. Les travaux ont aussi pour but d’installer tous les cent mètres de grosses lances à incendie rouges. L’été, dès qu’il y a un risque de feu, l’île est fermée, de même que le sentier du littoral, plus de randonnées pour les touristes, ni d’endroits où faire pisser son chien près de la mer en regardant un beau paysage pour les autochtones.
Il est neuf heures vingt quand je termine mon tour de l’île du Gaou dans le sens des aiguilles d’une montre, l’heure à laquelle les premières familles arrivent. Un bus Quatre-Vingt-Sept est là qui part dans cinq minutes et à l’arrivée à La Seyne, je peux monter dans le bateau de dix heures cinq trois minutes avant son départ. A l’arrivée, direction le Grand Café de la Rade.
Je le constate encore une fois avec le jeune couple que je côtoie à cette terrasse : avoir un enfant nuit gravement au niveau intellectuel. Leur Isabelle rend ces parents stupides,  « C’est le monsieur qui t’a donné un gâteau, il est gentil hein ? » « Tiens, voilà les policiers, tu vas leur faire coucou. »
Leur succèdent trois filles qui ont envie de potins à se raconter. L’une a du sérieux à propos d’une connaissance commune qui a rompu avec un certain Vincent auteur d’un livre sur la Bretagne. Elle a mis ce livre sur Le Bon Coin, à donner, avec un commentaire racontant combien ce Vincent est un odieux personnage. Celle qui raconte ça lit l’annonce aux deux autres. Ce garçon en prend vraiment pour son grade.
-On avait dit lundi.
-Oui mais là je viens pour l’aïoli.
Tel est mon dialogue avec la serveuse du Mondial Café à midi. Cet aïoli à seize euros est honorable mais refroidit vite.
Je prends le café puis lis à La Réale où j’apprends que le premier rang des terrasses s’appelle pour les serveurs la première ligne. « Pas de cendriers en première ligne, ils s’envolent. »
                                                                      *
Cette histoire de Vincent, ça donnerait des idées, mais il y a longtemps que j’ai jeté le livre dédicacé de celui auquel je pense.
 

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