Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
11 décembre 2025
« J’suis pas méchant », c’est ce que me dit le premier zonard que je croise ce mercredi matin dans la nuit. Maigre comme un drogué, il me demande « une tite pièce ». « Désolé », lui dis-je. Ma réponse habituelle, que je n’ai pas à répéter car les deux que je rencontre ensuite alors que je marche vers la Gare ne me demandent rien. Il n’y a personne d’autre dans les rues de Rouen à cette heure.
Je prends une nouvelle fois le sept heures vingt-deux pour Paris. Dans la voiture Trois, je voyage sans voisinage immédiat. J’y commence les Mémoires de Goldoni qui, comme Casanova, écrivait en français.
Un bus Vingt-Neuf, toujours dévié, me dépose du bon côté de la place de la Bastille d’où je rejoins le Marché d’Aligre. Emile ne présente que de la brocante. Amine a moitié brocante moitié livres, des vieilleries qui ne peuvent me convenir.
Direction Le Camélia où je prends un café assis. Je chausse mes lunettes (comme on dit) pour lire. La vieille petite fait de même pour être déçue par ses jeux à gratter. Le fils de la maison lui dit que ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vue. Elle répond qu’elle travaillait. Ce n’est donc pas sa retraite qu’elle dilapide mais son salaire. Je retrouve Goldoni au chapitre Sept : J’étais naturellement gai, mais sujet, depuis mon enfance, à des vapeurs hypocondriaques ou mélancoliques, qui répandaient du noir dans mon esprit. Un vieux à béquille part furieux et sans payer parce qu’il y a de la mousse sur son café alors qu’il l’avait demandé sans. La vieille petite n’a pas fini de perdre quand je rejoins Book-Off à onze heures.
Parmi les livres à un euro, je sélectionne Une Femme nommée CASTOR mon amie Simone de Beauvoir de Françoise d’Eaubonne (L’Harmattan) et Paris à ma porte, poèmes de Guy Goffette (Gallimard).
Par le métro, je rejoins Au Diable des Lombards. Je m’y restaure de la formule aubergine gratinée au parmesan et cuisse de canard confite patates douces et panais rôti.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, une employée s’approche soudain de moi. « Je voudrais vous demander de ne pas forcément mettre le panier sur les livres », me dit-elle d’un air pincé. Elle l’empoigne et le pose sur un tabouret. Rien de moins susceptible d’abîmer les livres que ce panier en plastique, qui plus est vide. Je ne réponds rien, ne lui fais même pas remarquer que sa phrase est mal construite. Cette employée, habituellement à la caisse, souriante et aimable, est ce mercredi au réassortiment des rayonnages. Est-ce pour cela qu’elle est désagréable ? Je garde ce foutu panier à la main et y mets deux livres à un euro : Trieste de Franck Venaille (Champ Vallon) et Filles impertinentes de Doris Lessing (Flammarion).
Il fait on ne peut plus doux lorsque je vais boire un café à L’Importun. Derrière moi deux femmes terminent de déjeuner. « Évidemment, dit l’une, le dimanche matin je n’écoute pas France Culture mais là c’était sur les femmes de la Loge Maçonnique et j’ai trouvé ça super intéressant. » Goldoni : « Je me moque des sots et je vais mon train. »
Dans celui qui me ramène à Rouen, je reprends ses Mémoires en sautant de nombreuses pages. Il demande parfois à son lecteur s’il l’ennuie. Je réponds oui. Ma voisine de devant lit le Livre du Ça de Groddeck puis le délaisse au profit de son smartphone. Peu après, j’abandonne Goldoni au profit de la rêverie. Notre chef de bord nous annonce un ralentissement prévu vers Saint-Pierre-du-Vauvray afin d’éviter « un heurte d’animaux ». Nous nous arrêtons bien avant du côté de Vernon et il nous annonce « un groupe d’animaux à gérer ». Après un grand soupir, notre train finit par repartir. On y va à fond. « Vitesse de votre train 130 km heure », affiche l’écran. Cela donne quand même dix minutes de retard à l’arrivée à Rouen. « Merci de votre compréhension. »
Je prends une nouvelle fois le sept heures vingt-deux pour Paris. Dans la voiture Trois, je voyage sans voisinage immédiat. J’y commence les Mémoires de Goldoni qui, comme Casanova, écrivait en français.
Un bus Vingt-Neuf, toujours dévié, me dépose du bon côté de la place de la Bastille d’où je rejoins le Marché d’Aligre. Emile ne présente que de la brocante. Amine a moitié brocante moitié livres, des vieilleries qui ne peuvent me convenir.
Direction Le Camélia où je prends un café assis. Je chausse mes lunettes (comme on dit) pour lire. La vieille petite fait de même pour être déçue par ses jeux à gratter. Le fils de la maison lui dit que ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vue. Elle répond qu’elle travaillait. Ce n’est donc pas sa retraite qu’elle dilapide mais son salaire. Je retrouve Goldoni au chapitre Sept : J’étais naturellement gai, mais sujet, depuis mon enfance, à des vapeurs hypocondriaques ou mélancoliques, qui répandaient du noir dans mon esprit. Un vieux à béquille part furieux et sans payer parce qu’il y a de la mousse sur son café alors qu’il l’avait demandé sans. La vieille petite n’a pas fini de perdre quand je rejoins Book-Off à onze heures.
Parmi les livres à un euro, je sélectionne Une Femme nommée CASTOR mon amie Simone de Beauvoir de Françoise d’Eaubonne (L’Harmattan) et Paris à ma porte, poèmes de Guy Goffette (Gallimard).
Par le métro, je rejoins Au Diable des Lombards. Je m’y restaure de la formule aubergine gratinée au parmesan et cuisse de canard confite patates douces et panais rôti.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, une employée s’approche soudain de moi. « Je voudrais vous demander de ne pas forcément mettre le panier sur les livres », me dit-elle d’un air pincé. Elle l’empoigne et le pose sur un tabouret. Rien de moins susceptible d’abîmer les livres que ce panier en plastique, qui plus est vide. Je ne réponds rien, ne lui fais même pas remarquer que sa phrase est mal construite. Cette employée, habituellement à la caisse, souriante et aimable, est ce mercredi au réassortiment des rayonnages. Est-ce pour cela qu’elle est désagréable ? Je garde ce foutu panier à la main et y mets deux livres à un euro : Trieste de Franck Venaille (Champ Vallon) et Filles impertinentes de Doris Lessing (Flammarion).
Il fait on ne peut plus doux lorsque je vais boire un café à L’Importun. Derrière moi deux femmes terminent de déjeuner. « Évidemment, dit l’une, le dimanche matin je n’écoute pas France Culture mais là c’était sur les femmes de la Loge Maçonnique et j’ai trouvé ça super intéressant. » Goldoni : « Je me moque des sots et je vais mon train. »
Dans celui qui me ramène à Rouen, je reprends ses Mémoires en sautant de nombreuses pages. Il demande parfois à son lecteur s’il l’ennuie. Je réponds oui. Ma voisine de devant lit le Livre du Ça de Groddeck puis le délaisse au profit de son smartphone. Peu après, j’abandonne Goldoni au profit de la rêverie. Notre chef de bord nous annonce un ralentissement prévu vers Saint-Pierre-du-Vauvray afin d’éviter « un heurte d’animaux ». Nous nous arrêtons bien avant du côté de Vernon et il nous annonce « un groupe d’animaux à gérer ». Après un grand soupir, notre train finit par repartir. On y va à fond. « Vitesse de votre train 130 km heure », affiche l’écran. Cela donne quand même dix minutes de retard à l’arrivée à Rouen. « Merci de votre compréhension. »
9 novembre 2025
Il faudrait se faire greffer un parapluie dans le dos tellement il pleut depuis des semaines. Dimanche, cette pluie m’empêche de monter jusqu’à la Gare pour y imprimer mes billets de train. Je le fais ce lundi midi. En redescendant la rue de la Jeanne, je vois arriver vers moi un individu qui, gesticulant, me salue de loin. Cela fait longtemps que je ne l’avais vu cet artiste et écrivain.
Il me dit bonjour chaleureusement en me vouvoyant. Nous nous tutoyions autrefois mais c’était autrefois. Je ne lui dis pas que je le trouve vieilli. Ses cheveux ont blanchi. Il doit se dire la même chose à mon égard. Je lui dis qu’il est devenu très discret sur le réseau social Effe Bé (comme beaucoup). Il m’explique qu’il ne fait plus grand-chose à Rouen depuis que notre connaissance commune est Adjointe à la Culture et qu’en conséquence dans cette ville, il ne se passe plus rien dans ce domaine. Une amie à lui pourtant. Je lui apprends que j’ai rompu avec elle quand elle s’est transformée en avaleuse de défèque niouze et m’a insulté.
« L’important pour moi, me dit-il, c’est de continuer à faire de la musique et à écrire des livres. » Je lui apprends que j’en ai lu un récemment, dont je ne me souviens plus du titre, un roman acheté un euro chez Book-Off, l’histoire d’un homme qui gagne le gros lot mais qui le refuse. « Vous avez aimé, bien sûr », me dit-il. Je lui réponds que la première partie m’a intéressé mais pas la deuxième où il y a une fausse correspondance.
Lorsque nous nous séparons, il me conseille de le relire. « Je plaisante », me crie-t-il déjà parti.
*
Ça se passe dans le café où je lis l’après-midi. Une femme, point jeune, mais non dépourvue de charme, s’avance vers moi. « Excusez-moi, est-ce que vous êtes Michel ? » « Oui. » « Michel Verrier ? » « Ah non ! » « Vous ressemblez beaucoup à quelqu’un qui s’appelle Michel Verrier. » C’est une histoire courte.
*
C’est peut-être le Michel Verrier, romancier en Rhône-Alpes, qui me ressemble. Du moins sans sa barbe.
*
« Désormais il ne s'agit plus pour moi que de m'acheminer vers une sortie discrète. Ni sifflets ni applaudissements à l'entrée des vestiaires. J'aurai fait mon métier d'homme, et qui sait, peut-être, pas si mal que ça. Surtout vers la fin. » écrivait sur Effe Bé le trois octobre dernier Dominique-Emmanuel Blanchard qui vient de mourir. Il fut l’un des premiers à me publier, dans sa revue Le Bord de l’Eau à Bordeaux.
Il me dit bonjour chaleureusement en me vouvoyant. Nous nous tutoyions autrefois mais c’était autrefois. Je ne lui dis pas que je le trouve vieilli. Ses cheveux ont blanchi. Il doit se dire la même chose à mon égard. Je lui dis qu’il est devenu très discret sur le réseau social Effe Bé (comme beaucoup). Il m’explique qu’il ne fait plus grand-chose à Rouen depuis que notre connaissance commune est Adjointe à la Culture et qu’en conséquence dans cette ville, il ne se passe plus rien dans ce domaine. Une amie à lui pourtant. Je lui apprends que j’ai rompu avec elle quand elle s’est transformée en avaleuse de défèque niouze et m’a insulté.
« L’important pour moi, me dit-il, c’est de continuer à faire de la musique et à écrire des livres. » Je lui apprends que j’en ai lu un récemment, dont je ne me souviens plus du titre, un roman acheté un euro chez Book-Off, l’histoire d’un homme qui gagne le gros lot mais qui le refuse. « Vous avez aimé, bien sûr », me dit-il. Je lui réponds que la première partie m’a intéressé mais pas la deuxième où il y a une fausse correspondance.
Lorsque nous nous séparons, il me conseille de le relire. « Je plaisante », me crie-t-il déjà parti.
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Ça se passe dans le café où je lis l’après-midi. Une femme, point jeune, mais non dépourvue de charme, s’avance vers moi. « Excusez-moi, est-ce que vous êtes Michel ? » « Oui. » « Michel Verrier ? » « Ah non ! » « Vous ressemblez beaucoup à quelqu’un qui s’appelle Michel Verrier. » C’est une histoire courte.
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C’est peut-être le Michel Verrier, romancier en Rhône-Alpes, qui me ressemble. Du moins sans sa barbe.
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« Désormais il ne s'agit plus pour moi que de m'acheminer vers une sortie discrète. Ni sifflets ni applaudissements à l'entrée des vestiaires. J'aurai fait mon métier d'homme, et qui sait, peut-être, pas si mal que ça. Surtout vers la fin. » écrivait sur Effe Bé le trois octobre dernier Dominique-Emmanuel Blanchard qui vient de mourir. Il fut l’un des premiers à me publier, dans sa revue Le Bord de l’Eau à Bordeaux.
8 décembre 2025
En ce mois de décembre rouennais anormalement doux, une plongée dans un mois de décembre rouennais anormalement froid, celui de mil huit cent quatre-vingt-treize par quoi commence Des souvenirs de Joseph Conrad que j’ai lu il y a quelque temps :
On peut écrire des livres en toutes sortes d’endroits. L’inspiration verbale peut pénétrer dans la cabine d’un marin à bord d’un navire pris par les glaces sur une rivière, au milieu d’une ville ; et puisque les saints veillent, dit-on, avec bienveillance sur les humbles croyants, une aimable fantaisie me pousse à penser que l’ombre du vieux Flaubert, - qui s’imaginait être (entre autres choses) un descendant des Vikings, - planait avec un intérêt amusé au-dessus du pont d’un steamer de deux mille tonnes, du nom d’Adowa, saisi par l’hiver inclément, le long d’un quai de Rouen, et à bord duquel je commençai le dixième chapitre de La Folie Almayer. Avec intérêt, dis-je, car le bon géant normand, à l’énorme moustache et à la voix de tonnerre, ne fut-il pas le dernier des romantiques ? Ne fut-il pas, par son éloignement du monde et par sa presque ascétique dévotion à son art, une sorte d’ermite et de saint littéraire ? (…)
… je me mis à regarder à travers le hublot. L’ouverture ronde encadrait dans sa bordure de cuivre un morceau de quai, avec une file de tonneaux alignés sur la terre glacée, et l’arrière d’une charrette. Un charretier au nez rouge, en blouse et avec un bonnet de laine, était appuyé contre la roue. Un douanier faisait les cent pas, la ceinture bouclée par-dessus sa capote bleue, et avait l’air fort déprimé par cette température et la monotonie de son existence officielle. Un arrière-plan de maisons tristes trouvait place également dans le cadre que formait mon hublot, au-delà d’une assez grande étendue d’un quai pavé, noirci par la boue gelée. Le coloris était sombre et le détail le plus notable était un petit café avec des rideaux aux fenêtres et une misérable devanture de bois, peinte en blanc, tout à fait en rapport avec la misère de ce quartier pauvre qui bordait le fleuve. On nous avait amenés là, d’un autre poste d’amarrage, aux abords de l’Opéra, où ce même hublot m’offrait la vue d’une tout autre sorte de café, le meilleur de la ville, je crois, et celui-là même où le digne Bovary et sa femme, la romantique fille du père Rouault, avaient pris des rafraîchissements, après la mémorable représentation d’un opéra qui n’était autre que la tragique histoire de Lucie de Lammermoor, mise en musique d’opéra-comique.
*
Note du traducteur, G. Jean-Aubry : « L’Adowa arriva à Rouen le 4 décembre 1893 et en repartit le 10 janvier 1894 pour Londres, où il arriva le 12 janvier. Le 17 janvier, Joseph Conrad quittait l’Adowa. C’est ce jour-là que prit fin, sans qu’il en eût vraiment pris le parti, sa vie de marin. »
On peut écrire des livres en toutes sortes d’endroits. L’inspiration verbale peut pénétrer dans la cabine d’un marin à bord d’un navire pris par les glaces sur une rivière, au milieu d’une ville ; et puisque les saints veillent, dit-on, avec bienveillance sur les humbles croyants, une aimable fantaisie me pousse à penser que l’ombre du vieux Flaubert, - qui s’imaginait être (entre autres choses) un descendant des Vikings, - planait avec un intérêt amusé au-dessus du pont d’un steamer de deux mille tonnes, du nom d’Adowa, saisi par l’hiver inclément, le long d’un quai de Rouen, et à bord duquel je commençai le dixième chapitre de La Folie Almayer. Avec intérêt, dis-je, car le bon géant normand, à l’énorme moustache et à la voix de tonnerre, ne fut-il pas le dernier des romantiques ? Ne fut-il pas, par son éloignement du monde et par sa presque ascétique dévotion à son art, une sorte d’ermite et de saint littéraire ? (…)
… je me mis à regarder à travers le hublot. L’ouverture ronde encadrait dans sa bordure de cuivre un morceau de quai, avec une file de tonneaux alignés sur la terre glacée, et l’arrière d’une charrette. Un charretier au nez rouge, en blouse et avec un bonnet de laine, était appuyé contre la roue. Un douanier faisait les cent pas, la ceinture bouclée par-dessus sa capote bleue, et avait l’air fort déprimé par cette température et la monotonie de son existence officielle. Un arrière-plan de maisons tristes trouvait place également dans le cadre que formait mon hublot, au-delà d’une assez grande étendue d’un quai pavé, noirci par la boue gelée. Le coloris était sombre et le détail le plus notable était un petit café avec des rideaux aux fenêtres et une misérable devanture de bois, peinte en blanc, tout à fait en rapport avec la misère de ce quartier pauvre qui bordait le fleuve. On nous avait amenés là, d’un autre poste d’amarrage, aux abords de l’Opéra, où ce même hublot m’offrait la vue d’une tout autre sorte de café, le meilleur de la ville, je crois, et celui-là même où le digne Bovary et sa femme, la romantique fille du père Rouault, avaient pris des rafraîchissements, après la mémorable représentation d’un opéra qui n’était autre que la tragique histoire de Lucie de Lammermoor, mise en musique d’opéra-comique.
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Note du traducteur, G. Jean-Aubry : « L’Adowa arriva à Rouen le 4 décembre 1893 et en repartit le 10 janvier 1894 pour Londres, où il arriva le 12 janvier. Le 17 janvier, Joseph Conrad quittait l’Adowa. C’est ce jour-là que prit fin, sans qu’il en eût vraiment pris le parti, sa vie de marin. »
5 décembre 2025
« C'est une figure bien connue de la cause environnementale dans la Métropole rouennaise, mais c'est en sa qualité d'enseignant que Guillaume Blavette comparaît ce jeudi 4 décembre 2025 devant le tribunal correctionnel de Rouen. Ce professeur d'histoire-géographie de 54 ans est jugé pour "atteintes sexuelles sur un mineur de plus de 15 ans commises par une personne ayant autorité sur la victime". » lis-je ce jeudi sur le site d’Ici Normandie.
J’apprends qu’il a été placé en détention provisoire mi-octobre. Il est poursuivi pour avoir eu des relations sexuelles avec trois de ses élèves de lycée, toutes âgées de dix-sept ans au moment des faits.
« Le prévenu, écrit Ici Normandie, bien connu dans la métropole en tant que militant de la cause environnementale, se décrit sur son profil Facebook comme un "écolo décomplexé". Il risque jusqu'à 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende. Lui prétend qu'il s'agissait de véritables histoires d'amour, mais même consenties, ces relations prof-élèves induisant nécessairement un rapport d'autorité sont punies par la loi, dès lors que la victime n'a pas 18 ans. L'enseignant, qui a exercé dans plusieurs lycées de la Seine-Maritime, dont le lycée des Bruyères à Sotteville-lès-Rouen jusqu'en 2025, risque aussi une interdiction d'exercer, temporaire voire définitive. Le rectorat l'a déjà suspendu depuis le 8 janvier. »
Je ne connais pas personnellement Guillaume Blavette. Je l’ai seulement côtoyé lors de certaines manifestations. Notamment au rassemblement contre l’abattage des arbres du square Verdrel fin octobre deux mille seize. A cette date, je parle de lui dans mon Journal :
Arrive aussi l’un des responsables de l’association Effet de Serre Toi-Même, un militant de la militance qui m’insupporte car il prêche en permanence (je l’ai déjà subi dans un rassemblement antinucléaire).
Quand je lui demande pourquoi ses amis écologistes élus au Conseil Municipal de Rouen soutiennent le plan d’abattage, il me répond que lui est associatif. Okay, mais sait-il pourquoi ils agissent ainsi ? Il faut le leur demander. Ils devraient être là, lui dis-je, et je n’en vois aucun, du moins ceux que je connais. Il y en a une, me dit-il, mais il ne veut pas me la montrer, « droit de réserve ».
Il harangue à nouveau les quelques dizaines de présent(e)s et finit par accaparer la journaliste. Quand il parle de Robert, Maire, Socialiste, chef des bûcherons, il l’appelle par son prénom.
Soûlé, je dis au revoir aux deux jeunes défenseurs des arbres à l’origine du rassemblement et quitte les lieux.
J’ajoutais :
Guillaume Blavette, le harangueur d’Effet de Serre Toi-Même, c’est Sers tes Effets Toi-Même.
Guillaume Blavette a été condamné à quatre ans de prison dont un avec sursis. Le compte-rendu de l’audience par France Trois Normandie montre qu’il ne s’agissait guère d’histoires d’amour. Pour sa défense, il a mis en avant sa bipolarité.
*
76 actu, de son côté, fait part de la fermeture pour quinze jours du bar Le Sacre dont je fréquente la terrasse aux beaux jours.
« Sur le réseau social Facebook, l’équipe du bar explique la situation dans ces termes : « Suite à des comportements déplacés de certains clients vis-à-vis de la police lors d’un contrôle administratif, notre établissement s’est vu punir et contraint de fermer ses portes jusqu’au 10 décembre. » En commentaires, la clientèle montre son soutien.
De son côté, la Préfecture de Seine-Maritime précise que l’établissement fait l’objet d’un arrêté. Le bar est ainsi l’objet d’une « fermeture administrative temporaire pour une durée de quinze jours ».
Concernant le motif, le bar serait en faute « pour avoir servi de l’alcool à des personnes manifestement ivres, ayant généré une atteinte à l’ordre et à la santé publics, en violation des dispositions de l’article R.3353-2 du Code la Santé publique. »
Plus précisément, et ce ne serait pas la première fois d’après les services de la Préfecture, le bar a servi de l’alcool à des personnes déjà en état d’ébriété manifeste. Ces personnes auraient été à l’origines « d’incidents » qualifiés de troubles à l’ordre et la santé publics, sur lesquels nous n’avons pas davantage de précisions. »
Ce n’est pas pour m’étonner. Dès l’après-midi, j’y voyais des habitués ivres divagant ou accrochés au comptoir. Le Sacre rouvre le dix décembre. La Préfecture va l’avoir à l’œil (comme on dit). Il n’en a pas fini avec les soucis s’il ne se sépare pas de sa clientèle la plus assidue.
J’apprends qu’il a été placé en détention provisoire mi-octobre. Il est poursuivi pour avoir eu des relations sexuelles avec trois de ses élèves de lycée, toutes âgées de dix-sept ans au moment des faits.
« Le prévenu, écrit Ici Normandie, bien connu dans la métropole en tant que militant de la cause environnementale, se décrit sur son profil Facebook comme un "écolo décomplexé". Il risque jusqu'à 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende. Lui prétend qu'il s'agissait de véritables histoires d'amour, mais même consenties, ces relations prof-élèves induisant nécessairement un rapport d'autorité sont punies par la loi, dès lors que la victime n'a pas 18 ans. L'enseignant, qui a exercé dans plusieurs lycées de la Seine-Maritime, dont le lycée des Bruyères à Sotteville-lès-Rouen jusqu'en 2025, risque aussi une interdiction d'exercer, temporaire voire définitive. Le rectorat l'a déjà suspendu depuis le 8 janvier. »
Je ne connais pas personnellement Guillaume Blavette. Je l’ai seulement côtoyé lors de certaines manifestations. Notamment au rassemblement contre l’abattage des arbres du square Verdrel fin octobre deux mille seize. A cette date, je parle de lui dans mon Journal :
Arrive aussi l’un des responsables de l’association Effet de Serre Toi-Même, un militant de la militance qui m’insupporte car il prêche en permanence (je l’ai déjà subi dans un rassemblement antinucléaire).
Quand je lui demande pourquoi ses amis écologistes élus au Conseil Municipal de Rouen soutiennent le plan d’abattage, il me répond que lui est associatif. Okay, mais sait-il pourquoi ils agissent ainsi ? Il faut le leur demander. Ils devraient être là, lui dis-je, et je n’en vois aucun, du moins ceux que je connais. Il y en a une, me dit-il, mais il ne veut pas me la montrer, « droit de réserve ».
Il harangue à nouveau les quelques dizaines de présent(e)s et finit par accaparer la journaliste. Quand il parle de Robert, Maire, Socialiste, chef des bûcherons, il l’appelle par son prénom.
Soûlé, je dis au revoir aux deux jeunes défenseurs des arbres à l’origine du rassemblement et quitte les lieux.
J’ajoutais :
Guillaume Blavette, le harangueur d’Effet de Serre Toi-Même, c’est Sers tes Effets Toi-Même.
Guillaume Blavette a été condamné à quatre ans de prison dont un avec sursis. Le compte-rendu de l’audience par France Trois Normandie montre qu’il ne s’agissait guère d’histoires d’amour. Pour sa défense, il a mis en avant sa bipolarité.
*
76 actu, de son côté, fait part de la fermeture pour quinze jours du bar Le Sacre dont je fréquente la terrasse aux beaux jours.
« Sur le réseau social Facebook, l’équipe du bar explique la situation dans ces termes : « Suite à des comportements déplacés de certains clients vis-à-vis de la police lors d’un contrôle administratif, notre établissement s’est vu punir et contraint de fermer ses portes jusqu’au 10 décembre. » En commentaires, la clientèle montre son soutien.
De son côté, la Préfecture de Seine-Maritime précise que l’établissement fait l’objet d’un arrêté. Le bar est ainsi l’objet d’une « fermeture administrative temporaire pour une durée de quinze jours ».
Concernant le motif, le bar serait en faute « pour avoir servi de l’alcool à des personnes manifestement ivres, ayant généré une atteinte à l’ordre et à la santé publics, en violation des dispositions de l’article R.3353-2 du Code la Santé publique. »
Plus précisément, et ce ne serait pas la première fois d’après les services de la Préfecture, le bar a servi de l’alcool à des personnes déjà en état d’ébriété manifeste. Ces personnes auraient été à l’origines « d’incidents » qualifiés de troubles à l’ordre et la santé publics, sur lesquels nous n’avons pas davantage de précisions. »
Ce n’est pas pour m’étonner. Dès l’après-midi, j’y voyais des habitués ivres divagant ou accrochés au comptoir. Le Sacre rouvre le dix décembre. La Préfecture va l’avoir à l’œil (comme on dit). Il n’en a pas fini avec les soucis s’il ne se sépare pas de sa clientèle la plus assidue.
4 décembre 2025
Un voyage à l’étage ce mercredi direction Paris dans le sept heures vingt-deux où je reprends la lecture de Chez les Weil de Sylvie Weil, fille du mathématicien André et nièce de la philosophe Simone.
À l’arrivée, je choisis le métro pour rejoindre Ledru-Rollin. Dans les stations, des affiches invitent à un spectacle de Sara Baras que j’ai vue autrefois à l’invitation de celle qui me tenait la main et habite à Asnières. Je me souviens qu’à la fin de ce spectacle, la danseuse de flamenco avait fait monter sa mère sur scène pour quelques pas avec elle.
Un café au comptoir du Camélia et direction le Marché d’Aligre. Émile déstocke : un euro le livre, deux euros les trois. « Un euro un euro un euro », crient ses rabatteurs. Une sorte de mélopée destinée à envoûter qui passe, comme font ceux qui vendent des avocats à la sauvette dans une gare. Je mets la main sur une rareté, le catalogue de l’exposition Paul Léautaud organisée par la Bibliothèque Nationale à la Bibliothèque de l’Arsenal en mil neuf cent soixante-douze pour le centenaire de sa naissance, puis sur Esprit de Prague d’Ivan Klíma (Anatolia/Editions du Rocher). Pour le troisième, gratuit, je ne peux trouver mieux que Voyage en Suisse d’Alexandre Dumas (Hermann). « Trois euros », me dit le rabatteur à qui je vais payer. « Je croyais que c’était trois pour deux. » « C’était une erreur, ils se sont trompés », me dit Émile. Toutefois, il ne me demande que deux euros. Je le remercie et rejoins Re-Read.
Sur la porte de la bouquinerie du boulevard Voltaire, il est désormais écrit que les chiens sont les bienvenus. Ils savent lire depuis qu’ils sont enfants d’humains. Je vois quelques livres que j’aurais pu acheter si je ne les avais déjà. Pour l’un, je vérifie dans mon répertoire bleu, ne sachant plus si oui ou non. C’est non. Jeunesses d’Henri Calet (Le Dilettante) est à quatre euros, comme tous les livres ici. Comme j’en ai vendu en arrivant pour deux euros soixante-quinze, cet ouvrage ne me revient qu’à un euro vingt-cinq.
Je rejoins le Book-Off de Ledru-Rollin. Encore une fois, j’y trouve peu à un euro, seulement L’agonie de la France de Manuel Chaves Nogales (Quai Voltaire).
Par le métro, je rejoins l’Hôtel de Ville. Une touriste à valise se fait serrer par la double porte du Un. Elle crie. Deux passagères tirent les portes et la délivrent. Celle qui l’accompagne, restée sur le quai, en profite pour monter. « C’est quoi ce truc-là ? », se plaint-elle tandis que son amie se frotte le bras. Des provinciales qui rejoignent la Gare de Lyon.
Ce mercredi, je déjeune chez China et ai heureusement terminé quand arrive une famille à deux moutardes excitées et à grand-père dépassé.
Du sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, je remonte avec deux livres à un euro : L’œil, le mot de Werner Spies (Titres Christian Bourgois) et Petites ignorances de la conversation de Charles Rozan (Éditions des Équateurs).
Je rejoins L’Importun pour un café lecture. Chez les Weil terminé, j’enchaîne avec Armen de Jean-Pierre Abraham que je termine dans le seize heures quarante du retour. « Un livre culte, unique », est-il écrit en quatrième de couverture. Un livre ennuyeux où il est sans cesse question de travaux à faire dans ce phare gardé par un duo d’hommes dont l’auteur, une histoire de mâles qui proclame qu’il ne faut pas pleurer comme une fille.
« Notre train vient de s’arrêter inopinément. Il est susceptible de repartir. » C’est ce qu’il fait. Nous sommes à Tourville-la-Rivière. Encore un effort et c’est Rouen avec huit minutes de retard.
À l’arrivée, je choisis le métro pour rejoindre Ledru-Rollin. Dans les stations, des affiches invitent à un spectacle de Sara Baras que j’ai vue autrefois à l’invitation de celle qui me tenait la main et habite à Asnières. Je me souviens qu’à la fin de ce spectacle, la danseuse de flamenco avait fait monter sa mère sur scène pour quelques pas avec elle.
Un café au comptoir du Camélia et direction le Marché d’Aligre. Émile déstocke : un euro le livre, deux euros les trois. « Un euro un euro un euro », crient ses rabatteurs. Une sorte de mélopée destinée à envoûter qui passe, comme font ceux qui vendent des avocats à la sauvette dans une gare. Je mets la main sur une rareté, le catalogue de l’exposition Paul Léautaud organisée par la Bibliothèque Nationale à la Bibliothèque de l’Arsenal en mil neuf cent soixante-douze pour le centenaire de sa naissance, puis sur Esprit de Prague d’Ivan Klíma (Anatolia/Editions du Rocher). Pour le troisième, gratuit, je ne peux trouver mieux que Voyage en Suisse d’Alexandre Dumas (Hermann). « Trois euros », me dit le rabatteur à qui je vais payer. « Je croyais que c’était trois pour deux. » « C’était une erreur, ils se sont trompés », me dit Émile. Toutefois, il ne me demande que deux euros. Je le remercie et rejoins Re-Read.
Sur la porte de la bouquinerie du boulevard Voltaire, il est désormais écrit que les chiens sont les bienvenus. Ils savent lire depuis qu’ils sont enfants d’humains. Je vois quelques livres que j’aurais pu acheter si je ne les avais déjà. Pour l’un, je vérifie dans mon répertoire bleu, ne sachant plus si oui ou non. C’est non. Jeunesses d’Henri Calet (Le Dilettante) est à quatre euros, comme tous les livres ici. Comme j’en ai vendu en arrivant pour deux euros soixante-quinze, cet ouvrage ne me revient qu’à un euro vingt-cinq.
Je rejoins le Book-Off de Ledru-Rollin. Encore une fois, j’y trouve peu à un euro, seulement L’agonie de la France de Manuel Chaves Nogales (Quai Voltaire).
Par le métro, je rejoins l’Hôtel de Ville. Une touriste à valise se fait serrer par la double porte du Un. Elle crie. Deux passagères tirent les portes et la délivrent. Celle qui l’accompagne, restée sur le quai, en profite pour monter. « C’est quoi ce truc-là ? », se plaint-elle tandis que son amie se frotte le bras. Des provinciales qui rejoignent la Gare de Lyon.
Ce mercredi, je déjeune chez China et ai heureusement terminé quand arrive une famille à deux moutardes excitées et à grand-père dépassé.
Du sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, je remonte avec deux livres à un euro : L’œil, le mot de Werner Spies (Titres Christian Bourgois) et Petites ignorances de la conversation de Charles Rozan (Éditions des Équateurs).
Je rejoins L’Importun pour un café lecture. Chez les Weil terminé, j’enchaîne avec Armen de Jean-Pierre Abraham que je termine dans le seize heures quarante du retour. « Un livre culte, unique », est-il écrit en quatrième de couverture. Un livre ennuyeux où il est sans cesse question de travaux à faire dans ce phare gardé par un duo d’hommes dont l’auteur, une histoire de mâles qui proclame qu’il ne faut pas pleurer comme une fille.
« Notre train vient de s’arrêter inopinément. Il est susceptible de repartir. » C’est ce qu’il fait. Nous sommes à Tourville-la-Rivière. Encore un effort et c’est Rouen avec huit minutes de retard.
3 décembre 2025
Me voilà tranquille pour encore trois ans et demi puisque la lettre recommandée m’annonçant la non reconduction de mon bail de locataire devait me parvenir au moins six mois avant la fin de ce bail, lequel s’achèvera le deux mai, date à laquelle il sera reconduit automatiquement. Ce mardi deux décembre était le dernier jour où je pouvais la recevoir.
Je ne sais à quel(le) descendant(e) de ma défunte propriétaire a échu mon logis. Même si elle ou lui désirait le vendre, elle ou lui ne pourrait le faire que dans trois ans et demi (sauf à vendre avec moi à l’intérieur). De même, si elle ou lui voulait y mettre un de ses enfants, petits-enfants, neveux, nièces ou cousins germains, ce ne pourrait être qu’à la fin de ce nouveau bail.
Si je reste vivant, mes trois prochaines années se passeront donc à la même adresse, dans cet appartement envahi de livres d’une copropriété dotée d’un jardin commun où il fait bon lire aux beaux jours. Cela dans un environnement des plus calmes. Surtout depuis que ma voisine et son fils se sont installés dans l’appartement le plus proche. Ils ne font aucun bruit. J’ai l’impression d’être revenu aux premières années de mon établissement ici, quand cet appartement était inoccupé.
*
Vérifiant mon calcul avant de publier, je m’aperçois que six mois avant le deux mai, c’était le deux novembre. Cela fait donc un mois que j’aurais pu être tranquillisé, n’ayant toutefois pas été très inquiet, me disant que la famille de ma défunte propriétaire m’aurait averti bien avant la date butoir en cas de non renouvellement du bail (du moins je le pense).
Je ne sais à quel(le) descendant(e) de ma défunte propriétaire a échu mon logis. Même si elle ou lui désirait le vendre, elle ou lui ne pourrait le faire que dans trois ans et demi (sauf à vendre avec moi à l’intérieur). De même, si elle ou lui voulait y mettre un de ses enfants, petits-enfants, neveux, nièces ou cousins germains, ce ne pourrait être qu’à la fin de ce nouveau bail.
Si je reste vivant, mes trois prochaines années se passeront donc à la même adresse, dans cet appartement envahi de livres d’une copropriété dotée d’un jardin commun où il fait bon lire aux beaux jours. Cela dans un environnement des plus calmes. Surtout depuis que ma voisine et son fils se sont installés dans l’appartement le plus proche. Ils ne font aucun bruit. J’ai l’impression d’être revenu aux premières années de mon établissement ici, quand cet appartement était inoccupé.
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Vérifiant mon calcul avant de publier, je m’aperçois que six mois avant le deux mai, c’était le deux novembre. Cela fait donc un mois que j’aurais pu être tranquillisé, n’ayant toutefois pas été très inquiet, me disant que la famille de ma défunte propriétaire m’aurait averti bien avant la date butoir en cas de non renouvellement du bail (du moins je le pense).
2 décembre 2025
En attendant le départ du bus Effe Sept garé devant l’Hôtel de Ville de Sotteville-lès-Rouen, j’observe deux sexagénaires qui tentent d’alpaguer qui passe. C’est Lutte Ouvrière avec son petit drapeau. Sur l’affiche : « Le capitalisme, c’est la guerre. Pour avoir la paix, il faut le renverser ». Comment renverser le capitalisme ? Pas avec des armes, j’espère. Plus obstinés qu’eux, je ne connais que les Témoins de Jéhovah. Je suis certain que les seconds font plus d’adeptes que les premiers.
Pendant ce temps, tout va pour le mieux dans le camp d’en face. Des centaines de partisan(ne)s se pressent dans les librairies où Bardella signe son dernier livre. Lui lancer de la farine ou lui écraser un œuf sur la tête ne peut que renforcer sa popularité. Il suffit de fréquenter les bars, comme je le fais ici et dans les régions où je vadrouille, pour savoir ce qui va se passer.
Toute une semaine de pluie (sauf le mercredi à Paris). Dans les rues rouennaises errent des Eurois et des Cauchois attirés par le Vendredi Noir. Certains ont en main un godet de vin chaud du Marché de Noël. D’autres préfèrent le chocolat chaud du café où je lis l’après-midi. « Samedi, tu sais ce que j’ai fait moi ? J’ai fait du canapé, je me suis même endormie », se vante l’une. Une autre est fier de son neveu : « Il vient d’être thèsé ».
Faire du canapé. Etre thèsé. La langue française évolue. A la radio aussi. De plus en plus d'auteurices, de lecteurices et d’auditeurices dans la bouche des présentatrices de France Culture. L’homme est toujours devant la femme sur ces tandems.
*
Je dicte « Je n’ai pas envie de me faire mouiller » et j’obtiens « Je n’ai pas envie de me faire **** ».
Je dicte « Les ouvriers font un trou dans la chaussée » et j’obtiens « Les ouvriers font un **** dans la chaussée ».
Cette intelligence artificielle est une obsédée ****.
Pendant ce temps, tout va pour le mieux dans le camp d’en face. Des centaines de partisan(ne)s se pressent dans les librairies où Bardella signe son dernier livre. Lui lancer de la farine ou lui écraser un œuf sur la tête ne peut que renforcer sa popularité. Il suffit de fréquenter les bars, comme je le fais ici et dans les régions où je vadrouille, pour savoir ce qui va se passer.
Toute une semaine de pluie (sauf le mercredi à Paris). Dans les rues rouennaises errent des Eurois et des Cauchois attirés par le Vendredi Noir. Certains ont en main un godet de vin chaud du Marché de Noël. D’autres préfèrent le chocolat chaud du café où je lis l’après-midi. « Samedi, tu sais ce que j’ai fait moi ? J’ai fait du canapé, je me suis même endormie », se vante l’une. Une autre est fier de son neveu : « Il vient d’être thèsé ».
Faire du canapé. Etre thèsé. La langue française évolue. A la radio aussi. De plus en plus d'auteurices, de lecteurices et d’auditeurices dans la bouche des présentatrices de France Culture. L’homme est toujours devant la femme sur ces tandems.
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Je dicte « Je n’ai pas envie de me faire mouiller » et j’obtiens « Je n’ai pas envie de me faire **** ».
Je dicte « Les ouvriers font un trou dans la chaussée » et j’obtiens « Les ouvriers font un **** dans la chaussée ».
Cette intelligence artificielle est une obsédée ****.
29 novembre 2025
Ce serait dommage de ne pas noter, avant de ranger Un amour acéphale dans ma bibliothèque, ce que disent de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir Patrick et Isabelle Waldberg dans leur correspondance :
Je n’ai pas eu le temps de lire L’Etre et le Néant, mais j’ai vu Sartre assez souvent. C’est un petit personnage d’aspect repoussant au premier abord ; il a un œil complètement exorbité et dirigé lorsqu’il vous parle vers votre voisin le plus éloigné, de très grosses lunettes, une mousse de poils incolores au menton, car il est rarement rasé, et des vêtements généralement malpropres. Il vit dans une chambre d’une laideur intenable, au dernier étage d’un hôtel de la rue de Seine. Près de lui vit une femme, professeur comme lui, surnommée le Castor (La Nausée lui est dédiée). Le Castor s’appelle réellement Simone de Beauvoir et elle a publié sous ce nom un roman fleuve à clé intitulé L’Invitée. Je ne l’ai pas lu. Il paraît qu’on y retrouve Sartre et ses élèves, et leurs difficiles histoires d’amour (non prestigieuse !) (…) Le couple Sartre-Castor travaille à partir de 9 h du matin au Flore, où l’on peut voir toutes les tables à banquettes occupées par une quinzaine de personnages mâles et femelles, entre 19 et 35 ans, remplissant fébrilement des feuilles volantes de pattes de mouche bien appliquées. Parfois, si l’on monte au premier étage pour téléphoner, on aperçoit au fond de la salle Sartre ou l’un de ses disciples en train de changer de chaussettes, de mettre une cravate, ou de se brosser les dents (cette dernière activité beaucoup plus rare que les autres, bien entendu). Le Castor, qui doit avoir dans les 40 ans, serait une assez jolie femme si elle était soignée. Mais elle partage sans doute avec Sartre le mépris du corps, et certains détails, vus de près, tendent à diminuer le goût qu’on pourrait avoir pour elle. Les rapports de ces deux êtres sont extrêmement curieux ; leurs amis parlent d’« osmose spirituelle », on pense à la « caresse des âmes », aux « minettes de l’esprit » et autres semblables réjouissances. Pourtant Sartre n’est pas un être platonique, loin de là. Il papillonne autour de lui d’assez remarquables blondes à qui il sait parler de l’« existanz » autrement que par croquis. Il est très plaisant, boit bien, et ne dédaigne pas de passer la nuit à vadrouiller jusqu’au matin. Il faut ajouter qu’il a une très bonne voix, une grande simplicité et de l’enthousiasme. Je suis en excellents termes avec lui et le Castor. Patrick, Paris, le vingt-six novembre mil neuf cent quarante-quatre.
J’ai eu la surprise hier d’avoir la visite de Jean-Paul Sartre, ce qui m’a semblé très curieux justement après le long passage que vous lui avez consacré dans votre lettre. Il est ici pour faire la tournée des usines avec quelques journalistes. Isabelle, New York, le quinze janvier mil neuf cent quarante-cinq
Sartre fait la tournée des amis. Il a dîné chez Dolores et voit ce soir Georges. Il doit en sortir tout américanisé et voudra prendre un bain tous les jours à son retour à Paris. Il ouvrira des usines et des drugstores et fera convertir tout le monde aux longs voyages. Isabelle, New York, le vingt-deux janvier mil neuf cent quarante-cinq
Je n’ai pas eu le temps de lire L’Etre et le Néant, mais j’ai vu Sartre assez souvent. C’est un petit personnage d’aspect repoussant au premier abord ; il a un œil complètement exorbité et dirigé lorsqu’il vous parle vers votre voisin le plus éloigné, de très grosses lunettes, une mousse de poils incolores au menton, car il est rarement rasé, et des vêtements généralement malpropres. Il vit dans une chambre d’une laideur intenable, au dernier étage d’un hôtel de la rue de Seine. Près de lui vit une femme, professeur comme lui, surnommée le Castor (La Nausée lui est dédiée). Le Castor s’appelle réellement Simone de Beauvoir et elle a publié sous ce nom un roman fleuve à clé intitulé L’Invitée. Je ne l’ai pas lu. Il paraît qu’on y retrouve Sartre et ses élèves, et leurs difficiles histoires d’amour (non prestigieuse !) (…) Le couple Sartre-Castor travaille à partir de 9 h du matin au Flore, où l’on peut voir toutes les tables à banquettes occupées par une quinzaine de personnages mâles et femelles, entre 19 et 35 ans, remplissant fébrilement des feuilles volantes de pattes de mouche bien appliquées. Parfois, si l’on monte au premier étage pour téléphoner, on aperçoit au fond de la salle Sartre ou l’un de ses disciples en train de changer de chaussettes, de mettre une cravate, ou de se brosser les dents (cette dernière activité beaucoup plus rare que les autres, bien entendu). Le Castor, qui doit avoir dans les 40 ans, serait une assez jolie femme si elle était soignée. Mais elle partage sans doute avec Sartre le mépris du corps, et certains détails, vus de près, tendent à diminuer le goût qu’on pourrait avoir pour elle. Les rapports de ces deux êtres sont extrêmement curieux ; leurs amis parlent d’« osmose spirituelle », on pense à la « caresse des âmes », aux « minettes de l’esprit » et autres semblables réjouissances. Pourtant Sartre n’est pas un être platonique, loin de là. Il papillonne autour de lui d’assez remarquables blondes à qui il sait parler de l’« existanz » autrement que par croquis. Il est très plaisant, boit bien, et ne dédaigne pas de passer la nuit à vadrouiller jusqu’au matin. Il faut ajouter qu’il a une très bonne voix, une grande simplicité et de l’enthousiasme. Je suis en excellents termes avec lui et le Castor. Patrick, Paris, le vingt-six novembre mil neuf cent quarante-quatre.
J’ai eu la surprise hier d’avoir la visite de Jean-Paul Sartre, ce qui m’a semblé très curieux justement après le long passage que vous lui avez consacré dans votre lettre. Il est ici pour faire la tournée des usines avec quelques journalistes. Isabelle, New York, le quinze janvier mil neuf cent quarante-cinq
Sartre fait la tournée des amis. Il a dîné chez Dolores et voit ce soir Georges. Il doit en sortir tout américanisé et voudra prendre un bain tous les jours à son retour à Paris. Il ouvrira des usines et des drugstores et fera convertir tout le monde aux longs voyages. Isabelle, New York, le vingt-deux janvier mil neuf cent quarante-cinq
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