Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

20 décembre 2025


Parmi les raccourcis rouennais que j’utilise, mon préféré du moment est celui qui me permet d’éviter le Marché de Noël dont je déplore la bruyante sonorisation musicale et l’infecte odeur de vin chaud. Il me permet de regagner mon logis lorsque je sors de la boulangerie Les Délices de la Calende dont je suis devenu client quotidien.
Je n’ai même plus à monter les marches, ni à passer la double porte à battants depuis qu’une ouverture coulissante s’ouvrant automatiquement, à destination notamment des personnes en fauteuil, permet d’entrer dans cette Cathédrale qui fait la renommée de la ville. Ma baguette à la main, une artisane (comme on dit à la boulangerie), je passe devant l’autel et ressors à l’autre extrémité du transept dans la Cour des Libraires par une porte que beaucoup croient fermée tant elle est dans l’obscurité.
C’est aussi par ce chemin que je passe l’après-midi lorsque je reviens de mon café lecture. Jamais je n’ai autant fréquenté l’église.
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Jusqu’au vingt-huit décembre, ce fichu Marché de Noël de Rouen et il faudra encore attendre son démontage. Comme chaque année, il est peu fréquenté. Rien à voir avec ceux d’Alsace dont je vois des images effrayantes. La rue montante de Ribeauvillé totalement encombrée. Celles de Colmar impraticables. À Riquewihr, des dizaines de cars touristiques ne trouvant à se garer que dans les vignes. Les habitants n’en peuvent plus. À Colmar, ils ont lancé une pétition contre le surtourisme. Déjà, lorsque j’y étais au mois de juin, à partir de dix heures du matin le centre de cette si jolie ville était infréquentable.
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Après Le Sacre, c’est au tour du Café de Rouen d’être fermé administrativement par la Préfecture pour avoir servi de l’alcool à des clients manifestement ivres. Une sanction qui tombe au pire moment pour ce commerce, celui de l’affluence de Noël.
Quand je passe devant ce vendredi matin, c’est ouvert mais pour travaux. Sur la vitrine, l’arrêté préfectoral est affiché en tout petits caractères ; on ne peut le lire.
Ce Café de Rouen est le plus détestable de la ville. On y fait payer le verre d’eau vingt centimes et on oblige au renouvellement des consommations toutes les vingt minutes. Je me réjouis de ce qui lui arrive.

18 décembre 2025


Obligé par les Fêtes de quitter Rouen avec le huit heures zéro quatre ce mercredi, un train des familles, de couples et d’isolés peu habitués aux voyages sur voie ferrée, certains perdus, comme cette femme à grosse valise montée dans la voiture Trois alors qu’elle devrait être dans la Seize, c’est-à-dire dans l’autre rame qu’elle ne peut rejoindre par l’intérieur. Je lis L’Art de choisir sa maîtresse et autres conseils indispensables de Benjamin Franklin tandis que, deux sièges devant, une mère donne une leçon de lecture à son moutard ânonnant, un livre vite lu, de peu de contenu, qui sera revendu.
La traversée de Paris en bus Vingt-Neuf, le tour du Marché d’Aligre pour que dalle, un café au comptoir du Camélia, j’entre à onze heures chez Book-Off, la rue du Faubourg-Saint-Antoine ayant ressorti ses vieilles guirlandes électriques de Joyeux Noël. Je mets dans mon panier cinq livres à un euro : Les Jeux olympiques de littérature de Louis Chevaillier (Grasset), La Bastoche, une histoire du Paris populaire et criminel de Claude Dubois (Tempus), Désirée de Frédéric Roux (Allia), Le dernier bateau d’Odessa d’Erzsébet Fuchs (Mercure de France) avec une dédicace de l’auteure « A Mathilde de la part de sa fille Michèle ainsi que de ma part » et Let go de Chloé Mons (Médiapop Editions) dans lequel elle évoque, dix ans après, la mort et les obsèques de son mari.
Dans le métro Un, mes voisines s’organisent. « Il nous restera le fromage à acheter. » « On ira lundi. » « C’est quand Noël ? » Il serait temps de le savoir. Point de mercredi à Paris pour moi durant deux semaines et même, pas de Paris du tout la semaine prochaine, impossible, à cause de ce Noël, de trouver un billet à sept euros soixante-dix, même en s’y prenant deux mois à l’avance. Au Diable des Lombards, c’est avocat gratiné au parmesan et pièce de bœuf sauce poivre frites.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin je côtoie une étudiante intéressée par le Platon à un euro du rayon Philosophie. « J’en ai vu trois ce matin au Book-Off de Ledru-Rollin », lui dis-je. « Je ne savais pas qu’il y avait un autre Book-Off », me dit-elle. « Il y en a même trois. » Je ne rechigne jamais à instruire les jeunes filles. Je mets dans mon panier six livres à un euro : M. & M. de Michèle Hechter (L’un et l’autre/Gallimard), La Rose blanche (Six Allemands contre le nazisme) d’Inge Scholl (Minuit), Le Chant des livres de Gérard Guégan (Grasset), Bal à Espelette (Lettres trouvées) de Paul Gadenne (Actes Sud), Les quarante médaillons de l’Académie de Jules Barbey d’Aurevilly (Les Cahiers Rouges/Grasset) et le numéro six du Très Précis de conjugaisons ordinaires, consacré au sexe, de David Poullard et Guillaume Rannou (Le Monte-en-l’air) où l’on apprend à conjuguer les verbes cunnilingoire et clitorire (entre autres).
Sous la véranda de L’Importun, je lis Aquarelles d’Henri Miller. Ce livre, je le découvre, reprend une longue lettre à Emile Schnellock qui doit donc figurer dans sa correspondance avec celui-ci que j’ai lue il y a fort longtemps. Il est vite lu, de peu de contenu et sera revendu.
Dans la voiture Cinq du seize heures quarante du retour, je ne lis pas. Ma voisine de devant déplie Le Canard Enchaîné en mangeant des amandes grillées de chez Monoprix, bientôt elle délaisse son journal au profit de son smartphone puis de son ordinateur, bref, elle se remet au travail, pas longtemps toutefois, retour au Canard et aux amandes, et elle s’endort.

15 décembre 2025


Au café où je lis l’après-midi, je passe d’une énorme correspondance, celle de Friedrich Glauser, « Chacun cherche son paradis… », aux Éditions d’en bas, à une autre, celle de Mme Andouyn de Pompéry avec son cousin de Kergus, À mon cher cousin…, surtitrée « Une femme en Bretagne à la fin du XVIIIe siècle », aux Éditions du Layeur. Friedrich Glauser, écrivain suisse morphinomane sous tutelle. Mme Andouyn de Pompéry, femme libre et mariée de Basse Bretagne.
Du premier, l’extrait d’une lettre à Berthe Bendel, qu’après de longues démarches imposées par son tuteur, il aurait épousée, s’il n’était pas mort la veille du mariage :
La prochaine fois, tu dois mieux emballer le paquet, Berthe, sinon la poste va faire faillite. Elle a fait une réclamation en la personne d’un facteur, on me l’a transmis - ils ont dû appliquer un bandage d’urgence à la poste, non, un emballage d’urgence, et se sont indignés. Mon enfant, épargne à l’avenir l’indignation à la poste, je t’en prie, nous autres Suisses sommes un peuple sérieux, un paquet mal fait, où le papier se déchire, n’est pas un péché véniel mais mortel, ce qui doit te sauter aux yeux en tant que catholique pieuse. C’est une preuve de paresse, et la paresse se situe au même plan que l’avarice, la luxure (les Suisses parlent de bien-être), la gourmandise, la colère, l’orgueil et l’envie. Nous sommes protestants, parfaitement, mais nous évaluons les péchés de notre prochain d’un point de vue de Rome. Ainsi soit-il. Ne te fais plus attraper, sinon le directeur de la poste viendra te chercher… (lettre non datée écrite à la Waldau, hôpital psychiatrique, début janvier mil neuf cent trente-six)
De la seconde, l’extrait d’une lettre sur le plaisir d’écrire, surtout à ce cousin dont elle est quelque peu amoureuse :
J’ai appris avec grand plaisir votre résurrection, mon cher cousin ; je ne m’étais donc pas trompée au ton de votre dernière lettre, le malaise que vous éprouviez la rendait triste et laconique ; et moi qui ai la mauvaise habitude de mettre toujours les choses au pire, j’attribuais ce changement à votre cœur plutôt qu’à vos reins, qui étaient cependant les seuls coupables. Ils ne vous ont pas fait souffrir longtemps, ce qui m’oblige à leur pardonner l’erreur qui m’a affectée mal à propos pendant quelques jours. « Douteriez-vous de mes sentiments ? » Et sûrement que j’en doute, quand vous êtes embarrassé pour m’écrire ; songez donc qu’on ne pense ni au style, ni aux choses quand on reçoit une lettre d’un bon ami. Quoique tout cela soit charmant, c’est lui qu’on voit par-dessus tout.
Si on aimait les lettres pour les nouvelles seulement, eh ! bon Dieu ! les gazettes en fourmillent ; si c’était pour la diction pure et élégante, n’a-t-on pas des volumes en ce genre ? C’est donc pour être l’objet de la pensée d’un être qui nous intéresse, qu’on veut recevoir de ses lettres ; s’écrire est la seule ressource qui reste à des amis séparés : qui la néglige n’aime pas ou aime bien faiblement. Écrivez-moi donc, mon cher cousin, tant que vos affaires ou votre santé n’y mettront pas d’obstacles. Vous avez assez d’esprit pour embellir des riens, et mon cœur assez de sentiments pour y trouver un charme qui pourrait flatter votre orgueil si vous en aviez. Votre romance est délicieuse pour les paroles et la musique ; les ritournelles sont charmantes et je n’en critique point le luxe. Je ne suis point de caractère à me fâcher de ce que la mariée soit trop belle. (le treize août mil sept cent quatre-vingt-onze)

12 décembre 2025


Sans l’avoir demandé, mais sans rien faire pour l’empêcher, je vois apparaître dans mon fil d’actualité du réseau social Effe Bé les vidéos de propagande des trois principaux candidats à la Mairie de Rouen.
Celles du Maire actuel, Nicolas Mayer-Rossignol, Socialiste, satisfait de ses réalisations qu’il présente dans les lieux où cela se passe.
Celles de son Adjoint et néanmoins concurrent, Jean-Michel Bérégovoy, Ecologiste, qui pourrait faire un tutoriel « Comment nouer ton écharpe comme la mienne » (pas la tricolore mais celle qu’il porte autour du cou). L’air content de lui, il explique que lui aussi est pour quelque chose dans les réalisations municipales de ces dernières années mais qu’avec lui aux manettes ce serait mieux. Néanmoins, il n’annonce pas, comme la fois précédente, qu’il va « prendre la Mairie ». Il sait très bien qu’il va encore une fois arriver derrière Mayer-Rossignol et que, conséquemment, il devra encore une fois se mettre à sa remorque et retrouver un poste d’Adjoint (si toutefois le Maire actuel est réélu).
Celles de la Centriste Marine Caron qui a réussi à unir la Droite locale et porte bien le manteau rouge. Elle aussi fait le tour de la ville. Notamment, pour montrer où les choses ne vont pas bien. C’est ainsi que récemment elle est passée dans la rue du Petit-Mouton salie par les graffitis. Elle en a profité pour saluer naïvement Simone de Beauvoir : « Vous saviez qu’elle a vécu à Rouen ? Dans une magnifique maison à pan de bois, cachée dans la rue du Petit-Mouton. » Dès le premier commentaire, elle a été déniaisée par un nommé Guillaume Bestaux :
« En fait c'était un endroit assez sordide...
Dans La Force de l'âge, Simone de Beauvoir en parle et le décrit :
Je quittai l’hôtel La Rochefoucauld pour emménager à l’hôtel du Petit-Mouton, que m’avait indiqué Olga : ses camarades polonais y avaient logé autrefois, et elle le trouvait charmant. Il me séduisit moi aussi ; c’était dans une venelle, qui donnait sur la rue de la République, une vieille maison de style normand, haute de trois étages, avec des poutres apparentes et une quantité de petits carreaux ; elle se divisait en deux ailes, séparées par la loge où vivait la patronne, qui avaient chacune sa porte, son escalier. À droite se trouvaient les chambres de passe, à gauche logeaient des pensionnaires, pour la plupart de jeunes couples, si bien que la nuit les couloirs s’emplissaient de soupirs. J’habitais à côté d’un adjudant qui chaque soir battait sa femme avant de lui faire l’amour. Mes fauteuils et ma table boitaient, mais j’aimais la gaieté, un peu crasseuse, du couvre-lit, du papier de mur, des rideaux. (…). La patronne, une grosse maquerelle à la tête hérissées de frisons, portait des bas de coton rose. Marco ayant été nommé à Rouen s’installa au Petit-Mouton, dans l’aile la plus bordelière. Il étourdissait la patronne d’énormes compliments pour le plaisir de la voir minauder… »
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Un qui connaissait mieux l’histoire de Rouen que Marine Caron, c’est Guy Pessiot qui vient de mourir à l’âge de soixante-seize ans. Ancien Adjoint au Patrimoine de Valérie Fourneyron, ancienne Maire socialiste, ancienne Ministre socialiste, il faisait figure d’historien local et fut, entre autres, le créateur du guide rouennais Le P’tit Normand dont les premières éditions m’ont été fort utiles lorsque je vivais dans le département de l’Eure. Ce guide n’était pas soumis au diktat des publicités qu’il contenait contrairement à son concurrent national Le Petit Futé.

11 décembre 2025


« J’suis pas méchant », c’est ce que me dit le premier zonard que je croise ce mercredi matin dans la nuit. Maigre comme un drogué, il me demande « une tite pièce ». « Désolé », lui dis-je. Ma réponse habituelle, que je n’ai pas à répéter car les deux que je rencontre ensuite alors que je marche vers la Gare ne me demandent rien. Il n’y a personne d’autre dans les rues de Rouen à cette heure.
Je prends une nouvelle fois le sept heures vingt-deux pour Paris. Dans la voiture Trois, je voyage sans voisinage immédiat. J’y commence les Mémoires de Goldoni qui, comme Casanova, écrivait en français.
Un bus Vingt-Neuf, toujours dévié, me dépose du bon côté de la place de la Bastille d’où je rejoins le Marché d’Aligre. Emile ne présente que de la brocante. Amine a moitié brocante moitié livres, des vieilleries qui ne peuvent me convenir.
Direction Le Camélia où je prends un café assis. Je chausse mes lunettes (comme on dit) pour lire. La vieille petite fait de même pour être déçue par ses jeux à gratter. Le fils de la maison lui dit que ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vue. Elle répond qu’elle travaillait. Ce n’est donc pas sa retraite qu’elle dilapide mais son salaire. Je retrouve Goldoni au chapitre Sept : J’étais naturellement gai, mais sujet, depuis mon enfance, à des vapeurs hypocondriaques ou mélancoliques, qui répandaient du noir dans mon esprit. Un vieux à béquille part furieux et sans payer parce qu’il y a de la mousse sur son café alors qu’il l’avait demandé sans. La vieille petite n’a pas fini de perdre quand je rejoins Book-Off à onze heures.
Parmi les livres à un euro, je sélectionne Une Femme nommée CASTOR mon amie Simone de Beauvoir de Françoise d’Eaubonne (L’Harmattan) et Paris à ma porte, poèmes de Guy Goffette (Gallimard).
Par le métro, je rejoins Au Diable des Lombards. Je m’y restaure de la formule aubergine gratinée au parmesan et cuisse de canard confite patates douces et panais rôti.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, une employée s’approche soudain de moi. « Je voudrais vous demander de ne pas forcément mettre le panier sur les livres », me dit-elle d’un air pincé. Elle l’empoigne et le pose sur un tabouret. Rien de moins susceptible d’abîmer les livres que ce panier en plastique, qui plus est vide. Je ne réponds rien, ne lui fais même pas remarquer que sa phrase est mal construite. Cette employée, habituellement à la caisse, souriante et aimable, est ce mercredi au réassortiment des rayonnages. Est-ce pour cela qu’elle est désagréable ? Je garde ce foutu panier à la main et y mets deux livres à un euro : Trieste de Franck Venaille (Champ Vallon) et Filles impertinentes de Doris Lessing (Flammarion).
Il fait on ne peut plus doux lorsque je vais boire un café à L’Importun. Derrière moi deux femmes terminent de déjeuner. « Évidemment, dit l’une, le dimanche matin je n’écoute pas France Culture mais là c’était sur les femmes de la Loge Maçonnique et j’ai trouvé ça super intéressant. » Goldoni : « Je me moque des sots et je vais mon train. »
Dans celui qui me ramène à Rouen, je reprends ses Mémoires en sautant de nombreuses pages. Il demande parfois à son lecteur s’il l’ennuie. Je réponds oui. Ma voisine de devant lit le Livre du Ça de Groddeck puis le délaisse au profit de son smartphone. Peu après, j’abandonne Goldoni au profit de la rêverie. Notre chef de bord nous annonce un ralentissement prévu vers Saint-Pierre-du-Vauvray afin d’éviter « un heurte d’animaux ». Nous nous arrêtons bien avant du côté de Vernon et il nous annonce « un groupe d’animaux à gérer ». Après un grand soupir, notre train finit par repartir. On y va à fond. « Vitesse de votre train 130 km heure », affiche l’écran. Cela donne quand même dix minutes de retard à l’arrivée à Rouen. « Merci de votre compréhension. »

9 novembre 2025


Il faudrait se faire greffer un parapluie dans le dos tellement il pleut depuis des semaines. Dimanche, cette pluie m’empêche de monter jusqu’à la Gare pour y imprimer mes billets de train. Je le fais ce lundi midi. En redescendant la rue de la Jeanne, je vois arriver vers moi un individu qui, gesticulant, me salue de loin. Cela fait longtemps que je ne l’avais vu cet artiste et écrivain.
Il me dit bonjour chaleureusement en me vouvoyant. Nous nous tutoyions autrefois mais c’était autrefois. Je ne lui dis pas que je le trouve vieilli. Ses cheveux ont blanchi. Il doit se dire la même chose à mon égard. Je lui dis qu’il est devenu très discret sur le réseau social Effe Bé (comme beaucoup). Il m’explique qu’il ne fait plus grand-chose à Rouen depuis que notre connaissance commune est Adjointe à la Culture et qu’en conséquence dans cette ville, il ne se passe plus rien dans ce domaine. Une amie à lui pourtant. Je lui apprends que j’ai rompu avec elle quand elle s’est transformée en avaleuse de défèque niouze et m’a insulté.
« L’important pour moi, me dit-il, c’est de continuer à faire de la musique et à écrire des livres. » Je lui apprends que j’en ai lu un récemment, dont je ne me souviens plus du titre, un roman acheté un euro chez Book-Off, l’histoire d’un homme qui gagne le gros lot mais qui le refuse. « Vous avez aimé, bien sûr », me dit-il. Je lui réponds que la première partie m’a intéressé mais pas la deuxième où il y a une fausse correspondance.
Lorsque nous nous séparons, il me conseille de le relire. « Je plaisante », me crie-t-il déjà parti.
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Ça se passe dans le café où je lis l’après-midi. Une femme, point jeune, mais non dépourvue de charme, s’avance vers moi. « Excusez-moi, est-ce que vous êtes Michel ? » « Oui. » « Michel Verrier ? » « Ah non ! » « Vous ressemblez beaucoup à quelqu’un qui s’appelle Michel Verrier. » C’est une histoire courte.
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C’est peut-être le Michel Verrier, romancier en Rhône-Alpes, qui me ressemble. Du moins sans sa barbe.
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« Désormais il ne s'agit plus pour moi que de m'acheminer vers une sortie discrète. Ni sifflets ni applaudissements à l'entrée des vestiaires. J'aurai fait mon métier d'homme, et qui sait, peut-être, pas si mal que ça. Surtout vers la fin. » écrivait sur Effe Bé le trois octobre dernier Dominique-Emmanuel Blanchard qui vient de mourir. Il fut l’un des premiers à me publier, dans sa revue Le Bord de l’Eau à Bordeaux.

8 décembre 2025


En ce mois de décembre rouennais anormalement doux, une plongée dans un mois de décembre rouennais anormalement froid, celui de mil huit cent quatre-vingt-treize par quoi commence Des souvenirs de Joseph Conrad que j’ai lu il y a quelque temps :
On peut écrire des livres en toutes sortes d’endroits. L’inspiration verbale peut pénétrer dans la cabine d’un marin à bord d’un navire pris par les glaces sur une rivière, au milieu d’une ville ; et puisque les saints veillent, dit-on, avec bienveillance sur les humbles croyants, une aimable fantaisie me pousse à penser que l’ombre du vieux Flaubert, - qui s’imaginait être (entre autres choses) un descendant des Vikings, - planait avec un intérêt amusé au-dessus du pont d’un steamer de deux mille tonnes, du nom d’Adowa, saisi par l’hiver inclément, le long d’un quai de Rouen, et à bord duquel je commençai le dixième chapitre de La Folie Almayer. Avec intérêt, dis-je, car le bon géant normand, à l’énorme moustache et à la voix de tonnerre, ne fut-il pas le dernier des romantiques ? Ne fut-il pas, par son éloignement du monde et par sa presque ascétique dévotion à son art, une sorte d’ermite et de saint littéraire ? (…)
 … je me mis à regarder à travers le hublot. L’ouverture ronde encadrait dans sa bordure de cuivre un morceau de quai, avec une file de tonneaux alignés sur la terre glacée, et l’arrière d’une charrette. Un charretier au nez rouge, en blouse et avec un bonnet de laine, était appuyé contre la roue. Un douanier faisait les cent pas, la ceinture bouclée par-dessus sa capote bleue, et avait l’air fort déprimé par cette température et la monotonie de son existence officielle. Un arrière-plan de maisons tristes trouvait place également dans le cadre que formait mon hublot, au-delà d’une assez grande étendue d’un quai pavé, noirci par la boue gelée. Le coloris était sombre et le détail le plus notable était un petit café avec des rideaux aux fenêtres et une misérable devanture de bois, peinte en blanc, tout à fait en rapport avec la misère de ce quartier pauvre qui bordait le fleuve. On nous avait amenés là, d’un autre poste d’amarrage, aux abords de l’Opéra, où ce même hublot m’offrait la vue d’une tout autre sorte de café, le meilleur de la ville, je crois, et celui-là même où le digne Bovary et sa femme, la romantique fille du père Rouault, avaient pris des rafraîchissements, après la mémorable représentation d’un opéra qui n’était autre que la tragique histoire de Lucie de Lammermoor, mise en musique d’opéra-comique.
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Note du traducteur, G. Jean-Aubry : « L’Adowa arriva à Rouen le 4 décembre 1893 et en repartit le 10 janvier 1894 pour Londres, où il arriva le 12 janvier. Le 17 janvier, Joseph Conrad quittait l’Adowa. C’est ce jour-là que prit fin, sans qu’il en eût vraiment pris le parti, sa vie de marin. »

5 décembre 2025


« C'est une figure bien connue de la cause environnementale dans la Métropole rouennaise, mais c'est en sa qualité d'enseignant que Guillaume Blavette comparaît ce jeudi 4 décembre 2025 devant le tribunal correctionnel de Rouen. Ce professeur d'histoire-géographie de 54 ans est jugé pour "atteintes sexuelles sur un mineur de plus de 15 ans commises par une personne ayant autorité sur la victime". » lis-je ce jeudi sur le site d’Ici Normandie.
J’apprends qu’il a été placé en détention provisoire mi-octobre. Il est poursuivi pour avoir eu des relations sexuelles avec trois de ses élèves de lycée, toutes âgées de dix-sept ans au moment des faits.
« Le prévenu, écrit Ici Normandie, bien connu dans la métropole en tant que militant de la cause environnementale, se décrit sur son profil Facebook comme un "écolo décomplexé". Il risque jusqu'à 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende. Lui prétend qu'il s'agissait de véritables histoires d'amour, mais même consenties, ces relations prof-élèves induisant nécessairement un rapport d'autorité sont punies par la loi, dès lors que la victime n'a pas 18 ans. L'enseignant, qui a exercé dans plusieurs lycées de la Seine-Maritime, dont le lycée des Bruyères à Sotteville-lès-Rouen jusqu'en 2025, risque aussi une interdiction d'exercer, temporaire voire définitive. Le rectorat l'a déjà suspendu depuis le 8 janvier. »
Je ne connais pas personnellement Guillaume Blavette. Je l’ai seulement côtoyé lors de certaines manifestations. Notamment au rassemblement contre l’abattage des arbres du square Verdrel fin octobre deux mille seize. A cette date, je parle de lui dans mon Journal :
Arrive aussi l’un des responsables de l’association Effet de Serre Toi-Même, un militant de la militance qui m’insupporte car il prêche en permanence (je l’ai déjà subi dans un rassemblement antinucléaire).
Quand je lui demande pourquoi ses amis écologistes élus au Conseil Municipal de Rouen soutiennent le plan d’abattage, il me répond que lui est associatif. Okay, mais sait-il pourquoi ils agissent ainsi ? Il faut le leur demander. Ils devraient être là, lui dis-je, et je n’en vois aucun, du moins ceux que je connais. Il y en a une, me dit-il, mais il ne veut pas me la montrer, « droit de réserve ».
Il harangue à nouveau les quelques dizaines de présent(e)s et finit par accaparer la journaliste. Quand il parle de Robert, Maire, Socialiste, chef des bûcherons, il l’appelle par son prénom.
Soûlé, je dis au revoir aux deux jeunes défenseurs des arbres à l’origine du rassemblement et quitte les lieux.
J’ajoutais :
Guillaume Blavette, le harangueur d’Effet de Serre Toi-Même, c’est Sers tes Effets Toi-Même.
Guillaume Blavette a été condamné à quatre ans de prison dont un avec sursis. Le compte-rendu de l’audience par France Trois Normandie montre qu’il ne s’agissait guère d’histoires d’amour. Pour sa défense, il a mis en avant sa bipolarité.
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76 actu, de son côté, fait part de la fermeture pour quinze jours du bar Le Sacre dont je fréquente la terrasse aux beaux jours.
« Sur le réseau social Facebook, l’équipe du bar explique la situation dans ces termes : « Suite à des comportements déplacés de certains clients vis-à-vis de la police lors d’un contrôle administratif, notre établissement s’est vu punir et contraint de fermer ses portes jusqu’au 10 décembre. » En commentaires, la clientèle montre son soutien.
De son côté, la Préfecture de Seine-Maritime précise que l’établissement fait l’objet d’un arrêté. Le bar est ainsi l’objet d’une « fermeture administrative temporaire pour une durée de quinze jours ».
Concernant le motif, le bar serait en faute « pour avoir servi de l’alcool à des personnes manifestement ivres, ayant généré une atteinte à l’ordre et à la santé publics, en violation des dispositions de l’article R.3353-2 du Code la Santé publique. »
Plus précisément, et ce ne serait pas la première fois d’après les services de la Préfecture, le bar a servi de l’alcool à des personnes déjà en état d’ébriété manifeste. Ces personnes auraient été à l’origines « d’incidents » qualifiés de troubles à l’ordre et la santé publics, sur lesquels nous n’avons pas davantage de précisions. »
Ce n’est pas pour m’étonner. Dès l’après-midi, j’y voyais des habitués ivres divagant ou accrochés au comptoir. Le Sacre rouvre le dix décembre. La Préfecture va l’avoir à l’œil (comme on dit). Il n’en a pas fini avec les soucis s’il ne se sépare pas de sa clientèle la plus assidue.

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