Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
29 novembre 2025
Ce serait dommage de ne pas noter, avant de ranger Un amour acéphale dans ma bibliothèque, ce que disent de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir Patrick et Isabelle Waldberg dans leur correspondance :
Je n’ai pas eu le temps de lire L’Etre et le Néant, mais j’ai vu Sartre assez souvent. C’est un petit personnage d’aspect repoussant au premier abord ; il a un œil complètement exorbité et dirigé lorsqu’il vous parle vers votre voisin le plus éloigné, de très grosses lunettes, une mousse de poils incolores au menton, car il est rarement rasé, et des vêtements généralement malpropres. Il vit dans une chambre d’une laideur intenable, au dernier étage d’un hôtel de la rue de Seine. Près de lui vit une femme, professeur comme lui, surnommée le Castor (La Nausée lui est dédiée). Le Castor s’appelle réellement Simone de Beauvoir et elle a publié sous ce nom un roman fleuve à clé intitulé L’Invitée. Je ne l’ai pas lu. Il paraît qu’on y retrouve Sartre et ses élèves, et leurs difficiles histoires d’amour (non prestigieuse !) (…) Le couple Sartre-Castor travaille à partir de 9 h du matin au Flore, où l’on peut voir toutes les tables à banquettes occupées par une quinzaine de personnages mâles et femelles, entre 19 et 35 ans, remplissant fébrilement des feuilles volantes de pattes de mouche bien appliquées. Parfois, si l’on monte au premier étage pour téléphoner, on aperçoit au fond de la salle Sartre ou l’un de ses disciples en train de changer de chaussettes, de mettre une cravate, ou de se brosser les dents (cette dernière activité beaucoup plus rare que les autres, bien entendu). Le Castor, qui doit avoir dans les 40 ans, serait une assez jolie femme si elle était soignée. Mais elle partage sans doute avec Sartre le mépris du corps, et certains détails, vus de près, tendent à diminuer le goût qu’on pourrait avoir pour elle. Les rapports de ces deux êtres sont extrêmement curieux ; leurs amis parlent d’« osmose spirituelle », on pense à la « caresse des âmes », aux « minettes de l’esprit » et autres semblables réjouissances. Pourtant Sartre n’est pas un être platonique, loin de là. Il papillonne autour de lui d’assez remarquables blondes à qui il sait parler de l’« existanz » autrement que par croquis. Il est très plaisant, boit bien, et ne dédaigne pas de passer la nuit à vadrouiller jusqu’au matin. Il faut ajouter qu’il a une très bonne voix, une grande simplicité et de l’enthousiasme. Je suis en excellents termes avec lui et le Castor. Patrick, Paris, le vingt-six novembre mil neuf cent quarante-quatre.
J’ai eu la surprise hier d’avoir la visite de Jean-Paul Sartre, ce qui m’a semblé très curieux justement après le long passage que vous lui avez consacré dans votre lettre. Il est ici pour faire la tournée des usines avec quelques journalistes. Isabelle, New York, le quinze janvier mil neuf cent quarante-cinq
Sartre fait la tournée des amis. Il a dîné chez Dolores et voit ce soir Georges. Il doit en sortir tout américanisé et voudra prendre un bain tous les jours à son retour à Paris. Il ouvrira des usines et des drugstores et fera convertir tout le monde aux longs voyages. Isabelle, New York, le vingt-deux janvier mil neuf cent quarante-cinq
Je n’ai pas eu le temps de lire L’Etre et le Néant, mais j’ai vu Sartre assez souvent. C’est un petit personnage d’aspect repoussant au premier abord ; il a un œil complètement exorbité et dirigé lorsqu’il vous parle vers votre voisin le plus éloigné, de très grosses lunettes, une mousse de poils incolores au menton, car il est rarement rasé, et des vêtements généralement malpropres. Il vit dans une chambre d’une laideur intenable, au dernier étage d’un hôtel de la rue de Seine. Près de lui vit une femme, professeur comme lui, surnommée le Castor (La Nausée lui est dédiée). Le Castor s’appelle réellement Simone de Beauvoir et elle a publié sous ce nom un roman fleuve à clé intitulé L’Invitée. Je ne l’ai pas lu. Il paraît qu’on y retrouve Sartre et ses élèves, et leurs difficiles histoires d’amour (non prestigieuse !) (…) Le couple Sartre-Castor travaille à partir de 9 h du matin au Flore, où l’on peut voir toutes les tables à banquettes occupées par une quinzaine de personnages mâles et femelles, entre 19 et 35 ans, remplissant fébrilement des feuilles volantes de pattes de mouche bien appliquées. Parfois, si l’on monte au premier étage pour téléphoner, on aperçoit au fond de la salle Sartre ou l’un de ses disciples en train de changer de chaussettes, de mettre une cravate, ou de se brosser les dents (cette dernière activité beaucoup plus rare que les autres, bien entendu). Le Castor, qui doit avoir dans les 40 ans, serait une assez jolie femme si elle était soignée. Mais elle partage sans doute avec Sartre le mépris du corps, et certains détails, vus de près, tendent à diminuer le goût qu’on pourrait avoir pour elle. Les rapports de ces deux êtres sont extrêmement curieux ; leurs amis parlent d’« osmose spirituelle », on pense à la « caresse des âmes », aux « minettes de l’esprit » et autres semblables réjouissances. Pourtant Sartre n’est pas un être platonique, loin de là. Il papillonne autour de lui d’assez remarquables blondes à qui il sait parler de l’« existanz » autrement que par croquis. Il est très plaisant, boit bien, et ne dédaigne pas de passer la nuit à vadrouiller jusqu’au matin. Il faut ajouter qu’il a une très bonne voix, une grande simplicité et de l’enthousiasme. Je suis en excellents termes avec lui et le Castor. Patrick, Paris, le vingt-six novembre mil neuf cent quarante-quatre.
J’ai eu la surprise hier d’avoir la visite de Jean-Paul Sartre, ce qui m’a semblé très curieux justement après le long passage que vous lui avez consacré dans votre lettre. Il est ici pour faire la tournée des usines avec quelques journalistes. Isabelle, New York, le quinze janvier mil neuf cent quarante-cinq
Sartre fait la tournée des amis. Il a dîné chez Dolores et voit ce soir Georges. Il doit en sortir tout américanisé et voudra prendre un bain tous les jours à son retour à Paris. Il ouvrira des usines et des drugstores et fera convertir tout le monde aux longs voyages. Isabelle, New York, le vingt-deux janvier mil neuf cent quarante-cinq
28 novembre 2025
Lecture au café d’Un amour acéphale, l’épaisse correspondance de Patrick et Isabelle Waldberg publiée aux Editions de la Différence que j’ai acheté chez Boulinier boulevard Saint-Michel. Patrick, écrivain de nationalité américaine engagé dans l’armée française puis dans l’armée américaine et envoyé à Londres près du Général et de Pierre Dac. Isabelle, sculptrice de nationalité suisse exilée à New York durant la guerre, où elle fréquente André Breton, Marcel Duchamp, Max Ernst, Leonora Carrington, Roberto Matta, Claude Lévi-Strauss, etc. Une correspondance publiée par leur fils Michel, dont j’ai noté quelques passages, surtout signés Isabelle.
La sale période des fêtes de Noël me frappe donc dans une relative solitude. Je passerai la soirée de lundi chez ce bon E.L.T. avec Marie Louise Berneri (la fille du Berneri qui fut tué pendant la guerre civile espagnole), charmante jeune anar italienne. Patrick, Londres, le vingt-deux décembre mil neuf cent quarante-trois
Il est question pour moi de réveillonner avec Matta. Il a pour moi des périodes d’amour fou dans lesquelles il me propose de venir habiter chez moi malgré les jumeaux (peut-être à cause d’eux). Puis quand je ne me montre pas très enthousiasmée et quand je lui rappelle que je ne suis pas libre, il se met à bouder et disparaît pour quelque temps. Isabelle, New York, le vingt-trois décembre mil neuf cent quarante-trois
Je suis régulièrement avec Robert et Nina le cours de Lévi-Strauss qui, après avoir traité des Jukas, a commencé la Colombie britannique. A part nous, il y a deux élèves tout au plus, mais le cours est fait comme s’il s’adressait à un auditoire nombreux. Isabelle, New York, le trente mars mil neuf cent quarante-quatre (Robert et Nina Lebel sont les parents de Jean-Jacques qui est le copain d’école de Michel)
Je lis aussi le Journal de Stendhal, il faut dire que j’aime surtout les paroles « dites » grossières et érotiques qu’il fait dire à ses femmes. Isabelle, New York, le dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre
Mme Mirkine ne pousse pas la complaisance jusqu’à me dire si vous baisez sa fille et combien de fois, etc., mais je compte sur vous pour les détails. (…) Matta me délaisse pour une Américaine très jeune et très riche. Isabelle, New York, le dix-neuf novembre mil neuf cent quarante-quatre
Je suis au lit, seul, malheureux, triste et atteint d’une humiliante infirmité : j’ai la gale. Une gale maligne, persistante et généralisée. Je pense avoir contracté cette pénible affection il y a très longtemps, dans cet infect trou de Saint-Pair, plage pourrie de l’abjecte Normandie française. Patrick, Paris, le douze décembre mil neuf cent quarante-quatre
Vous n’écrivez pas, vous ne télégraphiez pas. Nous sommes bien inquiets. Êtes-vous sur mer en route pour l’Amérique ou êtes-vous dans les bras d’une très jeune fille qui vous adore ? Je nous souhaite les deux. Isabelle, New York, le quatorze mars mil neuf cent quarante-cinq
J’ai fait la connaissance grâce à un mot de Duchamp, de Roché, élégant collectionneur qui possède des œuvres de Marcel, Picasso, Picabia et d’autres inconnus. Mon sort l’a ému jusqu’aux larmes, il s’est intéressé à mes productions et parle vaguement d’une exposition possible. Isabelle, Paris, le premier janvier mil neuf cent quarante-six
Je vous signale qu’on ferme les bordels le 15 mars, tâchez donc d’être là avant cette date. Sinon vous en serez réduit comme tout le monde à l’ascèse et à la littérature. Isabelle, Paris, le treize janvier mil neuf cent quarante-six
*
Auparavant lu au même endroit l’épaisse biographie de Dominique Aury, l’auteure d’Histoire d’O, amante de Thierry Maulnier puis de Jean Paulhan, mais aussi d’Édith Thomas, dont j’ai lu avec grand intérêt Pages de journal (1939-1944), puis de Janine Aeply, dont j’ai lu le roman érotique Eros Zéro. Cette dernière, souvent alcoolisée et abrutie par des tranquillisants, était la femme de Jean Fautrier qui aimait la voir baiser avec d’autres hommes qu’elle recrutait par petites annonces, ce qui peut rappeler un épisode judiciaire récent.
La sale période des fêtes de Noël me frappe donc dans une relative solitude. Je passerai la soirée de lundi chez ce bon E.L.T. avec Marie Louise Berneri (la fille du Berneri qui fut tué pendant la guerre civile espagnole), charmante jeune anar italienne. Patrick, Londres, le vingt-deux décembre mil neuf cent quarante-trois
Il est question pour moi de réveillonner avec Matta. Il a pour moi des périodes d’amour fou dans lesquelles il me propose de venir habiter chez moi malgré les jumeaux (peut-être à cause d’eux). Puis quand je ne me montre pas très enthousiasmée et quand je lui rappelle que je ne suis pas libre, il se met à bouder et disparaît pour quelque temps. Isabelle, New York, le vingt-trois décembre mil neuf cent quarante-trois
Je suis régulièrement avec Robert et Nina le cours de Lévi-Strauss qui, après avoir traité des Jukas, a commencé la Colombie britannique. A part nous, il y a deux élèves tout au plus, mais le cours est fait comme s’il s’adressait à un auditoire nombreux. Isabelle, New York, le trente mars mil neuf cent quarante-quatre (Robert et Nina Lebel sont les parents de Jean-Jacques qui est le copain d’école de Michel)
Je lis aussi le Journal de Stendhal, il faut dire que j’aime surtout les paroles « dites » grossières et érotiques qu’il fait dire à ses femmes. Isabelle, New York, le dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre
Mme Mirkine ne pousse pas la complaisance jusqu’à me dire si vous baisez sa fille et combien de fois, etc., mais je compte sur vous pour les détails. (…) Matta me délaisse pour une Américaine très jeune et très riche. Isabelle, New York, le dix-neuf novembre mil neuf cent quarante-quatre
Je suis au lit, seul, malheureux, triste et atteint d’une humiliante infirmité : j’ai la gale. Une gale maligne, persistante et généralisée. Je pense avoir contracté cette pénible affection il y a très longtemps, dans cet infect trou de Saint-Pair, plage pourrie de l’abjecte Normandie française. Patrick, Paris, le douze décembre mil neuf cent quarante-quatre
Vous n’écrivez pas, vous ne télégraphiez pas. Nous sommes bien inquiets. Êtes-vous sur mer en route pour l’Amérique ou êtes-vous dans les bras d’une très jeune fille qui vous adore ? Je nous souhaite les deux. Isabelle, New York, le quatorze mars mil neuf cent quarante-cinq
J’ai fait la connaissance grâce à un mot de Duchamp, de Roché, élégant collectionneur qui possède des œuvres de Marcel, Picasso, Picabia et d’autres inconnus. Mon sort l’a ému jusqu’aux larmes, il s’est intéressé à mes productions et parle vaguement d’une exposition possible. Isabelle, Paris, le premier janvier mil neuf cent quarante-six
Je vous signale qu’on ferme les bordels le 15 mars, tâchez donc d’être là avant cette date. Sinon vous en serez réduit comme tout le monde à l’ascèse et à la littérature. Isabelle, Paris, le treize janvier mil neuf cent quarante-six
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Auparavant lu au même endroit l’épaisse biographie de Dominique Aury, l’auteure d’Histoire d’O, amante de Thierry Maulnier puis de Jean Paulhan, mais aussi d’Édith Thomas, dont j’ai lu avec grand intérêt Pages de journal (1939-1944), puis de Janine Aeply, dont j’ai lu le roman érotique Eros Zéro. Cette dernière, souvent alcoolisée et abrutie par des tranquillisants, était la femme de Jean Fautrier qui aimait la voir baiser avec d’autres hommes qu’elle recrutait par petites annonces, ce qui peut rappeler un épisode judiciaire récent.
27 novembre 2025
Tous les trains vers Paris bloqués hier matin par un arbre tombé. Ce mercredi, je croise les doigts pour qu’aucun incident ne se produise. Dans la voiture Trois du sept heures vingt-deux, des collègues (comme ils disent) sont en chemin vers je ne sais quelle réunion professionnelle. Elles et eux font preuve d’un dynamisme soûlant. Je lis Chez les Weil (André et Simone) de Sylvie Weil, fille du mathématicien du groupe Bourbaki et nièce de la philosophe morte peu après sa naissance.
Tout se passe bien côté train. Je chope un bus Vingt-Neuf sur le départ et observe Paris. Rue du Grenier-Saint-Lazare, un restaurant chinois a pour nom Chez Mamie. Je descends à Bastille, du mauvais côté, car la conductrice qui « dévie le Marais » refuse de s’arrêter avant.
Après passage au Marché d’Aligre (pas d’achat), je passe chez Mona Lisait (pas d’achat) puis, au comptoir du Camélia, attends l’ouverture de Book-Off. Je n’y achète à un euro que deux livres de la collection L’un et l’autre de Gallimard : Long séjour de Jean-Noël Pancrazi et Florentiana de Thierry Laget. Ce dernier bénéficie d’un envoi de l’auteur : « Madame Christiane Baroche, ce guide « sentimental » de quelques collines. Cordialement. Thierry Laget. » (Christiane Baroche est morte à Paris en juillet deux mille vingt-quatre.)
Direction Châtelet où chez Au Diable des Lombards je retrouve ma table de solitaire pour un croustillant d’effiloché de bœuf et un civet de sanglier purée maison.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, peu de livres à un euro sont pour moi : Proust au Majestic de Richard Davenport-Hones (Grasset) et Climats de France de Marie Richeux (Sabine Wespieser).
Je me décide à rejoindre le troisième Book-Off, celui de Quatre-Septembre, snobé depuis un moment, pour voir si ce sera mieux. Las, quand j’arrive sur le quai du métro Onze j’apprends qu’il est à l’arrêt, reprise du trafic dans une heure. Je rejoins la ligne Une, descends à Concorde, prends la ligne Huit et ressors place de l’Opéra, lequel Opéra a disparu derrière une bâche publicitaire. Je termine pédestrement et encore une fois je suis déçu, n’achetant à un euro que Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de sa vie et à celle de son théâtre (Le Temps retrouvé / Mercure de France).
Je prends un café au comptoir du Bistrot d’Edmond où je ne fais plus figure d’habitué puis le métro Trois ressuscité me ramène à Saint-Lazare. Dans le seize heures quarante du retour, je retrouve Sylvie Weil racontant combien il était pesant d’être le sosie d’une tante adulée.
*
C’est à Rouen dans une cellule de la prison Bonne Nouvelle, au début de mil neuf cent quarante, qu’André Weil résolut le problème de Riemann. Il y était enfermé pour refus de porter l’uniforme. C’est ce que m’a appris dans sa préface Michèle Audin qui vient de mourir.
*
J’aurais donné beaucoup pour les avoir vus Éveline et Simone, les deux femmes d’André (sa femme et sa sœur allant le visiter en prison). Le tableau qu’elles présentaient, marchant dans les rues de Rouen, devait être assez remarquable : l’une avec sa jupe informe, ses souliers d’homme et son béret, l’autre avec de jolis pull-overs qu’elle tricotait elle-même, un ravissant chapeau, du rouge à lèvres… (Sylvie Weil, Chez les Weil)
Tout se passe bien côté train. Je chope un bus Vingt-Neuf sur le départ et observe Paris. Rue du Grenier-Saint-Lazare, un restaurant chinois a pour nom Chez Mamie. Je descends à Bastille, du mauvais côté, car la conductrice qui « dévie le Marais » refuse de s’arrêter avant.
Après passage au Marché d’Aligre (pas d’achat), je passe chez Mona Lisait (pas d’achat) puis, au comptoir du Camélia, attends l’ouverture de Book-Off. Je n’y achète à un euro que deux livres de la collection L’un et l’autre de Gallimard : Long séjour de Jean-Noël Pancrazi et Florentiana de Thierry Laget. Ce dernier bénéficie d’un envoi de l’auteur : « Madame Christiane Baroche, ce guide « sentimental » de quelques collines. Cordialement. Thierry Laget. » (Christiane Baroche est morte à Paris en juillet deux mille vingt-quatre.)
Direction Châtelet où chez Au Diable des Lombards je retrouve ma table de solitaire pour un croustillant d’effiloché de bœuf et un civet de sanglier purée maison.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, peu de livres à un euro sont pour moi : Proust au Majestic de Richard Davenport-Hones (Grasset) et Climats de France de Marie Richeux (Sabine Wespieser).
Je me décide à rejoindre le troisième Book-Off, celui de Quatre-Septembre, snobé depuis un moment, pour voir si ce sera mieux. Las, quand j’arrive sur le quai du métro Onze j’apprends qu’il est à l’arrêt, reprise du trafic dans une heure. Je rejoins la ligne Une, descends à Concorde, prends la ligne Huit et ressors place de l’Opéra, lequel Opéra a disparu derrière une bâche publicitaire. Je termine pédestrement et encore une fois je suis déçu, n’achetant à un euro que Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de sa vie et à celle de son théâtre (Le Temps retrouvé / Mercure de France).
Je prends un café au comptoir du Bistrot d’Edmond où je ne fais plus figure d’habitué puis le métro Trois ressuscité me ramène à Saint-Lazare. Dans le seize heures quarante du retour, je retrouve Sylvie Weil racontant combien il était pesant d’être le sosie d’une tante adulée.
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C’est à Rouen dans une cellule de la prison Bonne Nouvelle, au début de mil neuf cent quarante, qu’André Weil résolut le problème de Riemann. Il y était enfermé pour refus de porter l’uniforme. C’est ce que m’a appris dans sa préface Michèle Audin qui vient de mourir.
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J’aurais donné beaucoup pour les avoir vus Éveline et Simone, les deux femmes d’André (sa femme et sa sœur allant le visiter en prison). Le tableau qu’elles présentaient, marchant dans les rues de Rouen, devait être assez remarquable : l’une avec sa jupe informe, ses souliers d’homme et son béret, l’autre avec de jolis pull-overs qu’elle tricotait elle-même, un ravissant chapeau, du rouge à lèvres… (Sylvie Weil, Chez les Weil)
25 novembre 2025
Parfaitement à jeun, vous me voyez non surpris, de me trouver ici, ce matin de lundi. Ici, devant la porte du laboratoire d’analyses médicales de la place Saint-Marc. Je suis le premier. Derrière moi, trois femmes attendent également l’ouverture de la porte à sept heures trente. Il s’agit pour moi de subir la prise de sang annuelle que mon médecin traitant m’a prescrite.
Les formalités remplies, je n’ai pas le temps de m’installer en salle d’attente que m’appelle une infirmière aux cheveux gris. Je la suis dans la pièce de prélèvement. Elle me demande le pourquoi de cette prise de sang. Je lui dis que c’est la surveillance de tout ce qui ne va pas chez les vieux puis je lui annonce que mes veines sont difficiles à trouver. Je sens que ça l’inquiète.
Elle choisit de piquer côté gauche, plus précisément de chercher où piquer côté gauche. Elle ne trouve pas. Elle me dit de serrer la main comme si je tenais une balle de tennis, de serrer, de desserrer, de serrer, de desserrer, etc. Le résultat est médiocre. Elle ne voit rien. « Pompez ! me dit-elle, pompez ! » Comme si j’étais un Shadok ! Quand elle se décide à piquer, c’est ailleurs que dans une veine. « Je vais essayer côté droit », me dit-elle. Nous voici passés de l’autre côté où elle me fait à nouveau pomper tout en continuant à discuter pour masquer son appréhension.
-Ça se passe bien la retraite ?
-Oui, c’est la compensation de la vieillesse.
-Vous n’êtes pas très positif ce matin.
-Je suis comme ça tous les jours.
Je la sens de plus en plus inquiète. Quand elle se décide à piquer côté droit, c’est ailleurs que dans une veine. Malgré sa longue expérience, elle est décontenancée. Elle me dit qu’elle renonce à essayer une troisième fois, qu’elle va appeler une de ses collègues.
Après m’avoir fait mille excuses, elle disparaît et apparaît une infirmière bien plus jeune qui me dit que ça arrive, que ça lui est arrivé à elle-même de ne pas trouver une veine. Ce qui n’est pas très rassurant pour moi. Elle aussi s’efforce de bavarder pour calmer son inquiétude. Elle me signale que son anniversaire est le lendemain du mien, que nous sommes tous deux du signe du verseau.
Elle ne m’oblige pas à pomper. Elle pique côté droit et ouf, dans une veine. Elle me dit que mon sang ne s’écoule pas vite. Il y a quand même de quoi remplir les trois ou quatre tubes (je ne sais combien parce que je ne regarde jamais ce que l’on me fait). Je me rhabille en songeant que jamais ça ne s’est passé aussi mal. « Les résultats dans l’après-midi », me dit celle que je remercie.
A seize heures trente, la secrétaire de l’accueil me les imprime. J’ouvre l’enveloppe à la maison. Un soupir de soulagement en constatant que la glycémie est dans les normes. Quant au cholestérol, c’est trop mais il en est ainsi depuis longtemps et certaines fois, c’était pire.
*
Premières images de Boualem Sansal enfin libéré de sa prison algérienne. Je le regarde, écoutant à peine ce qu’il dit, intrigué par sa nouvelle apparence. Ces cheveux courts, est-ce un effet subi de l’emprisonnement ? Est-ce son choix ? Et ces nouvelles lunettes qui ne lui vont pas, pourquoi ? Il est méconnaissable.
Qu’est devenu l’homme aux cheveux longs attachés en catogan et aux lunettes cerclées d’intellectuel ?
Les formalités remplies, je n’ai pas le temps de m’installer en salle d’attente que m’appelle une infirmière aux cheveux gris. Je la suis dans la pièce de prélèvement. Elle me demande le pourquoi de cette prise de sang. Je lui dis que c’est la surveillance de tout ce qui ne va pas chez les vieux puis je lui annonce que mes veines sont difficiles à trouver. Je sens que ça l’inquiète.
Elle choisit de piquer côté gauche, plus précisément de chercher où piquer côté gauche. Elle ne trouve pas. Elle me dit de serrer la main comme si je tenais une balle de tennis, de serrer, de desserrer, de serrer, de desserrer, etc. Le résultat est médiocre. Elle ne voit rien. « Pompez ! me dit-elle, pompez ! » Comme si j’étais un Shadok ! Quand elle se décide à piquer, c’est ailleurs que dans une veine. « Je vais essayer côté droit », me dit-elle. Nous voici passés de l’autre côté où elle me fait à nouveau pomper tout en continuant à discuter pour masquer son appréhension.
-Ça se passe bien la retraite ?
-Oui, c’est la compensation de la vieillesse.
-Vous n’êtes pas très positif ce matin.
-Je suis comme ça tous les jours.
Je la sens de plus en plus inquiète. Quand elle se décide à piquer côté droit, c’est ailleurs que dans une veine. Malgré sa longue expérience, elle est décontenancée. Elle me dit qu’elle renonce à essayer une troisième fois, qu’elle va appeler une de ses collègues.
Après m’avoir fait mille excuses, elle disparaît et apparaît une infirmière bien plus jeune qui me dit que ça arrive, que ça lui est arrivé à elle-même de ne pas trouver une veine. Ce qui n’est pas très rassurant pour moi. Elle aussi s’efforce de bavarder pour calmer son inquiétude. Elle me signale que son anniversaire est le lendemain du mien, que nous sommes tous deux du signe du verseau.
Elle ne m’oblige pas à pomper. Elle pique côté droit et ouf, dans une veine. Elle me dit que mon sang ne s’écoule pas vite. Il y a quand même de quoi remplir les trois ou quatre tubes (je ne sais combien parce que je ne regarde jamais ce que l’on me fait). Je me rhabille en songeant que jamais ça ne s’est passé aussi mal. « Les résultats dans l’après-midi », me dit celle que je remercie.
A seize heures trente, la secrétaire de l’accueil me les imprime. J’ouvre l’enveloppe à la maison. Un soupir de soulagement en constatant que la glycémie est dans les normes. Quant au cholestérol, c’est trop mais il en est ainsi depuis longtemps et certaines fois, c’était pire.
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Premières images de Boualem Sansal enfin libéré de sa prison algérienne. Je le regarde, écoutant à peine ce qu’il dit, intrigué par sa nouvelle apparence. Ces cheveux courts, est-ce un effet subi de l’emprisonnement ? Est-ce son choix ? Et ces nouvelles lunettes qui ne lui vont pas, pourquoi ? Il est méconnaissable.
Qu’est devenu l’homme aux cheveux longs attachés en catogan et aux lunettes cerclées d’intellectuel ?
22 novembre 2025
C’est désormais en novembre que le groupe d’Amnesty International de Louviers Val-de-Reuil organise sa vente de livres d’occasion au Lycée Marc Bloch de Val-de-Reuil. Ce samedi, elle commence à quatorze heures, mais pour y aller, c’est bien compliqué.
Il y a encore des travaux ce ouiquennede sur la voie ferrée entre Rouen et Paris. En conséquence, pour aller de Rouen à Val-de-Reuil, villes distantes d’une trentaine de kilomètres, la Senecefe propose un trajet en cinq heures vingt-quatre. Il faut d’abord prendre un train de Rouen jusqu’à Yvetot puis à Yvetot un train qui, passant par Gisors, atteindra la Gare Saint-Lazare puis, après une attente d’une heure vingt et une minutes, de la Gare Saint-Lazare rejoindre Val-de-Reuil. Tout cela pour trente-sept euros cinquante avec la Carte Avantage. Qui irait faire un pareil voyage ?
Le plan Bé, c’est le car Nomad Deux Cent Quinze à trois euros partant de la Gare Routière de Rouen. Il démarre à midi trente-cinq et arrive à Val-de-Reuil une heure plus tard. Malgré le froid, je m’y risquerais bien. Oui mais, pour revenir, il faudrait attendre le dix-sept heures vingt-deux, n’arrivant à Rouen qu’à dix-huit heures vingt et peut-être pleuvra-t-il à ce moment-là. Être sous la pluie avec des sacs de livres, c’est bien embêtant. Cela m’amène à rester sage et à Rouen.
*
Ce vendredi vingt et un novembre est le jour de l’ouverture du Marché de Noël de Rouen. Sa musique tonitruante révèle le manque d’animation naturelle. Au café où je lis l’après-midi, la clientèle bourgeoise n’est pas emballée : « Rien d’extraordinaire » « C’est comme tous les ans » « Beaucoup de bijoux ».
*
Triste d’apprendre en rentrant ce vendredi le décès de Jean Guidoni dont j’appréciais les chansons, surtout celles du début évoquant le sexe louche, les nuits en bas résille et les plans cul dangereux : Je marche dans les villes, Chez Guitte, Sirocco (est-ce que c’est bon l’amour avec les militaires ?), Il y a, Djemila, Chanson pour le cadavre exquis, Tramway Terminus Nord, Ce sont des choses qui arrivent, Mort à Venise, etc.
Il avait mon âge, soixante-quatorze ans, et est mort « des suites d'une maladie fulgurante ». Cela pourrait m’inquiéter si je ne pensais déjà chaque jour que ça peut mal tourner pour moi à tout moment.
Il y a encore des travaux ce ouiquennede sur la voie ferrée entre Rouen et Paris. En conséquence, pour aller de Rouen à Val-de-Reuil, villes distantes d’une trentaine de kilomètres, la Senecefe propose un trajet en cinq heures vingt-quatre. Il faut d’abord prendre un train de Rouen jusqu’à Yvetot puis à Yvetot un train qui, passant par Gisors, atteindra la Gare Saint-Lazare puis, après une attente d’une heure vingt et une minutes, de la Gare Saint-Lazare rejoindre Val-de-Reuil. Tout cela pour trente-sept euros cinquante avec la Carte Avantage. Qui irait faire un pareil voyage ?
Le plan Bé, c’est le car Nomad Deux Cent Quinze à trois euros partant de la Gare Routière de Rouen. Il démarre à midi trente-cinq et arrive à Val-de-Reuil une heure plus tard. Malgré le froid, je m’y risquerais bien. Oui mais, pour revenir, il faudrait attendre le dix-sept heures vingt-deux, n’arrivant à Rouen qu’à dix-huit heures vingt et peut-être pleuvra-t-il à ce moment-là. Être sous la pluie avec des sacs de livres, c’est bien embêtant. Cela m’amène à rester sage et à Rouen.
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Ce vendredi vingt et un novembre est le jour de l’ouverture du Marché de Noël de Rouen. Sa musique tonitruante révèle le manque d’animation naturelle. Au café où je lis l’après-midi, la clientèle bourgeoise n’est pas emballée : « Rien d’extraordinaire » « C’est comme tous les ans » « Beaucoup de bijoux ».
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Triste d’apprendre en rentrant ce vendredi le décès de Jean Guidoni dont j’appréciais les chansons, surtout celles du début évoquant le sexe louche, les nuits en bas résille et les plans cul dangereux : Je marche dans les villes, Chez Guitte, Sirocco (est-ce que c’est bon l’amour avec les militaires ?), Il y a, Djemila, Chanson pour le cadavre exquis, Tramway Terminus Nord, Ce sont des choses qui arrivent, Mort à Venise, etc.
Il avait mon âge, soixante-quatorze ans, et est mort « des suites d'une maladie fulgurante ». Cela pourrait m’inquiéter si je ne pensais déjà chaque jour que ça peut mal tourner pour moi à tout moment.
21 novembre 2025
En ce jour de pluie, je me replonge dans le Journal de Julie Manet au moment de son séjour avec sa mère Berthe Morisot, quand elle avait quinze ans, à Roche Plate devant laquelle je passais chaque jour en octobre dernier. Lors de ce séjour, la jeune Julie put entrer dans la chapelle de Saint-Marc à Tréveneuc. Intéressant aussi ce qu’elle dit l’année précédente de « Monsieur Monet » à Giverny et les suivantes du Mont-Saint-Michel et de « Monsieur Degas » à Paris.
Lundi trente octobre mil huit cent quatre-vingt-treize : Parties ce matin de bonne heure pour Giverny. Pluie toute la journée. Monsieur Monet nous a montré ses cathédrales. Il y en a vingt-six, elles sont magnifiques, quelques-unes toutes violettes, d’autres blanches, jaunes, avec un ciel bleu, roses avec un ciel un peu vert, puis une dans le brouillard, deux ou trois dans l’ombre au bas et éclairées des rayons du soleil sur les tours. Ces cathédrales, admirablement dessinées, sont faites par masses, et cependant on y découvre chaque détail, elles sont tellement dans l’air. Cela me semble si difficile de ne pas dessiner tous les détails.
Ces tableaux de Monsieur Monet donnent une bonne leçon de peinture.
Mercredi huit août mil huit cent quatre-vingt-quatorze : Nous partons aujourd’hui pour la Bretagne par le train de 8 heures du soir, nous descendrons à Saint-Brieuc pour aller à Portrieux.
Jeudi neuf août mil huit cent quatre-vingt-quatorze : La route de Saint-Brieuc à Portrieux est assez longue, on traverse des espèces de petites montagnes, d’une très jolie forme, il y a beaucoup de routes en pente, partout sur la route on voit des femmes avec des châles et de grands bonnets qui ont l’air d’ailes, puis en charrette des religieuses tout en blanc, cela est fort pittoresque.
Dimanche dix-neuf août mil huit cent quatre-vingt-quatorze : A Saint-Marc, il se trouve quelque chose vraiment de très touchant et très triste : c’est une chapelle élevée à la mémoire des marins bretons ayant péri en mer. Tous leurs noms sont inscrits près de l’autel, oh ! comme il y en a, cette mer terrible en a tant englouti, je la croyais moins cruelle.
Samedi trois août mil huit cent quatre-vingt-quinze : Nous prenons un déjeuner fade avec cette omelette jaune de la mère Poulard et ensuite nous visitons l’abbaye en troupeau comme des moutons.
Mercredi quatre mars mil huit cent quatre-vingt-seize : Nous trouvons Monsieur Degas tout seul accrochant des dessins dans la salle du fond. Il répète constamment qu’il ne s’occupe pas du public, ces gens qui se promènent avec des yeux tout ronds et regardent la peinture ou plutôt la regardent sans la voir en disant : « C’est beau, c’est très beau ».
Lundi trente octobre mil huit cent quatre-vingt-treize : Parties ce matin de bonne heure pour Giverny. Pluie toute la journée. Monsieur Monet nous a montré ses cathédrales. Il y en a vingt-six, elles sont magnifiques, quelques-unes toutes violettes, d’autres blanches, jaunes, avec un ciel bleu, roses avec un ciel un peu vert, puis une dans le brouillard, deux ou trois dans l’ombre au bas et éclairées des rayons du soleil sur les tours. Ces cathédrales, admirablement dessinées, sont faites par masses, et cependant on y découvre chaque détail, elles sont tellement dans l’air. Cela me semble si difficile de ne pas dessiner tous les détails.
Ces tableaux de Monsieur Monet donnent une bonne leçon de peinture.
Mercredi huit août mil huit cent quatre-vingt-quatorze : Nous partons aujourd’hui pour la Bretagne par le train de 8 heures du soir, nous descendrons à Saint-Brieuc pour aller à Portrieux.
Jeudi neuf août mil huit cent quatre-vingt-quatorze : La route de Saint-Brieuc à Portrieux est assez longue, on traverse des espèces de petites montagnes, d’une très jolie forme, il y a beaucoup de routes en pente, partout sur la route on voit des femmes avec des châles et de grands bonnets qui ont l’air d’ailes, puis en charrette des religieuses tout en blanc, cela est fort pittoresque.
Dimanche dix-neuf août mil huit cent quatre-vingt-quatorze : A Saint-Marc, il se trouve quelque chose vraiment de très touchant et très triste : c’est une chapelle élevée à la mémoire des marins bretons ayant péri en mer. Tous leurs noms sont inscrits près de l’autel, oh ! comme il y en a, cette mer terrible en a tant englouti, je la croyais moins cruelle.
Samedi trois août mil huit cent quatre-vingt-quinze : Nous prenons un déjeuner fade avec cette omelette jaune de la mère Poulard et ensuite nous visitons l’abbaye en troupeau comme des moutons.
Mercredi quatre mars mil huit cent quatre-vingt-seize : Nous trouvons Monsieur Degas tout seul accrochant des dessins dans la salle du fond. Il répète constamment qu’il ne s’occupe pas du public, ces gens qui se promènent avec des yeux tout ronds et regardent la peinture ou plutôt la regardent sans la voir en disant : « C’est beau, c’est très beau ».
20 novembre 2025
À pied jusqu’au Square Verdrel puis, la pluie de retour, je saute dans le bus Effe Sept gratuit ce mercredi pour cause de Foire Saint-Romain pour atteindre la Gare sans me mouiller. Dans la voiture Trois du sept heures vingt-deux pour Paris, je lis Une enfance de château de Lord Berners, compositeur d’avant-garde admiré par Stravinski, peintre et auteur de quatre volumes de souvenirs. Ce premier, consacré à son éducation anglaise et à ses premiers émois homosexuels, est le seul traduit en français. À l’extérieur, ça pleut.
Bondés, les métros Trois et Huit qui m’emmènent à Ledru-Rollin. À la sortie, une vague éclaircie m’incite à rejoindre le Marché d’Aligre. Emile n’y est pas. Amine oui, avec des nouveautés, mais rien pour moi. Au Camélia, c’est assis que je bois le café car il me faut attendre un moment avant qu’il soit onze heures. Ma lecture du jour ne me déçoit pas heureusement.
Au Book-Off de Ledru-Rollin, ma récolte de livres à un euro est modeste : Les Arcs de Saint-Pierre de Gil Jouanard (Editions du Laquet) et Lettres à la Bien-aimée et autres poèmes de Thierry Metz (Poésie Gallimard). J’y ajoute Hymnes à la haine de Dorothy Parker (Phébus libretto) que je destine à celui avec qui j’ai rendez-vous à midi, midi et quart, chez Au Diable des Lombards.
Je choisis une table tranquille sur le côté et l’ami d’Orléans me rejoint dans les temps. Il m’explique la raison de sa présence dans la capitale. On l’attend à Bologne où il donnera une conférence sur l’œuvre de Nicole Claveloux exposée au Festival A occhi aperti (Les yeux ouverts). Il doit prendre un avion en fin d’après-midi et aucun train dans la journée entre Orléans et Paris. Entrée plat pour moi et plat dessert pour lui. Nous discutons de nos vies respectives.
À l’issue de ce repas, bien que cela le charge un peu, mais je ne savais pas qu’il prenait l’avion, je lui donne Hymnes à la haine de Dorothy Parker ainsi que, trouvé autrefois chez Book-Off, Chier dans le cassetin aux apostrophes de David Alliot (Horay) qui recense six cents mots de l’argot des métiers du livre. À quoi j’ajoute des livres pour enfants qui j’espère lui seront utiles, certains anciens et étrangers, prélevés au fil des mois dans les boîtes à livres rouennaises.
Nous nous séparons rue Saint-Martin, lui allant visiter des galeries d’art dans le Marais, moi descendant au sous-sol du Book-Off à la recherche de livres à un euro. Je mets dans mon panier Soliloque du prisonnier de Charles Maurras (L’Herne) et, comme antidote, Chez les Weil (André et Simone) de Sylvie Weil (Phébus libretto). Après avoir hésité, j’ajoute C’est encore moi qui vous écris de Marie Billetdoux (J’ai Lu), deux gros volumes de mil quatre cents quatre-vingt-deux pages en coffret qui contiennent tous les écrits qui ont jalonné sa vie entre mil neuf cent soixante-huit et deux mille huit, sa correspondance, son journal intime, ses documents administratifs et des articles de presse. Je les lirai peut-être. Je me souviens comme elle était jolie au temps de son premier roman quand elle s’appelait Raphaële et était reçue à Apostrophes par Bernard Pivot.
*
Comme les événements dans les romans de Henry James, elle était toujours « sur le point d’arriver. » (Lord Berners Une enfance de château)
*
Parmi les compositions de Lord Berners : les Trois petites marches funèbres « pour un homme d’Etat » « pour un canari » « pour une tante à héritage » (mil neuf cent seize).
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Dans sa propriété, Faringdon House, près d’Oxford, il fit construire une tour de quarante-trois mètres de haut au pied de laquelle il mit un écriteau : « Members of the Public committing suicide from this tower do so at their own risk ».
Bondés, les métros Trois et Huit qui m’emmènent à Ledru-Rollin. À la sortie, une vague éclaircie m’incite à rejoindre le Marché d’Aligre. Emile n’y est pas. Amine oui, avec des nouveautés, mais rien pour moi. Au Camélia, c’est assis que je bois le café car il me faut attendre un moment avant qu’il soit onze heures. Ma lecture du jour ne me déçoit pas heureusement.
Au Book-Off de Ledru-Rollin, ma récolte de livres à un euro est modeste : Les Arcs de Saint-Pierre de Gil Jouanard (Editions du Laquet) et Lettres à la Bien-aimée et autres poèmes de Thierry Metz (Poésie Gallimard). J’y ajoute Hymnes à la haine de Dorothy Parker (Phébus libretto) que je destine à celui avec qui j’ai rendez-vous à midi, midi et quart, chez Au Diable des Lombards.
Je choisis une table tranquille sur le côté et l’ami d’Orléans me rejoint dans les temps. Il m’explique la raison de sa présence dans la capitale. On l’attend à Bologne où il donnera une conférence sur l’œuvre de Nicole Claveloux exposée au Festival A occhi aperti (Les yeux ouverts). Il doit prendre un avion en fin d’après-midi et aucun train dans la journée entre Orléans et Paris. Entrée plat pour moi et plat dessert pour lui. Nous discutons de nos vies respectives.
À l’issue de ce repas, bien que cela le charge un peu, mais je ne savais pas qu’il prenait l’avion, je lui donne Hymnes à la haine de Dorothy Parker ainsi que, trouvé autrefois chez Book-Off, Chier dans le cassetin aux apostrophes de David Alliot (Horay) qui recense six cents mots de l’argot des métiers du livre. À quoi j’ajoute des livres pour enfants qui j’espère lui seront utiles, certains anciens et étrangers, prélevés au fil des mois dans les boîtes à livres rouennaises.
Nous nous séparons rue Saint-Martin, lui allant visiter des galeries d’art dans le Marais, moi descendant au sous-sol du Book-Off à la recherche de livres à un euro. Je mets dans mon panier Soliloque du prisonnier de Charles Maurras (L’Herne) et, comme antidote, Chez les Weil (André et Simone) de Sylvie Weil (Phébus libretto). Après avoir hésité, j’ajoute C’est encore moi qui vous écris de Marie Billetdoux (J’ai Lu), deux gros volumes de mil quatre cents quatre-vingt-deux pages en coffret qui contiennent tous les écrits qui ont jalonné sa vie entre mil neuf cent soixante-huit et deux mille huit, sa correspondance, son journal intime, ses documents administratifs et des articles de presse. Je les lirai peut-être. Je me souviens comme elle était jolie au temps de son premier roman quand elle s’appelait Raphaële et était reçue à Apostrophes par Bernard Pivot.
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Comme les événements dans les romans de Henry James, elle était toujours « sur le point d’arriver. » (Lord Berners Une enfance de château)
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Parmi les compositions de Lord Berners : les Trois petites marches funèbres « pour un homme d’Etat » « pour un canari » « pour une tante à héritage » (mil neuf cent seize).
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Dans sa propriété, Faringdon House, près d’Oxford, il fit construire une tour de quarante-trois mètres de haut au pied de laquelle il mit un écriteau : « Members of the Public committing suicide from this tower do so at their own risk ».
18 novembre 2025
Ce mardi est le jour de mon bilan annuel chez le médecin traitant. De bon matin, je traverse la ville de Rouen et monte vers le Boulingrin où j’arrive un peu essoufflé mais bien moins qu’au temps où je souffrais des suites d’un possible Covid.
J’ai rendez-vous à huit heures quarante-cinq. Je suis donc seul dans la salle d’attente quand il vient me chercher. Il commence par m’ausculter. Mon cœur bat un peu vite. Ma tension est plus élevée que les années précédentes tout en restant dans la norme. Bizarrement, je pèse quatre kilos de moins que les précédentes années. « J'ai pourtant mangé au restaurant tous les jours en septembre et octobre », lui dis-je. Nous faisons ensuite le point sur ce qui ne va pas chez moi. À commencer par mon envie d’uriner trop souvent, contre laquelle il me renouvelle mon traitement. Puis ma possible allergie à Cosidim et son générique qui me rend les paupières irritées contre laquelle il me donne un traitement pour six mois en me disant de voir ça avec l’ophtalmo. Il me prescrit une nouvelle fois la prise de sang nécessaire pour surveiller le cholestérol et le risque de diabète. Il me fait une ordonnance pour les semelles orthopédiques que je dois porter mais dont je me dispense depuis l’été dernier après qu’elles m’ont abîmé les pieds dans mes nouvelles chaussures quand j’étais à Saint-Raphaël et à Colmar. Je lui parle de la tache que j’aurais sur la tête, dont personne ne m’avait averti jusqu’à ce que ma coiffeuse l’été dernier ne me l’indique en précisant qu’elle lui semblait s’être agrandie. « Ce n’est rien, me dit-il, c’est bénin mais avec l’âge cela va se voir de plus en plus. » Nous faisons également le point sur mes vaccinations et il m’apprend que je n’ai pas besoin d’un rappel contre le tétanos. Mon carnet de vaccination n’était pas rempli correctement, il le corrige. Prochain rappel en deux mille trente-deux. « Il faut pouvoir rester en vie jusqu’à cette date », lui dis-je. Il me répond qu’il n’en doute pas.
Je m’apprête à lui donner ma Carte Vitale mais il m’indique qu’il ne peut pas l’utiliser. Il fait partie des médecins qui se sont fait pirater et le problème n’est toujours pas résolu. Il me donne donc une feuille de soin à l’ancienne que je vais devoir envoyer à Mayenne, l’unique adresse désormais de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale.
*
Cette Mutuelle Générale de l’Education Nationale qui m’envoie un tas de courriers pour que je m’inscrive sur Ameli. Ce que je tente finalement, mais impossible. Ma Carte Vitale est trop ancienne, elle ne dispose pas d’un numéro de série. Il faut dire qu’elle date de mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, l’année de mon arrivée à Rouen.
J’ai rendez-vous à huit heures quarante-cinq. Je suis donc seul dans la salle d’attente quand il vient me chercher. Il commence par m’ausculter. Mon cœur bat un peu vite. Ma tension est plus élevée que les années précédentes tout en restant dans la norme. Bizarrement, je pèse quatre kilos de moins que les précédentes années. « J'ai pourtant mangé au restaurant tous les jours en septembre et octobre », lui dis-je. Nous faisons ensuite le point sur ce qui ne va pas chez moi. À commencer par mon envie d’uriner trop souvent, contre laquelle il me renouvelle mon traitement. Puis ma possible allergie à Cosidim et son générique qui me rend les paupières irritées contre laquelle il me donne un traitement pour six mois en me disant de voir ça avec l’ophtalmo. Il me prescrit une nouvelle fois la prise de sang nécessaire pour surveiller le cholestérol et le risque de diabète. Il me fait une ordonnance pour les semelles orthopédiques que je dois porter mais dont je me dispense depuis l’été dernier après qu’elles m’ont abîmé les pieds dans mes nouvelles chaussures quand j’étais à Saint-Raphaël et à Colmar. Je lui parle de la tache que j’aurais sur la tête, dont personne ne m’avait averti jusqu’à ce que ma coiffeuse l’été dernier ne me l’indique en précisant qu’elle lui semblait s’être agrandie. « Ce n’est rien, me dit-il, c’est bénin mais avec l’âge cela va se voir de plus en plus. » Nous faisons également le point sur mes vaccinations et il m’apprend que je n’ai pas besoin d’un rappel contre le tétanos. Mon carnet de vaccination n’était pas rempli correctement, il le corrige. Prochain rappel en deux mille trente-deux. « Il faut pouvoir rester en vie jusqu’à cette date », lui dis-je. Il me répond qu’il n’en doute pas.
Je m’apprête à lui donner ma Carte Vitale mais il m’indique qu’il ne peut pas l’utiliser. Il fait partie des médecins qui se sont fait pirater et le problème n’est toujours pas résolu. Il me donne donc une feuille de soin à l’ancienne que je vais devoir envoyer à Mayenne, l’unique adresse désormais de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale.
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Cette Mutuelle Générale de l’Education Nationale qui m’envoie un tas de courriers pour que je m’inscrive sur Ameli. Ce que je tente finalement, mais impossible. Ma Carte Vitale est trop ancienne, elle ne dispose pas d’un numéro de série. Il faut dire qu’elle date de mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, l’année de mon arrivée à Rouen.
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