Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

5 décembre 2025


« C'est une figure bien connue de la cause environnementale dans la Métropole rouennaise, mais c'est en sa qualité d'enseignant que Guillaume Blavette comparaît ce jeudi 4 décembre 2025 devant le tribunal correctionnel de Rouen. Ce professeur d'histoire-géographie de 54 ans est jugé pour "atteintes sexuelles sur un mineur de plus de 15 ans commises par une personne ayant autorité sur la victime". » lis-je ce jeudi sur le site d’Ici Normandie.
J’apprends qu’il a été placé en détention provisoire mi-octobre. Il est poursuivi pour avoir eu des relations sexuelles avec trois de ses élèves de lycée, toutes âgées de dix-sept ans au moment des faits.
« Le prévenu, écrit Ici Normandie, bien connu dans la métropole en tant que militant de la cause environnementale, se décrit sur son profil Facebook comme un "écolo décomplexé". Il risque jusqu'à 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende. Lui prétend qu'il s'agissait de véritables histoires d'amour, mais même consenties, ces relations prof-élèves induisant nécessairement un rapport d'autorité sont punies par la loi, dès lors que la victime n'a pas 18 ans. L'enseignant, qui a exercé dans plusieurs lycées de la Seine-Maritime, dont le lycée des Bruyères à Sotteville-lès-Rouen jusqu'en 2025, risque aussi une interdiction d'exercer, temporaire voire définitive. Le rectorat l'a déjà suspendu depuis le 8 janvier. »
Je ne connais pas personnellement Guillaume Blavette. Je l’ai seulement côtoyé lors de certaines manifestations. Notamment au rassemblement contre l’abattage des arbres du square Verdrel fin octobre deux mille seize. A cette date, je parle de lui dans mon Journal :
Arrive aussi l’un des responsables de l’association Effet de Serre Toi-Même, un militant de la militance qui m’insupporte car il prêche en permanence (je l’ai déjà subi dans un rassemblement antinucléaire).
Quand je lui demande pourquoi ses amis écologistes élus au Conseil Municipal de Rouen soutiennent le plan d’abattage, il me répond que lui est associatif. Okay, mais sait-il pourquoi ils agissent ainsi ? Il faut le leur demander. Ils devraient être là, lui dis-je, et je n’en vois aucun, du moins ceux que je connais. Il y en a une, me dit-il, mais il ne veut pas me la montrer, « droit de réserve ».
Il harangue à nouveau les quelques dizaines de présent(e)s et finit par accaparer la journaliste. Quand il parle de Robert, Maire, Socialiste, chef des bûcherons, il l’appelle par son prénom.
Soûlé, je dis au revoir aux deux jeunes défenseurs des arbres à l’origine du rassemblement et quitte les lieux.
J’ajoutais :
Guillaume Blavette, le harangueur d’Effet de Serre Toi-Même, c’est Sers tes Effets Toi-Même.
Guillaume Blavette a été condamné à quatre ans de prison dont un avec sursis. Le compte-rendu de l’audience par France Trois Normandie montre qu’il ne s’agissait guère d’histoires d’amour. Pour sa défense, il a mis en avant sa bipolarité.
                                                                    *
76 actu, de son côté, fait part de la fermeture pour quinze jours du bar Le Sacre dont je fréquente la terrasse aux beaux jours.
« Sur le réseau social Facebook, l’équipe du bar explique la situation dans ces termes : « Suite à des comportements déplacés de certains clients vis-à-vis de la police lors d’un contrôle administratif, notre établissement s’est vu punir et contraint de fermer ses portes jusqu’au 10 décembre. » En commentaires, la clientèle montre son soutien.
De son côté, la Préfecture de Seine-Maritime précise que l’établissement fait l’objet d’un arrêté. Le bar est ainsi l’objet d’une « fermeture administrative temporaire pour une durée de quinze jours ».
Concernant le motif, le bar serait en faute « pour avoir servi de l’alcool à des personnes manifestement ivres, ayant généré une atteinte à l’ordre et à la santé publics, en violation des dispositions de l’article R.3353-2 du Code la Santé publique. »
Plus précisément, et ce ne serait pas la première fois d’après les services de la Préfecture, le bar a servi de l’alcool à des personnes déjà en état d’ébriété manifeste. Ces personnes auraient été à l’origines « d’incidents » qualifiés de troubles à l’ordre et la santé publics, sur lesquels nous n’avons pas davantage de précisions. »
Ce n’est pas pour m’étonner. Dès l’après-midi, j’y voyais des habitués ivres divagant ou accrochés au comptoir. Le Sacre rouvre le dix décembre. La Préfecture va l’avoir à l’œil (comme on dit). Il n’en a pas fini avec les soucis s’il ne se sépare pas de sa clientèle la plus assidue.

4 décembre 2025


Un voyage à l’étage ce mercredi direction Paris dans le sept heures vingt-deux où je reprends la lecture de Chez les Weil de Sylvie Weil, fille du mathématicien André et nièce de la philosophe Simone.
À l’arrivée, je choisis le métro pour rejoindre Ledru-Rollin. Dans les stations, des affiches invitent à un spectacle de Sara Baras que j’ai vue autrefois à l’invitation de celle qui me tenait la main et habite à Asnières. Je me souviens qu’à la fin de ce spectacle, la danseuse de flamenco avait fait monter sa mère sur scène pour quelques pas avec elle.
Un café au comptoir du Camélia et direction le Marché d’Aligre. Émile déstocke : un euro le livre, deux euros les trois. « Un euro un euro un euro », crient ses rabatteurs. Une sorte de mélopée destinée à envoûter qui passe, comme font ceux qui vendent des avocats à la sauvette dans une gare. Je mets la main sur une rareté, le catalogue de l’exposition Paul Léautaud organisée par la Bibliothèque Nationale à la Bibliothèque de l’Arsenal en mil neuf cent soixante-douze pour le centenaire de sa naissance, puis sur Esprit de Prague d’Ivan Klíma (Anatolia/Editions du Rocher). Pour le troisième, gratuit, je ne peux trouver mieux que Voyage en Suisse d’Alexandre Dumas (Hermann). « Trois euros », me dit le rabatteur à qui je vais payer. « Je croyais que c’était trois pour deux. » « C’était une erreur, ils se sont trompés », me dit Émile. Toutefois, il ne me demande que deux euros. Je le remercie et rejoins Re-Read.
Sur la porte de la bouquinerie du boulevard Voltaire, il est désormais écrit que les chiens sont les bienvenus. Ils savent lire depuis qu’ils sont enfants d’humains. Je vois quelques livres que j’aurais pu acheter si je ne les avais déjà. Pour l’un, je vérifie dans mon répertoire bleu, ne sachant plus si oui ou non. C’est non. Jeunesses d’Henri Calet (Le Dilettante) est à quatre euros, comme tous les livres ici. Comme j’en ai vendu en arrivant pour deux euros soixante-quinze, cet ouvrage ne me revient qu’à un euro vingt-cinq.
Je rejoins le Book-Off de Ledru-Rollin. Encore une fois, j’y trouve peu à un euro, seulement L’agonie de la France de Manuel Chaves Nogales (Quai Voltaire).
Par le métro, je rejoins l’Hôtel de Ville. Une touriste à valise se fait serrer par la double porte du Un. Elle crie. Deux passagères tirent les portes et la délivrent. Celle qui l’accompagne, restée sur le quai, en profite pour monter. « C’est quoi ce truc-là ? », se plaint-elle tandis que son amie se frotte le bras. Des provinciales qui rejoignent la Gare de Lyon.
Ce mercredi, je déjeune chez China et ai heureusement terminé quand arrive une famille à deux moutardes excitées et à grand-père dépassé.
Du sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, je remonte avec deux livres à un euro : L’œil, le mot de Werner Spies (Titres Christian Bourgois) et Petites ignorances de la conversation de Charles Rozan (Éditions des Équateurs).
Je rejoins L’Importun pour un café lecture. Chez les Weil terminé, j’enchaîne avec Armen de Jean-Pierre Abraham que je termine dans le seize heures quarante du retour. « Un livre culte, unique », est-il écrit en quatrième de couverture. Un livre ennuyeux où il est sans cesse question de travaux à faire dans ce phare gardé par un duo d’hommes dont l’auteur, une histoire de mâles qui proclame qu’il ne faut pas pleurer comme une fille.
« Notre train vient de s’arrêter inopinément. Il est susceptible de repartir. » C’est ce qu’il fait. Nous sommes à Tourville-la-Rivière. Encore un effort et c’est Rouen avec huit minutes de retard.

3 décembre 2025


Me voilà tranquille pour encore trois ans et demi puisque la lettre recommandée m’annonçant la non reconduction de mon bail de locataire devait me parvenir au moins six mois avant la fin de ce bail, lequel s’achèvera le deux mai, date à laquelle il sera reconduit automatiquement. Ce mardi deux décembre était le dernier jour où je pouvais la recevoir.
Je ne sais à quel(le) descendant(e) de ma défunte propriétaire a échu mon logis. Même si elle ou lui désirait le vendre, elle ou lui ne pourrait le faire que dans trois ans et demi (sauf à vendre avec moi à l’intérieur). De même, si elle ou lui voulait y mettre un de ses enfants, petits-enfants, neveux, nièces ou cousins germains, ce ne pourrait être qu’à la fin de ce nouveau bail.
Si je reste vivant, mes trois prochaines années se passeront donc à la même adresse, dans cet appartement envahi de livres d’une copropriété dotée d’un jardin commun où il fait bon lire aux beaux jours. Cela dans un environnement des plus calmes. Surtout depuis que ma voisine et son fils se sont installés dans l’appartement le plus proche. Ils ne font aucun bruit. J’ai l’impression d’être revenu aux premières années de mon établissement ici, quand cet appartement était inoccupé.
                                                                    *
Vérifiant mon calcul avant de publier, je m’aperçois que six mois avant le deux mai, c’était le deux novembre. Cela fait donc un mois que j’aurais pu être tranquillisé, n’ayant toutefois pas été très inquiet, me disant que la famille de ma défunte propriétaire m’aurait averti bien avant la date butoir en cas de non renouvellement du bail (du moins je le pense).

2 décembre 2025


En attendant le départ du bus Effe Sept garé devant l’Hôtel de Ville de Sotteville-lès-Rouen, j’observe deux sexagénaires qui tentent d’alpaguer qui passe. C’est Lutte Ouvrière avec son petit drapeau. Sur l’affiche : « Le capitalisme, c’est la guerre. Pour avoir la paix, il faut le renverser ». Comment renverser le capitalisme ? Pas avec des armes, j’espère. Plus obstinés qu’eux, je ne connais que les Témoins de Jéhovah. Je suis certain que les seconds font plus d’adeptes que les premiers.
Pendant ce temps, tout va pour le mieux dans le camp d’en face. Des centaines de partisan(ne)s se pressent dans les librairies où Bardella signe son dernier livre. Lui lancer de la farine ou lui écraser un œuf sur la tête ne peut que renforcer sa popularité. Il suffit de fréquenter les bars, comme je le fais ici et dans les régions où je vadrouille, pour savoir ce qui va se passer.
Toute une semaine de pluie (sauf le mercredi à Paris). Dans les rues rouennaises errent des Eurois et des Cauchois attirés par le Vendredi Noir. Certains ont en main un godet de vin chaud du Marché de Noël. D’autres préfèrent le chocolat chaud du café où je lis l’après-midi. « Samedi, tu sais ce que j’ai fait moi ? J’ai fait du canapé, je me suis même endormie », se vante l’une. Une autre est fier de son neveu : « Il vient d’être thèsé ».
Faire du canapé. Etre thèsé. La langue française évolue. A la radio aussi. De plus en plus d'auteurices, de lecteurices et d’auditeurices dans la bouche des présentatrices de France Culture. L’homme est toujours devant la femme sur ces tandems.
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Je dicte « Je n’ai pas envie de me faire mouiller » et j’obtiens « Je n’ai pas envie de me faire **** ».
Je dicte « Les ouvriers font un trou dans la chaussée » et j’obtiens « Les ouvriers font un **** dans la chaussée ».
Cette intelligence artificielle est une obsédée ****.

29 novembre 2025


Ce serait dommage de ne pas noter, avant de ranger Un amour acéphale dans ma bibliothèque, ce que disent de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir Patrick et Isabelle Waldberg dans leur correspondance :
Je n’ai pas eu le temps de lire L’Etre et le Néant, mais j’ai vu Sartre assez souvent. C’est un petit personnage d’aspect repoussant au premier abord ; il a un œil complètement exorbité et dirigé lorsqu’il vous parle vers votre voisin le plus éloigné, de très grosses lunettes, une mousse de poils incolores au menton, car il est rarement rasé, et des vêtements généralement malpropres. Il vit dans une chambre d’une laideur intenable, au dernier étage d’un hôtel de la rue de Seine. Près de lui vit une femme, professeur comme lui, surnommée le Castor (La Nausée lui est dédiée). Le Castor s’appelle réellement Simone de Beauvoir et elle a publié sous ce nom un roman fleuve à clé intitulé L’Invitée. Je ne l’ai pas lu. Il paraît qu’on y retrouve Sartre et ses élèves, et leurs difficiles histoires d’amour (non prestigieuse !) (…) Le couple Sartre-Castor travaille à partir de 9 h du matin au Flore, où l’on peut voir toutes les tables à banquettes occupées par une quinzaine de personnages mâles et femelles, entre 19 et 35 ans, remplissant fébrilement des feuilles volantes de pattes de mouche bien appliquées. Parfois, si l’on monte au premier étage pour téléphoner, on aperçoit au fond de la salle Sartre ou l’un de ses disciples en train de changer de chaussettes, de mettre une cravate, ou de se brosser les dents (cette dernière activité beaucoup plus rare que les autres, bien entendu). Le Castor, qui doit avoir dans les 40 ans, serait une assez jolie femme si elle était soignée. Mais elle partage sans doute avec Sartre le mépris du corps, et certains détails, vus de près, tendent à diminuer le goût qu’on pourrait avoir pour elle. Les rapports de ces deux êtres sont extrêmement curieux ; leurs amis parlent d’« osmose spirituelle », on pense à la « caresse des âmes », aux « minettes de l’esprit » et autres semblables réjouissances. Pourtant Sartre n’est pas un être platonique, loin de là. Il papillonne autour de lui d’assez remarquables blondes à qui il sait parler de l’« existanz » autrement que par croquis. Il est très plaisant, boit bien, et ne dédaigne pas de passer la nuit à vadrouiller jusqu’au matin. Il faut ajouter qu’il a une très bonne voix, une grande simplicité et de l’enthousiasme. Je suis en excellents termes avec lui et le Castor. Patrick, Paris, le vingt-six novembre mil neuf cent quarante-quatre.
J’ai eu la surprise hier d’avoir la visite de Jean-Paul Sartre, ce qui m’a semblé très curieux justement après le long passage que vous lui avez consacré dans votre lettre. Il est ici pour faire la tournée des usines avec quelques journalistes. Isabelle, New York, le quinze janvier mil neuf cent quarante-cinq
Sartre fait la tournée des amis. Il a dîné chez Dolores et voit ce soir Georges. Il doit en sortir tout américanisé et voudra prendre un bain tous les jours à son retour à Paris. Il ouvrira des usines et des drugstores et fera convertir tout le monde aux longs voyages. Isabelle, New York, le vingt-deux janvier mil neuf cent quarante-cinq

28 novembre 2025


Lecture au café d’Un amour acéphale, l’épaisse correspondance de Patrick et Isabelle Waldberg publiée aux Editions de la Différence que j’ai acheté chez Boulinier boulevard Saint-Michel. Patrick, écrivain de nationalité américaine engagé dans l’armée française puis dans l’armée américaine et envoyé à Londres près du Général et de Pierre Dac. Isabelle, sculptrice de nationalité suisse exilée à New York durant la guerre, où elle fréquente André Breton, Marcel Duchamp, Max Ernst, Leonora Carrington, Roberto Matta, Claude Lévi-Strauss, etc. Une correspondance publiée par leur fils Michel, dont j’ai noté quelques passages, surtout signés Isabelle.
La sale période des fêtes de Noël me frappe donc dans une relative solitude. Je passerai la soirée de lundi chez ce bon E.L.T. avec Marie Louise Berneri (la fille du Berneri qui fut tué pendant la guerre civile espagnole), charmante jeune anar italienne. Patrick, Londres, le vingt-deux décembre mil neuf cent quarante-trois
Il est question pour moi de réveillonner avec Matta. Il a pour moi des périodes d’amour fou dans lesquelles il me propose de venir habiter chez moi malgré les jumeaux (peut-être à cause d’eux). Puis quand je ne me montre pas très enthousiasmée et quand je lui rappelle que je ne suis pas libre, il se met à bouder et disparaît pour quelque temps. Isabelle, New York, le vingt-trois décembre mil neuf cent quarante-trois
Je suis régulièrement avec Robert et Nina le cours de Lévi-Strauss qui, après avoir traité des Jukas, a commencé la Colombie britannique. A part nous, il y a deux élèves tout au plus, mais le cours est fait comme s’il s’adressait à un auditoire nombreux. Isabelle, New York, le trente mars mil neuf cent quarante-quatre (Robert et Nina Lebel sont les parents de Jean-Jacques qui est le copain d’école de Michel)
Je lis aussi le Journal de Stendhal, il faut dire que j’aime surtout les paroles « dites » grossières et érotiques qu’il fait dire à ses femmes. Isabelle, New York, le dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre
Mme Mirkine ne pousse pas la complaisance jusqu’à me dire si vous baisez sa fille et combien de fois, etc., mais je compte sur vous pour les détails. (…) Matta me délaisse pour une Américaine très jeune et très riche. Isabelle, New York, le dix-neuf novembre mil neuf cent quarante-quatre
Je suis au lit, seul, malheureux, triste et atteint d’une humiliante infirmité : j’ai la gale. Une gale maligne, persistante et généralisée. Je pense avoir contracté cette pénible affection il y a très longtemps, dans cet infect trou de Saint-Pair, plage pourrie de l’abjecte Normandie française. Patrick, Paris, le douze décembre mil neuf cent quarante-quatre
Vous n’écrivez pas, vous ne télégraphiez pas. Nous sommes bien inquiets. Êtes-vous sur mer en route pour l’Amérique ou êtes-vous dans les bras d’une très jeune fille qui vous adore ? Je nous souhaite les deux. Isabelle, New York, le quatorze mars mil neuf cent quarante-cinq
J’ai fait la connaissance grâce à un mot de Duchamp, de Roché, élégant collectionneur qui possède des œuvres de Marcel, Picasso, Picabia et d’autres inconnus. Mon sort l’a ému jusqu’aux larmes, il s’est intéressé à mes productions et parle vaguement d’une exposition possible. Isabelle, Paris, le premier janvier mil neuf cent quarante-six
Je vous signale qu’on ferme les bordels le 15 mars, tâchez donc d’être là avant cette date. Sinon vous en serez réduit comme tout le monde à l’ascèse et à la littérature. Isabelle, Paris, le treize janvier mil neuf cent quarante-six
                                                                 *
Auparavant lu au même endroit l’épaisse biographie de Dominique Aury, l’auteure d’Histoire d’O, amante de Thierry Maulnier puis de Jean Paulhan, mais aussi d’Édith Thomas, dont j’ai lu avec grand intérêt Pages de journal (1939-1944), puis de Janine Aeply, dont j’ai lu le roman érotique Eros Zéro. Cette dernière, souvent alcoolisée et abrutie par des tranquillisants, était la femme de Jean Fautrier qui aimait la voir baiser avec d’autres hommes qu’elle recrutait par petites annonces, ce qui peut rappeler un épisode judiciaire récent.

27 novembre 2025


Tous les trains vers Paris bloqués hier matin par un arbre tombé. Ce mercredi, je croise les doigts pour qu’aucun incident ne se produise. Dans la voiture Trois du sept heures vingt-deux, des collègues (comme ils disent) sont en chemin vers je ne sais quelle réunion professionnelle. Elles et eux font preuve d’un dynamisme soûlant. Je lis Chez les Weil (André et Simone) de Sylvie Weil, fille du mathématicien du groupe Bourbaki et nièce de la philosophe morte peu après sa naissance.
Tout se passe bien côté train. Je chope un bus Vingt-Neuf sur le départ et observe Paris. Rue du Grenier-Saint-Lazare, un restaurant chinois a pour nom Chez Mamie. Je descends à Bastille, du mauvais côté, car la conductrice qui « dévie le Marais » refuse de s’arrêter avant.
Après passage au Marché d’Aligre (pas d’achat), je passe chez Mona Lisait (pas d’achat) puis, au comptoir du Camélia, attends l’ouverture de Book-Off. Je n’y achète à un euro que deux livres de la collection L’un et l’autre de Gallimard : Long séjour de Jean-Noël Pancrazi et Florentiana de Thierry Laget. Ce dernier bénéficie d’un envoi de l’auteur : « Madame Christiane Baroche, ce guide « sentimental » de quelques collines. Cordialement. Thierry Laget. » (Christiane Baroche est morte à Paris en juillet deux mille vingt-quatre.)
Direction Châtelet où chez Au Diable des Lombards je retrouve ma table de solitaire pour un croustillant d’effiloché de bœuf et un civet de sanglier purée maison.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin, peu de livres à un euro sont pour moi : Proust au Majestic de Richard Davenport-Hones (Grasset) et Climats de France de Marie Richeux (Sabine Wespieser).
Je me décide à rejoindre le troisième Book-Off, celui de Quatre-Septembre, snobé depuis un moment, pour voir si ce sera mieux. Las, quand j’arrive sur le quai du métro Onze j’apprends qu’il est à l’arrêt, reprise du trafic dans une heure. Je rejoins la ligne Une, descends à Concorde, prends la ligne Huit et ressors place de l’Opéra, lequel Opéra a disparu derrière une bâche publicitaire. Je termine pédestrement et encore une fois je suis déçu, n’achetant à un euro que Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de sa vie et à celle de son théâtre (Le Temps retrouvé / Mercure de France).
Je prends un café au comptoir du Bistrot d’Edmond où je ne fais plus figure d’habitué puis le métro Trois ressuscité me ramène à Saint-Lazare. Dans le seize heures quarante du retour, je retrouve Sylvie Weil racontant combien il était pesant d’être le sosie d’une tante adulée.
                                                                   *
C’est à Rouen dans une cellule de la prison Bonne Nouvelle, au début de mil neuf cent quarante, qu’André Weil résolut le problème de Riemann. Il y était enfermé pour refus de porter l’uniforme. C’est ce que m’a appris dans sa préface Michèle Audin qui vient de mourir.
                                                                   *
J’aurais donné beaucoup pour les avoir vus Éveline et Simone, les deux femmes d’André (sa femme et sa sœur allant le visiter en prison). Le tableau qu’elles présentaient, marchant dans les rues de Rouen, devait être assez remarquable : l’une avec sa jupe informe, ses souliers d’homme et son béret, l’autre avec de jolis pull-overs qu’elle tricotait elle-même, un ravissant chapeau, du rouge à lèvres… (Sylvie Weil, Chez les Weil)

25 novembre 2025


Parfaitement à jeun, vous me voyez non surpris, de me trouver ici, ce matin de lundi. Ici, devant la porte du laboratoire d’analyses médicales de la place Saint-Marc. Je suis le premier. Derrière moi, trois femmes attendent également l’ouverture de la porte à sept heures trente. Il s’agit pour moi de subir la prise de sang annuelle que mon médecin traitant m’a prescrite.
Les formalités remplies, je n’ai pas le temps de m’installer en salle d’attente que m’appelle une infirmière aux cheveux gris. Je la suis dans la pièce de prélèvement. Elle me demande le pourquoi de cette prise de sang. Je lui dis que c’est la surveillance de tout ce qui ne va pas chez les vieux puis je lui annonce que mes veines sont difficiles à trouver. Je sens que ça l’inquiète.
Elle choisit de piquer côté gauche, plus précisément de chercher où piquer côté gauche. Elle ne trouve pas. Elle me dit de serrer la main comme si je tenais une balle de tennis, de serrer, de desserrer, de serrer, de desserrer, etc. Le résultat est médiocre. Elle ne voit rien. « Pompez ! me dit-elle, pompez ! » Comme si j’étais un Shadok ! Quand elle se décide à piquer, c’est ailleurs que dans une veine. « Je vais essayer côté droit », me dit-elle. Nous voici passés de l’autre côté où elle me fait à nouveau pomper tout en continuant à discuter pour masquer son appréhension.
-Ça se passe bien la retraite ?
-Oui, c’est la compensation de la vieillesse.
-Vous n’êtes pas très positif ce matin.
-Je suis comme ça tous les jours.
Je la sens de plus en plus inquiète. Quand elle se décide à piquer côté droit, c’est ailleurs que dans une veine. Malgré sa longue expérience, elle est décontenancée. Elle me dit qu’elle renonce à essayer une troisième fois, qu’elle va appeler une de ses collègues.
Après m’avoir fait mille excuses, elle disparaît et apparaît une infirmière bien plus jeune qui me dit que ça arrive, que ça lui est arrivé à elle-même de ne pas trouver une veine. Ce qui n’est pas très rassurant pour moi. Elle aussi s’efforce de bavarder pour calmer son inquiétude. Elle me signale que son anniversaire est le lendemain du mien, que nous sommes tous deux du signe du verseau.
Elle ne m’oblige pas à pomper. Elle pique côté droit et ouf, dans une veine. Elle me dit que mon sang ne s’écoule pas vite. Il y a quand même de quoi remplir les trois ou quatre tubes (je ne sais combien parce que je ne regarde jamais ce que l’on me fait). Je me rhabille en songeant que jamais ça ne s’est passé aussi mal. « Les résultats dans l’après-midi », me dit celle que je remercie.
A seize heures trente, la secrétaire de l’accueil me les imprime. J’ouvre l’enveloppe à la maison. Un soupir de soulagement en constatant que la glycémie est dans les normes. Quant au cholestérol, c’est trop mais il en est ainsi depuis longtemps et certaines fois, c’était pire.
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Premières images de Boualem Sansal enfin libéré de sa prison algérienne. Je le regarde, écoutant à peine ce qu’il dit, intrigué par sa nouvelle apparence. Ces cheveux courts, est-ce un effet subi de l’emprisonnement ? Est-ce son choix ? Et ces nouvelles lunettes qui ne lui vont pas, pourquoi ? Il est méconnaissable.
Qu’est devenu l’homme aux cheveux longs attachés en catogan et aux lunettes cerclées d’intellectuel ?

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