Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 octobre 2025


Je vois le jour se lever magnifiquement de ma table habituelle du Quay des Brunes ce samedi matin. La patronne se plaint du bordel de la sortie de la boîte de nuit située sous le Café de la Plage, nommée L’Etrier, présente depuis au moins quarante ans. On y a fêté le début des vacances jusqu’à six heures du matin. Il est ensuite question des praires qui sont difficiles à ouvrir. « Tu les prends par derrière », conseille l’habitué en chef à qui je serre la main chaque matin depuis qu’un jour il a serré la mienne.
En sortant, je monte tout droit dans l’intérieur du bourg par la rue du Moulin Saint Michel. Logiquement, elle conduit au Moulin Saint Michel. Une bonne pente, qui plus est en travaux. J’ai été bien inspiré de l’emprunter un jour où les pelleteuses sont à l’arrêt.
Ce Moulin Saint Michel m’apparaît soudain, imposant et beau, sur sa butte. Il a été construit vers mil huit cent trente, à l’emplacement d’une chapelle dédiée à Saint Michel. Il fut en fonction jusqu’en mil neuf cent. Laissé à l’abandon, il a été acquis par la commune et restauré en mil neuf cent soixante et onze, puis restauré à nouveau en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf après avoir été gravement détérioré par la tempête. C’est un moulin-tour à toit tournant, ce qui permet d’orienter ses ailes selon le vent. Depuis cette hauteur, j’ai vue sur le magnifique lever de soleil, sur la mer au loin et sur le clocher de l’église dépassant des arbres.
Redescendu en bord de mer, je fais mon trajet de presque tous les jours. Au-dessus de la Plage de la Comtesse, Roule Galette est de retour. Une caravane blanche où l’on fait des crêpes à emporter. Il y a de l’espoir avec les vacances de la Toussaint.
Il ne se fait pas sentir à la terrasse du Poisson Rouge quand j’y arrive à dix heures. Nous n’y sommes que trois clients. J’y termine les nouvelles de Vialatte que je trouve globalement inintéressantes, de la littérature d’imagination dont je ne retiens rien. Je passe à Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar, une écrivaine dont je n’ai pas réussi à lire les romans au temps où j’en lisais, jusqu’à ce que le vent de plus en plus froid ne me chasse.
Quand je sors de mon déjeuner aux Plaisanciers, c’est le dedans de L’Ecume qui s’impose pour un café avec Marguerite.

18 octobre 2025


Dernier jour de classe avant les vacances de la Toussaint pour les collégien(ne)s de Stella Maris qui entrent dans leur établissement catholique alors que j’entre en face au Quay des Brunes. Pas mal d’habitués sont déjà là. L’un raconte qu’on a dessiné une bite sur l’arrière de son camion sale. « Je suis allé au lavage. On voit toujours la bite. Il a rayé la peinture, ce connard. »
Du côté de la mer, un ciel orangé annonce une belle journée. Sorti du bar, je prends à droite toute par la rue de la Jeanne que j’empruntais pour rejoindre mon studio Air Bibi il y a deux ans. Je continue tout droit, rue Pierre Loti. Me voici dans le quartier d’origine de Saint-Quay, Kertugal, où se tient, toute ronde et imposante, la chapelle Notre-Dame de la Garde. Datant de mil huit cent vingt-huit, elle est dédiée aux péris en mer. Un pardon a lieu tous les mois de juillet.
Le tour d’icelle fait, je redescends jusqu’au rond-point des Vallées, prends à gauche vers la mer par la rue des Grèves et arrive à la Fontaine Saint-Quay où suivant la légende Saint Quay (ou Saint Ké) fit surgir une source après que des lavandières l’ayant pris pour un démon l’eurent fouetté et laissé agonisant. Cette source miraculeuse le guérit de ses blessures. La Fontaine actuelle, pyramidale, date de mil huit cent soixante-deux. Celle-ci photographiée, je rejoins le Géherre au-dessus de la Grève de Lisnard, puis direction le Café de la Plage.
Las, à neuf heures cinquante, sa terrasse est encore à l’ombre. Je descends sur l’esplanade qui domine la piscine d’eau de mer et trouve à m’asseoir sur un banc aussi jaune que le soleil qui me chauffe.
Quand ce soleil atteint les deux tables hautes du Café de la Plage, je prends place à l’une et réserve une table à l’intérieur pour le déjeuner au sympathique jeune homme qui m’a accueilli le jour de mon arrivée. C’est le moment d’ouvrir Vialatte. La mer est basse. Les baigneurs quotidiens sont obligés d’aller la chercher loin. Le soleil est bas aussi en cette moitié d’octobre. Seules les tables de premier rang en bénéficient. A l’une, trois jeunes anglophones, une rareté ici. A une autre, une femme dépose son mari avec un verre de blanc pour aller faire le marché.
Avant midi, je passe au mur des livres et, en cherchant bien, trouve à y prélever Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar dans l’édition Folio.
Salade asiatique nouilles de riz et poulet, tartare de bœuf à l’os à moelle et frites maison, café gourmand, tel est le menu partiellement renouvelé du Café de la Plage ce vendredi midi.
-Alors, vous avez pu aller à Gwin Zegal ? me demande la gentille jolie serveuse.
-Non, c’est trop loin pour moi, à quatre kilomètres de l’église de Plouha.
-Si j’avais une voiture, je vous emmènerais, me répond-elle, je vais en parler à Pierre peut-être qu’on pourrait y aller avec le camion mais je ne vous promets rien.
Je lui donne mon numéro de téléphone en lui précisant que je ne sais répondre qu’aux textos. Elle me donne son prénom : Cristalle.
-C’est votre vrai prénom ?
-Oui, c’est mon vrai prénom.
Il lui va bien.
-Alors vous voulez aller à Gwin Zegal ? me demande le sympathique serveur lorsque je paie, en qui je découvre Pierre.
-Ce n’est pas que je veuille y aller, c’est Cristalle qui me l’a proposé.
-Ça fait longtemps que je n’y suis pas allé, il faut voir, peut-être mercredi.
Je lui dis de ne se forcer à rien puis, par le Géherre, rejoins le Port du Portrieux sous un beau soleil qui fait la mer bien bleue. Je me chauffe sur le premier banc jaune de la jetée en attendant que le service de crêperie soit terminé au Poisson Rouge. Après le café, par une chaleur estivale, j’y reprends ma lecture. Une vieille en partant se penche sur mon livre. « Je regarde toujours ce que lisent les gens », me dit-elle. Je lui montre la couverture. « Vialatte » « Ah, Vialatte » répète-t-elle sans que cela semble allumer une lueur dans son cerveau.
Moi aussi, je regarde toujours ce que lisent mes voisin(e)s, mais de façon discrète.
                                                                          *
Un message de Cristalle en rentrant. Simplement pour me dire que c’est elle. Je lui réponds que ce serait avec plaisir, l’expédition à Gwin Zegal, mais qu’il n’y a aucune obligation.

17 octobre 2025


C’est le jour de la Comtesse. Le seul jour du mois d’octobre où la mer sera bien descendue au moment de mon trajet matinal entre la Plage du Casino et le Port du Portrieux, libérant la plage, le seul moyen d’accès depuis que l’escalier en bas du Château de Calan (la turquerie) est interdit pour raison d’insécurité.
Chez les habitués du Quay des Brunes, on parle de la pluie à partir de dimanche. Ça va être la fin. C’est le moment de tondre sa pelouse et de finir sa dalle.
La mer est suffisamment basse lorsque j’arrive à la Plage de la Comtesse. Quand j’y descends, j’y trouve une femme et son chien. L’animal me fonce dessus en gueulant. « Je sais pas ce qu’il a, il fait jamais ça », me dit cette menteuse. « Vous emmerdez le monde avec vos chiens », lui réponds-je. « En plus, ajouté-je, ils sont interdits sur cette plage ». « Interdits tolérés », me rétorque cette rebelle qui a une tête à voter Retailleau.
Après avoir marché un moment sur le sable, j’arrive au plan incliné qui permet d’accéder à l’Ile de la Comtesse. Je fais le tour de celle-ci sous un soleil hésitant. De belles ruines et plus de méchante Comtesse pour chasser les intrus (je la remplace en ce qui concerne les chiens). Un système d’éclairage permettait de voir les vestiges la nuit, il est dégradé. Un banc serait le bienvenu pour s’asseoir face à l’Ile Harbour dont on est au plus près. Je suis heureusement seul, comme chaque fois que j’ai parcouru l’Ile de la Comtesse.
Je redescends prudemment la rampe d’accès et traverse une plage sans chien pour rejoindre le Géherre. Un détour par les Plaisanciers pour retenir une table à midi et direction le Poisson Rouge où, même si j’arrive plus tard qu’à l’ordinaire, je suis seul en terrasse.
Je reprends ma lecture des nouvelles de Vialatte, trouvant parfois une petite chose pour me plaire. Sa mère regretta de l’avoir fait si petit. S’il avait été de taille normale, la balle se serait peut-être égarée dans le poumon.
Aux Plaisanciers, après le buffet d’entrées, c’est poulet rôti et un moelleux à la pomme que je mange près d’un trio d’affranchis rattrapés par l’âge, des vulgos comme je les nomme in petto. Je suis content de m’en éloigner pour aller m’asseoir à la terrasse, le soleil apparu, de L’Ecume. J’y rouvre Vialatte : Ainsi voûté, tassé, aplati, déjeté, il avait l’air d’un pâté de sable écrasé par un grand coup de pelle.
C’est une belle après-midi ensoleillée. Je l’achève sur mon banc bleu du muret au lézard. La mer monte. La plage disparaît peu à peu. La Comtesse sera bientôt entourée d’eau. S’il en est un qui n’usurpe pas sa réputation, c’est le lézard.
                                                                     *
Dommage que je n’aie pas connu l’Ile de la Comtesse lorsque j’étais bien accompagné. L’occasion aurait été belle d’y rester seul avec elle pendant une marée haute et, sans craindre d’être surpris par quiconque, de s’y livrer à des folies sexuelles en plein air.

16 octobre 2025


Revoir Lanloup, c’est mon désir ce mercredi matin. Aussi, mes crêpes mangées et mon allongé bu au Quay des Brunes maintenant doté d’une vitre coulissante pour l’été, vais-je attendre le car BreizhGo de neuf heures onze terminus Paimpol.
Halte-là, c’est le nom bien venu de l’arrêt où je descends du car. La rue en pente qui mène à l’église de Lanloup est interdite aux voitures. On refait les réseaux. A mi-chemin, une tranchée la coupe en deux. Les ouvriers sont d’accord pour arrêter la pelleteuse le temps que j’enjambe cette tranchée. Je préfère faire un bon détour par une rue qui descend sur la gauche, puis remonte sur la droite.
L’église de Lanloup est une église gothique en granit. Elle est entourée du cimetière. Son porche abrite les statues des douze apôtres. Elle est ouverte. Son chœur s’allume quand je m’en approche, me permettant de bien voir la statue de Saint Loup en granit et la Vierge en bois polychrome. On trouve aussi dans cette église des boîtes à chefs en bois (appelées aussi boîtes à crânes). Dans l’entrée et la pénombre est un grand livre d’or sur lequel j’écris « Une nouvelle fois dans cette très belle église » et je signe.
En face est le café épicerie Kabellig Ruz où j’avais bu un café il y a deux ans. Oui, mais il n’ouvre que du jeudi au dimanche. Sa gérante est devant la porte avec son chien. Elle me propose d’entrer, elle peut me faire un café. La perspective d’être seul avec elle alors que ce n’est pas officiellement ouvert me rebute, ce sera tristounet et il me faudra faire la conversation. Je refuse en remerciant.
La fois précédente, elle m’avait indiqué comment aller au Château et revenir par la Fontaine. De cela non plus, je n’ai pas envie. J’ouvre la boîte à livres du petit jardin public d’à côté et y prélève Badonce et les créatures, des nouvelles d’Alexandre Vialatte publiées chez Julliard, puis je fais dans l’autre sens le crochet vers Halte-là, m’arrêtant en chemin près d’un calvaire à une table de pique-nique mangée par la mousse où j’écris ce début de journée sous un ciel particulièrement gris tandis que chante un coq peu matinal.
A l’arrêt Halte-là est un bar restaurant du même nom arrêté depuis longtemps, bien que les tables et les chaises de la terrasse soient toujours là, empilées en bord de route. Le prochain car de retour est à midi vingt-trois. Que faire ?
De l’autre côté de la route vers les terres est indiquée la chapelle Sainte Colombe. Allons la voir. Je marche un petit moment vers Pléhédel et la trouve dans une sorte de parc, cachée derrière des arbres, une belle chapelle en granit, fermée évidemment. Dans ce parc, un châtaignier répand ses fruits. Il y a de quoi faire une bonne récolte mais qu’en ferais-je ? D’ailleurs, je n’aime pas les châtaignes.
De retour à Halte-là, comme je n’ai rien de mieux à faire, et la tranchée étant désormais franchissable sur une plaque métallique, je redescends au centre du village et m’assois sur un banc dans le petit jardin devant un terrain de boules où pousse de l’herbe. J’écris là la suite de ma matinée puis remonte attendre le BreizhGo. Sur l’abri des cars une affichette municipale témoigne de l’énervement des agents d’entretien : « Ne crachez pas sur les vitres. Vous ne le faites pas chez vous ! »
Dans ce car monte à Kertugal, le quartier d’origine de Saint-Quay, la jolie serveuse du Café de la Plage qui fait relâche le mercredi. « Ah tiens ! Bonjour ! » Je descends peu après à l’arrêt Casino et, comme le soleil fait son apparition, m’installe à la terrasse arborée de bord de mer des Valseuses que j’ai connu sous le nom des Cochons Flingueurs.
L’endroit est toujours branchouille et chérot. Aussi je me contente de la saucisse fermière de Trégomeur avec purée à seize euros cinquante, que par erreur on ne me fait payer que quinze euros cinquante. Je ne dis rien, trouvant déjà le prix élevé. Comme dessert, je prends un kouign-amann à deux euros quarante au Fournil du Casino, que l’on me fait réchauffer et que je mange face au large.
Le vent frais est de retour et les nuages. Aussi je rejoins l’intérieur du Quay des Brunes pour le café, et voir si ça m’intéresse, les nouvelles de Vialatte trouvées à Lanloup.

15 octobre 2025


Une nouvelle nuit tranquille au creux de mon large lit du second étage de la Villa Les Marronniers. Dans de beaux draps nouveaux, mon aimable logeur étant passé en mon absence avec mon autorisation les changer. Je suis toujours seul dans cette grande demeure, mais les vacances de Toussaint qui commencent à la fin de la semaine vont peut-être changer ça.
Le Quay des Brunes fermé pour travaux ce mardi, c’est au Kreisler que je petit-déjeune avant de rejoindre le Portrieux par le bord de mer. Peu après la piscine d’eau de mer, je découvre une porte de jardin explosée, pourtant en solide bois peint en bleu. C’est celle d’une villa inoccupée. Quand j’atteins la turquerie, je vois arriver vers moi un couple de quinquagénaires et un chien, des gens d’ici à qui j’explique la porte explosée. Ils préviendront la Mairie.
Après être passé réserver aux Plaisanciers, je m’installe en terrasse au Poisson Rouge face au ciel gris coloré d’orange du lever du jour. J’abandonne Claude Tillier et reprends les notes des Œuvres complètes de Paul-Jean Toulet.
La lueur orangée grandit à l’horizon. A onze heures, le soleil donne. Je vais chauffer mes vieux os sur un banc face au mouillage où flottent des petits navires qui ne sont plus ceux que contemplèrent Boudin, Signac et Morisot.
Eugène Boudin fit de nombreux séjours au Portrieux entre mil huit cent soixante-huit et mil huit cent quatre-vingt. En ont résulté près de quatre-vingts tableaux, études et dessins. Paul Signac a exécuté ici une dizaine d’œuvres majeures. Berthe Morisot séjourna au Portrieux en août et septembre mil huit cent quatre-vingt-quatorze avec sa fille Julie Manet dans la maison nommée Roche Plate au vingt-trois de la rue du Commerce.
Du jambon braisé à la sauce chorizo ce midi aux Plaisanciers où il y a toujours du monde, essentiellement des travailleurs de Port d’Armor. Je m’assois ensuite au soleil en terrasse à L’Ecume. J’achève les notes du Bouquins Laffont consacré à Toulet, un livre acheté lors du dernier désherbage de la Bibliothèque Municipale de Sotteville-lès-Rouen. A en juger par son état, très peu de Sottevillais(e)s l’ont lu avant moi.
Le banc bleu d’entre l’Ile de la Comtesse et Port d’Armor me permet d’à nouveau me chauffer au soleil. De temps à autre, la conserverie de Port d’Armor crache un jet de vapeur. Tout est calme chez la Comtesse.
La seule pharmacie de Saint-Quay est à cinquante mètres de mon logis provisoire. Je m’y arrête en rentrant. Pas moins de cinq pharmaciennes sont à l’ouvrage en parallèle. Celle qui s’occupe de moi m’indique que Cosidime est toujours en rupture mais bien sûr, elle a le générique.

14 octobre 2025


Pour inaugurer cette nouvelle semaine, j’attends le car BreizhGo de neuf heures onze terminus Paimpol sous un ciel entièrement dégagé.
Je vise l’Abbaye de Beauport et pour ce faire descends à l’arrêt Kerity Eglise. De cette église, je rejoins les belles ruines de cette abbaye dont les moines furent chassés à la Révolution. Ils pratiquaient le prêt sur gage. C’était une bonne occasion de se débarrasser de ses dettes.
Si le soleil est là, le vent de nordet aussi. Il me pousse dans le dos tandis que, laissant l’’Abbaye derrière moi, je marche entre mer et marais. Si je continuais, j’arriverais au bout de la Pointe de Gulden. Je m’en préserve en coupant tout droit par une rue intérieure qui me fait arriver pile dans le Port de Paimpol.
Il est onze heures. Ce qui me plairait, c’est un pain au chocolat du Fournil du Martray. Las, il est fermé le lundi. Je n’ai pas envie de déjeuner ici. Aussi je rejoins la Gare et, en attendant le douze heures cinq du retour, bois un café au soleil à la terrasse du Bar Tabac de la Gare.
J’arrive à une heure moins le quart au Café de la Plage, accueilli par le joli sourire de ma serveuse préférée. Elle me propose la table en coin avec banquette et vue sur le large. Le menu du jour n’est pas époustouflant : houmous et pain pita, arancini à la crème de chorizo (boulettes de riz) et café gourmand. A la table d’à côté un trio, deux quinquagénaires et une vieille qui s’avère être la mère d’elle. C’est cette vieille qui paye mais elle donne sa carte à l’homme qui va le faire à sa place.
-Vous étiez déjà là il y a deux ans, dis-je à la serveuse quand elle m’apporte le café gourmand. Je me souviens de vous.
-Moi aussi, je me souviens de vous, me dit-elle.
Elle me conseille d’aller à Gwin Zegal.
Il est quatorze heures dix quand je sors. Le soleil a disparu et le vent est toujours frisquet. Je rejoins L’Ecume, ma table en coin devant le mur repeint par la serveuse. J’ai avec moi Mon oncle Benjamin de Claude Tillier prélevé dans le mur de livres du Parc de la Duchesse Anne où l’on trouve surtout de vieux livres abimés déjà là il y a deux ans. Un Dix Dix-Huit de mil neuf cent soixante-trois (deux francs cinquante) avec en couverture un dessin de René Biosca. Un exemplaire en piètre état qui pourrait se désintégrer pendant la lecture.
Je ne connais pas ce roman de mil huit cent quarante-trois, mais j’ai vu (et oublié) le film qui en a été tiré avec Jacques Brel. Ça commence ainsi : Je ne sais pas, en vérité, pourquoi l’homme tient tant à la vie. Françoise Hardy remixée chante Le temps de l’amour. La serveuse s’attaque à la peinture de la suite du mur en résistant au conseil des habitués. Je ne comprends rien à ce qu’a écrit Claude Tillier, des dialogues, des dialogues.
                                                                   *
Rentré, je me renseigne sur Gwin Zegal. Quatre kilomètres entre le centre du bourg de Plouha, desservi par le car BreizhGo, et ce port sur pilotis. C’est trop pour moi.

13 octobre 2025


Une chouette hulule quand je sors de mon logis Air Bibi dans une bonne odeur de boulangerie, mais c’est ailleurs que j’achète mon pain au chocolat. Au Quay des Brunes, l’habitué en chef se morfond. Dans un coin, l’huîtrier du dimanche discute avec ses vendeuses. Le soleil se lève. On dirait que le beau temps est de retour.
C’est ce que je constate lors de ma marche quasi quotidienne sur le bord de terre. La mer bouge bien. A l’arrivée au Portrieux je vais jusqu’au phare vert de la jetée du port d’échouage. Cette tourelle de feu a été dessinée par Léonce Reno. Elle est démontable et a voyagé à Paris en mil huit cent soixante-sept pour l’Exposition Universelle. Du pied de ce feu, j’assiste au départ de Papy, un caseyeur vert mené par un couple de pêcheurs. Me rejoignent père, fille adulte avec leurs cannes à pêche, et mère qui s’assoit sur le banc. En face, j’aperçois les loupiotes de La Marine. Sa terrasse est au soleil.
Après le café, j’ouvre Toulet et parcours les notes que je n’ai pas lues au fil des jours, parmi lesquelles trois lettres à Léon Barthou, ancien camarade de lycée et frère de Louis. Et il faut être aussi bête que Curnonsky, de m’avoir fait comprendre, pauvre provincial que je suis, que je le compromettais parce que je le faisais rimer avec Nijinski.
Vers onze heures, je prends le bourg par l’intérieur, m’arrête au Fournil de Saint-Quay en bas de mon logis provisoire, demande à la jolie étudiante nattée un bagnat et un creumebeule poire abricot. Je continue jusqu’au Quay des Brunes pour, en terrasse ensoleillée, commander la formule six huîtres et verre de vin blanc.
On trouve ici la clientèle locale du dimanche, des retraités bien âgés, quelques femmes dans la quarantaine. Une autre passe, non pour consommer, mais pour ramasser les mégots qu’elle stocke dans un gobelet en plastique. Je suis le seul à déguster des huîtres, la formule n’est plus affichée par la nouvelle propriétaire.
A midi, je rejoins la Grève Noire, petite plage au-delà de celle du Casino et, sur un banc bleu, pique-nique. Cette plage est celle des baigneuses et baigneurs que n’effraie pas le froid, des habitué(e)s de tout âge, dont une nymphette qui voudrait bien, mais n’ose pas.
Malheureusement, le vent m’empêche de rester là à lire. La terrasse du Quay des Brunes étant blindée, celle du Café de la Plage bientôt à l’ombre, je retraverse Saint-Quay par le dedans jusqu’à L’Ecume. « Service au bar, merci » a inscrit sur une ardoise le patron qui n’a pas envie de se fatiguer. La table en terrasse où je suis subit peu le vent. Je peux rouvrir Toulet.
Je retrouve ensuite le chemin côtier. Les promeneurs du dimanche après-midi sont là, encouragés par le soleil. Mon banc bleu, au-dessus de la Plage de la Comtesse est heureusement libre, où je me fais chauffer le dos. Sur le muret, un lézard fait la même chose.

12 octobre 2025


L’habitué en chef s’ennuie ce samedi matin au Quay des Brunes. Nous ne sommes que deux clients. Lisa n’est pas là et la patronne n’est pas bavarde. Je redoute qu’il tente d’engager la conversation avec moi. Je comprends mal ce qu’il dit à cause de son accent.
Dès que le jour se lève, je marche vers le Portrieux le long des barrières blanches. Ces barrières blanches sont l’emblème de la station balnéaire. Elles datent des années Vingt, comme la piscine d’eau de mer et le cinéma théâtre Arletty. Tout cela est dû à un maire bâtisseur, Alfred Delpierre. J’avance face à un petit vent dont le défaut est d’être frisquet.
Cela ne m’interdit pas la terrasse du Poisson Rouge. Dans le port tintent les mâts des voiliers. Je m’attends à voir débouler un troupeau de moutons à clarines. Le café bu, je retrouve la correspondance de Paul-Jean Toulet et Emile Henriot. Toulet à Henriot : Peut-être savez-vous encore votre grammaire, et qu’on évacue un lieu, non une personne. Il ne vous reste qu’à dire « faire confiance », « ruée », « H.P. » pour chevaux-vapeur et l’affreux « emprise » pour main-mise.
Peu de travailleurs le samedi aux Plaisanciers mais des locaux qui viennent chaque semaine et des familles du coin. Après le buffet d’entrées, je prends le stèque frites sans sa sauce et un creumebeule.
Le vent de nordet (comme on dit ici) est toujours présent lorsque je sors dans le Port. Je vais droit à L’Ecume, la petite table en coin devant le mur repeint par la serveuse qui n’est point là. La bande-son est celle des succès féminins des années Quatre-Vingt. Un café et Toulet Henriot. De ce dernier à Toulet : J’ai vu ce matin chez un garçon qui revient de l’Indochine, des images chinoises fort belles représentant des gens qui s’entre-baisent. Au comptoir, on parle politique. « Bon il est revenu au pouvoir le cocu. Lecornu. » « Ça existe dans le privé ça ? » On parle aussi des restaurateurs qui se sont fait gauler à la pêche clandestine. C’était la pleine lune. Les flics en ont profité. D’abord ils ont été alertés quand ils ont vu autant de voitures garées à trois heures du matin à Martin Plage, et après ils ont vu les frontales. Le Bouquins Laffont des œuvres complètes de Paul-Jean Toulet se termine par sa traduction du Grand Dieu Pan d’Arthur Machen, que je n’ai pas envie de lire.

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