Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 septembre 2024


Beau temps encore ce mercredi, j’utilise ma carte Nomad, dix voyages de proximité pour quinze euros, au maximum de sa capacité kilométrique en allant à Champeaux, juste après Carolles. Deux kilomètres plus loin, c’est Saint-Jean-de-Thomas. Il faut pour y aller une carte à vingt-cinq euros. Ce sont les petits calculs d’Hervé Morin, Duc de Normandie, chef des transports Nomad.
« A cause des travaux à Carolles, je vous déposerai au niveau d’un restaurant », me dit le chauffeur du Trois Cent Huit. « Et pour le retour ? » « Vous en faites pas, je vous expliquerai, faut bien que je serve à quelque chose. » Avec moi dans le car au départ de Granville, un vieux couple qui va au Mont (des touristes) et une femme qui va à Géant Casino devenu Intermarché (une travailleuse).
Champeaux est le pays des falaises. C’est aussi celui des chevaux, me dis-je en descendant du car devant le restaurant Chez Coco. « Au retour, c’est là-bas, devant le restaurant Le Marquis de Tombelaine », m’explique l’aimable chauffeur. Je vais voir les chevaux, des pur-sang qui s’éloignent et un percheron qui m’ignore. Nous sommes à un kilomètre du centre du bourg.
Je marche sur la grand-route, me demandant où donc est le chemin côtier de randonnée. J’arrive à une petite route pentue à quinze pour cent. Elle me mène pile à la Cabane Vauban. Car Champeaux à la sienne, semi-enterrée, plus rudimentaire que celle de Carolles et non signalée. Le sentier est là mais en le parcourant on ne peut pas voir la mer car la végétation la cache. De plus, il m’apparaît dangereux pour un vieux. J’y renonce. Je me pose sur le banc en bois qui jouxte la Cabane et je sors Lagarce
Je reste là de dix à onze heures. Peu de passage devant moi : un grand-père avec son petit-fils ou sa petite-fille sur le dos suivi de sa fille, devant les deux chiens (plutôt sympathiques), un coureur qui me dit bonjour (c’est rare), une fille seule et souriante (je l’aurais acceptée au bout de mon banc), un couple de sexagénaires (ils se tiennent à la corde) et quelques papillons. Pendant ce temps, la mer descend.
A ma gauche est la plage de Saint-Jean-de-Thomas. Ce n’est pas loin. Je pourrais y aller mais il faudrait ensuite remonter et il y a déjà suffisamment d’effort à faire pour retrouver le restaurant Chez Coco. C’est ouvert. On y propose un menu du jour à quinze euros avec buffet d’entrées et quart de vin inclus. Chez le Marquis, c’est plus cher : moules frites à dix-sept euros, plat du jour à vingt et un. En attendant midi, je prends un café à l’extérieur avec vue sur le carrefour et au loin les chevaux et la mer.
« Vous êtes le premier », me dit la serveuse. « C’est souvent le cas », lui réponds-je. Comme plat je choisis la langue sauce piquante gratin de courgettes et comme dessert une crème caramel beurre salé. Tout cela est correct. « On voit la mer, observe ma voisine de derrière, c’est peu de chose de voir la mer mais c’est beaucoup. » J’ai le temps de  boire un café à l’extérieur à une table maintenant au soleil avant d’aller devant chez le Marquis attendre le car de treize heures onze.
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Une cliente du Café de la Gare pendant mon petit-déjeuner : « L’avantage que tu sois dans une impasse, c’est qu’il n’y a pas de passage. »
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Vivre seul. Entendons par là, ne rien donner. Rester imperméable (tenter de le rester). (Jean-Luc Lagarce Journal jeudi vingt et un août mil neuf cent quatre-vingt-six)
 

18 septembre 2024


Ce mardi, la mer est haute et mouvementée, que je vois par ma fenêtre à mon lever. Le vent souffle sans que cela se traduise par une poussée sur celle-ci, il est dirigé vers ailleurs. Si les bus Néva ont l’avantage d’être gratuits, ils sont assez rares. Celui qui va vers Saint-Pair passe en bas de mon studio Air Bibi à sept heures quarante-six, trop tôt pour moi, puis à huit heures quarante et une, j’ai largement le temps de petit-déjeuner avant de le prendre.
J’en descends à l’arrêt Lycées, qui dessert le Lycée Hôtelier et le Lycée Julliot de la Morandière, et m’emploie à trouver le sentier du littoral qui passe en dessous. Il est neuf heures, m’apprend la sonnerie emplie de zénitude qui appelle des élèves invisibles en cours.
Je marche d’abord vers les ports de Granville mais de ce côté on ne peut aller loin sans devoir contourner de belles demeures par la route. La pointe de la Roche Gautier, je ne l’aurai vue que de loin. En revanche vers Saint-Pair le sentier est attrayant et sportif, agrémenté de multiples escaliers rustiques et d’arbres chus sous lesquels il faut passer. Je suis au-dessus de la plage d’Hacqueville, longue de quatre cents mètres. C’est marée haute, cette plage de rochers et de sable est à peine visible. Ensuite, la mer se retirera sur un kilomètre et demi. Je finis par atteindre la pointe où se montre un peu là le Château de la Crête « réceptions et séminaires ».
Au-delà, le sentier devient routier. Je reviens sur mes pas et me pose sur un muret, au-dessus de la plage et sous le Lycée, en attendant le bus de dix heures vingt-cinq pour Granville Centre. A l’arrivée, direction Au Tout Va Bien. Des pêcheurs y ont des discussions de pêcheurs : praires, coquilles, amandes, bulots et séjours à la Gendarmerie quand on dépasse de trente  kilos. Au menu du jour : terrine de thon, saucisse purée et tarte au citron meringuée. « Y a encore du monde à traîner », constate un pêcheur. « Bah, y fait beau, c’est les retraités qui se promènent », lui répond un autre.
Il en est même un qui monte à la Haute Ville, son repas terminé, pour un café relecture en terrasse à La Rafale à la table qui garde le soleil le plus longtemps. Il y a une drôle d’odeur. D’égout peut-être, la rue de ce nom est à côté. « Ça doit être la marée qui remonte », dit la serveuse.
Pourtant elle doit descendre si j’en juge par les hommes à épuisette que je vois passer vers la pêche à pied. C’est le début des grandes marées.
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Eviter de devenir le célibataire trentenaire meilleur ami de la famille. (Jean-Luc Lagarce Journal mercredi vingt-six mars mil neuf cent quatre-vingt-six)
 

17 septembre 2024


Ce nouveau lundi est gris, ce qui m’amène à ne pas m’éloigner. Je marche jusqu’à la pointe bétonnée au bout de laquelle se trouve l’embarcadère pour Chausey. On y trouve l’Hôtel Ibis et plusieurs restaurants qui ont vue sur le Port de Hérel où sont amarrés les bateaux de plaisance.
Je continue au-delà de ce port, contournant les bâtiments des professionnels de la batellerie, et arrive à une petite plage qui semble ne pas avoir de nom. Impossible de poursuivre le long de la côte.
Je rentre au port et rejoins la digue qui protège les bateaux de plaisance, une longue digue sur laquelle je suis le seul à m’aventurer, d’où l’on voit d’un côté la Haute Ville et son église Notre-Dame et de l’autre le quartier haut dominé par l’imposante église Saint-Paul.
Une effrayante file d’attente est présente devant le bateau pour Chausey qui ne part que dans une demi-heure. Il faut obligatoirement être là quarante-cinq minutes avant. Cette contrainte, cette foule et le prix d’un aller et retour (trente-trois euros cinquante) ne m’incitent guère à faire le projet d’y aller (ou plutôt d’y retourner).
Je reviens sur mes pas et m’installe au bord du port de plaisance à la terrasse du bar restaurant Le Hérel où le café coûte deux euros. C’est l’annexe de l’Hôtel Ibis. Un lieu paisible jusqu’à ce que des pompiers plongeurs de retour d’exercice s’installent à ma droite. Ils parlent d’un repas de stage qui leur a coûté mille deux cents euros à dix. « Et le bain de minuit, tu t’en souviens ? » « Même la gonzesse, elle s’est foutue à poil. » « Oui, j’ai la photo. »  Ils disent ensuite du mal d’un absent, un véritable boulet : « Il arrive et il balance le sac, y avait le drone dedans. »
A midi, je déjeune une nouvelle fois au Pirate : terrine de Saint-Jacques, blanquette de veau et crème brûlée, puis je m’installe en terrasse pour relire Lagarce. Un Point Rouen (ou presque) dans son Journal :
Dimanche 26 juin 1988
Hier, la ferme près de Rouen (Elbeuf) chez mon frère et Marie. Mes parents y sont pour quelques jours. Gâtisme généralisé autour du neveu.
Ma mère au meilleur de son état de mère.
Je suis vache. Je n’avais plus un sou. Elle m’a donné mon billet de train pour rentrer le soir. A 31 ans c’est un peu humiliant. C’est gentil de sa part mais le discours qui va avec cette générosité m’encourageait à me pendre.
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Dans le Port de Hérel on pouvait voir aussi Le Marité qui autrefois pendant un temps fut rouennais. Jusqu’en mars dernier, il servait de promène-touristes. A l’occasion d’un arrêt technique, on a découvert que sa coque subissait une attaque de champignons. Il est désormais à sec à Port-en-Bessin.
 

16 septembre 2024


Ce dimanche matin on dirait que Le Derby a ouvert spécialement pour moi. Jusqu’à ce qu’arrivent des commerçants de la rue qui viennent cancaner sur qui achète une case vide. Le boucher : « Du moment que ce soit pas un boucher. »
Le soleil semble assuré. C’est le moment de faire par beau temps le tour de la Ville Haute en passant par la Pointe du Roc. Je rejoins le Port et monte à cette Ville Haute par l’escalier des Noires Vaches sans en croiser une seule. Je prends alors le sentier du littoral dans le sens opposé à la fois précédente. Je suis assez vite devant la statue du hardi corsaire Georges-René Le Pelley de Pléville, dit le Pirate, sabre au clair, prêt à en découdre, le regard dirigé vers la mer. Arrivé au bout du Roc, je me chauffe un moment au soleil sur le banc en observant un pêcheur qui a l’air de se demander ce qu’il fait là. Sur la mer se succèdent des embarcations. C’est le jour où l’on sort son petit bateau à voiles ou à moteur direction Chausey.
Revenant côté nord, je prends la rue de l’Egout et m’assois en terrasse à La Rafale en espérant que le soleil montant atteindra assez vite ma table. Dans ce café de la convivialité, les serveurs et l’une des serveuses désormais me tutoient. La clientèle du dimanche est la même que celle du Son du Cor le même jour : des regroupements boboïsants aux conversations futiles ponctuées par des rires automatiques. Le passage d’une camionnette à haut-parleur excite les enfants : «  On se réserve le cirque à Granville aujourd’hui. Le spectacle est à seize heures, parking de Monsieur Bricolage. De la cavalerie, des clowns et des acrobates. Venez vous distraire et vous divertir. » Je passe un moment à m’interroger sur la différence entre se distraire et se divertir.
Je déjeune au Pirate qui propose son menu du jour même le dimanche : terrine de saumon, filet d’aiglefin, mousse au chocolat, en terrasse un peu ensoleillée, entre deux vieux couples ou du moins deux couples de vieux n’ayant absolument rien à se dire, ce qui est fort reposant.
Je suis de retour au même endroit vers quatorze heures trente pour un café lecture. C’est ainsi que j’arrive au bout du premier volume du Journal de Jean-Luc Lagarce. Plus vite que voulu à cause du temps médiocre des douze premiers jours de mon séjour granvillais et je n’ai pas le second. Heureusement, c’est un livre que l’on peut relire illico.
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Ces couples qui passent avec un chien. Ils n’ont qu’un sujet de conversation : la bestiole. J’en conclus que s’il n’y avait pas cet animal, ils ne seraient plus ensemble.
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Une plaie des dimanches, les troupeaux de motards.
 

15 septembre 2024


Même car Nomad ce samedi matin dont je descends à Jullouville, entre Saint-Pair et Carolles, à l’arrêt Office de Tourisme. Une longue balade le long de la plage sur la Promenade François Guimbaud bordée de villas plus ou moins remarquables. Ici on met les canots et les petits voiliers à l’eau avec l’aide de tracteurs et on se fait traîner en sulky par des chevaux le long de la mer. Les cabines de plage en sont vraiment, posées sur le sable en contrebas de la Promenade, pas récentes, murs en fibrociment et toits ondulés.
C’est à Jullouville qu’Eric Rohmer tourna Pauline à la plage. Il a droit à une petite plaque commémorative entre deux poubelles. Cela me fait songer à celle qui porte le prénom de l’héroïne du film et que j’appelle la plus rohmérienne des Rouennaises. Laquelle semble m’avoir rayé de ses petits papiers sans que je sache pourquoi. Elle était pourtant heureuse de boire un café ou un verre de Tariquet avec moi. Notamment au Son du Cor où nous avions fait connaissance un jour où elle offrait ses jambes au soleil. Nous avions de bonnes conversations. Elle me disait toujours à très bientôt, même si on se voyait peu souvent. Et puis plus rien alors qu’elle sait où me trouver et à quelle heure. Elle n’a pas répondu au message que je lui ai envoyé il y a bien longtemps. Je n’ai pas récidivé, ce n’est pas dans mes mœurs.
J’écris cela à La Paillote, un café restaurant de plage qui porte bien son nom, après avoir bu un café à un euro soixante que m’a apporté un patron fort aimable, ce qui n’est pas souvent le cas dans ce genre d’endroit. J’y lis ensuite le Journal de Lagarce, non sorti de mon sac hier. A une autre table, quatre profs débutantes en congé parlent de leurs élèves. Comme elles s’en vont, je m’attarde à cette seule terrasse avec vue directe sur la mer que j’ai trouvée depuis mon arrivée. De nombreux pièges à guêpes signalent leur potentielle présence mais celles-ci, comme les familles, ne sont pas encore levées.
De retour dans la rue principale, je réserve une table en terrasse à l’Hôtel des Pins qui propose en plat du jour un chili con carne à treize euros cinquante, puis je vais attendre midi sur le seul banc déjà au soleil de la Promenade, sous une pendule et des caméras de surveillance. Je regarde qui passe, dont un Umberto, c’est un chien, des quantités d’autres font de même, dont j’ignore le prénom. C’est toujours pareil, quand deux couples d’amis se promènent ensemble, les hommes marchent devant (parlant par exemple d’œnologie) et les femmes suivent (parlant par exemple de relaxation). Un moutard : « Il est où le Mont-Saint-Michel ? » Son père : « Caché derrière » (l’obstacle : les falaises de Carolles). Un couple de vieux lit la longue liste des animations de juillet août (on n’anime les lieux que lorsqu’ils sont déjà animés par la foule).
Une terrasse paisible que celle de l’Hôtel des Pins, au soleil, avec peu de clientèle et une seule guêpe. « Depuis 1883 », est-il écrit sur les vitres. Je me contente du chili con carne, le reste étant cher. Le dessert, je me le procure à la boulangerie Romain Marie « Maison fondée en 1948 », une tartelette aux abricots à deux euros cinquante. Je la mange face à l’immensité bleue.
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Le patron de La Paillote résumant la saison : « Juillet rien. Août trop. »
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La phrase du jour : « Là, c’est vraiment le temps de septembre. »
 

14 septembre 2024


Plus de fort vent nocturne, il faut se réhabituer au silence, lequel n’est pas forcément propice au sommeil. Le ciel est clair à mon lever. C’est enfin le jour pour aller à Carolles.
Je remonte la rue Couraye, achète un pain au chocolat chez Robert la Flûte Gana et arrive pour l’ouverture, à sept heures trente, au Café de la Gare. Des habitués, qu’on pourrait qualifier de permanents, aident le patron à installer tables et chaises puis se chamaillent méchamment, tout en s’offrant des cafés. Deux filles détonnent, élégamment vêtues et un peu snobs, qui veulent un thé en terrasse.  « Des gonzesses qui viennent de Paris », suppute l’intérieur d’un ton méprisant.
Le car Nomad Trois Cent Huit part à huit heures trente-cinq de la Gare de Granville et va jusqu’au Mont-Saint-Michel, un lieu où je ne veux pas retourner. J’achète une carte dix voyages de proximité à quinze euros au chauffeur qui m’apprend que les arrêts ne seront pas annoncés. Il me déposera à Carolles, à la Mairie, au lieu de la Salle des Fêtes, pour cause de travaux. Une dizaine de voyageurs me tiennent compagnie, dont les deux « Parisiennes » qui vont au Mont-Saint-Michel.
Après Saint-Pair et Jullouville, le car s’enfonce dans une campagne de maisons en pierre et de croisements difficiles avec les voitures. Comme prévu, le chauffeur m’arrête à la Mairie de Carolles. Je me dirige vers la belle église de pierre, en fais une photo, vais un peu plus bas réserver une table au Logis Hôtel Auberge de Carolles, emprunte la rue principale et demande à une autochtone comment aller à la Cabane Vauban.
Il y a davantage de route à parcourir que je pensais avant d’arriver à un chemin qui mène promptement à cette Cabane Vauban. Elle est bien là, semblable à elle-même. Je me souviens de l’émotion de qui m’accompagnait en découvrant au loin le Mont-Saint-Michel et Tombelaine. Je me souviens aussi d’un coït champêtre sous le soleil exactement.
Je marche un peu sur le chemin de randonnée, direction Jullouville, puis reviens sur mes pas, rattrapé par un groupe de marcheuses et marcheurs à bâtons, un homme en tête, une dizaine de femmes papotant bruyamment derrière et enfin cinq hommes se taisant. Revenu à la Cabane Vauban, je m’assois sur le banc d’où l’on voit le Mont et écris ce qui précède.
De retour au bourg, ayant omis de demander au chauffeur de l’aller si l’arrêt du car de retour est aussi devant la Mairie, je vais me renseigner à l’intérieur de celle-ci. Une aimable fonctionnaire territoriale me rassure, c’est bien là.
On commence à servir à douze heures quinze à l’Auberge de Carolles. Le menu du jour se compose d’une terrine de campagne, d’un pluma de porc frites maison sauce camembert, d’une tarte fine aux pommes et d’un café. C’est la première journée de beau temps depuis le début du mois.  Je choisis de déjeuner en terrasse. Celle-ci est campagnarde à souhait. Un autre client seulement, loin de moi, mais ma tranquillité est mise à mal par quelques guêpes. Le plat et le dessert sont fort bons, dix-huit euros le tout.
Pour rentrer, je réussis à attraper le treize heures seize car il est un peu en retard. Pas loin de moi, un jeune homme au téléphone parle d’un ami à lui : « Il couche avec Sarah et il se marie avec Lucie. » De la Gare, je rejoins le Plat Gousset avec un bus Deux.
C’est l’heure d’aller se montrer sur la Promenade. Un le fait dans les airs, suspendu à un parapente. Ayant décollé près du cimetière marin, il remonte le Plat Gousset jusqu’à la Ville Haute et revient à son point de départ.
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Sur le chemin douanier de Carolles, la reproduction d’un tableau représentant la Cabane Vauban peinte par Louis Valtat, né à Dieppe.
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Sur le clocher de l’église de Carolles, une plaque « Horloge donnée en 1901 par Gaston Fabien Arnaud-Jeanti ». C’est gentil.
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Si j’avais su qu’il fallait marcher autant entre le bourg de Carolles et sa Cabane Vauban, j’aurais renoncé. Il vaut mieux parfois ne pas savoir. (maxime du jour)
 

13 septembre 2023


Du vent bruyant qui cesse brusquement vers quatre heures du matin. Du frais quand je traverse la rue pour acheter un pain au chocolat à la Boulangerie du Casino. Au Derby, je suis seul avec Bruno, qui n’est pas le patron comme je l’avais cru le lendemain de mon arrivée, mais un serveur content de partir en vacances dès demain. J’y parcours La Manche Libre, épais hebdomadaire comme on n’en fait plus guère.
Ce jeudi matin, je décide d’explorer les allées du Cimetière Notre-Dame. Pour ce faire, je rejoins la Promenade du Plat Gousset et prends l’escalier de compétition en béton qui permet d’atteindre le sentier du littoral.
Je le suis en direction de Donville-les-Bains. Assez vite, ce sentier est fermé pour cause d’éboulement. Il faut traverser le Jardin Christian Dior, lequel ouvre dans dix minutes. Je les passe assis sur un muret à regarder la mer. Le jardin traversé, j’en sors par une petite porte latérale que l’employée municipale qui les ouvre toutes à l’heure pile m’a indiquée. Cette porte donne directement dans le cimetière qui domine la mer.
Des pancartes indiquent les célébrités enterrées, lesquelles sont (ou étaient) surtout connues localement : marins, armateurs, industriels, militaires, un peintre académique élève de Gérôme (Maurice Orange), un avocat né d’une femme mystérieuse rencontrée par son père au Cap de Bonne Espérance. Le seul mort du cimetière de Granville que j’ai envie de visiter est Richard Anacréon. Je trouve tout en bas sa banale pierre tombale aux fleurs artificielles décolorées.
Un sentier de randonnée qui traverse un cimetière, ça lui donne de la vie. Par la petite porte du bas, je retrouve face à la mer mon banc de pierre d’hier. Je m’y fais chauffer le dos par un soleil intermittent
Retour chez les vivants à l’intérieur du Au Tout Va Bien, Céline au téléphone : « Non non, c’est bon, je suis un commerce, j’ai besoin d’un Internet qui marche, si c’est pour qu’ils m’envoient des branquignols, la fibre vous pouvez vous la garder. » Salade de pommes de terre et poulet au curry constituent mon déjeuner du jour. A l’issue, le patron récupère ma table pour l’adjoindre à deux autres. Dix du Crédit à Bricoles vont bientôt arriver.
Une drachette accompagne ma montée vers La Rafale, due à un foutu nuage noir vite passé. Je m’installe à la table de la terrasse qui garde le soleil le plus longtemps. Mon café bu, j’y poursuis la lecture du Journal de Jean-Luc Lagarce gêné par le voisinage de gens du cru parlant de sortie en mer et de jardin partagé. Heureusement, elles et eux partent travailler à quatorze heures mais peu après une autre drachette me chasse.
Par le chemin de ronde, je vais m’abriter au Pirate où l’on affirme que ça ne va pas durer, à quinze heures retour du soleil. C’est la météo marine qu’il faut regarder. Il en est ainsi.
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Je passe toujours plus de temps dans les cimetières qu’à la plage.
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Une scène du film d'Yves Robert Nous irons tous au paradis avec Jean Rochefort, Claude Brasseur, Victor Lanoux et Guy Bedos a été tournée dans le cimetière marin de Granville.
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Les Mystères de Granville. Disparition de la boîte à livres du Plat Gousset. Enlevée avec son contenu comme une vulgaire cabine de plage ?
 

12 septembre 2024


Vers deux heures du matin le vent se remet à souffler à plein bruit contre ma fenêtre côté mer, un bruit qui me rappelle celui que fait un train de fret quand il traverse une gare, un train de fret qui n’aurait pas de fin. Quand même, je réussis à me rendormir. Je me réveille vers six heures quand passe la première balayeuse, dont le bruit dépasse celui du vent.
Après mon petit-déjeuner au Derby, je prends ce mercredi le bus Néva numéro Deux de huit heures cinquante-cinq en direction de Donville-les-Bains. J’en descends à l’arrêt Mairie. Tout près est Le Bistroquet où je retiens une table pour midi puis je vais voir l’église d’architecture contemporaine.
Il faut descendre assez longtemps dans le bourg pour atteindre le bord de mer. Une longue digue bordée de mignonnettes cabines de plage permet de marcher le long de la plage puis de revenir.
Je marche ensuite sur le sentier côtier qui va vers le Plat Gousset jusqu’au Cimetière Notre-Dame. Je m’assois sur un banc de pierre avec en face Chausey que je devine et à bâbord la Ville Haute. J’écris là le récit de ce début de journée tandis que le ciel qui laissait voir du bleu devient de plus en plus gris.
Direction Le Bistroquet où je bois un café à un euro quarante puis lis en attendant qu’il soit midi. Ce petit café est tenu par un jeune couple, elle prénommée Lolita, ce qui fait toujours bizarre. La clientèle de comptoir est  locale. L’un annonce que c’est son anniversaire. Personne ne le lui souhaite.
La salle de déjeuner est à l’arrière. Lui est en cuisine et elle fait le service. Au menu du jour à quinze euros quatre-vingt-dix : terrine forestière, jambon braisé sauce normande et moelleux au chocolat.
Il y a eu ici autrefois un buffet d’entrées mais c’est fini tout ça. Hormis la tranche de pâté, tout est mauvais. Le jambon est mince, sa sauce immonde, les frites sèches. Le pain est décongelé. Le service traîne. Je me passe donc de dessert et file régler une addition exagérée. Le Bistroquet de  Donville-les-Bains ne me reverra jamais.
J’attends le bus sur un banc devant la coquette Mairie. Arrivé à Granville, je monte boire le café et lire en terrasse à La Rafale, à peu près à l’abri du vent et au soleil durant ses brèves apparitions. A partir de quatorze heures dix, par la faute de l’immeuble du Tabac Presse Carterie trop haut d’un étage, le soleil disparaît définitivement.
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Propos de clientes du Bistroquet qui parlent par expérience : « Il vaut mieux avoir des gendres que des belles-filles. »
L’autre jour, au Tout Va Bien, une quinquagénaire disait à une plus jeune qu’elle qui voulait avoir un enfant : « Un garçon, c’est mieux. Les garçons, ils sont toujours gentils avec leur mère. »
 

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