Au café où je lis l’après-midi, je passe d’une énorme correspondance, celle de Friedrich Glauser, « Chacun cherche son paradis… », aux Éditions d’en bas, à une autre, celle de Mme Andouyn de Pompéry avec son cousin de Kergus, À mon cher cousin…, surtitrée « Une femme en Bretagne à la fin du XVIIIe siècle », aux Éditions du Layeur. Friedrich Glauser, écrivain suisse morphinomane sous tutelle. Mme Andouyn de Pompéry, femme libre et mariée de Basse Bretagne.
Du premier, l’extrait d’une lettre à Berthe Bendel, qu’après de longues démarches imposées par son tuteur, il aurait épousée, s’il n’était pas mort la veille du mariage :
La prochaine fois, tu dois mieux emballer le paquet, Berthe, sinon la poste va faire faillite. Elle a fait une réclamation en la personne d’un facteur, on me l’a transmis - ils ont dû appliquer un bandage d’urgence à la poste, non, un emballage d’urgence, et se sont indignés. Mon enfant, épargne à l’avenir l’indignation à la poste, je t’en prie, nous autres Suisses sommes un peuple sérieux, un paquet mal fait, où le papier se déchire, n’est pas un péché véniel mais mortel, ce qui doit te sauter aux yeux en tant que catholique pieuse. C’est une preuve de paresse, et la paresse se situe au même plan que l’avarice, la luxure (les Suisses parlent de bien-être), la gourmandise, la colère, l’orgueil et l’envie. Nous sommes protestants, parfaitement, mais nous évaluons les péchés de notre prochain d’un point de vue de Rome. Ainsi soit-il. Ne te fais plus attraper, sinon le directeur de la poste viendra te chercher… (lettre non datée écrite à la Waldau, hôpital psychiatrique, début janvier mil neuf cent trente-six)
De la seconde, l’extrait d’une lettre sur le plaisir d’écrire, surtout à ce cousin dont elle est quelque peu amoureuse :
J’ai appris avec grand plaisir votre résurrection, mon cher cousin ; je ne m’étais donc pas trompée au ton de votre dernière lettre, le malaise que vous éprouviez la rendait triste et laconique ; et moi qui ai la mauvaise habitude de mettre toujours les choses au pire, j’attribuais ce changement à votre cœur plutôt qu’à vos reins, qui étaient cependant les seuls coupables. Ils ne vous ont pas fait souffrir longtemps, ce qui m’oblige à leur pardonner l’erreur qui m’a affectée mal à propos pendant quelques jours. « Douteriez-vous de mes sentiments ? » Et sûrement que j’en doute, quand vous êtes embarrassé pour m’écrire ; songez donc qu’on ne pense ni au style, ni aux choses quand on reçoit une lettre d’un bon ami. Quoique tout cela soit charmant, c’est lui qu’on voit par-dessus tout.
Si on aimait les lettres pour les nouvelles seulement, eh ! bon Dieu ! les gazettes en fourmillent ; si c’était pour la diction pure et élégante, n’a-t-on pas des volumes en ce genre ? C’est donc pour être l’objet de la pensée d’un être qui nous intéresse, qu’on veut recevoir de ses lettres ; s’écrire est la seule ressource qui reste à des amis séparés : qui la néglige n’aime pas ou aime bien faiblement. Écrivez-moi donc, mon cher cousin, tant que vos affaires ou votre santé n’y mettront pas d’obstacles. Vous avez assez d’esprit pour embellir des riens, et mon cœur assez de sentiments pour y trouver un charme qui pourrait flatter votre orgueil si vous en aviez. Votre romance est délicieuse pour les paroles et la musique ; les ritournelles sont charmantes et je n’en critique point le luxe. Je ne suis point de caractère à me fâcher de ce que la mariée soit trop belle. (le treize août mil sept cent quatre-vingt-onze)
Du premier, l’extrait d’une lettre à Berthe Bendel, qu’après de longues démarches imposées par son tuteur, il aurait épousée, s’il n’était pas mort la veille du mariage :
La prochaine fois, tu dois mieux emballer le paquet, Berthe, sinon la poste va faire faillite. Elle a fait une réclamation en la personne d’un facteur, on me l’a transmis - ils ont dû appliquer un bandage d’urgence à la poste, non, un emballage d’urgence, et se sont indignés. Mon enfant, épargne à l’avenir l’indignation à la poste, je t’en prie, nous autres Suisses sommes un peuple sérieux, un paquet mal fait, où le papier se déchire, n’est pas un péché véniel mais mortel, ce qui doit te sauter aux yeux en tant que catholique pieuse. C’est une preuve de paresse, et la paresse se situe au même plan que l’avarice, la luxure (les Suisses parlent de bien-être), la gourmandise, la colère, l’orgueil et l’envie. Nous sommes protestants, parfaitement, mais nous évaluons les péchés de notre prochain d’un point de vue de Rome. Ainsi soit-il. Ne te fais plus attraper, sinon le directeur de la poste viendra te chercher… (lettre non datée écrite à la Waldau, hôpital psychiatrique, début janvier mil neuf cent trente-six)
De la seconde, l’extrait d’une lettre sur le plaisir d’écrire, surtout à ce cousin dont elle est quelque peu amoureuse :
J’ai appris avec grand plaisir votre résurrection, mon cher cousin ; je ne m’étais donc pas trompée au ton de votre dernière lettre, le malaise que vous éprouviez la rendait triste et laconique ; et moi qui ai la mauvaise habitude de mettre toujours les choses au pire, j’attribuais ce changement à votre cœur plutôt qu’à vos reins, qui étaient cependant les seuls coupables. Ils ne vous ont pas fait souffrir longtemps, ce qui m’oblige à leur pardonner l’erreur qui m’a affectée mal à propos pendant quelques jours. « Douteriez-vous de mes sentiments ? » Et sûrement que j’en doute, quand vous êtes embarrassé pour m’écrire ; songez donc qu’on ne pense ni au style, ni aux choses quand on reçoit une lettre d’un bon ami. Quoique tout cela soit charmant, c’est lui qu’on voit par-dessus tout.
Si on aimait les lettres pour les nouvelles seulement, eh ! bon Dieu ! les gazettes en fourmillent ; si c’était pour la diction pure et élégante, n’a-t-on pas des volumes en ce genre ? C’est donc pour être l’objet de la pensée d’un être qui nous intéresse, qu’on veut recevoir de ses lettres ; s’écrire est la seule ressource qui reste à des amis séparés : qui la néglige n’aime pas ou aime bien faiblement. Écrivez-moi donc, mon cher cousin, tant que vos affaires ou votre santé n’y mettront pas d’obstacles. Vous avez assez d’esprit pour embellir des riens, et mon cœur assez de sentiments pour y trouver un charme qui pourrait flatter votre orgueil si vous en aviez. Votre romance est délicieuse pour les paroles et la musique ; les ritournelles sont charmantes et je n’en critique point le luxe. Je ne suis point de caractère à me fâcher de ce que la mariée soit trop belle. (le treize août mil sept cent quatre-vingt-onze)



