Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 octobre 2025


C’est un plaisir de descendre au Quay des Brunes au même moment que les jours précédents mais à la lumière naturelle, grâce au changement d’heure de ce dernier dimanche d’octobre.
« La mer est mauvaise » « Y a de sacrés rouleaux » C’est ce que j’apprends des habitués avant même de l’avoir vue.
Effectivement, du sentier de randonnée on voit les chevaux de la mer se fracasser la tête la première. Je tente quelques photos. Rien de plus difficile qu’appuyer au bon moment. Surtout avec un appareil comme le mien. Il faudrait filmer. Je m’y refuse. Je n’aime pas les images qui bougent.
Des qui ne bougent pas, ce sont les pêcheurs à la ligne près de l’Ile de la Comtesse. Trois sont perchés chacun sur un îlot. Ils ne pourront les quitter qu’à la marée descendante. Il ne faut pas avoir le vertige, ni envie de faire pipi.
Il a plu toute la nuit. Le sentier est détrempé et couvert de flaques. Le Poisson Rouge non encore ouvert, je retrouve ma table du coin à L’Ecume. Faute de mieux, je poursuis la lecture d’Almanach d’un comté des sables sans trouver quoi que ce soit à noter. Trois jeunes femmes sont à une table voisine. L’une : « Moi, j’ai remis mon manteau » puis se reprenant « J’ai remise mon manteau ». Ensuite elles comparent les avantages de leurs machines à laver respectives.
Cela m’aurait plu de déguster encore une fois les huîtres du dimanche au Quay des Brunes. Le temps ne s’y prête pas. En bas de mon logement provisoire, j’achète à l’étudiante du dimanche un bagnat au thon et une part de tarte à la mirabelle. Je pique-nique au second étage.
Le temps froid me conduit à ne pas ressortir et à poursuivre l’effort de rattrapage de la publication de mon journal. J’avance assez vite, le texte ayant été enregistré quotidiennement via le micro de mon smartphone. Je n’ai que les corrections à faire. Je ne sais pas si c’est une bonne chose, mais depuis qu’il a redémarré, je n’éteins pas mon ordinateur, lui rabattant le couvercle.
Avec tout ça (comme dirait l’autre), j’ai chopé un semblant de rhume.
                                                                        *
Le problème du moment à Saint-Quay : les conteneurs de tri des ordures ménagères sont désormais ouvrables à l’aide d’un badge que beaucoup n’ont pas encore reçu. Ceux qui n’en ont pas en cherchent. Ceux qui en ont un ne veulent pas le prêter, ils disent qu’ils n’en ont pas.

26 octobre 2025


Je suis à nouveau le seul occupant de la Villa Les Marronniers. Mon studio dispose d’un moderne radiateur électrique réglé sur dix-neuf degrés mais, comme il est vaste, je n’ai pas chaud. Il fait presque froid désormais en Bretagne. N’ayant emporté que ma veste d’été à grandes poches, je porte en permanence par-dessus mon coupe-vent et, autour du cou, une écharpe.
Ce samedi matin, le ciel est gris au-dessus de la piscine d’eau de mer. Celle-ci est noyée sous les flots de la marée haute. A marée basse, pas question pour moi d’en faire le tour comme en juin il y a deux ans car le garde-corps a été retiré pour l’hiver et je crains le vertige. J’étais monté en haut du plongeoir pour faire une photo. Là, c’est une photo du plongeoir que je fais, puis d’autres de mon parcours du matin, ayant pu décharger la mémoire de mon appareil photo car le vingt-quatre octobre, en lui tapant dessus, j’ai réussi à faire redémarrer mon ordinateur. Cela a permis la reprise de la publication de mon Journal.
La mer est formée, comme disent les marins. De belles vagues s’écrasent sur la côte rocheuse en grondant. A l’arrivée, je réserve aux Plaisanciers puis m’assois à la terrasse du Poisson Rouge. Le soleil est momentanément de retour. J’ouvre Almanach d’un comté des sables d’Aldo Leopold. C’est un texte dans lequel il est question de la nature, des arbres, des animaux, ce qui m’intéresse peu, et ce Leopold a un chien qui le suit partout, ce qui me le rend antipathique. A la table voisine s’installe un quatuor de touristes pénibles, des Eurois, qui se réjouissent par avance de déjeuner aux Viviers de Saint-Marc à Tréveneuc. Je ne juge pas utile de leur dire que c’est fermé jusqu’en avril.
Quand j’ai trop frais, je migre vers L’Ecume pour un autre café lecture. Une tablée de six femmes à cheveux blancs se plaint de Saint-Brieuc : « C’est de plus en plus triste » « On n’a plus envie d’y aller ».
La pluie est de retour quand je fais les cinquante mètres jusqu’aux Plaisanciers où le plat du jour est la tartiflette.
Il en est de même quand je ressors. Ce n’est pas un temps à rester dehors. Comme j’ai du retard à rattraper dans la publication de mon journal, direction mon logis provisoire par le sentier du littoral.
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La piscine d’eau de mer de Saint-Quay, chacun peut la voir à la télévision publique où parfois elle annonce les publicités. Un homme saute de son plongeoir.

25 octobre 2025


Le cri de la chouette m’accompagne vers le Quay des Brunes ce vendredi matin. Je slalome entre les stands du Marché en cours d’installation dans le noir. Cette fichue heure d’été vit ses derniers jours. Vivement dimanche et l’heure d’hiver.
Il est temps d’achever mon carnet de tickets BreizhGo acheté lors de mon arrivée à Saint-Brieuc en allant à Plouézec avec le car de neuf heures onze. En l’attendant, j’assiste à l’arrivée de la pelleteuse destinée à la réparation des dégâts de l’orage du vingt-deux septembre. Une savante manœuvre en marche arrière permet au camionneur qui la transporte de la descendre sur la Plage du Casino.
Je descends à l’arrêt Stade. Tout près est le restaurant La Horaine où je retiens une table pour midi. J’entre dans le centre du bourg. La grosse église et la Mairie sont entourées de quelques commerces, dont une boulangerie où j’achète un pain au chocolat à un euro vingt. Je le mange avec un allongé à un euro quarante au café d’à côté. Des cancanières du pays sont à l’ouvrage. L’une arrive en pétard. Elle sort de chez le médecin qui ne s’est pas réveillé. Il est dix heures, tous les premiers rendez-vous dont le sien sont remis à demain matin. « Mais il ne travaille pas le samedi. » « Bah là, il est obligé. » C’est la fille d’une déjà là et la mère d’une fille de douze ans pas là. A la maison, cette fille dort à l’étage. Dans la chambre voisine, un jeune majeur hébergé par la mère. Elle les soupçonne de coucher ensemble. « Ce qui m’embête, c’est qu’elle est pas sous pilule. » « Sa sœur elle a fait la même chose au même âge, mais au moins elle était sous pilule. » L’homme de la table trouve que douze ans, c’est jeune. « Qu’est-ce qu’elle fera quand elle aura quinze ans ? »
Je parcours là sans y trouver d’intérêt le Dix Dix-Huit du Colloque de Cerisy consacré à Duchamp puis je vais visiter l’église. Elle est aussi triste que celle de Plouha. L’accumulation de statues et de meubles lui donne l’aspect d’une brocante. Entre l’église et la Mairie est une boîte à livres. J’y trouve Almanach du comté des sables d’Aldo Leopold (GF Flammarion), un livre dont j’ignorais l’existence.
Comme une drache est à venir, je m’abrite préventivement au Bar Tabac Le Cheval Blanc. Au comptoir, on parle des pêcheurs bretons qui se sont fait gauler en pêche illégale près des côtes d’Irlande.
Le ciel redevenu bleu, j’entre à La Horaine à midi. On y pratique le self intégral : buffet d’entrées, plat servi à la louche par le patron, dessert en assiette. C’est un lieu où les ouvriers passent un long moment à picoler au bar avant de déjeuner. Au moment de payer mes seize euros, la machine plante. Ce qui me vaut de ne payer que quinze en liquide.
Une nouvelle drache est à l’horizon quand je traverse la route pour rejoindre l’arrêt du car. Une vieille, cramponnée à son sac, est déjà là à éternuer. Quand le treize heures vingt-deux arrive, elle n’y monte pas. Etrange bourgade que Plouézec.
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En face de la boulangerie, sur la plaque d’une psychologue : « Thérapie brève, Hypnose, Bilan de compétences. »

24 octobre 2025


Toute la nuit, elle souffle la tempête Benjamin, percutant le second étage de la Villa Les Marronniers. D’autant plus fort que cette villa est isolée et domine son environnement.
Pourtant je dors aussi bien (ou aussi mal) que d’habitude. Au matin, je me dispense du petit-déjeuner au Quay des Brunes, me contentant de descendre dans la cour au Fournil de Saint-Quay et d’en remonter avec deux crêpes. Un sachet de thé remplace le café.
Je renonce également à la marche sur le Géherre, craignant le danger que représente l’escalier qui descend droit sur la mer à la Pointe du Sémaphore. Je rejoins le bord de mer dans sa partie la plus sécurisée après l’Ile de la Comtesse, laquelle est entourée par des eaux agitées. A proximité, un bateau de pêche affronte les éléments.
D’autres pêcheurs sont au comptoir de L’Ecume, guère bavards. Un arrivant jette un froid supplémentaire. « Ma femme est à l’hôpital. Elle a un cancer des ovaires. C’est foutu. Y a plus qu’à attendre. » Je prends un café à ma table du coin puis ouvre Souvenirs pieux. Il y est question du temps qui passe et du temps qu’il fait. Le temps passait sans qu’on sut comment. (…) Le temps ne favorisait ni les émotions tendres, ni les toilettes claires.
Après le sauté de poulet sauce miel et moutarde des Plaisanciers, je retourne à L’Ecume pour le café. A la pluie succèdent des averses. Le vent est toujours fort, mais une femme est déçue de ne pas trouver à Saint-Quay la tempête qu’on lui a promise à la télévision.
                                                                      *
Je suis, quant à moi, déçu d’arriver au bout de Souvenirs pieux, m’étant découvert une grande dilection pour l’écriture autobiographique de Marguerite Yourcenar. Il me faudra trouver la suite chez Book-Off ou ailleurs : Archives du Nord et Quoi ? L’éternité.

23 octobre 2025


A défaut de voir Gwin Zegal, le petit port avec mouillage sur pieux de bois de Plouha, vaste commune aux plus hautes falaises de Bretagne, et sa plage Bonaparte, haut lieu de la Résistance où s’illustra le père de Jane Birkin, je compte ce mercredi voir le centre du bourg.
Pour ce faire, j’attends une nouvelle fois le car BreizhGo Deux Cent Un terminus Paimpol de neuf heures onze au Quay des Brunes où l’habitué en chef est remonté. « Je te dirai ça quand tu me montreras tes fesses », dit-il à Lisa la serveuse. « Il y a d’autres sujets de conversation que le sexe, surtout quand on fait plus grand-chose », lui répond-elle. « Il va falloir lui trouver une chèvre », ajoute-t-elle pour les autres habitués.
Nous sommes quatre dans le car et descendons tous à Plouha La Poste. Le marché hebdomadaire est ce qui amène les trois autres, des femmes. Je n’ai pas relu ce que j’écrivais il y a deux ans sur ce bourg, volontairement, pour avoir le plaisir d’une nouvelle découverte.
Assez vite l’endroit m’est familier, blotti comme il est autour de la grosse église. J’entre dans celle-ci. Une messe est en cours pour une vingtaine de présents à cheveux blancs, dite par un prêtre à la peau noire. Je ressors et découvre (redécouvre) Au Rest’O dans la rue derrière. Un restaurant à menu ouvrier où j’avais déjeuné. Hélas, il est fermé définitivement. La propriétaire est là, vendant la vaisselle. Elle m’indique une crêperie et une pizzeria.
Le tour du marché fait, j’achète un pain au chocolat au miel du pays (un euro trente) au Fournil de la Poste et trouve une table à La Civette, le café le plus fréquenté du pays, où les locaux papotent après les courses. « On va avoir la tempête ». Je lis là Marguerite Yourcenar. Elle parle d’elle au masculin. L’historien-poète et le romancier que j’ai essayé d’être…
Je fais un second tour de bourg, entrant une nouvelle fois dans l’église. Elle ne révèle que sa tristesse. Dans un coin, le prêtre confesse une paroissienne à déambulateur qui ne peut plus entrer dans le confessionnal.
Le soleil me permet d’attendre midi sur un banc près du marché. Je me souviens qu’un décès venait de frapper la poissonnerie il y a deux ans. Elle fonctionne à plein. Il faut être doté d’une solide patience pour faire ses courses à Plouha le mercredi.
Je déjeune d’un hachis Parmentier maison à treize euros à la pizzeria La Mensa et d’une carafe d’eau. La patronne tutoie toute la clientèle, c’est-à-dire moi-même. La fleuriste d’à côté passe la tête par une vitre qu’elle fait glisser de l’extérieur. « Ça va ? Ça bosse ? » lui demande la restauratrice. « Non ». Je reste seul avec mon hachis. Deux jeunes viennent chercher des pizzas commandées. C’est tout. Je paie sans demander un dessert. Je le prends au Fournil de la Poste, un far breton à deux euros soixante et le mange sur un banc au soleil en regardant le marché se défaire. « Allez ! Il n’est pas trop tard pour un bouquet de fleurs, messieurs dames, mariage, deuil », crie l’un. Chez son voisin, le mari reproche à sa femme de mal ranger. Elle se rebiffe « Et comment on fait quand t’es pas là ? »  
Le car du retour est à treize heures trente-quatre. J’en descends à deux pas du Quay des Brunes, peu de vent, du soleil, un café et Marguerite. Je ne suis pas Breton mais je sens bien quand le temps d’ici va se dégrader. Cela me permet de rentrer juste avant la pluie, laquelle doit être suivie de la tempête Benjamin.
                                                                       *
Dans la boîte à livres de Plouha, le Dix Dix-Huit du Colloque de Cerisy consacré à Duchamp. Il a été lu, du moins en partie. En témoignent dans le premier tiers du livre, deux marque-pages (un ticket d’autobus du Service de Transport de l’Agglomération Rennaise et un emballage de sucre), quelques pages cornées et en haut d’une, cette annotation à l’encre : « hystérique ou sensuelle ».

22 octobre 2025


« Il y a du monde dans le magasin, vous allez chacun de votre côté. » Elle insiste : « Vous allez chacun de votre côté ! » Le monde : c’est moi. Le magasin : le Fournil de Saint-Quay. L’objet du différend entre deux employés dans l’arrière-boutique : je l’ignore.
Muni de mes deux crêpes, je passe comme chaque matin devant l’Hôtel Saint-Quay qui semble le plus souvent sans clients. Sur sa façade, on distingue encore l’inscription « Bouquinerie », laquelle a été mal recouverte par un raccord de peinture. Lors de ma précédente venue à Saint-Quay, j’avais acheté à la timide hôtelière, pour une broutille, des livres d’Hervé Guibert et de Tony Duvert.
Un peu plus bas se dresse l’ébouriffant bâtiment rose triangulaire à tourelle qui a nom Ty-Huel. Le jour de mon arrivée, mon logeur m’a dit qu’il était à vendre et qu’il avait été construit sur ce petit terrain triangulaire pour emmerder des bonnes sœurs en leur ôtant la vue sur la mer. Comme on ne voit pas grand-chose de la mer de cet endroit, je me demande si ce n’est pas une légende urbaine. Quoi qu’il en soit, cette bâtisse ne cesse de me fasciner.
Pas de pluie ce mardi matin. Au départ de ma balade, je trouve Pierre occupé à sortir la terrasse du Café de la Plage. « Vous allez bien ? » me dit-il. « Je vais passer tout à l’heure. Vous pouvez déjà me réserver une table », lui réponds-je. Vers Paimpol, un nuage noir est décoré d’une portion d’arc-en-ciel. La mer est agitée du vent d’hier. A l’arrivée, les bateaux du Portrieux sont éclairés par le soleil. C’est marée haute, ça flotte.
Je retrouve ma table habituelle au Poisson Rouge et Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar. Comment se fait-il que tout ce qui occupe et agite notre esprit, en alimente le flot ou la flamme, disparaisse à peu près inévitablement de tout entretien entre proches ?
J’assiste à l’arrivée dans l’ancienne Mairie des membres du Cercle Informatique Quinocéen dont le chef a refusé de m’aider. Des vieux qui portent leur ordinateur dans une sacoche à poignée. J’en braquerais bien un. Le risque de connaître le même sort que Sarkozy serait trop grand.
Après avoir laissé passer une brouillasse, je traverse Saint-Quay par le dedans. Direction le Café de la Plage où je trouve place haute à l’intérieur pour un autre café Yourcenar. A midi, je rejoins la salle du restaurant. Parmentier de poisson au curry breton, pavlova ananas passion, telle est la formule du jour pour dix-neuf euros. On n’entend pas le rire de Cristalle qui ne commence qu’à quinze heures, me dit Pierre. Je lui parle de l’éventuelle virée à Gwin Zegal. « Vous avez son numéro ? Contactez-la », me répond-t-il. Les vacances de Toussaint se font douloureusement sentir avec dans la salle du restaurant un tas de famille à moutards, le pire étant un deux ans seul avec sa mère. Une grand-mère essaie de faire choisir un fichipe à ses petits-enfants. « Fish and chips », reprend le père divorcé. Cela me saoule, au point que j’apprécie peu ce que je mange.
Je suis heureux de retrouver l’extérieur. La marée étant basse, je coupe par la Plage du Casino pour rejoindre le banc jaune au-dessus de la Grève Noire. J’y reprends mes esprits puis y prends le timide soleil avant de rejoindre le Quay des Brunes où Lisa essaie un diadème d’Allo Ouine. « Ça me va ? » me demande-t-elle. « C’est parfait, discret et de bon goût. »
Mon café bu, je retrouve Marguerite qui a toujours quelque juste réflexion à faire. L’admirable jeune homme souffre surtout du défaut qui, depuis deux siècles, caractérise la pensée de gauche : son optimisme. Comme Michelet et Hugo, il croit l’homme bon, non seulement dans sa forme mythique et originelle, mais encore aujourd’hui, et dans la rue. 
Rentré, j’envoie un texto à Cristalle. Dans sa réponse, elle me dit que ce n’est pas une obligation mais un plaisir, qu’elle en discutera avec son collègue, que ce serait plutôt le mercredi de la semaine d’après.

21 octobre 2025


En marchant au milieu des rues, je rejoins le Quay des Brunes ce lundi. La pluie n’y est pour rien. C’est ainsi tous les jours. Il passe rarement une voiture. Nous sommes hors saison. La Toussaint n’y changera rien. Du vent est annoncé et pour dix heures peut-être un orage. Ça me laisse le temps de suivre la côte jusqu’au Poisson Rouge.
Il fait un peu de soleil quand le militaire de faction en haut du Sémaphore me regarde arriver, m’arrêter devant la table d’orientation puis repartir. Le bâtiment actuel date de mil neuf cent quatre-vingt-six. Il permet la surveillance du trafic maritime et aérien grâce à une tour de douze mètres de haut semi-octogonale avec chambre de veille panoramique. Les guetteurs sont recrutés entre dix-sept et trente ans pour des contrats de quatre ans renouvelables.
Après avoir réservé aux Plaisanciers, je m’installe à la terrasse du Poisson sous un beau soleil avec vue sur le port d’échouage à marée haute. Le patron, Jean-Marie, me donne du monsieur en m’apportant mon café. Cette fois, il ne passera pas au tutoiement comme il y a deux ans. Je préfère ça.
Voyons ce qu’a à me dire Marguerite Yourcenar sur sa famille. Peu avant sa fin, ce bon père avait pris soin de partager lui-même ses diamants entre ses quatre filles étagées de dix-sept à vingt-deux ans. (…) Les demoiselles Drion passaient pour des partis désirables, chacune apportant un charbonnage.
A dix heures, c’est l’averse, l’arrivée de cancanières fuyant le marché et la fraîcheur qui tombe. Quand ça se calme, j’opère une translation vers L’Ecume.
A midi moins le quart, c’est encore un jour de grand départ à la coquille dans le port de pêche.
De la langue aux Plaisanciers où les vacances se traduisent par la présence d’enfants. Non pas avec leurs parents mais avec papy mamie. Trois tablées on ne peut plus calmes sans que les grands-parents aient à faire preuve d’autorité.
Le vent a forci durant le repas. Il me pousse jusqu’à L’Ecume où, à la table d’à côté, le patron et celle que je prenais pour sa serveuse en raison de la différence d’âge mais qui s’avère être la patronne discutent d’affaires de famille. L’immense écart entre ce que se disent deux personnes bien élevées, causant devant une tasse de thé et la vie secrète des sens, des glandes, des viscères, la masse des soucis, des expériences et des idées tus, a toujours été pour moi un sujet d’ébahissement., commente Marguerite.
En rentrant, une pause m’est de nouveau accordée sur le banc bleu vite séché après l’averse. Point de lézard mais un petit voilier rouge qui se dirige vers Port d’Armor. Comme toujours, chaque fois qu’il se tourne vers le monde extérieur, la vie est là, avec son imprévu, sa foncière tristesse, sa décevante douceur, et sa presque insupportable plénitude.
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Mais toute vieille demeure réserve des surprises… Dommage, Marguerite, ce « Mais » en début de phrase. Inutile et affaiblissant le propos. Ce n’est pas le seul, hélas, dans Souvenirs pieux.

20 octobre 2025


Je ne suis plus seul Villa Les Marronniers. Les résidents secondaires de l’un des appartements du rez-de-chaussée sont là, que je n’entends pas. Comme la barrière de la cour et la porte d’entrée restent ouvertes, c’est mieux de ne pas être seul en cas d’intrusion, bien que celle-ci soit improbable.
Il a plu. Il va pleuvoir. Cela n’empêche pas les habitués du Quay des Brunes d’être là à se raconter des histoires. Celui qui a été gardien d’immeuble à Paris en a de bonnes sur les ouvriers qui venaient rénover les appartements et celui qui parle toujours de sa femme donne de ses nouvelles « Madame a fait un gâteau » « Madame tricote des pulls ».
L’imprévu, ce sont deux filles en minijupe qui débarquent. Elles ont l’air d’avoir passé une partie de la nuit dehors. Elles n’en sont pas moins fraîches, le privilège de la jeunesse. L’habitué en chef est obligé d’aller souvent aux toilettes. « Alors, on est fatiguées ? », dit-il aux deux filles en ressortant. Elles n’étaient pas à la boîte de nuit. Elles étaient à une soirée, un peu plus haut.
Il pleut quand, protégé par mon coupe-vent de Saint-Brieuc, je parcours le sentier entre la Plage du Casino et Port d’Armor, où, comme il fait doux, je m’installe côté terrasse abritée par un semblant d’auvent, à L’Ecume, avec vue sur l’arrivée du Géherre dominée par une splendide villa inoccupée dotée d’un escalier de secours hélicoïdal extérieur.
Souvenirs pieux est dans l’une de mes poches. Je l’en sors. J’aime la manière froide et distanciée dont Marguerite raconte sa naissance et la mort qui s’ensuivit de sa mère qu’elle ne nomme que par son prénom : Fernande. Ceux qui viennent à L’Ecume pour le tabac repartent déçus. Les rayons sont quasiment vides depuis un moment. Un problème avec le fournisseur, c’est la raison officielle. Les cigarettes ça se paye d’avance et il y a un souci de trésorerie, c’est ce que dit Lisa du Quay des Brunes. En même temps, c’est le mois sans tabac, conclut la serveuse de L’Ecume.
Il pleut de plus belle (comme on dit) quand je marche jusqu’aux rues intérieures du Portrieux pour savoir si ce dimanche est ouvert Le Bon Dieu Sans Confession, petit bar tabac tout en profondeur face à la librairie Le Fanal. Il l’est. A une table perché, je bois un nouveau café tandis que le patron se vante de ses exploits en gravel et se demande si les vaccins contre le Covid ne l’ont pas affaibli. Il est souvent patraque, une des raisons de l’ouverture intermittente du Bon Dieu. On y écoute Fip, ce qui fait que je me sens un peu dans le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin.
Souvenirs pieux, quoi de plus approprié comme lecture au Bon Dieu Sans Confession. Je m’inscris en faux contre l’assertion souvent entendue que la perte prématurée d’une mère est toujours un désastre, ou qu’un enfant privé de la sienne éprouve toute sa vie le sentiment d’un manque et la nostalgie de l’absente. écrit Marguerite Yourcenar.
Ouvert, le Poisson Rouge l’est aussi, en l’honneur des vacances. La crêpe du moment est à quinze euros quatre-vingt-dix. Je préfère, au Port d’Armor, entrer chez Victoria où je déjeune à ma table de prédilection d’une pizza Napoli (avec anchois et câpres) à quatorze euros vingt. Les bateaux des pêcheurs sont immobiles. Des plongeurs passent, ployant sous leurs bouteilles, pour qui la pluie n’est rien.
Une arcade me permet de rejoindre sans me mouiller ma table d’habitué à l’intérieur de L’Ecume où une famille de vacanciers désespère. J’y rouvre Marguerite. Rien ne prouve mieux le peu qu’est cette individualité humaine, à laquelle nous tenons tant, que la rapidité avec laquelle les quelques objets qui en sont le support et parfois le symbole sont à leur tour périmés, détériorés ou perdus.
Du vent, mais plus de pluie, quand je ressors vers quinze heures. Je peux faire une pause durant une éclaircie sur le banc bleu du muret au lézard. La mer est basse. Une famille a la plage pour elle seule. Une autre arpente l’Ile de la Comtesse. Le lézard est planqué quelque part.
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Les jours de pluie, il semble que les chiens n’aient pas besoin de sortir. Contrairement aux sportifs, qui font ça tous les jours.

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