Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

6 novembre 2025


Ce mardi vers neuf heures direction la Pharmacie du Donjon et de la Gare où j’espère me faire vacciner sans rendez-vous et sans attendre contre la grippe et contre le Covid comme ce fut le cas les années précédentes. J’y découvre une file d’attente décourageante face à seulement deux pharmaciennes. Attendre est au-dessus de mes forces. Je redescends la rue de la Jeanne et j’ai l’œil attiré par la croix verte de la Pharmacie du Square Verdrel qui, je le constate, a changé de nom, devenue Pharmacie Anton et Willem. J’y entre. Personne face aux deux pharmaciennes.
Je demande à l’une s’il est possible de me faire les deux vaccinations, là tout de suite. Ça pourrait l’être mais elle n’a qu’une dose de vaccin anti-Covid et elle est réservée pour quelqu’un qui doit venir. « Revenez demain. » « Je ne serai pas là demain. » Sans que je demande quoi que ce soit, elle et sa consœur décident d'appeler la personne pour qui c'était mis de côté afin de reporter son rendez-vous.
Les papiers remplis, je passe derrière le comptoir et franchis un rideau. Le lieu des piqûres est minuscule. C’est le bas de l’escalier qui mène à l’étage. Tandis que la pharmacienne prépare les flacons, je dégage mes épaules pour une vaccination à chaque bras. Quand elle y procède, elle me demande si je suis à jour des autres vaccinations. « Il faut que je parle de celle du zona à mon médecin, j’ai vu des images effrayantes dans une publicité à la télévision et j’en ai eu un quand j’étais jeune », lui dis-je. Elle m’explique que, vieillissant, mes défenses immunitaires diminuent et donc le risque de refaire un zona augmente. « Je peux vous le prescrire moi-même », me dit-elle. C’est un nouveau vaccin. L’ancien n’était pas très efficace et avait des effets secondaires. Celui-là en a peu et, en plus, il diminue le risque de démence sénile. « C’est une bonne nouvelle », lui dis-je.
Piqué deux fois, je me rhabille et, dans l’officine, prends rendez-vous pour la première dose du vaccin anti-zona (il y en a deux) et, tant qu’on y est, pour être également vacciné contre les infections à pneumocoques, celles qui touchent les poumons.
                                                                 *
Premier jour ouvrable de novembre, ne pas le rater. Lundi à sept heures, j’envoie un mail au secrétariat de l’usine ophtalmologique pour demander mon rendez-vous annuel en décembre. La réponse me parvient ce mardi. Ce sera peu avant Noël.
Il y a un an, je m’apprêtais à me faire ouvrir les yeux par le boss. Je n’en menais pas large (comment on dit).
                                                                *
Un comique sapin artificiel conique se dresse en ce début novembre sur le parvis de la Cathédrale. Autour de lui des chariots élévateurs transportent ce qui deviendra les cabanons du ridicule Marché de Noël de Rouen. Cette nuisance durera deux mois, m’interdisant la diagonale pour traverser la place.

4 novembre 2025


C’est dans le train du mercredi et les bistrots de Paris que j’ai lu l’été dernier Lettres à sa fille Miriam de Groucho Marx, des missives publiées par cette fille qui eut un problème avec l’alcool (comme on dit pudiquement) et mourut en deux mille dix-sept. « Chère Mirabelle » « Mon p’tit sucre » « Cher Clébard » commençait celui qui signait « Ton Padre ».
À mesure que nous vieillissons (voilà que le vieillard s’éclaircit la voix et jette sur ses épaules une lourde et sombre cape), tu t’apercevras que les relations ne restent jamais statiques -qu’il s’agisse de tes parents ou de tous ceux que tu rencontreras, que tu as côtoyés, que tu côtoies ou qui cotes de mailles. le trente et un décembre mil neuf cent quarante-cinq
Soit dit en passant, cette affaire de guitare n’est pas très pratique - ça exigerait un emballage particulier et beaucoup d’autres choses dont je ne me sens pas capable. Cet automne, à ton retour, tu pourras la mettre sous le bras et l’emporter avec toi. Entre temps, tu peux exercer tes doigts sur une corde à linge tendue. le dix-sept avril mil neuf cent quarante-six
Tant que j’y pense, tu peux prendre le Constellation pour revenir et, puisque nous y sommes, je ne m’inquièterais pas trop si j’étais toi de prendre l’avion plutôt que le train, car hier il y a eu un accident de train sur le Burlington express qui a fait à peu près quatre-vingts victimes Or, la capacité du Constellation étant de quarante personnes, tu as donc deux fois moins de chance d’y rester. vingt-six avril mil neuf cent quarante-six
Je t’ai déjà posé la question au sujet d’un petit ami - en as-tu un ou en es-tu réduite à fréquenter des femmes ? Tu ne parles pas beaucoup de cette partie-là de ta vie ou bien tu caches un pesant secret, ou bien M. Parfait, comme Lardner appelait ça, ne s’est pas encore présenté. le trois juin mil neuf cent quarante-six
Bogart est venu à la maison l’autre soir et s’est complètement soûlé la gueule. Ceci est tout à fait normal pour lui. Je pense que je ne vais plus l’inviter. Il est ennuyeux quand il est ivre mort et guère mieux lorsqu’il est sobre. Je la plains, elle, elle a essayé de le convaincre de rentrer mais c’est un ivrogne qui a le vin mauvais. Même Kurtnitz le doux-et-faible ne pouvait plus le supporter et a fini par l’engueuler. La morale est ne fréquente pas les acteurs - à quelques exceptions près, ce sont tous des connards. Je préfère la fréquentation des écrivains. Ils sont plus âgés et plus stables. le vingt-sept novembre mil neuf cent quarante-six
J’ai enfin reçu une courte lettre de toi écrite à l’aide d’un ruban si clair que j’ai dû boire un flacon entier d’huile de foie de morue (vitamine A pour les yeux) avant de pouvoir en distinguer les caractères. le quatre juillet mil neuf cent quarante-sept
Grace Kahn vient de rentrer de New York et elle m’a dit qu’elle t’avait vue et que tu deviens de plus en plus jolie ; est-ce vrai ou bien est-ce que la vue de Grace faiblit ? Raconte-moi tout s’il te plaît parce que je connais un excellent ophtalmologiste ici et je pourrai peut-être lui envoyer Grace. le douze décembre mil neuf cent quarante-sept
Puis nous sommes allés chez Franck Loesler. John Steinbeck était parmi les invités, ivre comme d’habitude. C’est un brillant écrivain mais une plaie d’individu car je ne l’ai jamais rencontré une seule fois sans qu’il ne soit bourré. En plus, il a le vin mauvais. Il faut faire attention à ce qu’on dit en sa présence. J’admire son travail, mais, personnellement, tu peux te le garder si tu veux. le deux janvier mil neuf cent quarante-neuf
Harpo et Chico font un tabac au Palladium à Londres, ce qui me rend très heureux. Ce qui me rend encore plus heureux, c’est le fait que je ne sois pas avec eux. le trois juillet mil neuf cent quarante-neuf
Je suis particulièrement allergique aux chanteurs français et, en ce moment, à Las Vegas on peut voir et entendre Hildegarde, Edith Piaf, et pire que tout, un groupe de neuf Français qui chantent, en faisant des harmonies, la plupart des chansons que Piaf et Hildegarde massacrent dans les autres hôtels. en février mil neuf cent cinquante-trois (le groupe de neuf Français : les Compagnons de la Chanson, Hildegarde était américaine)
Je ne sais pas si je te l’ai dit, mais la semaine prochaine, Kay part en Corée. Elle est bourrée de toutes sortes de vaccins ainsi que d’élans amoureux pour un homme appelé Lenny Sherman, qui l’a bien tabassée voilà de cela trois ou quatre semaines. Elle est venue chez moi et elle avait l’air d’avoir fait dix rounds avec Rocky Marciano. Son apparence physique m’a choqué. Elle m’a juré qu’elle ne le reverrait plus jamais mais lorsque j’ai téléphoné à son appartement, il y a quelques jours, c’est lui qui a décroché. Alors je me dis qu’il vaut mieux abandonner. le onze décembre mil neuf cent cinquante-trois (Kay : une de ses anciennes femmes)

3 novembre 2025


En ce samedi de Toussaint, vers quatorze heures, toque à ma porte le serviable étudiant à qui j’ai déjà dû faire appel lors de problèmes avec mon ordinateur ou mon smartphone. Il a sous le bras mon nouvel ordinateur prêt à l’emploi. Un appareil de marque Lenovo qu’il a acheté pour moi sur le Bon Coin à la fin de mon séjour à Saint-Quay-Portrieux, avançant même l’argent pour cela.
J’ai eu des scrupules à le solliciter, il est énormément pris par ses études, mais j’étais incapable de faire cela moi-même. Il procède à quelques derniers ajustements et téléchargements, m’explique comment utiliser la chose, peu de différence avec le précédent.
Avec mille remerciements je lui fais un chèque augmenté puis nous prenons un café en discutant de choses et d’autres.
Lui parti, je prends les commandes de l’objet qui ne m’oppose pas de résistance. Le souci vient des sites que j’utilise, avec leur méfiance de tout nouvel équipement et leur foutue double authentification. La pire difficulté, c’est avec le réseau social Effe Bé dont le code envoyé par texto sur mon smartphone a du mal à arriver par la faute du mauvais réseau de mon lieu d’habitation. Ce problème résolu, nouvel embarras avec Air Bibi qui n’accepte plus qu’on se connecte via Effe Bé. Pas si simple non plus pour la Senecefe mais je m’en sors.
Impression générale : celle d’être passé du volant d’une Deudeuche à celui d’une Formule Un.
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Retrouver son appartement après deux mois d’absence, c’est craindre une panne quelque part, mais non tout redémarre tranquillement. Quand même, ma télé a rétréci. C’est du moins l’impression que j’ai après avoir eu à disposition, Villa Les Marronniers, un très grand écran.
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Durant mon absence, changement de la plaque Telecom sous ma fenêtre. Celle supprimée faisait clac à chaque fois qu’un passant mettait le pied dessus, clac clac clac … clac quand c’était un troupeau de touristes. Depuis le temps que je suis ici je m’y étais habitué, n’y portant attention que lorsqu’un moutard en faisait un jeu. Une nouvelle plaque mais aussi un nouveau coffrage. Ça a dû faire du bruit.
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Dans ma boîte à lettres, le courrier administratif habituel, dont un courrier de ma mutuelle m’informant d’une restitution exceptionnelle de quarante euros suite à l’annulation d’une mesure gouvernementale et un courrier des Impôts m’informant d’un prélèvement supplémentaire de quarante-neuf euros. J’y suis de ma poche de neuf euros (comme disent certains).
Également la lettre d’un particulier : le locataire qui m’a précédé. Il me dit que plusieurs fois, passant dans la ruelle, il a été tenté de sonner mais n’a pas voulu me déranger. C’est agréable de recevoir une lettre en papier.

31 octobre 2025


Après avoir laissé les clés de mon logis Air Bibi dans la boîte dont m’a donné le code mon aimable logeur lors de sa visite de courtoisie hier soir, je prends un dernier petit-déjeuner au Quay des Brunes où je regrette l’absence de Lisa et où je ne traîne pas car je dois prendre le car BreizhGo Deux Cent Un terminus Saint-Brieuc de huit heures vingt-huit pour ne pas louper mon Tégévé ce jeudi matin.
Ce car est à l’heure et doté de deux contrôleurs. Ma valise et mon sac à dos sont dans la soute. A l’arrivée à la Gare de Saint-Brieuc, grosse frayeur. Si mon sac est à sa place, plus de valise. Je la crois volée, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’elle a glissé de l’autre côté du car. J’appelle le chauffeur qui rampe dans la soute pour la récupérer.
Direction le Bistrot Gourmand. J’ai du mal à le reconnaître. A la place de ma table préférée : un mur de cigarettes. « Oui, on a ajouté un tabac », me dit la patronne à qui je commande un expresso. J’attends là mon Tégévé du retour, le dix heures trente-quatre pour Paris Montparnasse où, pour un prix inférieur à celui de la place en seconde de l’aller, j’ai une place réservée en première, voiture Onze, place Quarante-Deux, isolée.
Je suis assis à l’heure dite dans le sens de la marche. Un moulin à vent avant l’arrivée à Lamballe où monte un couple dont la femme désinfecte les tablettes au gel hydro-alcoolique puis lit Les Charognards, l’enquête sur les pompes funèbres. Des éoliennes avant Rennes où changent de voiture une grand-mère et son trois ans égarés en première. Des nuages avant Laval tandis que je déjeune d’un bagnat au thon et d’une part de tarte à la mirabelle. Cent soixante-sept euros, c’est ce que devrait payer la vieille dame derrière moi dont la Carte Avantage n’est plus valable. Elle tombe des nues (comme on dit). « Je n’ai jamais eu d’amende de ma vie. » Le contrôleur a pitié d’elle. Il lui télécharge l’application pour qu’elle puisse la renouveler immédiatement. Il doit le faire à sa place. Ça ne marche pas. Il lui dit de le faire chez elle, pour cette fois ça ira. Avant Paris, à nouveau des éoliennes et le ciel qui s’éclaircit. Bientôt l’arrivée, nous sommes déjà tous debout quand le chef de bord indique que nous allons nous arrêter en pleine voie en raison d’une vérification des voies au départ de Montparnasse, retard estimé à quinze minutes environ. Nous repartons presque aussitôt, mais arrivons quand même avec dix minutes de retard à Paris.
A la descente de train, c’est la lente remontée vers le bout du quai et les escaliers mécaniques encombrés. Ce que j’avais avec plaisir oublié : les autres quand il y en a trop. Par bonheur, je peux m’asseoir dans le métro Treize. J’arrive à Saint-Lazare à quatorze heures pile et m’assois en attendant le train Nomad de quatorze heures quarante pour Rouen.
Il y a des réservations dans la voiture Cinq sauf dans les carrés. Je m’installe dans un avec ma valise et mon sac. J’y reste seul. Outre couloir, deux hommes travaillant dans le bizness de l’habitation discutent boulot. Dans l’immeuble sans ascenseur, il faudra mettre l’appartement-témoin au deuxième étage, comme ça les gens ils ne s’épuiseront pas à grimper, et le soigner particulièrement, comme ça les gens ils oublieront la mocheté de l’immeuble. A peine le train est-il parti que le plus gros s’endort en ronflant.
Le ciel est partiellement bleu quand je revois ma Normandie puis gris quand j’arrive à Rouen. Mon bagage posé, je file chez U assurer ma survie puis je sors de la valise mon ordinateur moribond que j’ai laissé en veille. La petite lumière clignotante indique que son cœur bat encore. Quand je le branche, il repart.
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J’aurais passé un mois paisible, pour trente-neuf euros la nuit, à la Villa Les Marronniers dans un coquet studio élégamment décoré des souvenirs de la grand-mère de mon logeur. Elle tenait une pâtisserie un peu plus loin dans la rue. Cette Villa Les Marronniers était autrefois une pension de famille où l’on banquetait sous les marronniers. Des marronniers qui ont été abattus pour la construction de la boulangerie Le Fournil de Saint-Quay.

30 octobre 2025


Du monde et du bruit au Quay des Brunes ce mercredi matin. Sur la place, un engin de chantier installe des fûts de je-ne-sais-quoi en vue de la Samain qui a lieu ce vendredi, le nouvel an celte, grosse fête d’Allo Ouine à laquelle j’échapperai.
Mon petit déjeuner pris, je passe par le Parc de la Duchesse Anne afin de déposer les livres récoltés ici est là, puis, une dernière fois, je prends le sentier côtier. Une photo de la piscine et il se met à pleuvoir. J’assiste au passage, entre l’Ile Harbour et le continent, de la pêche à la coquille. Je compte trente-sept bateaux. Ils se suivent dans un bruit d’autoroute. Tous opèrent au même endroit, selon un horaire imposé, pour une quantité limitée. Le surplus doit être remis en mer.
Arrivé à la turquerie, je remonte vers le logis que je vais quitter demain et me livre à un premier rangement tout en soignant ma gorge qui me fait moins souffrir.
Vers dix heures trente, toujours sous la pluie, je termine le parcours de bord de mer entre l’Ile de la Comtesse et Port d’Armor. Je réserve pour midi chez Victoria et assiste au départ de la vedette de la Gendarmerie Maritime (il y a du contrôle dans l’air) puis je m’assois une dernière fois à ma table en coin de L’Ecume.
Tess, la compagne du patron Pierrick, m’apporte un café sans que je l’aie commandé. Les vieux de tous les jours sont là avec leur conversation de vieux. « A huit jours de la retraite, il a été hospitalisé et il est mort. » Si je vais jusqu’au bout d’Almanach d’un comté des sables, c’est que je n’ai rien d’autre à lire. Ce qui retient mon attention, ce sont les deux pages de biographie d’Aldo Léopold à la fin de l’ouvrage. J’apprends que ce défenseur de la nature est mort à soixante et un ans, un mois après avoir écrit la préface de son livre, d’une crise cardiaque alors qu’il aidait ses voisins à éteindre un feu de broussailles.
Midi approche, la salle se vide. Je rejoins le Victoria abrité par l’arcade. J’ai la même table en hauteur à l’écart avec vue sur le port de pêche vidé de ses bateaux. Au menu du jour : quiche saumon crevettes, moules au curry du Mont-Saint-Michel frites maison et vacherin. Tandis que je mange, j’assiste au retour des bateaux de pêche. C’est comme un spectacle commandé pour mon dernier repas à Saint-Quay-Portrieux.
Une qui s’est décommandée, en revanche, c’est Cristalle avec qui je devais boire un café à quatorze heures. Un texto d’elle à l’heure très matinale où je me suis levé me disant qu’elle était malade, voulait se reposer et qu’elle n’arriverait au Café de la Plage qu’à quinze heures au moment de prendre son travail. « Désolée pour ce nouveau faux plan. » « Je serai quand même là à quatorze heures », lui ai-je répondu.
Ça se voit qu’elle est malade, Cristalle, quand elle arrive à quinze heures. « Je le suis aussi mais moins que vous », lui dis-je. On échange quelques mots en espérant se revoir un jour puis elle est prise par le travail. Pierre m’offre ce dernier café. Je sors et me dirige vers le Fournil du Casino pour acheter mon déjeuner de Tégévé. « Au revoir Monsieur ! », entends-je crier derrière moi. Cette petite folle est sortie malgré sa maladie. Je lui fais signe d’approcher. « On se fait la bise, même si vous êtes malade », lui dis-je. « Vous l’êtes aussi alors ça s’annule. »

29 octobre 2025


Le ciel est orangé côté mer et gris côté terre ce mardi et mon début de rhume transformé en mal de gorge. En descendant au Quay des Brunes, je fais trois photos de Ty-Huel, l’ébouriffante construction plate et rose à tourelle.
Mon petit déjeuner terminé, je suis une fois encore le bord de la mer jusqu’au Portrieux puis arpente les ruelles intérieures de ce quartier autrefois habité par des pêcheurs. On y trouve de jolies maisons et la chapelle Sainte-Anne, toute blanche, un peu cachée par les arbres.
Ce début de matinée est ensoleillé. La terrasse du Poisson Rouge s’impose, face au Port où flottent les petits bateaux. Les commerçantes du coin prennent leur café quotidien en parlant des films qu’elles ont envie de voir. Comment ne pas faire oublier son âge ? En parlant du cinéma en l’appelant le cinoche.
Quand le ciel se couvre, je lève le camp et, sur le chemin de mon logis Air Bibi, m’arrête à la pharmacie dans l’espoir de contrer le mal de gorge qui a remplacé mon rhume. Je repars avec vingt-quatre comprimés à sucer arôme fraise et un spray aux huiles essentielles. Le tout pour treize euros. J’espère que ces friandises soulageront la douleur.
A midi, je rejoins le Café de la Plage. Au menu, c’est Pinsa Romana jambon de Bayonne pesto et burrata, brochette de bœuf riz basmati sauce satay, entremet aux trois chocolats. Hier, j’ai réservé une table haute dans le bar pour échapper aux familles à moutards de la salle de restaurant et j’ai bien fait. Elles sont aussi nombreuses que l’autre jour.
Je mets beaucoup de temps à manger à cause de ma gorge douloureuse. Point de café ce jour. Je me sens patraque. Je rentre à la maison pour me soigner et achever le rattrapage de publication de mon Journal.

28 octobre 2025


Un ciel gris, du vent et de la pluie, on peut se consoler en constatant qu’il fait moins froid, et même presque doux ce lundi. « Un temps de Toussaint », c’est le constat du jour au Quay des Brunes où chacun est en boucle. Celui qui marche parle de sa marche. Celui qui ne parle que de sa femme parle de Madame. Il est toutefois question d’un qui est tombé à la Pointe de Pordic, cinquante-cinq ans, pas vieux pourtant, le chemin est mauvais par là. Je l’avais constaté.
Sur la Plage du Casino, la pelleteuse est toujours à l’ouvrage. Il s’agit, dit la Mairie, de la « première phase de gestion des désordres avant reconstruction ». Le sentier qui mène au Portrieux est gadouilleux mais point dangereux. Je l’emprunte une nouvelle fois tandis qu’il mouillasse et en fais quelques photos. L’orage de septembre n’a pas seulement emporté un morceau de l’esplanade du Casino, il est aussi responsable de deux glissements de terrain qui diminuent de moitié la largeur du chemin. Un désordre qu’il va falloir gérer. Mon passage préféré est toujours celui où le Géherre semble tomber dans la mer.
Arrivé au bout, je réserve aux Plaisanciers puis m’installe à la terrasse du Poisson Rouge, où l’on est abrité quand il pleut et éclairé de soleil quand il fait une apparition. Le café bu, j’ouvre Almanach d’un comté des sables que je lis distraitement en regardant passer les autochtones et les vacanciers qui vont au marché du bout du Port. Les premiers font les courses. Pour les seconds, il s’agit d’une animation touristique gratuite qui permet d’occuper les enfants dont on ne sait jamais quoi faire. A côté, dans l’ancienne Mairie, c’est le jour de la donnerie que fréquentent uniquement des femmes d’un certain âge. Tu as chez toi quelque chose qui ne te sers pas, tu le donnes. Tu as besoin d’autre chose, tu le prends. A ma gauche, on fait preuve de naïveté en prenant pour sure la météo de Gougueule. A ma droite, on est dépité par le marché, on s’attendait à des étals de coquilles Saint-Jacques, y avait rien. Le monde est incertain et décevant.
Je migre à L’Ecume où opère celle que je prenais pour la patronne mais qui est la serveuse. A l’extérieur, cela ne s’arrange pas, de la pluie et de la brume. « C’est la boucaille », dit l’un. Je l’affronte sur cinquante mètres pour d’entrer aux Plaisanciers où des familles se donnent en spectacle, le papy, le tonton. Je souffre en silence.
En partant, je remercie les deux gentilles serveuses et la patronne. C’est mon dernier repas ici. Elles me disent que je reviendrai. Je réponds qu’on ne sait jamais. Il pleut toujours quand je rentre Villa Les Marronniers pour mettre en forme mon passé récent et le publier dans la foulée.
Vers quatorze heures trente, je rejoins le Café de la Plage pour le café.
« Je suis désolée, je n’ai pas eu le temps de répondre à votre dernier message », me dit Cristalle. C’est ouvert mercredi en raison des vacances donc impossible pour Gwin Zegal. « C’était de bon cœur », ajoute-t-elle. « Oui, je sais. » « Vous reviendrez, je serai toujours là. »

27 octobre 2025


C’est un plaisir de descendre au Quay des Brunes au même moment que les jours précédents mais à la lumière naturelle, grâce au changement d’heure de ce dernier dimanche d’octobre.
« La mer est mauvaise » « Y a de sacrés rouleaux » C’est ce que j’apprends des habitués avant même de l’avoir vue.
Effectivement, du sentier de randonnée on voit les chevaux de la mer se fracasser la tête la première. Je tente quelques photos. Rien de plus difficile qu’appuyer au bon moment. Surtout avec un appareil comme le mien. Il faudrait filmer. Je m’y refuse. Je n’aime pas les images qui bougent.
Des qui ne bougent pas, ce sont les pêcheurs à la ligne près de l’Ile de la Comtesse. Trois sont perchés chacun sur un îlot. Ils ne pourront les quitter qu’à la marée descendante. Il ne faut pas avoir le vertige, ni envie de faire pipi.
Il a plu toute la nuit. Le sentier est détrempé et couvert de flaques. Le Poisson Rouge non encore ouvert, je retrouve ma table du coin à L’Ecume. Faute de mieux, je poursuis la lecture d’Almanach d’un comté des sables sans trouver quoi que ce soit à noter. Trois jeunes femmes sont à une table voisine. L’une : « Moi, j’ai remis mon manteau » puis se reprenant « J’ai remise mon manteau ». Ensuite elles comparent les avantages de leurs machines à laver respectives.
Cela m’aurait plu de déguster encore une fois les huîtres du dimanche au Quay des Brunes. Le temps ne s’y prête pas. En bas de mon logement provisoire, j’achète à l’étudiante du dimanche un bagnat au thon et une part de tarte à la mirabelle. Je pique-nique au second étage.
Le temps froid me conduit à ne pas ressortir et à poursuivre l’effort de rattrapage de la publication de mon journal. J’avance assez vite, le texte ayant été enregistré quotidiennement via le micro de mon smartphone. Je n’ai que les corrections à faire. Je ne sais pas si c’est une bonne chose, mais depuis qu’il a redémarré, je n’éteins pas mon ordinateur, lui rabattant le couvercle.
Avec tout ça (comme dirait l’autre), j’ai chopé un semblant de rhume.
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Le problème du moment à Saint-Quay : les conteneurs de tri des ordures ménagères sont désormais ouvrables à l’aide d’un badge que beaucoup n’ont pas encore reçu. Ceux qui n’en ont pas en cherchent. Ceux qui en ont un ne veulent pas le prêter, ils disent qu’ils n’en ont pas.

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